
L'après-guerre verra l'émergence de leaders remarquables. Les Algériens seront initiés à l'action politique. La mobilisation a fortement perturbé, au plan économique, le monde rural algérien, les effets du rationnement se sont fait sentir davantage au sein des populations algériennes.
On sait depuis longtemps que les manifestations du 8 Mai 1945 et la répression coloniale qui a suivie sont loin d’avoir été une simple révolte, une insurrection ou une jacquerie paysanne réprimée violemment, même s’ils ébranlèrent plutôt les bourgades et agglomérations des zones rurales que les grandes villes. Alger, Oran, Constantine furent épargnées. Sans doute parce que l’Algérie rurale, celles des campagnes, a le plus souffert des conséquences des deux guerres mondiales.
La mobilisation a fortement perturbé, au plan économique, le monde rural algérien, les effets du rationnement se sont fait sentir davantage au sein des populations algériennes. Les maladies, le typhus entre autres, ont fait des ravages chez les autochtones musulmans, aussi bien dans les campagnes que parmi le prolétariat et sous-prolétariat des villes. Les difficultés au quotidien ont été les plus lourdes à supporter pour les Algériens.
Si l’entre deux guerres a été relativement calme, la colonisation est à son apogée avec la célébration du Centenaire.
La dernière insurrection contre la circonscription obligatoire des Algériens à la guerre, remonte à 1916-17 dans les Aurès, a pris l’ampleur d’un mouvement de résistance. En réalité, des actes de rébellion contre l’enrôlement des jeunes Algériens, pour le front européen, se manifesta dès le début du premier conflit mondial en 1914.
Cette année-là fût la plus meurtrière sur le front militaire européen, et très vite se répand chez les Algériens la conviction que les conscrits servent de chair à canon. Face à cette dure réalité, la conscience populaire se réfugie dans la croyance millénariste d’un départ des Français de l’Algérie de manière inattendue ou encore dans cette illusion répandue de la venue libératrice de «Hadj Guillaume», l’empereur de Prusse Guillaume II, bousculant les Français en dehors d’Algérie et mettant ainsi fin à un siècle d’oppression coloniale.
La presse française et celle des colons ont exagéré à dessein l’influence de la propagande allemande sur les Algériens. En fait, les Allemands comptaient sur l’action psychologique en se présentant aux côtés des Turcs comme les défenseurs de l’islam et des musulmans. Il y a bien eu, en1916, la création de comités à Berlin pour l’indépendance de l’Algérie et de la Tunisie. Le comité de défense islamique créé à Istanbul présentait la guerre comme une occasion pour la libération des pays musulmans, et l’Allemagne comme l’alliée des musulmans.
Des brochures furent éditées en Allemagne, en Turquie, en français et en arabe, pour être distribuée en Algérie. Mais en réalité, cette action psychologique n’eut que très d’effet sur les Algériens puisque la puissance coloniale a pu, quand même, recruter des soldats pour les emmener sur le front.
Néanmoins, la France en guerre rencontra des résistances aussi bien dans le Sahara, l’Oranie et le Sud constantinois. L’insurrection s’est étendue dans les maquis de l’Ouarsenis, du Dahra jusqu’aux monts de l’Edough et dans une grande partie du Sud constantinois. On peut dire que dans ce contexte de guerre mondiale, la tentative coloniale de mobilisation des Algériens pour combattre sur le front européen s’est étendue de Tébessa jusqu’à Mascara.
La révolte de Beni Chougrane a été particulièrement remarquable, puisqu’elle a fait tache d’huile sur l’ensemble de la région. Un an plus tard, en 1915, la Grande Kabylie entra, elle aussi, en résistance contre la conscription. Mais c’est dans les Aurès qu’elle a été la plus vive en 1916, elle prit l’aspect d’un mouvement général. Des groupes armés ses sont constitués, la localité de Ain Touta a été attaquée, des embuscades ont eu lieu à Barika et N’Gaous. Les insurgés tiennent pendant plusieurs jours, les hauteurs du djebel Mestaoua et des monts du Belezma. La répression coloniale a été des plus féroce.
