L’ancien premier secrétaire de l’ambassade d’Algérie à Paris est soupçonné par la police française d’avoir supervisé la séquestration, en avril 2024, du youtubeur exilé surnommé « Amir DZ ».
C’est décidément une chute sans fin, filets de sécurité démaillés comme jamais. Entre Paris et Alger, la plongée dans les abysses de l’animosité réciproque n’en finit plus, une enquête judiciaire sulfureuse en France venant aggraver des contentieux déjà lourds (Sahara occidental, migration, détention de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, etc.).
Alors que deux diplomates français – présentés par Alger comme des fonctionnaires du ministère de l’intérieur – ont été refoulés, dimanche 11 mai, à leur arrivée à l’aéroport Houari-Boumediene, incident s’ajoutant aux expulsions mutuelles, à la mi-avril, entre Paris et Alger, de 24 agents diplomatiques et consulaires, l’enquête ouverte en France autour de l’enlèvement d’Amir Boukhors s’est accélérée ces dernières semaines. Kidnappé en avril 2024, dans le Val-de-Marne, l’homme est un youtubeur de l’opposition algérienne en exil connu sous le surnom d’« Amir DZ ». L’affaire fait ressortir la probable implication d’un diplomate en poste à l’ambassade d’Algérie en France, selon des informations recueillies par Le Monde.
Depuis un mois, ce ténébreux dossier fait rebondir la crise diplomatique entre les deux capitales, annihilant brutalement l’accalmie qui s’était dessinée autour de la visite du ministre des affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, à Alger, le 6 avril. L’affaire « Amir DZ », née dans des conditions rocambolesques, a explosé telle une bombe à retardement. Les faits remontent au 29 avril 2024. Ce soir-là, Amir Boukhors rentre chez lui dans sa commune du Val-de-Marne quand, à proximité de son domicile, une voiture banalisée munie d’un gyrophare lui barre la route. Quatre hommes en civil, dont deux munis du brassard orange de la police, en surgissent, le menottent et le jettent dans leur véhicule, une Renault Clio de couleur noire, qui fonce aussitôt vers l’est en direction de Pontault-Combault (Seine-et-Marne).
Mêlé aux préparatifs
En fait de « policiers », les membres du commando se révèlent être des professionnels du kidnapping. « Un responsable algérien veut te voir, c’est le seul moyen qu’il a pour te parler », explique l’un d’eux à Amir DZ, selon le témoignage de ce dernier. L’équipe finit par échouer dans un enclos, décor de constructions modulaires et de ferraille de voitures, où le youtubeur est drogué de somnifères et jeté sur un matelas dans un préfabriqué, poignets toujours entravés de menottes. Le « responsable » algérien ne se montre finalement pas. Amir DZ est libéré vingt-sept heures plus tard, dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2024, en bordure d’une forêt voisine. Un an plus tard, les mobiles des commanditaires de l’opération demeurent mystérieux.
Quoi qu’il en soit, l’implication d’un diplomate algérien rend l’affaire explosive. Selon une source proche du dossier sollicitée par Le Monde,ce diplomate − accrédité en qualité de premier secrétaire de l’ambassade algérienne − a été étroitement mêlé aux préparatifs et à la supervision de l’enlèvement d’Amir DZ. Selon les bornages téléphoniques reconstitués par l’enquête de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à laquelle cette source a eu accès, le premier secrétaire – « S. S. », selon ses initiales – a été localisé les 21, 22 et 23 mars 2024, puis le 6 avril 2024, à proximité du domicile d’Amir DZ dans le Val-de-Marne ainsi qu’aux abords d’une brasserie que le cyberopposant fréquentait régulièrement. Cette présence répétée relevait de toute évidence de missions de repérage.
L’implication de S. S. s’est confirmée au moment de la séquestration d’Amir DZ, le diplomate ayant été en contacts étroits – physiques ou téléphoniques – avec un groupe d’individus identifiés par l’enquête policière comme ayant été associés à l’opération. Parmi eux figure « S. R. », un agent du consulat algérien de Créteil avec lequel S. S. était en lien continu pour suivre à distance le déroulement de la séquestration.
