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L'affaire algérienne : un demi-siècle de rente mémorielle

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  • L'affaire algérienne : un demi-siècle de rente mémorielle


    La crise diplomatique entre Alger et Paris qui a secoué le début d’année 2025 s’inscrit dans le temps long de l’Histoire. La rente mémorielle de l’Algérie, dont il est difficile de nier l’existence, est devenue une véritable arme de pression. Jusqu’à quand ?


    Pierre Vermeren








    Lors d’un dîner en septembre 2021, le président de la République française Emmanuel Macron a affirmé que le « système politico-militaire » algérien s’était construit sur « une rente mémorielle ». Cette expression assez neutre dans le registre des sciences historiques, a changé de statut en passant dans le registre politico-diplomatique, au point d’ulcérer les autorités de la République algérienne. De fait, elle a acté symboliquement un tournant des relations entre le régime algérien et celui qui était devenu depuis sa campagne présidentielle de 2017 – où il avait qualifié la colonisation française de « crime contre l’humanité » – le plus proche ami français d’Alger. Il s’en est suivi une dégradation de la relation franco-algérienne que le Président Macron a fini par trancher le 29 juillet 2024 en se réconciliant avec le Maroc à l’occasion de la Fête du trône chérifien. A-t-il sous-estimé la vigueur de la réaction algérienne qui a ruiné huit ans de sa politique algérienne, laquelle visait la réconciliation avec l’ancienne colonie, sur le modèle gaulliste du traité de l’Élysée ? Avant de se lancer sabre au clair dans le grand jeu des relations franco-algériennes, encore eût-il fallu en connaître les méandres et les non-dits tortueux.

    L’ampleur, la richesse et la complexité de la relation franco-algérienne depuis 1962 incitent à une grande modestie. Tous les acteurs politiques et économiques français de premier plan ont eu à en connaître depuis 1962, et on ne compte plus les livres d’histoire ou de révélations (et maintenant les documentaires) qui se succèdent pour en explorer les arcanes. Tentons seulement d’éclairer le concept de « rente mémorielle » prêté par le Président Macron au régime algérien. Il renvoie à la stratégie de culpabilisation de l’Algérie vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale qui a pratiqué entre 1954 et 1962 une guerre aussi ravageuse qu’inutile pour s’extirper du « bourbier (1) » algérien légué par la IIIe République. Après le triomphe légitime de la République algérienne, victorieuse de la France, alors pilier européen de l’OTAN, celle-ci a capitalisé sur son succès pour s’imposer dans les années 60 et 70 comme une des nations clés du tiers-monde, probablement la plus avancée et la plus prestigieuse d’Afrique et du monde arabe. À partir des années 80, quand a sonné le temps des revers et des déconvenues, de la débâcle économique, de l’échec de la transition démocratique et de l’humiliation douloureuse de la guerre civile (la décennie noire de 1992 à 2002), l’Algérie s’est emparée à son profit de l’idéologie française de la repentance qui était à sa disposition. Honteux de ce qu’ils avaient fait en Algérie et aux Algériens, culpabilisés et couturés de remords (le « sanglot de l’homme blanc (2) »), les Français, catholiques et post-catholiques confondus, ont offert à Alger une stratégie efficace lui permettant de masquer les affres de sa propre dictature sur le peuple algérien. Dans leur longue histoire, les Algériens n’ont en effet pu voter librement que trois fois, le 1er juillet 1962, le 12 juin 1990 et le 26 décembre 1991, ce qui a eu peu d’influence sur leur vie politique et sur leurs libertés !

    Rente mémorielle et culpabilisation de Paris sont-elles un outil efficace aux mains d’Alger, des armes reconnues, acceptées et comprises par les Algériens, par les Français et par les Franco-Algériens, et d’un usage diplomatique courant ou exceptionnel ? Ces questions vont guider notre réflexion.



