Les relations entre les deux pays s’intensifient. Profitant de la crise française sur le continent africain, l’Italie espère notamment devenir le partenaire privilégié de l’Algérie dans le domaine de l’énergie.
Par Allan Kaval (Rome, correspondant)

le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, et la présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, au sommet du G7, à Savelletri (Italie), le 14 juin 2024. FILIPPO MONTEFORTE/AFP
Alors que Paris et Alger s’enfoncent dans une crise diplomatique dont on ne voit pas le bout, l’Italie et l’Algérie n’ont de cesse d’afficher leur parfaite concorde. Dès son arrivée à la tête de l’exécutif italien en 2022, la présidente d’extrême droite du conseil, Giorgia Meloni, a eu un regard critique sur l’action de la France sur le continent africain. Elle cultive soigneusement ses relations avec un pays devenu son premier fournisseur en gaz naturel depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
En quête d’une politique africaine, Mme Meloni, qui participa dans sa jeunesse à des actions de solidarité avec les indépendantistes du Sahara occidental soutenus par Alger contre le Maroc, avait d’ailleurs misé sur la mémoire d’un homme qui résumait par sa biographie l’appétit pour les hydrocarbures, la grandeur nationale italienne et la lutte contre le colonialisme français : Enrico Mattei (1909-1962), le fondateur du géant national des hydrocarbures, ENI.
Giorgia Meloni a baptisé de son nom le « plan pour l’Afrique »annoncé dès son discours d’investiture, en octobre 2022, et censé encadrer les initiatives menées sur le continent par l’Italie, ses entreprises et ses institutions. La référence a toujours la faculté de résonner de manière particulière en Algérie, où l’on se souvient aussi du chimiste visionnaire, notamment dans le contexte de tensions avec la France. Ancien résistant, démocrate-chrétien de gauche, Enrico Mattei avait attaqué la toute-puissance des compagnies pétrolières anglo-américaines pour proposer aux pays libérés des colons européens des contrats plus avantageux, censés garantir à la fois leur développement et la prospérité de la jeune puissance industrielle italienne.
Lire aussi dans les archives du « Monde » | Article réservé à nos abonnés L'INQUIÉTANT ENRICO MATTEI
En Algérie, il n’a pas attendu l’indépendance. Refusant de négocier avec la France l’exploitation du pétrole du Sahara, Enrico Mattei a tôt misé sur le Front de libération nationale (FLN), soutenant matériellement son effort de guerre et formant les cadres du futur secteur énergétique de l’Algérie indépendante. A Alger comme à Rome, il n’est pas rare qu’on attribue à cet engagement les circonstances mystérieuses de sa mort dans un accident d’avion, peu après l’indépendance. Un jardin public porte d’ailleurs son nom dans la capitale algérienne. Situé dans le quartier d’Hydra, il a été inauguré en 2021 par le président de la République italienne.
« Une alternative au gaz russe »
Le lointain successeur d’Enrico Mattei, Claudio Descalzi, PDG d’ENI et surnommé « l’Africain »dans le milieu des énergéticiens italiens, tant il croit au développement par Rome de ses intérêts sur le continent, passe pour l’un des hommes les plus puissants d’Italie. Il se trouve de fait parmi les acteurs majeurs de la projection du pays dans son environnement méditerranéen et au-delà. Après 2022, M. Descalzi a été au cœur des efforts ayant abouti au pivot vers le sud des approvisionnements en gaz d’une Italie largement dépendante des fournitures russes. L’Algérie en a été le principal bénéficiaire, devenant son premier fournisseur de méthane, notamment via le gazoduc Transmed, aussi connu sous le nom de gazoduc… Enrico Mattei.
« En Algérie, nous avons réussi à trouver une alternative au gaz russe, même si Alger et Moscou ont des rapports privilégiés. Nous voulons désormais être les partenaires de l’Algérie dans le Sahel, où l’Italie a avec elle des convergences d’intérêts sur les questions de sécurité et de migrations illégales », indique une source diplomatique italienne qui évoque entre les deux pays une série « de rencontres et de visites officielles sans équivalent ». Giorgia Meloni a d’ailleurs convié le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du G7 qu’elle présidait en juin 2024. Il s’était déjà rendu en visite d’Etat à Rome en 2022.
