L'Algérie et la France : Une rupture inévitable ?
Auteur : Zahr-Eddine Smati 34 قراءة
18 مارس 2025 (منذ 33 دقيقة)
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Aucune perspective de retour à la normale ne semble se dessiner dans les relations entre l'Algérie et la France. De plus, le côté français ne semble pas animé d’une volonté sincère d’apaisement. Les relations évoluent rapidement vers une rupture politique, économique et commerciale.
Le président Tebboune est désormais convaincu que son homologue français, Emmanuel Macron, représentant de l’institution officielle française, adopte des politiques et des positions vis-à-vis de l’Algérie qui ne reposent ni sur des intérêts communs ni sur un respect mutuel.
عروض ترفيهية
La relation entre les deux présidents a-t-elle atteint un point de rupture ? Pour replacer cela dans son contexte, les relations bilatérales ont été marquées ces dernières années par des tensions, notamment sur la mémoire coloniale, l’immigration et des différends politiques. Malgré ces tensions, Tebboune et Macron ont maintenu un certain niveau de communication, et les relations n’ont jamais été totalement rompues.
Le terme « rupture » pourrait désigner des périodes de forte tension, mais il était difficile de considérer que la relation entre les deux pays avait franchi un point de non-retour, étant donné que les canaux diplomatiques étaient toujours activés pour préserver le dialogue.
Toutefois, la crise politique actuelle entre les deux pays semble sans précédent à bien des égards. À ce stade, aucun signe ne laisse entrevoir une possibilité de retour à la situation d’avant juillet 2024.
Tebboune : "Nous perdons notre temps avec le président Macron"
Le président Abdelmadjid Tebboune a affirmé sans détour : " Le climat est délétère. Nous perdons notre temps avec le président Macron", tout en précisant qu’il souhaite éviter " une séparation qui deviendrait irréparable ". Dans une interview accordée au journal L’Opinion, le 2 février dernier, il a souligné que " Pour moi, la République française, c’est d’abord son Président ".
Cela signifie clairement que la campagne agressive menée par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau contre l’Algérie n’a aucun impact sur lui et que la relation d’égal à égal entre les deux pays reste exclusivement du ressort des deux présidents.
Depuis 2020, Tebboune et Macron s’étaient engagés à tourner la page du passé et à régler les questions mémorielles. Cependant, la relation entre les deux pays a connu des hauts et des bas. Cela n’a pas empêché les deux présidents de signer "la Déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé" en août 2022, lors d’une visite d’Emmanuel Macron en Algérie, qualifiée de "très réussie" par la presse française.
Une commission mixte d’historiens a été créée pour travailler sur la mémoire en dehors des enjeux politiques. Macron a également multiplié les gestes d’apaisement en reconnaissant officiellement la responsabilité de l’État français dans certains crimes commis pendant la guerre de libération, notamment les assassinats de Maurice Audin, Ali Boumendjel et Larbi Ben M’hidi.
Tebboune avait d’ailleurs salué certaines prises de position courageuses de Macron sur la mémoire, le qualifiant de président "d’une autre génération", n’ayant "aucun lien avec le colonialisme", tout comme 65 % des Français, qui ne partagent pas les idées de l’extrême droite.
Tebboune en pleine colère et refuse les appels de Macron
Les déclarations médiatiques tendues et les positions rigides, à l’image de celles du président Macron lorsqu’il a affirmé, dans une interview au journal Le Monde le 2 octobre 2021, que le "système politico-militaire algérien propose à son peuple une histoire officielle qui ne repose pas sur des faits", ont accentué les tensions entre les deux pays.
Mais l’escalade a pris une ampleur inédite lorsque Macron a remis en question l’existence même de la nation algérienne avant la colonisation française, en déclarant : "Y avait-il une nation algérienne avant la colonisation française ?". Ces propos, tenus lors d’une rencontre à l’Élysée avec des jeunes issus de familles liées à la guerre d’Algérie, ont suscité une indignation immédiate en Algérie.
En réponse, Alger a décidé du rappel immédiat de son ambassadeur en France et de la suspension des autorisations de survol de son espace aérien pour les avions militaires français participant à l’opération Barkhane au Sahel.