    Le modèle de la rente dans l’Algérie indépendante

    L’indépendance de l’Algérie a translaté dans la nation indépendante le modèle colonial de l’économie de rente. En Algérie, la France a marginalement implanté la démocratie et l’économie industrielle. Le modèle conçu au XIXe siècle était celui d’une économie agricole tournant le dos à l’industrialisation. En Métropole, au sud d’une ligne Le Havre-Marseille, la France du Sud-Ouest a perpétué l’économie de rente foncière d’Ancien Régime ; et l’empire colonial a permis aux bourgeoisies de Nantes, Bordeaux, Narbonne, Marseille et Toulon de s’enrichir en échappant aux rudes lois de l’industrialisation. Alger a prolongé cette économie bâtie sur la rente agricole (la vigne, le vin et l’olivier), les banques, les compagnies de transport (maritime et ferroviaire) et le BTP, par la construction d’infrastructures (ports, ouvrages, routes) et de villes nouvelles (Alger, Oran, Casablanca, etc.).

    550 000 hectares de vignes ont été plantés en Afrique du Nord pour compenser la crise française du phylloxéra, avant de concurrencer les viticulteurs français, de ruiner des régions viticoles entières de Métropole et de contraindre les Français à doubler leur consommation de vin sous la IIIe République (industrie, guerres et armée aidant). Dans les années 60, l’Algérie indépendante demeure à plus de 80 % dépendante du vin pour ses exportations. Lorsque le Président Houari Boumédiène décide un beau matin d’arracher le vignoble d’Algérie (islam oblige), il sait que la rente pétrolière se substitue à celle du vin rouge : le 24 février 1971, les pétroles jusqu’alors pilotés et gérés par la France, sont nationalisés. Depuis les chocs pétroliers de 1973 et 1979, la rente pétrolière est le pilier de l’économie et la principale source de devises et d’impôts du pays. La France, de 1956 à 1965, a construit une industrie pétrolière en Algérie et, par le plan de Constantine (1959-1965), elle l’a dotée d’une véritable base industrielle. Les autorités algériennes ont appliqué le modèle socialiste de l’industrie industrialisante dans les années 1970, coûteux et inefficace en contexte de surproduction mondiale des années 1980. De sorte que le pétrole et le gaz sont demeurés les piliers de la rente, soit près de 95 % des exportations, faisant de ce pays le prototype de l’économie rentière. Toutefois, la rente algérienne ne se limite pas à la vigne et au pétrole. Depuis 1962, par vagues successives, les autorités ont mis la main sur des rentes économiques sans avoir participé à leur édification. La récupération des biens coloniaux fut une appropriation-nationalisation : elle a concerné le bâti et le patrimoine immobilier, les infrastructures, les entreprises économiques de toutes natures, l’économie pétrolière ainsi que la rente fournie par un flot croissant d’émigrés, qui font vivre leur famille au pays (de 200 000 travailleurs émigrés en 1954 à 800 000 vers 1970). L’économie de rente mise en place à l’indépendance est une économie de redistribution pilotée par l’État. Et de la rente économique à la rente politique, il n’y a qu’un pas.

    Une rente géostratégique


    En 1962, seuls les moudjahidines survivants semblent légitimes pour conduire le pays. Le grand bénéficiaire en est l’armée, l’ALN, devenue ANP en 1962 ; en surplomb agissent ses redoutables services de renseignements, le MALG, devenu la SM en 1962, puis le DRS en 1990. Ensuite, le FLN rassemble d’abord les acteurs de la libération nationale, avant de s’étendre à toute la bureaucratie et aux élus encartés. Enfin, l’Organisation nationale des moudjahidines (ONM), dès 1963, se transforme en un organisme de légitimation des privilèges nés de la guerre d’Algérie : logements, pensions, rentes, emplois, etc. Les ayants droit des moudjahidines combattants, militants ou martyrs reçoivent un héritage quasi aristocratique. L’armée, en tant qu’héritière de la glorieuse ANP, les encartés au FLN membres du parti État qui s’est levé contre la France, et l’ONM, au nom des chouhada (martyrs), perpétuent chacun à leur manière une rente mémorielle et économique. Enfin, la guerre d’indépendance a établi une incontestable rente de situation sur le plan international. Nation victorieuse d’une grande puissance coloniale et occidentale au seuil des années 60, elle a réussi à faire mentir un rapport de force militaire et économique totalement défavorable, au terme d’un long affrontement militaire à huis clos et d’un marathon diplomatique international qui a imposé le retrait.