Depuis, on ne compte plus les rencontres interministérielles, les protocoles d’accord, les plans de coopération technique dans les domaines agricole ou sécuritaire, passés entre Rome et Alger, alimentant un flux continu d’activité diplomatique dont il importe finalement peu que les traductions concrètes tardent ou non à se matérialiser tant que l’excellence des relations se donne à voir.
Une porte d’entrée vers le Sahel
La dernière occasion a eu lieu lundi 3 mars, avec la visite à Alger du vice-président du conseil et ministre des affaires étrangères, Antonio Tajani. « Nous voulons soutenir l’enseignement de la langue italienne en Algérie et nous voulons plus d’étudiants algériens dans les universités italiennes »,a déclaré, devant M. Tebboune, le chef de la diplomatie italienne, tandis que Paris continue de faire des procédures d’obtention de visas étudiants un parcours d’obstacles long et hasardeux, au cœur des tensions en cours. Le chef de l’Etat algérien avait déjà loué les efforts diplomatiques italiens, par opposition à l’attitude hostile de la France, dans un entretien à L’Opinion publié le 2 février, affirmant : « Contrairement à l’extrême droite française, nous avons d’excellentes relations avec la droite radicale italienne, d’autant que nous n’avons aucun contentieux, ni mémoriel ni autre. » Plus loin, M. Tebboune n’avait pas manqué de se référer à la mémoire d’Enrico Mattei. La mémoire, toujours.
« L’essoufflement du dialogue mémoriel initié par Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune a déstabilisé les relations entre Paris et Alger. Comme alternative, l’Italie offre au président algérien un chapitre heureux de la mémoire de la guerre d’Algérie qui donne de la légitimité au choix opéré en faveur d’une relation privilégiée avec Rome », analyse le politologue Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, à Genève.
A Rome, on tend à regarder l’Algérie comme une porte d’entrée vers le Sahel et l’on voudrait positionner l’Italie comme le facilitateur des relations d’Alger avec l’Europe. Vue d’Alger, la Péninsule ressemble aussi à une voie d’accès prometteuse, et en tout cas moins minée, vers le continent, alors que les relations avec l’ancien colonisateur s’enlisent, entre crises diplomatiques, discours identitaires et mémoires affrontées.
L'INQUIÉTANT ENRICO MATTEI
" La Fortune se plaît à faire du bien aux étourdis et aux téméraires. " (ERASME.)
Par JEAN D'HOSPITAL
Publié le 02 février 1962 à 00h00, modifié le 02 février 1962 à 00h00
DANS chaque pays on pourrait brosser le portrait d'une douzaine de personnages vivants qui, sous des aspects divers, illustrent la vie publique, spécimens de grand relief national, hommes et femmes d'action, de talent, d'argent, de foi ou de pensée, retenant l'attention du commun par leur réussite éclatante. On les admire ou on les ridiculise, on les aime ou on les déteste, on les envie ou on les méprise : ils ne sont indifférents à personne et traduisent donc, à leur insu, les aspirations du peuple, ses qualités et ses défauts. Des gens qui déplacent de l'air en participant à la vie quotidienne au niveau des citoyens.
En Italie, les " types " abondent. Bornons-nous. Nous n'en finirions pas. Laissons Danilo Dolci, ce pittoresque et déconcertant réformateur social. Pour les uns il est un fou doucereux ; pour les autres un apôtre. Considéré ici comme un gêneur, il est méconnu par les masses. Le padre Pio ? Nous le retrouverons dans le cadre auquel il appartient, à celui des mœurs. M. Missiroli, ex-directeur du Carrière dellaa Sera, qui, travaillant la nuit et dormant le jour depuis trente ans, indifférent aux honneurs et aux profits, sachant tout et ne fréquentant personne, a été un des pilotes de l'Italie contemporaine ? Sophia Loren, qui napolise Hollywood ? En crevant les écrans mondiaux elle s'est dépouillée des parfums de sa terre. M. Mondadori, puissant éditeur milanais, dont la carrière sera citée un jour en exemple, comme celle de Ford, aux petits enfants sages ? Il fuit les feux de l'actualité ; il se dérobe au bruit. Maria Callas ? Elle reste Grecque malgré ses nervosités locales. Le comte Marzotto, cet industriel-mécène qui donne l'impression de s'excuser d'être riche sans consentir à l'être moins ? Ce prince...