D’après le journal allemand Der Spiegel, ces déclarations ont tellement irrité le président Tebboune qu’il "refusait de répondre aux appels téléphoniques de Macron". Dans une interview accordée à ce journal le 5 novembre 2021, Tebboune a réagi avec fermeté :"Macron ne blesse pas seulement l’histoire d’un peuple, il insulte les Algériens. Ce qui est ressorti ici, c’est la vieille haine des colons. Mais je sais que Macron ne pense pas ainsi. Pourquoi a-t-il dit cela ? Probablement pour des raisons électorales."
Il a également souligné la similitude entre cette position et celle de l’extrême droite française, notamment Éric Zemmour, qui défend depuis longtemps l’idée que "l’Algérie n’était pas une nation avant la colonisation, et que seule la France l’a façonnée".
Interrogé sur la question des excuses de la France pour son passé colonial, Tebboune a clarifié :
"Notre pays ne veut pas des excuses de Macron pour ce qui s’est passé en 1830 ou 1840. Mais nous voulons une reconnaissance pleine et entière des crimes commis par la France."
Emmanuel Macron, qui avait pourtant reconnu en 2017 que "la colonisation était un crime contre l’humanité", a ensuite multiplié les gestes contradictoires. Par exemple, il a demandé à l’Algérie de libérer l’écrivain Boualem Sansal, déclarant que "son emprisonnement nuisait à l’image de l’Algérie".
Ces propos ont été perçus par Alger comme une "ingérence inacceptable", selon un communiqué de son ministère des Affaires étrangères. En conséquence, le retour de l’ambassadeur algérien en France a été retardé de plus de six mois, ce qui témoigne de la profondeur de la crise.
En septembre 2024, Macron a tenté une nouvelle médiation en envoyant son conseillère spéciale pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, Anne-Claire Legendre, en Algérie, juste après la réélection de Tebboune pour un second mandat. Mais cette initiative n’a pas abouti à une normalisation des relations.
Face à la persistance des tensions, le président Tebboune a exclu toute visite en France à court terme. Dans une interview télévisée en octobre 2024, il a utilisé l’expression historique "Je ne vais pas à Canossa", signifiant qu’il refuse de se soumettre à une humiliation diplomatique.
Cette déclaration reflète l’approfondissement du fossé entre les deux dirigeants sur plusieurs dossiers majeurs, notamment la question mémorielle et la gestion des crises diplomatiques.
Un point de rupture supplémentaire a été atteint en février 2023, lorsque Tebboune a ordonné le rappel immédiat de l’ambassadeur d’Algérie en France, en réaction au rapatriement clandestin de l’opposante Amira Bouraoui via la Tunisie, une opération vivement condamnée par Alger et ayant fait l’objet d’une protestation officielle.
Macron cède à l’extrême droite
Le dossier de l’immigration et de la circulation des personnes est un autre sujet ayant alimenté de vives tensions entre les présidents Tebboune et Macron.
L'incident du refus par les autorités algériennes d'accueillir des citoyens algériens expulsés de France, qui ont fini par retourner sur le sol français, a exacerbé ces tensions. L’Algérie reprochait à la France de ne pas avoir respecté les procédures prévues par les accords bilatéraux.
Le premier mandat d’Emmanuel Macron a été marqué par trois grandes crises – sociale, sanitaire et internationale.
Malgré une popularité en déclin, il a été réélu en 2022. Cependant, ne disposant que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, il a vu son discours pencher vers la droite. En juin 2024, il a dissous la chambre basse du Parlement, ce qui l’a placé dans une situation inédite sous la Cinquième République.
Le tournant majeur dans la politique de Macron envers l’Algérie semble avoir eu lieu après son revers politique au second tour des législatives de juillet 2024, où il a perdu sa majorité absolue à l’Assemblée nationale. Ce résultat a compliqué sa capacité à gouverner, face à une percée significative de l’extrême droite et de la gauche. Autrement dit, l’alliance présidentielle s’est retrouvée avec une majorité relative, insuffisante pour gouverner seule, le poussant ainsi à s’appuyer sur l’extrême droite.