    Au milieu des années 60, elle est le pays d’Afrique et du Moyen-Orient doté de la diplomatie la plus expérimentée. Elle jouit de l’aura du vainqueur, d’un niveau de développement élevé dans le tiers-monde (devant les pays asiatiques et africains), et elle devient la « Mecque des révolutionnaires », selon l’expression du Guinéen Amilcar Cabral. Ben Bella puis Houari Boumédiène sont au rang des Soekarno, Nehru, Nasser, Zhou Enlai ou Castro. Cette rente géostratégique leur permet de discuter tant avec les Américains que les Français, les Soviétiques, les Chinois ou les Yougoslaves, et d’être écoutés et respectés. De Gaulle n’est pas le dernier à considérer l’Algérie : il lui verse 23 milliards de dollars d’assistance et d’investissements entre 1962 et 1969 – le PIB de la France est de 100 milliards de dollars en 1965 – sans équivalent ailleurs. Cette rente géostratégique se complète du domaine saharien que la France a adjoint à l’Algérie entre 1898 et 1902 (les territoires militaires du Sud). Le FLN s’est battu pour le conserver contre la volonté de de Gaulle qui entendait dissocier l’indépendance de l’Algérie de celle du Sahara. Le pétrole très abondant qui y coule depuis 1957, les centres d’expérimentations nucléaires, balistiques et chimiques, tout incite la France à négocier pour préserver dix à quinze ans de plus ses intérêts dans cette région. Par sa taille considérable (2 millions de kilomètres carrés), quand le Maroc et la Tunisie ont reçu des miettes, par sa centralité au Maghreb, devenue une centralité en Afrique de l’Ouest, et par sa situation de pont entre l’Afrique et la Méditerranée, l’Algérie jouit d’une rente géostratégique qui intéresse tous les acteurs de l’Afrique et les grandes puissances. On le voit, l’Algérie est un pays expert en matière de rente économique et stratégique.

    Naissance de la rente mémorielle

    De Gaulle a conduit une guerre terrible et cruelle jusqu’au presque anéantissement des maquis. En parallèle, des années de négociations ont mené aux accords d’Évian (jamais appliqués ni ratifiés), qui ont débouché sur un déchaînement de violences meurtrières en 1962. Mais de Gaulle veut passer l’éponge. Amnésie, amnistie, coopération : tels sont les mots d’ordre d’après-guerre sur l’Algérie. Est-ce la contrepartie de la jouissance des droits pétroliers et stratégiques négociés au Sahara pour quelques années ? En outre, malgré ses dires, de Gaulle, qui voulait éviter le mélange des populations française et arabe (pour reprendre ses catégories), ouvre la porte à l’immigration algérienne en France dans des proportions inédites : dès 1962, puis avec pérennité par l’accord migratoire de 1968. Les privilèges financiers, politiques et migratoires accordés à Alger, sur fond de coopération technique, administrative et scolaire intense, sont étonnants, même au regard des intérêts nucléaires et pétroliers français. D’autant qu’à l’époque, le pétrole est très bon marché.

    De Gaulle n’a jamais été dans une attitude de contrition et de repentance vis-à-vis d’Alger, mais il a nourri l’idée d’une « rente mémorielle » en Algérie. Il a en effet assisté avec passivité au détricotage des accords d’Évian, notamment sur la propriété et les droits des Français d’Algérie, sans intervenir ni évoquer les enlèvements et les assassinats de l’indépendance. Il a mis en place dès l’été 1962 une aide financière substantielle envers Alger, qui a stupéfié le jeune Moulay Hassan (futur Hassan II), qui opposait aux milliards reçus par Alger les quelques dizaines de millions attribués au Maroc ! Le plan de Constantine lancé en 1959, qui visait à construire un million de logements en Algérie et à développer une base industrielle, a été poursuivi jusqu’en 1965 ! L’anticommuniste de Gaulle avait-il entendu Krouchtchev qui lui avait dit préférer que l’Algérie restât dans l’orbite française plutôt que de tomber dans l’orbite américaine ?
    وألعن من لم يماشي الزمان ،و يقنع بالعيش عيش الحجر