Durant la première nuit qui a suivi l’enlèvement d’Amir DZ, les deux officiels algériens ont notamment été localisés à Créteil en compagnie de l’homme de main « K. S. M. », qui se rendait à intervalles réguliers sur le lieu de séquestration à Pontault-Combault, situé à une quinzaine de kilomètres de là. Cette nuit-là a été apparemment très agitée : les deux officiels ont aussi été repérés dans le 12e arrondissement de Paris, où S. S. a retiré, à 2 heures du matin, 2 000 euros à un guichet de banque. Les enquêteurs soupçonnent que la somme était destinée à rémunérer certains des gardiens d’Amir DZ.
Question de l’immunité diplomatique
Ouverte au printemps 2024, l’enquête a fait son chemin, péniblement dans un premier temps, jusqu’à connaître une accélération, en février, lorsque le Parquet national antiterroriste a saisi la brigade criminelle. L’information judiciaire ouverte le 11 avril s’est traduite le lendemain par la mise en examen et le placement en détention provisoire de trois personnes, qui avaient été arrêtées le 8 avril et placées en garde à vue, dont l’agent du consulat de Créteil, le fameux S. R.
Ce dernier s’était soudainement envolé vers Alger, le 1er mai 2024, dans la foulée de la libération d’Amir DZ, pour revenir en France dix jours plus tard. Son arrestation semble avoir été précipitée, selon une source diplomatique, par sa localisation à proximité du domicile d’Amir DZ, un an après les faits. Ce qui pouvait laisser craindre l’imminence d’une nouvelle action de force contre l’opposant.
Quant au diplomate S. S., il a quitté la France après la fin de sa mission à Paris, en août 2024. Selon la source du Monde qui a eu accès à l’enquête de la DGSI, son titre de premier secrétaire n’était en fait que la couverture de ses activités de sous-officier des services de sécurité extérieure algériens. Eric Plouvier, l’avocat d’Amir DZ, a demandé au juge d’instruction chargé du dossier qu’un mandat d’arrêt international soit délivré contre lui. La question de son immunité diplomatique se posera inévitablement.
Selon l’article 39, alinéa 2, de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, « l’immunité subsiste » après la fin de la mission d’un diplomate pour des « actes accomplis » dans l’exercice de ses anciennes « fonctions ».Or, à moins de considérer que lesdites « fonctions » impliquent l’enlèvement et la séquestration d’un opposant, l’immunité n’est pas recevable dans ce cas d’espèce, plaide Me Plouvier. La délivrance d’un mandat d’arrêt international, si toutefois le juge devait le décider, se heurterait de toute manière au veto d’Alger. Elle n’en aurait pas moins pour effet de compliquer le franchissement de certaines frontières par S. S. Et, au-delà du cas individuel, d’enflammer davantage une discorde entre Paris et Alger déjà incandescente.
Frédéric Bobin
ENQUÊTE – Paris, terrain de chasse des barbouzes algériens
EXCLUSIF. L’enlèvement et la séquestration de l’influenceur algérien Amir DZ n’a rien d’un fait divers. Une affaire d’espionnage au parfum sulfureux qui aboutit à un véritable fiasco algérien.
Mohamed Sifaoui19/04/2025 à 19:20
La quarantaine, Amir DZ, de son vrai nom Amir Boukhors, vit en France depuis 2016 pour échapper à la vindicte d’un régime qu’il n’a jamais cessé de défier. En 2023, il obtient le statut de « réfugié politique ». Connu comme le loup blanc par les Algériens, il a acquis cette notoriété en faisant des vidéos fustigeant ce régime qui gangrène son pays. Aujourd’hui, ce père de deux enfants continue de pointer la corruption, les privilèges obscènes et le double discours d’apparatchiks qui vilipendent la France le jour et y résident la nuit : rien n’échappe à son verbe tranchant. Ni les généraux, ni les juges, ni les chefs des services. Pas même le président Tebboune. C’est ce qui le rend populaire dans un pays où l’information est cadenassée.
