Par Ihsane El Kadi
7 juin 2025
L’Algérie entretient depuis des décennies une relation discrète et néanmoins tumultueuse avec l’énergie nucléaire. Je me souviens de feu Belaid Abdeslam me racontant dans son salon les grandes ambitions nourris a son époque pour le nucléaire civile.
Déconstruites, comme le reste selon lui, à l’ère de Chadli Bendjedid. Les choses sont évidemment toujours plus complexes qu’une approche binaire. Dès la fin des années 1970, une étude conjointe entre l’AIEA et Sonelgaz prévoyait l’introduction du nucléaire dans le mix énergétique à partir de 2003. Dans son scénario ambitieux, cette filière devait représenter 37 % de la capacité électrique installée à l’horizon 2015. Ce pari s’appuyait sur une stratégie d’industrialisation rapide, d’indépendance énergétique, et sur l’anticipation du déclin des ressources fossiles.
Deux décennies plus tard, la trajectoire est revue à la baisse, mais l’idée reste vivante. En 2008, Chakib Khelil, alors ministre de l’Énergie, annonce la mise en service d’une première centrale nucléaire pour 2025. À l’époque, les finances publiques sont solides, et diversifier les sources d’électricité pour préserver les exportations de gaz parait être une logique cohérente.
Nous sommes aujourd’hui en 2025. Aucune centrale nucléaire n’a été lancée. Pourquoi ? Principalement pour des raisons structurelles. Abdenour Keramane, PDG historique de Sonelgaz, explique dans son dernier livre « l’électrification de l’Algérie » , que le projet a de fait avorte faute de croissance économique soutenue. La demande électrique n’a pas suivi les projections. Le gaz naturel, abondant et moins coûteux à mobiliser, a suffi à couvrir les besoins.
Une filière en veille, pas abandonnée
Cela pourrait faire penser à un abandon pur et simple. La aussi, comme depuis le début, les arbitrages sont très complexes. Si la trajectoire du mix énergétique parait assurée sur deux décennies les données sont plus incertaines au-dela. Pour de nombreux spécialistes, elles dependent de beaucoup trop de facteurs pour oser déclarer totalement abandonnée la filière de l’électro-nucléaire.
Celle ci garde plusieurs atouts : des réserves d’uranium encore peu exploitées dans le Hoggar, une infrastructure nucléaire civile consolidée — deux réacteurs de recherche à Draria et Aïn Oussera, un commissariat dédié (COMENA), une coopération étroite avec l’AIEA. Ce socle modeste mais réel serait long et coûteux à reconstruire s’il était démantelé.
Par ailleurs, la technologie avance. Les nouvelles générations de réacteurs (EPR, SMR) offrent des gains en sécurité, en flexibilité d’intégration au réseau, et la promesse de coûts plus contenus. Même le stockage des déchets, longtemps un verrou, progresse.
Le solaire en tête, le nucléaire en réserve
Cela dit, le nucléaire n’est plus une priorité affichée. L’État mise désormais sur le solaire : 22 GW de capacité visés d’ici 2035, des appels d’offres en cours, une volonté claire d’en faire la pierre angulaire de la transition énergétique.
Mais le nucléaire n’est pas encore hors jeu. Il reste en veille, prêt à être réactivé si les circonstances changent : explosion de la demande, épuisement du gaz, instabilité géopolitique. L’Algérie ne joue pas cette carte maintenant, mais elle la garde en main. Lourde, coûteuse, politiquement sensible — mais stratégique dans un avenir incertain.
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