  • #2
    De Pompidou à Mitterrand

    Les trois présidences suivantes n’ont pas démenti l’attitude généreuse de la France envers Alger, ni sur le plan de la coopération et des aides, ni sur ceux de l’immigration, des achats pétroliers ou des investissements – quoiqu’Alger, éconduite par de Gaulle en matière d’armements en 1965, se soit tournée vers l’URSS. Chacun selon leurs convictions, les trois Présidents Pompidou, Giscard d’Estaing et Mitterrand ont été de fermes soutiens de l’Algérie française. À l’Élysée, ils ont tout fait pour faire oublier ce passé. Pompidou a maintenu la forte coopération française en Algérie, malgré la nationalisation unilatérale des intérêts pétroliers français de 1971. Giscard d’Estaing et Mitterrand ont ensuite inauguré la tradition du voyage présidentiel en Algérie : un an après son élection pour le premier, sept mois pour le second, un voyage appelé à se perpétuer de plus en plus précocement. Si Giscard d’Estaing a mis fin en 1975 à l’immigration du travail, il a conçu dès l’année suivante le regroupement familial qui, malgré son interdiction temporaire, est devenu la principale voie d’installation migratoire des Algériens en France.

    François Mitterrand a donné le droit d’association aux étrangers, précipitant la constitution de centaines d’associations islamiques appelées à construire leur mosquée. Au préalable, il avait chargé Gaston Defferre d’apaiser Alger en confiant la mosquée de Paris à Abbas Bencheikh, un haut cadre du régime algérien (contrairement à son prédécesseur pro-Français), ouléma nationaliste, ancien ambassadeur en Arabie saoudite et président du Haut Conseil islamique de l’Algérie. Mieux, il a offert (illégalement) l’association de la mosquée de Paris à Alger, avec une extraterritorialité diplomatique. Tout était prêt pour que l’islam algérien s’épanouisse en France. Sur le plan économique, épaulé par sa jeune garde très pro-algérienne autour de Jacques Attali, le Président signe un énorme contrat gazier avec Alger : la France s’engage à payer ce gaz 15 à 20 % de plus que le prix du marché mondial (pourtant présent dans la CEE comme aux Pays-Bas). L’Algérie, bonne fille, sait se taire auprès des Soviétiques quand un de ses espions à Moscou découvre l’affaire Farewell, par laquelle la DST espionne le KGB en 1981 et 1982. C’est l’occasion de lancer la coopération des services français et algériens !

    Les deux cohabitations sous François Mitterrand permettent à Alger de nouer ses contacts avec la nouvelle génération des gaullistes. Cette relation prend un caractère inédit en 1993 quand se déchaîne la guerre civile en Algérie. Après avoir encouragé la transition démocratique algérienne de 1989-1991, Mitterrand a validé le coup d’État de l’état-major de l’ANP de janvier 1992. Puis, la gestion de la guerre civile est une affaire longue, dans laquelle s’engagent de manière solidaire les services de l’État français aux côtés de l’armée algérienne, dont ils ont été le plus fidèle soutien – quand tant d’observateurs et alliés, Américains en tête, annoncent l’arrivée du FIS au pouvoir. L’assistance française au pouvoir algérien sous Charles Pasqua, dès 1993, se poursuit sous Jacques Chirac. Assistance militaire et matérielle, lutte antiterroriste en France et à l’étranger, coordination du renseignement, accueil de centaines de milliers d’immigrés algériens fuyant la guerre et les menaces de mort, Paris accueille même des islamistes à la fin du conflit pour alléger la charge pesant sur l’Algérie, au risque d’installer le salafisme dans ses banlieues. Ce qui n’a pas manqué d’arriver.

