
Il y a 63 ans, les négociations d'Evian mettaient fin à la colonisation française en Algérie : Du «triptyque» de 1955 aux accords de mars 1962
I. LES PRÉALABLES DU FLN
L'établissement de rapports interétatiques entre l'Algérie et la France est le principal but de guerre du FLN. Dès le 1er Novembre 1954, sa proclamation dite «Proclamation de Novembre» définissait en formulant ses conditions de paix :
Trois exigences préalables :
«1° L'ouverture de négociations avec les porte-parole autorisés du peuple algérien sur les bases de la reconnaissance de la souveraineté algérienne une et indivisible».
«2° la création d'un climat de confiance par la libération de tous les détenus politiques, la levée de toutes les mesures d'exception et l'arrêt des poursuites contre les forces combattantes».
«3° la reconnaissance de la nationalité algérienne par une déclaration abrogeant les édits, décrets et lois faisant de l'Algérie une terre française au déni de l'histoire, de la géographie, de la langue, de la religion et des mœurs du peuple algérien».
Et trois contreparties :
«1° Les intérêts français, culturels et économiques, honnêtement acquis, seront respectés ainsi que les personnes et les familles».
«2° Tous les Français désirant rester en Algérie auront le choix entre leur nationalité d'origine et seront de ce fait considérés comme des étrangers vis-à-vis des lois en vigueur ou opteront pour la nationalité algérienne et, dans ce cas, seront considérés comme tels en droits et en devoirs».
«3° les liens entre la France et l'Algérie seront définis et feront l'objet d’un accord entre les deux puissances sur la base de l'égalité et du respect de chacun.»
Ces conditions ne furent pas prises au sérieux par les dirigeants français d'alors. C'est pourtant sur ces mêmes bases que leurs successeurs négocièrent les Accords d'Evian, au terme d'une longue évolution.
II. LE «TRIPTYQUE» DE GUY MOLLET (président du Conseil des ministres)
Formulé en septembre 1955 par son émissaire Gilles Martinet, il propose :
Cessez-le-feu - élections libres - négociations entre les élus algériens et le gouvernement français pour élaborer un nouveau statut conciliant la personnalité algérienne et le maintien de liens étroits avec la France.
Ce triptyque implique une victoire militaire sur le FLN indispensable à toute solution. Les chefs de la délégation extérieure du FLN demandent aux émissaires du secrétaire général de la SFIO (Guy Mollet) des garanties sur la liberté des élections et le droit de l'Algérie à l’indépendance. Ceux de l'intérieur, réunis au congrès de la Soummam en août 1956, durcissent leurs exigences en faisant de la reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie un préalable absolu et en y ajoutant celle du FLN comme seul représentant du peuple algérien
Dans ces conditions, la paix était loin d'être acquise. L'interception de l'avion transportant la délégation du FLN à la conférence de Tunis le 22 octobre 1956 va rompre les contacts que les gouvernements successifs de la IVe République (Guy Mollet, Bourgès-Maunoury, Felix Gaillard) avaient en vain tenté de renouer.
Provoqué par la révolte des Français d’Algérie et des chefs militaires contre les intentions de négociation du gouvernement Pflimlin (14-28 mai 1958), le retour du général de Gaulle semblait indiquer le retour au principe de l’intégration.
III. LES TROIS OPTIONS DU GÉNÉRAL DE GAULLE
En fait, dès ses premiers discours en Algérie, de Gaulle reprend le «triptyque» en prônant la réconciliation et la «paix des braves» et des élections au collège unique pour «faire le reste», c'est-à-dire préparer avec les élus un avenir fondé sur la personnalité de l’Algérie et sur une «solidarité étroite» avec la métropole.
Dans sa conférence diffusée dans le cadre du journal télévisé de 20 heures, devant la presse française et étrangère, le 23 octobre 1958 à Matignon, il offre au FLN une reddition honorable : «la paix des braves».
En outre, il invite les Algériens à voter «oui» au référendum du 28 septembre 1958 pour faire évoluer leur pays «dans le cadre français», c'est-à-dire dans celui de la Communauté, où une «place de choix» lui était réservée. Il n'était pas question d'admettre les prétentions du «gouvernement provisoire de la République algérienne» (le GPRA) fondé au Caire le 19 septembre 1958 qui proposait des négociations sans préalable dans l'espoir d'amener le gouvernement français à le reconnaître implicitement.
Embarrassé par la tendance trop intégrationniste des députés élus en Algérie, de Gaulle décide le 23 novembre 1958 de recourir de nouveau au référendum pour réaliser l'autodétermination des Algériens.
Dans son discours du 16 septembre 1959, il leur propose de choisir, après le rétablissement de la paix, entre trois options :
1. La sécession entraînant le refus de toute aide française, comme à la Guinée un an plus tôt.
2. La francisation, c'est-à-dire l'intégration définitive à la France.
3. «Le gouvernement des Algériens par les Algériens, appuyé sur l’aide de la France et en union étroite avec elle, pour l’économie, l’enseignement, la défense, les relations extérieures». Dans ce cas, le régime intérieur serait fédéral pour garantir l’autonomie de toutes les communautés.