Alger ne lui pardonne pas cette audace. La justice aux ordres l’a déjà condamné à la perpétuité. Et même à la peine capitale. Il a été accusé de tout, sans preuves évidemment. Le régime a tout fait pour obtenir son extradition, mais les tribunaux français s’y sont toujours opposés.
Le 29 avril 2024, vers 23h30, Amir quitte le café où il a ses habitudes. À quelques mètres de chez lui, une voiture l’intercepte. Gyrophare posé sur le tableau de bord. Quatre hommes sortent, des brassards « police » bien visibles. L’un d’eux lui intime l’ordre de couper le moteur. Il obéit. On le pousse hors de son véhicule. Il est menotté, les bras dans le dos, forcé à monter dans un véhicule tandis que l’un de ces hommes prend place dans sa propre voiture. Elle sera retrouvée calcinée dans un coin perdu du Val-de-Marne. Amir demande : « Pourquoi vous m’arrêtez ? » Pas de réponse. La voiture prend l’autoroute. Le doute commence à s’installer. Il lance avec aplomb : « Vous n’êtes pas des policiers. » L’homme assis à ses côtés lui ordonne de baisser la tête. Un autre, dans un dialecte algérien hésitant, veut le rassurer. Son accent trahit un locuteur peu familier de la langue, probablement un Franco-Algérien né dans l’Hexagone. « Un patron veut te parler », souffle-t-il.
Puis, le silence. Au bout de quelques minutes, la voiture s’arrête dans ce qui ressemble à une fourrière. Quatre autres hommes attendent au milieu d’un amas de voitures accidentées. Ils sont encagoulés de cols roulés montés jusqu’au nez, bonnet ou casquette vissé sur le crâne. Un bref conciliabule. On lui fait boire une eau contenant une poudre dissoute. Il tente de cracher. Trois des hommes l’encerclent à l’intérieur de la voiture, un à l’avant et deux à l’arrière. Ils le tiennent et le forcent à avaler. Le goût est étrange, métallique. Après cinq minutes, le temps que le breuvage fasse son effet, Amir est emmené vers un préfabriqué sans fenêtre. Deux matelas trônent à même le sol. Trois minutes plus tard, la vision se trouble, les membres s’alourdissent, le sol vacille. Le trou noir. Il doit être alors une heure du matin ce 30 avril 2024.
Désaccords entre ravisseurs
Quand Amir reprend conscience, le jour commence à poindre. Il est encore dans le préfabriqué. Couché sur le côté, il ne sent plus son bras droit engourdi. Il est toujours menotté. Face à lui, deux jeunes femmes. L’une voilée, masque chirurgical ne laissant que ses yeux visibles. L’autre, capuche de jogging, visage dissimulé. Elles ne veulent pas être reconnues et paraissent nerveuses. Amir tente le dialogue. La plus loquace lui lâche : « Rends le camion que tu as volé, et tu seras libre. » Il comprend alors qu’elles ne savent pas à qui elles ont affaire ni pourquoi il a été kidnappé. Il leur suggère de taper son nom sur Internet en précisant : « On vous a menti. Je ne suis pas un trafiquant, mais un opposant politique. » Elles hésitent puis s’exécutent. Sur leur smartphone défilent les références avec la photo d’Amir, qui attestent qu’il ne bluffe pas. À l’époque, les journaux parlent du refus de la justice française de l’extrader. Le choc des deux jeunes femmes est immédiat. Elles pâlissent. « C’est une affaire politique. Nous sommes dans la merde ! » lance celle qui porte un voile. Les deux quittent précipitamment le préfabriqué. Amir entend qu’une discussion s’engage à l’extérieur entre elles et d’autres hommes. Des éclats de voix à peine perceptibles lui font comprendre qu’il y a un désaccord entre ses ravisseurs à la fois sur des sommes d’argent et sur le sort qui doit lui être réservé. Puis un homme entre. Dans sa main, des comprimés. Il pince le nez d’Amir, lui enfonce les cachets dans la bouche. La lumière s’éteint à nouveau.