Détachons trois noms de poids : Lauro, La Pira, Mattei. Aucun d'eux n'est Romain d'origine. Rome est pauvre en personnalités attachantes. Elle l'a toujours l'été, même dans l'Antiquité, même à l'époque de la Renaissance. Mais aujourd'hui, comme alors, c'est Rome qui accueille, façonne et consacre. Ces trois-là viennent respectivement du Sud, du Centre et du Nord. Ils seraient des comparses sans la consécration qu'ils ont reçue de Rome et à Rome.
D'abord le très actuel, l'inquiétant Enrico Mattei, cinquante-cinq ans. de haute taille, élégant, l'œil, le nez, le menton et le front d'un condottiere, précis, autoritaire. Il a les qualités suprêmes du chef : un esp rit entreprenant au service d'une volonté d'acier chromé et le don de synthèse.
Il est l'homme le plus critiqué, discuté et craint de son pays. Il a peu d'amis. Il ne cherche pas à en avoir. Il n'a compté que sur ses propres forces pour édifier son empire. Car il en mène un, l'E.N.I, (Ente Nazionale Idrocarburi), colossale société nationalisée, ramifiée en cent entreprises, qui cause aujourd'hui des soucis dans bien des chancelleries, et en tout premier lieu au gouvernement de Rome...
Il est parti " de peu ", Enrico Mattei. Né dans les Marches, fils de famille nombreuse et nécessiteuse - son père était brigadier de gendarmerie, - il a reçu une instruction élémentaire. A quinze ans il travaille de ses mains dans une petite fabrique de literie ; à seize, il entre dans une fabrique de produits chimiques comme livreur ; a vingt il en est le sous-directeur et passe le concours de comptable d'État. A vingt-trois ans il dirige une entreprise allemande à Milan, et à trente il fonde un établissement industriel après avoir décroché ses diplômes d'ingénieur. Ce n'est pas la richesse, c'est l'aisance.
Par Allan Kaval (Rome, correspondant)

le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, et la présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, au sommet du G7, à Savelletri (Italie), le 14 juin 2024. FILIPPO MONTEFORTE/AFP
Alors que Paris et Alger s’enfoncent dans une crise diplomatique dont on ne voit pas le bout, l’Italie et l’Algérie n’ont de cesse d’afficher leur parfaite concorde. Dès son arrivée à la tête de l’exécutif italien en 2022, la présidente d’extrême droite du conseil, Giorgia Meloni, a eu un regard critique sur l’action de la France sur le continent africain. Elle cultive soigneusement ses relations avec un pays devenu son premier fournisseur en gaz naturel depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
En quête d’une politique africaine, Mme Meloni, qui participa dans sa jeunesse à des actions de solidarité avec les indépendantistes du Sahara occidental soutenus par Alger contre le Maroc, avait d’ailleurs misé sur la mémoire d’un homme qui résumait par sa biographie l’appétit pour les hydrocarbures, la grandeur nationale italienne et la lutte contre le colonialisme français : Enrico Mattei (1909-1962), le fondateur du géant national des hydrocarbures, ENI.
Giorgia Meloni a baptisé de son nom le « plan pour l’Afrique »annoncé dès son discours d’investiture, en octobre 2022, et censé encadrer les initiatives menées sur le continent par l’Italie, ses entreprises et ses institutions. La référence a toujours la faculté de résonner de manière particulière en Algérie, où l’on se souvient aussi du chimiste visionnaire, notamment dans le contexte de tensions avec la France. Ancien résistant, démocrate-chrétien de gauche, Enrico Mattei avait attaqué la toute-puissance des compagnies pétrolières anglo-américaines pour proposer aux pays libérés des colons européens des contrats plus avantageux, censés garantir à la fois leur développement et la prospérité de la jeune puissance industrielle italienne.