Les Français durent faire appel à des renforts, rapatrier une brigade du front et faire des avions de Tunisie. Selon l’historien Mahfoud Kaddache, l’armée française disposait sur le terrain en janvier 1917 de près de 14 000 hommes. Une répression sauvage s’en est suivi, des centaines de villages ont été détruits ou brûlés, des ratissages organisés dans tout l’est du pays. Des razzias et des enfumades, accompagnées de tortures de masse, plus de 3000 personnes arrêtées et plus 800 condamnations.
Il faut savoir que la France en Algérie a mobilisé, toujours selon l’historien Mahfoud Kaddache, 173 019 Algériens pour toute la durée de la guerre 1914-18 soit 3,7% de la population, 120 000 à 125 000 ont combattu sur les fronts européens. 20 000 d’entre eux ont été tués et plus de 5000 blessés. Il y aura en outre pendant toute le la durée de la Première Guerre mondiale 109 000 Algériens qui travailleront dans les usines d’armement, sur les lignes arrière du front…
Au total, le pouvoir colonial a prélevé plus de 300 000 Algériens dans le cadre de l’effort de guerre. Le Sud constantinois a été une zone de réfractaires, comme le souligne fort à propos l’historien algérien, puisque la localité de Ain Touta s’est soulevée, une fois de plus, en 1926. Des insoumis, comme Messaoud Ben Zelmat, ou encore Mohamed Ameziane, dit «Boumezran», furent célèbres dans les Aurès. Certains de ces maquisards, de ces «bandits d’honneur» clairement opposés à l’administration coloniale reprendront les armes en 1954.
L’Emir Khaled, l’initiateur politique
La lutte politique a connu ses débuts à l’aube du XXe siècle.
Les Jeunes Algériens se voulaient une élite se réclamant vouloir s’assimiler à la citoyenneté française. Ils formulaient l’espoir de devenir les premiers indigènes d’une Algérie française. Les Jeunes Algériens ont commencé à activer, dès les années 1900. La plupart d’entre eux se sont regroupé dans des associations comme la Rachidiya à Alger ou le cercle Salah Bey à Constantine.
Ils publièrent même quelques journaux El Misbah à Oran, El Hillal à Alger en 1905-1906, Le Musulman à Constantine, L’Islam à Bône (aujourd’hui Annaba) en 1909, L’Etendard algérien en 1910 à Bône, Le Rachidi à Djidjelli (aujourd’hui Jijel), El Hack (sous-titré le Jeune Egyptien) à Oran en 1911.
Le fait mérite d’être souligné que ces journaux algériens nationalistes, ont été les premiers à être publiés en ce début du XXe siècle. Les Jeunes Algériens, vont chercher en l’Emir Khaled, petit-fils de l’Emir Abdelkader, le chef qu’ils voulaient avoir. Celui-ci ayant déjà formulé la revendication d’une représentation des Algériens au Parlement français. Khaled peut être considéré, à juste titre, comme le fondateur beaucoup plus d’un lobby électoral pro-algérien, plutôt qu’un parti, dans le sens classique du terme.
Il fût d’ailleurs élu triomphalement conseiller municipal indigène d’Alger. En avril 1919, il prit secrètement contact avec le président américain Arthur Wilson, réclamant à la Conférence de la paix que l’Algérie fût mise sous tutelle de la future Société des nations (SDN). On retiendra du descendant de l’Emir Abdelkader qu’il a été celui qui a initié à une grande échelle les Algériens aux actions politiques comme les meetings, les campagnes électorales, aussi bien en Algérie qu’en France. Les années de l’après-guerre s’accompagnèrent de grandes difficultés pour les Algériens.
Le pays a subi de plein fouet les conséquences des hostilités. Les échanges réduits avec la métropole ont conduit à une sorte d’asphyxie économique se traduisant entre-autres par une hausse des prix des produits manufacturés et une baisse des salaires. Une série de récoltes désastreuses, en 1920, 1922 et 1924, affecta le monde rural. La famine a refait son apparition dans les campagnes où les populations musulmanes mourraient de faim.
Le cheptel ovin a chuté passant de plus de 9 millions de têtes en 1914, à moins de 5 millions en 1922. La misère s’est généralisée au sein de la population pauvre musulmane, aussi bien dans les campagnes qu’aux alentours des villes. Des troubles éclatèrent à Tizi Ouzou, Sétif et Orléansville (aujourd’hui Chlef). On vit apparaître dans les campagnes un phénomène des bandits d’honneur très estimé au sein des masse rurales, des héros populaires, comme Kezouli Aïssa Ben Omar en Kabylie ou encore Benzelmat dans les Aurès.