De Gaulle réitère son offre de paix des braves et invite les nationalistes à défendre leurs idées par la voie démocratique (les élections). Mais il récuse de nouveau la prétention d'un «groupe de meneurs ambitieux» à être le Gouvernement provisoire algérien (le GPRA).
Malgré ce camouflet, le GPRA salue comme une première victoire l'abandon du dogme de l'Algérie française et propose de négocier sur les garanties de l'autodétermination, en désignant pour cela les cinq «chefs historiques» détenus à la prison de la Santé.
De Gaulle refuse publiquement, mais, en décembre 1959, il fait savoir secrètement qu'il acceptait d'associer Ben Bella aux pourparlers et qu'il était favorable à la création d'une République algérienne dans le cadre d'un «Commonwealth français» (la Communauté rénovée, à la demande du Mali, permettant l'indépendance sans rupture).
IV. DES POURPARLERS AUX NÉGOCIATIONS
1. UNE AFFAIRE DE VIRGULE
Du 25 au 29 juin 1960, c'est Melun. Les «Services» avaient dit au général de Gaulle que les Algériens ne répondraient pas à son invitation. Aussi, rien n'était prêt, d'autant plus que se menaient parallèlement les contacts avec Si Salah (colonel Mohamed Zaamoum, chef de la willaya IV).
Des subterfuges furent trouvés pour que la négociation n'ait pas à s'engager. La délégation algérienne avait le texte de la proposition du général de Gaulle, telle que l'avait publiée le bureau de l'Agence France-Presse à Tunis. II s'agissait de trouver «une fin honorable aux combats, régler la destination des armes, assurer le sort des combattants».
Le colonel français Mathon trouve alors une astuce et modifie la ponctuation, avec l'accord de l'Elysée. Non plus une virgule, mais deux points, réduisant la fin des combats, et donc les discussions, au seul problème des armes et des combattants. «Une fin honorable aux combats : régler la destination des armes, assurer le sort des combattants».
Rien d'autre, pas de murmure dans les rangs, circulez, il n'y a rien à voir !
Pour la première fois, le 4 novembre 1960, de Gaulle affirme que l’Algérie constituera une entité indépendante, une «République algérienne», «avec son gouvernement, ses institutions, ses lois».
Les entretiens de Lucerne n'auront donc pas été entièrement négatifs. Ils ont commencé à poser les problèmes. Ils ont eu le mérite de faire apparaître clairement les points de désaccord.
2. LES TERMES DU DÉSACCORD
A. UNE QUESTION DE RECONNAISSANCE DE SOUVERAINETÉ
Dans le passage des simples rencontres aux pourparlers et de ces derniers aux négociations d’égal à égal exigées par le FLN, ce qui apparaît, c’est l’importance des questions d’ordre du jour et de protocole. Ces questions sont elles-mêmes liées et déterminent le statut diplomatique de la négociation. On passe de contacts «officieux» et de discussions «privées» à de véritables négociations entre deux gouvernements. Celles-ci doivent être politiques et non militaires seulement. Elles doivent déboucher sur l’avenir de l’Algérie et la reconnaissance du GPRA comme seul «dépositaire» et «garant» de la souveraineté algérienne.
B. LE SAHARA AU CŒUR DES DISCUSSIONS
Les délégués des deux parties se retrouvent de nouveau en Suisse début mars 1961. Georges Pompidou admet que de Gaulle entreprendra des «négociations» avec le FLN et des «conversations» avec les autres. Il revient sur la «trêve» qui, dit-il, sera suivie de la libération des «Cinq».
Pour le Sahara, il refuse toute discussion sur le fond, n'acceptant d'aborder que des points techniques : cadres, techniciens, capitaux, consultations. Il propose la formule suivante : «Proclamation publique du désaccord quant à la souveraineté populaire du Sahara et renvoi de la négociation sur ce problème après l'autodétermination.»
C'était là un gros risque pour le futur Etat algérien, une nouvelle guerre en perspective pour son remembrement avec l’éventualité de manœuvres par la puissance occupante auprès des Etats riverains (OCRS). Déjà, à l'époque, le Maroc faisait pression sur le GPRA avec des revendications territoriales : Mohamed V, puis plus tard Hassan II, réclament Tindouf et sa région, et Bourguiba la «borne 233». (Zone pétrolifère située à Garet El-Hamel à l'ouest de Ghadamès, d'environ 30 000 km2).
Ainsi apparaît la conception gaulliste de «l'Association» : une Algérie, amputée de son Sahara, avec une présence militaire française gardienne des privilèges économiques de la France et de ceux de la minorité française.
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