Lire aussi dans les archives du « Monde » | Article réservé à nos abonnés L'INQUIÉTANT ENRICO MATTEI
En Algérie, il n’a pas attendu l’indépendance. Refusant de négocier avec la France l’exploitation du pétrole du Sahara, Enrico Mattei a tôt misé sur le Front de libération nationale (FLN), soutenant matériellement son effort de guerre et formant les cadres du futur secteur énergétique de l’Algérie indépendante. A Alger comme à Rome, il n’est pas rare qu’on attribue à cet engagement les circonstances mystérieuses de sa mort dans un accident d’avion, peu après l’indépendance. Un jardin public porte d’ailleurs son nom dans la capitale algérienne. Situé dans le quartier d’Hydra, il a été inauguré en 2021 par le président de la République italienne.
« Une alternative au gaz russe »
Le lointain successeur d’Enrico Mattei, Claudio Descalzi, PDG d’ENI et surnommé « l’Africain »dans le milieu des énergéticiens italiens, tant il croit au développement par Rome de ses intérêts sur le continent, passe pour l’un des hommes les plus puissants d’Italie. Il se trouve de fait parmi les acteurs majeurs de la projection du pays dans son environnement méditerranéen et au-delà. Après 2022, M. Descalzi a été au cœur des efforts ayant abouti au pivot vers le sud des approvisionnements en gaz d’une Italie largement dépendante des fournitures russes. L’Algérie en a été le principal bénéficiaire, devenant son premier fournisseur de méthane, notamment via le gazoduc Transmed, aussi connu sous le nom de gazoduc… Enrico Mattei.
« En Algérie, nous avons réussi à trouver une alternative au gaz russe, même si Alger et Moscou ont des rapports privilégiés. Nous voulons désormais être les partenaires de l’Algérie dans le Sahel, où l’Italie a avec elle des convergences d’intérêts sur les questions de sécurité et de migrations illégales », indique une source diplomatique italienne qui évoque entre les deux pays une série « de rencontres et de visites officielles sans équivalent ». Giorgia Meloni a d’ailleurs convié le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, au sommet des chefs d’Etat et de gouvernement du G7 qu’elle présidait en juin 2024. Il s’était déjà rendu en visite d’Etat à Rome en 2022.
Depuis, on ne compte plus les rencontres interministérielles, les protocoles d’accord, les plans de coopération technique dans les domaines agricole ou sécuritaire, passés entre Rome et Alger, alimentant un flux continu d’activité diplomatique dont il importe finalement peu que les traductions concrètes tardent ou non à se matérialiser tant que l’excellence des relations se donne à voir.
Une porte d’entrée vers le Sahel
La dernière occasion a eu lieu lundi 3 mars, avec la visite à Alger du vice-président du conseil et ministre des affaires étrangères, Antonio Tajani. « Nous voulons soutenir l’enseignement de la langue italienne en Algérie et nous voulons plus d’étudiants algériens dans les universités italiennes »,a déclaré, devant M. Tebboune, le chef de la diplomatie italienne, tandis que Paris continue de faire des procédures d’obtention de visas étudiants un parcours d’obstacles long et hasardeux, au cœur des tensions en cours. Le chef de l’Etat algérien avait déjà loué les efforts diplomatiques italiens, par opposition à l’attitude hostile de la France, dans un entretien à L’Opinion publié le 2 février, affirmant : « Contrairement à l’extrême droite française, nous avons d’excellentes relations avec la droite radicale italienne, d’autant que nous n’avons aucun contentieux, ni mémoriel ni autre. » Plus loin, M. Tebboune n’avait pas manqué de se référer à la mémoire d’Enrico Mattei. La mémoire, toujours.
« L’essoufflement du dialogue mémoriel initié par Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune a déstabilisé les relations entre Paris et Alger. Comme alternative, l’Italie offre au président algérien un chapitre heureux de la mémoire de la guerre d’Algérie qui donne de la légitimité au choix opéré en faveur d’une relation privilégiée avec Rome », analyse le politologue Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen, à Genève.
A Rome, on tend à regarder l’Algérie comme une porte d’entrée vers le Sahel et l’on voudrait positionner l’Italie comme le facilitateur des relations d’Alger avec l’Europe. Vue d’Alger, la Péninsule ressemble aussi à une voie d’accès prometteuse, et en tout cas moins minée, vers le continent, alors que les relations avec l’ancien colonisateur s’enlisent, entre crises diplomatiques, discours identitaires et mémoires affrontées.