C’est décidément une chute sans fin, filets de sécurité démaillés comme jamais. Entre Paris et Alger, la plongée dans les abysses de l’animosité réciproque n’en finit plus, une enquête judiciaire sulfureuse en France venant aggraver des contentieux déjà lourds (Sahara occidental, migration, détention de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, etc.).
Alors que deux diplomates français – présentés par Alger comme des fonctionnaires du ministère de l’intérieur – ont été refoulés, dimanche 11 mai, à leur arrivée à l’aéroport Houari-Boumediene, incident s’ajoutant aux expulsions mutuelles, à la mi-avril, entre Paris et Alger, de 24 agents diplomatiques et consulaires, l’enquête ouverte en France autour de l’enlèvement d’Amir Boukhors s’est accélérée ces dernières semaines. Kidnappé en avril 2024, dans le Val-de-Marne, l’homme est un youtubeur de l’opposition algérienne en exil connu sous le surnom d’« Amir DZ ». L’affaire fait ressortir la probable implication d’un diplomate en poste à l’ambassade d’Algérie en France, selon des informations recueillies par Le Monde.
Depuis un mois, ce ténébreux dossier fait rebondir la crise diplomatique entre les deux capitales, annihilant brutalement l’accalmie qui s’était dessinée autour de la visite du ministre des affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, à Alger, le 6 avril. L’affaire « Amir DZ », née dans des conditions rocambolesques, a explosé telle une bombe à retardement. Les faits remontent au 29 avril 2024. Ce soir-là, Amir Boukhors rentre chez lui dans sa commune du Val-de-Marne quand, à proximité de son domicile, une voiture banalisée munie d’un gyrophare lui barre la route. Quatre hommes en civil, dont deux munis du brassard orange de la police, en surgissent, le menottent et le jettent dans leur véhicule, une Renault Clio de couleur noire, qui fonce aussitôt vers l’est en direction de Pontault-Combault (Seine-et-Marne).
Mêlé aux préparatifs
En fait de « policiers », les membres du commando se révèlent être des professionnels du kidnapping. « Un responsable algérien veut te voir, c’est le seul moyen qu’il a pour te parler », explique l’un d’eux à Amir DZ, selon le témoignage de ce dernier. L’équipe finit par échouer dans un enclos, décor de constructions modulaires et de ferraille de voitures, où le youtubeur est drogué de somnifères et jeté sur un matelas dans un préfabriqué, poignets toujours entravés de menottes. Le « responsable » algérien ne se montre finalement pas. Amir DZ est libéré vingt-sept heures plus tard, dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2024, en bordure d’une forêt voisine. Un an plus tard, les mobiles des commanditaires de l’opération demeurent mystérieux.
Quoi qu’il en soit, l’implication d’un diplomate algérien rend l’affaire explosive. Selon une source proche du dossier sollicitée par Le Monde,ce diplomate − accrédité en qualité de premier secrétaire de l’ambassade algérienne − a été étroitement mêlé aux préparatifs et à la supervision de l’enlèvement d’Amir DZ. Selon les bornages téléphoniques reconstitués par l’enquête de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), à laquelle cette source a eu accès, le premier secrétaire – « S. S. », selon ses initiales – a été localisé les 21, 22 et 23 mars 2024, puis le 6 avril 2024, à proximité du domicile d’Amir DZ dans le Val-de-Marne ainsi qu’aux abords d’une brasserie que le cyberopposant fréquentait régulièrement. Cette présence répétée relevait de toute évidence de missions de repérage.
L’implication de S. S. s’est confirmée au moment de la séquestration d’Amir DZ, le diplomate ayant été en contacts étroits – physiques ou téléphoniques – avec un groupe d’individus identifiés par l’enquête policière comme ayant été associés à l’opération. Parmi eux figure « S. R. », un agent du consulat algérien de Créteil avec lequel S. S. était en lien continu pour suivre à distance le déroulement de la séquestration.