Auteur : Zahr-Eddine Smati 34 قراءة
18 مارس 2025 (منذ 33 دقيقة)

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Aucune perspective de retour à la normale ne semble se dessiner dans les relations entre l'Algérie et la France. De plus, le côté français ne semble pas animé d’une volonté sincère d’apaisement. Les relations évoluent rapidement vers une rupture politique, économique et commerciale.
Le président Tebboune est désormais convaincu que son homologue français, Emmanuel Macron, représentant de l’institution officielle française, adopte des politiques et des positions vis-à-vis de l’Algérie qui ne reposent ni sur des intérêts communs ni sur un respect mutuel.
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La relation entre les deux présidents a-t-elle atteint un point de rupture ? Pour replacer cela dans son contexte, les relations bilatérales ont été marquées ces dernières années par des tensions, notamment sur la mémoire coloniale, l’immigration et des différends politiques. Malgré ces tensions, Tebboune et Macron ont maintenu un certain niveau de communication, et les relations n’ont jamais été totalement rompues.
Le terme « rupture » pourrait désigner des périodes de forte tension, mais il était difficile de considérer que la relation entre les deux pays avait franchi un point de non-retour, étant donné que les canaux diplomatiques étaient toujours activés pour préserver le dialogue.
Toutefois, la crise politique actuelle entre les deux pays semble sans précédent à bien des égards. À ce stade, aucun signe ne laisse entrevoir une possibilité de retour à la situation d’avant juillet 2024.
Tebboune : "Nous perdons notre temps avec le président Macron"
Le président Abdelmadjid Tebboune a affirmé sans détour : " Le climat est délétère. Nous perdons notre temps avec le président Macron", tout en précisant qu’il souhaite éviter " une séparation qui deviendrait irréparable ". Dans une interview accordée au journal L’Opinion, le 2 février dernier, il a souligné que " Pour moi, la République française, c’est d’abord son Président ".
Cela signifie clairement que la campagne agressive menée par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau contre l’Algérie n’a aucun impact sur lui et que la relation d’égal à égal entre les deux pays reste exclusivement du ressort des deux présidents.
Depuis 2020, Tebboune et Macron s’étaient engagés à tourner la page du passé et à régler les questions mémorielles. Cependant, la relation entre les deux pays a connu des hauts et des bas. Cela n’a pas empêché les deux présidents de signer "la Déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé" en août 2022, lors d’une visite d’Emmanuel Macron en Algérie, qualifiée de "très réussie" par la presse française.
Une commission mixte d’historiens a été créée pour travailler sur la mémoire en dehors des enjeux politiques. Macron a également multiplié les gestes d’apaisement en reconnaissant officiellement la responsabilité de l’État français dans certains crimes commis pendant la guerre de libération, notamment les assassinats de Maurice Audin, Ali Boumendjel et Larbi Ben M’hidi.
Tebboune avait d’ailleurs salué certaines prises de position courageuses de Macron sur la mémoire, le qualifiant de président "d’une autre génération", n’ayant "aucun lien avec le colonialisme", tout comme 65 % des Français, qui ne partagent pas les idées de l’extrême droite.
Tebboune en pleine colère et refuse les appels de Macron
Les déclarations médiatiques tendues et les positions rigides, à l’image de celles du président Macron lorsqu’il a affirmé, dans une interview au journal Le Monde le 2 octobre 2021, que le "système politico-militaire algérien propose à son peuple une histoire officielle qui ne repose pas sur des faits", ont accentué les tensions entre les deux pays.
Mais l’escalade a pris une ampleur inédite lorsque Macron a remis en question l’existence même de la nation algérienne avant la colonisation française, en déclarant : "Y avait-il une nation algérienne avant la colonisation française ?". Ces propos, tenus lors d’une rencontre à l’Élysée avec des jeunes issus de familles liées à la guerre d’Algérie, ont suscité une indignation immédiate en Algérie.
En réponse, Alger a décidé du rappel immédiat de son ambassadeur en France et de la suspension des autorisations de survol de son espace aérien pour les avions militaires français participant à l’opération Barkhane au Sahel.