La situation économique s’améliora légèrement en 1925, mais cela ne dura pas. Au plan politique aucun changement notable ne fût enregistré quant au sort des Algériens. Les autorités françaises avaient fait des promesses extension du corps électoral, allégement du poids de la fiscalité, une représentation large. A partir de 1919, quelques mesures ont été concédées au profit des Algériens. Ils n’étaient plus soumis au Code de l’indigénat, le nombre des élus a été augmenté, mais pas question de représentation au Parlement à Paris, ces «mesurettes» cachent mal les discriminations dont font l’objet les Algériens.
Ces derniers ont d’ailleurs mal accueilli ces réformettes parce que insignifiantes et tardives. Après la disparition de l’Emir Khaled de la scène politique algérienne, la Fédération des élus musulmans reprit en 1927, la succession des Jeunes Algériens, tout en réactualisant leurs revendications pour les mettre en forme dans un programme politique. La plupart d’entre sont issus de milieux aisés, voire de notabilités rurales.
Les deux ténors et non moins «frères ennemis» de ce nouveau mouvement, Ferhat Abbas, pharmacien originaire de Taher, près de Jijel, établi à Sétif et le médecin constantinois Mohamed Salah Bendjelloul, ont milité durant toute la décennie des années 30, en faveur de l’assimilation. Ils ont soutenu tout ce qui allait dans ce sens, notamment la proposition du député Violette en 1931, en vain. Le refus du pouvoir français de recevoir à Paris, une délégation d’élus «indigènes» a entraîné une série de démissions collectives d’élus.
Au tournant de 1930, la situation des Algériens abouti donc à une impasse, devant l’intransigeance du gouvernement à ne céder sur tout ce qui aurait pu améliorer leur quotidien. Le souci du maintien du statu quo continue d’animer le pouvoir français, tandis que l’administration coloniale s’efforce à vouloir perpétuer l’ordre discriminatoire par la répression, le trucage des élections et la manipulation. La période entre 1932 et 1935 se caractérisa par un grand malaise algérien où se mêlent, difficultés économiques, abus coloniaux, manifestations de colère des musulmans et durcissement de l’attitude des partis politiques algériens.
L’émergence des élites
A partir de 1931, l’Algérie commence à sentir les effets de la crise mondiale. La surproduction agricole internationale et la baisse des cours mondiaux entraîna l’effondrement des prix et marché rural algérien. Chômage et misère s’installèrent dans les villes. La Kabylie fût particulièrement éprouvée par la baisse des prix des figues, de l’huile d’olive et le retour des travailleurs émigrés chômeurs… Dans ce climat de misère sociale et économique, les abus de l’administration coloniale pesaient encore davantage : répressions policières, corruption des caïds et des supplétifs, humiliations, limitations des prêches dans les mosquées, censure contre la presse musulmane.
Une situation de ras-le-bol généralisé est palpable. Des manifestations éclatent en 1933 et 1934, comme à Alger où au sortir de la mosquée le 24 février 1933, des Algériens descendirent dans la rue pour protester contre l’interdiction du gouverneur général faite aux membres du mouvement des Oulémas de prêcher dans les lieux de culte musulmans. Les élus de Constantine refusèrent de prendre part aux festivités du 14 juillet 1933. En mai 1934, des manifestations eurent lieu dans plusieurs villes Tlemcen, Bône, Djidjelli, Biskra, Guelma pour réclamer le retrait des lois spéciales et la satisfaction des revendications musulmanes.
Mais cette protestation massive n’empêcha pas le gouvernement français et le pouvoir colonial de prendre des mesures répressives contre les Algériens, notamment le décret Régnier, promulgué en 1935 et qui punissait toute «manifestation contre la souveraineté française». Toutes les fins de non-recevoir de la part du gouvernement français aux revendications des élus illustrent bien cette posture de «statu quo», adoptée par Paris à l’égard de l’Algérie. Et pourtant, des élus indigènes sont même allés jusqu’à demander l’abolition du statut personnel en échange de la citoyenneté française, à l’instar de Ferhat Abbas.
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