Durant la première nuit qui a suivi l’enlèvement d’Amir DZ, les deux officiels algériens ont notamment été localisés à Créteil en compagnie de l’homme de main « K. S. M. », qui se rendait à intervalles réguliers sur le lieu de séquestration à Pontault-Combault, situé à une quinzaine de kilomètres de là. Cette nuit-là a été apparemment très agitée : les deux officiels ont aussi été repérés dans le 12e arrondissement de Paris, où S. S. a retiré, à 2 heures du matin, 2 000 euros à un guichet de banque. Les enquêteurs soupçonnent que la somme était destinée à rémunérer certains des gardiens d’Amir DZ.
Question de l’immunité diplomatique
Ouverte au printemps 2024, l’enquête a fait son chemin, péniblement dans un premier temps, jusqu’à connaître une accélération, en février, lorsque le Parquet national antiterroriste a saisi la brigade criminelle. L’information judiciaire ouverte le 11 avril s’est traduite le lendemain par la mise en examen et le placement en détention provisoire de trois personnes, qui avaient été arrêtées le 8 avril et placées en garde à vue, dont l’agent du consulat de Créteil, le fameux S. R.
Ce dernier s’était soudainement envolé vers Alger, le 1er mai 2024, dans la foulée de la libération d’Amir DZ, pour revenir en France dix jours plus tard. Son arrestation semble avoir été précipitée, selon une source diplomatique, par sa localisation à proximité du domicile d’Amir DZ, un an après les faits. Ce qui pouvait laisser craindre l’imminence d’une nouvelle action de force contre l’opposant.
Quant au diplomate S. S., il a quitté la France après la fin de sa mission à Paris, en août 2024. Selon la source du Monde qui a eu accès à l’enquête de la DGSI, son titre de premier secrétaire n’était en fait que la couverture de ses activités de sous-officier des services de sécurité extérieure algériens. Eric Plouvier, l’avocat d’Amir DZ, a demandé au juge d’instruction chargé du dossier qu’un mandat d’arrêt international soit délivré contre lui. La question de son immunité diplomatique se posera inévitablement.
Selon l’article 39, alinéa 2, de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, « l’immunité subsiste » après la fin de la mission d’un diplomate pour des « actes accomplis » dans l’exercice de ses anciennes « fonctions ».Or, à moins de considérer que lesdites « fonctions » impliquent l’enlèvement et la séquestration d’un opposant, l’immunité n’est pas recevable dans ce cas d’espèce, plaide Me Plouvier. La délivrance d’un mandat d’arrêt international, si toutefois le juge devait le décider, se heurterait de toute manière au veto d’Alger. Elle n’en aurait pas moins pour effet de compliquer le franchissement de certaines frontières par S. S. Et, au-delà du cas individuel, d’enflammer davantage une discorde entre Paris et Alger déjà incandescente.
Frédéric Bobin
ENQUÊTE – Paris, terrain de chasse des barbouzes algériens
EXCLUSIF. L’enlèvement et la séquestration de l’influenceur algérien Amir DZ n’a rien d’un fait divers. Une affaire d’espionnage au parfum sulfureux qui aboutit à un véritable fiasco algérien.
Mohamed Sifaoui19/04/2025 à 19:20
La quarantaine, Amir DZ, de son vrai nom Amir Boukhors, vit en France depuis 2016 pour échapper à la vindicte d’un régime qu’il n’a jamais cessé de défier. En 2023, il obtient le statut de « réfugié politique ». Connu comme le loup blanc par les Algériens, il a acquis cette notoriété en faisant des vidéos fustigeant ce régime qui gangrène son pays. Aujourd’hui, ce père de deux enfants continue de pointer la corruption, les privilèges obscènes et le double discours d’apparatchiks qui vilipendent la France le jour et y résident la nuit : rien n’échappe à son verbe tranchant. Ni les généraux, ni les juges, ni les chefs des services. Pas même le président Tebboune. C’est ce qui le rend populaire dans un pays où l’information est cadenassée.