L'INQUIÉTANT ENRICO MATTEI
" La Fortune se plaît à faire du bien aux étourdis et aux téméraires. " (ERASME.)
Par JEAN D'HOSPITAL
Publié le 02 février 1962 à 00h00, modifié le 02 février 1962 à 00h00
DANS chaque pays on pourrait brosser le portrait d'une douzaine de personnages vivants qui, sous des aspects divers, illustrent la vie publique, spécimens de grand relief national, hommes et femmes d'action, de talent, d'argent, de foi ou de pensée, retenant l'attention du commun par leur réussite éclatante. On les admire ou on les ridiculise, on les aime ou on les déteste, on les envie ou on les méprise : ils ne sont indifférents à personne et traduisent donc, à leur insu, les aspirations du peuple, ses qualités et ses défauts. Des gens qui déplacent de l'air en participant à la vie quotidienne au niveau des citoyens.
En Italie, les " types " abondent. Bornons-nous. Nous n'en finirions pas. Laissons Danilo Dolci, ce pittoresque et déconcertant réformateur social. Pour les uns il est un fou doucereux ; pour les autres un apôtre. Considéré ici comme un gêneur, il est méconnu par les masses. Le padre Pio ? Nous le retrouverons dans le cadre auquel il appartient, à celui des mœurs. M. Missiroli, ex-directeur du Carrière dellaa Sera, qui, travaillant la nuit et dormant le jour depuis trente ans, indifférent aux honneurs et aux profits, sachant tout et ne fréquentant personne, a été un des pilotes de l'Italie contemporaine ? Sophia Loren, qui napolise Hollywood ? En crevant les écrans mondiaux elle s'est dépouillée des parfums de sa terre. M. Mondadori, puissant éditeur milanais, dont la carrière sera citée un jour en exemple, comme celle de Ford, aux petits enfants sages ? Il fuit les feux de l'actualité ; il se dérobe au bruit. Maria Callas ? Elle reste Grecque malgré ses nervosités locales. Le comte Marzotto, cet industriel-mécène qui donne l'impression de s'excuser d'être riche sans consentir à l'être moins ? Ce prince...
Détachons trois noms de poids : Lauro, La Pira, Mattei. Aucun d'eux n'est Romain d'origine. Rome est pauvre en personnalités attachantes. Elle l'a toujours l'été, même dans l'Antiquité, même à l'époque de la Renaissance. Mais aujourd'hui, comme alors, c'est Rome qui accueille, façonne et consacre. Ces trois-là viennent respectivement du Sud, du Centre et du Nord. Ils seraient des comparses sans la consécration qu'ils ont reçue de Rome et à Rome.
D'abord le très actuel, l'inquiétant Enrico Mattei, cinquante-cinq ans. de haute taille, élégant, l'œil, le nez, le menton et le front d'un condottiere, précis, autoritaire. Il a les qualités suprêmes du chef : un esp rit entreprenant au service d'une volonté d'acier chromé et le don de synthèse.
Il est l'homme le plus critiqué, discuté et craint de son pays. Il a peu d'amis. Il ne cherche pas à en avoir. Il n'a compté que sur ses propres forces pour édifier son empire. Car il en mène un, l'E.N.I, (Ente Nazionale Idrocarburi), colossale société nationalisée, ramifiée en cent entreprises, qui cause aujourd'hui des soucis dans bien des chancelleries, et en tout premier lieu au gouvernement de Rome...
Il est parti " de peu ", Enrico Mattei. Né dans les Marches, fils de famille nombreuse et nécessiteuse - son père était brigadier de gendarmerie, - il a reçu une instruction élémentaire. A quinze ans il travaille de ses mains dans une petite fabrique de literie ; à seize, il entre dans une fabrique de produits chimiques comme livreur ; a vingt il en est le sous-directeur et passe le concours de comptable d'État. A vingt-trois ans il dirige une entreprise allemande à Milan, et à trente il fonde un établissement industriel après avoir décroché ses diplômes d'ingénieur. Ce n'est pas la richesse, c'est l'aisance.
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