D’après le journal allemand Der Spiegel, ces déclarations ont tellement irrité le président Tebboune qu’il "refusait de répondre aux appels téléphoniques de Macron". Dans une interview accordée à ce journal le 5 novembre 2021, Tebboune a réagi avec fermeté :"Macron ne blesse pas seulement l’histoire d’un peuple, il insulte les Algériens. Ce qui est ressorti ici, c’est la vieille haine des colons. Mais je sais que Macron ne pense pas ainsi. Pourquoi a-t-il dit cela ? Probablement pour des raisons électorales."
Il a également souligné la similitude entre cette position et celle de l’extrême droite française, notamment Éric Zemmour, qui défend depuis longtemps l’idée que "l’Algérie n’était pas une nation avant la colonisation, et que seule la France l’a façonnée".
Interrogé sur la question des excuses de la France pour son passé colonial, Tebboune a clarifié :
"Notre pays ne veut pas des excuses de Macron pour ce qui s’est passé en 1830 ou 1840. Mais nous voulons une reconnaissance pleine et entière des crimes commis par la France."
Emmanuel Macron, qui avait pourtant reconnu en 2017 que "la colonisation était un crime contre l’humanité", a ensuite multiplié les gestes contradictoires. Par exemple, il a demandé à l’Algérie de libérer l’écrivain Boualem Sansal, déclarant que "son emprisonnement nuisait à l’image de l’Algérie".
Ces propos ont été perçus par Alger comme une "ingérence inacceptable", selon un communiqué de son ministère des Affaires étrangères. En conséquence, le retour de l’ambassadeur algérien en France a été retardé de plus de six mois, ce qui témoigne de la profondeur de la crise.
En septembre 2024, Macron a tenté une nouvelle médiation en envoyant son conseillère spéciale pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, Anne-Claire Legendre, en Algérie, juste après la réélection de Tebboune pour un second mandat. Mais cette initiative n’a pas abouti à une normalisation des relations.
Face à la persistance des tensions, le président Tebboune a exclu toute visite en France à court terme. Dans une interview télévisée en octobre 2024, il a utilisé l’expression historique "Je ne vais pas à Canossa", signifiant qu’il refuse de se soumettre à une humiliation diplomatique.
Cette déclaration reflète l’approfondissement du fossé entre les deux dirigeants sur plusieurs dossiers majeurs, notamment la question mémorielle et la gestion des crises diplomatiques.
Un point de rupture supplémentaire a été atteint en février 2023, lorsque Tebboune a ordonné le rappel immédiat de l’ambassadeur d’Algérie en France, en réaction au rapatriement clandestin de l’opposante Amira Bouraoui via la Tunisie, une opération vivement condamnée par Alger et ayant fait l’objet d’une protestation officielle.
Macron cède à l’extrême droite
Le dossier de l’immigration et de la circulation des personnes est un autre sujet ayant alimenté de vives tensions entre les présidents Tebboune et Macron.
L'incident du refus par les autorités algériennes d'accueillir des citoyens algériens expulsés de France, qui ont fini par retourner sur le sol français, a exacerbé ces tensions. L’Algérie reprochait à la France de ne pas avoir respecté les procédures prévues par les accords bilatéraux.
Le premier mandat d’Emmanuel Macron a été marqué par trois grandes crises – sociale, sanitaire et internationale.
Malgré une popularité en déclin, il a été réélu en 2022. Cependant, ne disposant que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, il a vu son discours pencher vers la droite. En juin 2024, il a dissous la chambre basse du Parlement, ce qui l’a placé dans une situation inédite sous la Cinquième République.
Le tournant majeur dans la politique de Macron envers l’Algérie semble avoir eu lieu après son revers politique au second tour des législatives de juillet 2024, où il a perdu sa majorité absolue à l’Assemblée nationale. Ce résultat a compliqué sa capacité à gouverner, face à une percée significative de l’extrême droite et de la gauche. Autrement dit, l’alliance présidentielle s’est retrouvée avec une majorité relative, insuffisante pour gouverner seule, le poussant ainsi à s’appuyer sur l’extrême droite.
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