Alger ne lui pardonne pas cette audace. La justice aux ordres l’a déjà condamné à la perpétuité. Et même à la peine capitale. Il a été accusé de tout, sans preuves évidemment. Le régime a tout fait pour obtenir son extradition, mais les tribunaux français s’y sont toujours opposés.
Le 29 avril 2024, vers 23h30, Amir quitte le café où il a ses habitudes. À quelques mètres de chez lui, une voiture l’intercepte. Gyrophare posé sur le tableau de bord. Quatre hommes sortent, des brassards « police » bien visibles. L’un d’eux lui intime l’ordre de couper le moteur. Il obéit. On le pousse hors de son véhicule. Il est menotté, les bras dans le dos, forcé à monter dans un véhicule tandis que l’un de ces hommes prend place dans sa propre voiture. Elle sera retrouvée calcinée dans un coin perdu du Val-de-Marne. Amir demande : « Pourquoi vous m’arrêtez ? » Pas de réponse. La voiture prend l’autoroute. Le doute commence à s’installer. Il lance avec aplomb : « Vous n’êtes pas des policiers. » L’homme assis à ses côtés lui ordonne de baisser la tête. Un autre, dans un dialecte algérien hésitant, veut le rassurer. Son accent trahit un locuteur peu familier de la langue, probablement un Franco-Algérien né dans l’Hexagone. « Un patron veut te parler », souffle-t-il.
Puis, le silence. Au bout de quelques minutes, la voiture s’arrête dans ce qui ressemble à une fourrière. Quatre autres hommes attendent au milieu d’un amas de voitures accidentées. Ils sont encagoulés de cols roulés montés jusqu’au nez, bonnet ou casquette vissé sur le crâne. Un bref conciliabule. On lui fait boire une eau contenant une poudre dissoute. Il tente de cracher. Trois des hommes l’encerclent à l’intérieur de la voiture, un à l’avant et deux à l’arrière. Ils le tiennent et le forcent à avaler. Le goût est étrange, métallique. Après cinq minutes, le temps que le breuvage fasse son effet, Amir est emmené vers un préfabriqué sans fenêtre. Deux matelas trônent à même le sol. Trois minutes plus tard, la vision se trouble, les membres s’alourdissent, le sol vacille. Le trou noir. Il doit être alors une heure du matin ce 30 avril 2024.
Désaccords entre ravisseurs
Quand Amir reprend conscience, le jour commence à poindre. Il est encore dans le préfabriqué. Couché sur le côté, il ne sent plus son bras droit engourdi. Il est toujours menotté. Face à lui, deux jeunes femmes. L’une voilée, masque chirurgical ne laissant que ses yeux visibles. L’autre, capuche de jogging, visage dissimulé. Elles ne veulent pas être reconnues et paraissent nerveuses. Amir tente le dialogue. La plus loquace lui lâche : « Rends le camion que tu as volé, et tu seras libre. » Il comprend alors qu’elles ne savent pas à qui elles ont affaire ni pourquoi il a été kidnappé. Il leur suggère de taper son nom sur Internet en précisant : « On vous a menti. Je ne suis pas un trafiquant, mais un opposant politique. » Elles hésitent puis s’exécutent. Sur leur smartphone défilent les références avec la photo d’Amir, qui attestent qu’il ne bluffe pas. À l’époque, les journaux parlent du refus de la justice française de l’extrader. Le choc des deux jeunes femmes est immédiat. Elles pâlissent. « C’est une affaire politique. Nous sommes dans la merde ! » lance celle qui porte un voile. Les deux quittent précipitamment le préfabriqué. Amir entend qu’une discussion s’engage à l’extérieur entre elles et d’autres hommes. Des éclats de voix à peine perceptibles lui font comprendre qu’il y a un désaccord entre ses ravisseurs à la fois sur des sommes d’argent et sur le sort qui doit lui être réservé. Puis un homme entre. Dans sa main, des comprimés. Il pince le nez d’Amir, lui enfonce les cachets dans la bouche. La lumière s’éteint à nouveau.
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