    Bouteflika et la mise en place de la rente mémorielle

    Jusqu’alors, la France et ses responsables politiques ont joué la carte de la réconciliation avec Alger, ce qui a nourri en partie l’ascension du Front national, tout au moins de son noyau dur, très marqué par la désagrégation violente de l’Algérie française. Gaullistes et socialistes sont longtemps demeurés éloignés et insensibles aux mémoires souffrantes françaises de la guerre d’Algérie, pour reprendre les termes de Benjamin Stora (3), l’objectif central étant de se réconcilier avec Alger et d’apaiser sa conscience eu égard à un passé cruel : la SFIO a voté les pleins pouvoirs à l’armée et le rappel du contingent en 1956, tandis que les gaullistes ont quitté l’Algérie qu’ils devaient garder française, au prix de dégâts humains considérables. Pour Alger, cette volonté de réconciliation s’est apparentée à une divine surprise. Mais la donne change brutalement pour Alger au début de la présidence Bouteflika, au tournant des années 2000. L’urgence nationale est cette fois de sortir de la terrible guerre civile qui a coupé depuis dix ans (la « décennie noire ») le pays du monde, fait au moins 200 000 morts, 2 millions de déplacés, 600 000 exilés et miné l’unité nationale si durement acquise. Le Président Abdelaziz Bouteflika, très francophile dans sa carrière ministérielle, a été rappelé pour réconcilier la nation déchirée. Or à cette époque règne en France une grande confusion sur la guerre civile d’Algérie. La querelle intellectuelle et politique dite du « qui tue qui ? » entretient la confusion sur les véritables auteurs de la guerre civile : contre l’évidence du FIS et des GIA, certains accusent l’armée et les services secrets (le DRS) d’avoir manipulé, voire créé le terrorisme pour interdire l’installation de la démocratie (4). L’heure est grave. Élu en 1999 sur injonction de l’armée, le civil Bouteflika, l’ancien ami et conseiller de Boumédiène, doit assurer la « concorde civile », restaurer l’esprit de la révolution et de la lutte pour l’indépendance. Il lui revient de restaurer l’unité nationale.

    Quarante ans après l’indépendance, il réintronise l’ennemi français en bouc émissaire de la nation algérienne : il s’agit aussi de blanchir la direction du pays de l’accusation de hizb frança (« parti de la France ») lancée par les islamistes, de faire oublier l’aide française au régime algérien en guerre civile, et de laver la honte de cette lutte fratricide conforme aux prédictions de de Gaulle. La guerre d’indépendance est remise au centre du jeu politique algérois et du jeu diplomatique pour faire écran à la guerre civile des Algériens. L’évoquer est d’ailleurs interdit et criminalisé en 2005 par la Charte pour la paix et la réconciliation nationale. Fin connaisseur de la France et de la repentance de l’ancien colonisateur, Bouteflika sait pouvoir trouver à Paris nombre d’alliés objectifs, qui pour des raisons politiques ou idéologiques, veulent dresser le procès de la guerre d’Algérie, bientôt assimilée aux actions de l’extrême droite – ce qui est historiquement faux eu égard aux gouvernements qui l’ont conduite.

    Entre 2000 et 2005, la France traverse un tournant mémoriel qui ressuscite la guerre d’Algérie des Français, dévoile l’ampleur et les acteurs de la torture en Algérie, témoins et historiens à l’appui. Témoins et médias algériens sont très actifs dans cette longue controverse lancée dans Le Monde en juin 2000, et qui occulte en quelques années la « décennie noire », dont Alger et ses auxiliaires travaillent à réduire le nombre de victimes présumées dans les médias.

    Dans ce contexte, la volonté chiraquienne affirmée de signer un traité de paix avec Alger devient de plus en plus compliquée. Malgré sa bonne entente avec Bouteflika, Jacques Chirac doit faire face à la situation intérieure française qui, après la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle en 2002, débouche au Parlement sur le vote de la loi du 23 février 2005 « portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés » (dite loi Mekachera). Au lendemain des émeutes de banlieues de l’automne 2005, qui constituent un nouveau cliquet dans le rapport à l’Algérie et à l’immigration de peuplement (et non plus de travail), désormais reconnue pour ce qu’elle est, tant pour son importance numérique que pour sa pérennité sur le sol français et la nécessité de traiter de front cette question, Chirac retire, sous pression algérienne, l’article 4 de la loi Mekachera qui demandait aux professeurs d’enseigner les « aspects positifs de la colonisation ». À Alger, cette mention a déclenché au cours de l’année 2005 le processus de nazification des guerres de la colonisation dans la bouche même du Président Bouteflika (fours à chaux comparés aux fours crématoires, extermination, crimes de masse, génocide… pas seulement culturel, etc.). Tout projet de réconciliation est dans ces conditions repoussé sine die.
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    • #3
      De Sarkozy à Macron

      À peine élu en 2007, le Président Sarkozy, libéré de tout passé historique en Algérie, réserve à Alger sa première visite, où il s’entretient des heures durant en tête-à-tête avec Bouteflika, au grand dam du roi du Maroc. Bien qu’offrant des cadeaux à Alger (comme le plan de localisation des 11 millions de mines enfouies dans le sol algérien), une distance s’insinue rapidement avec Alger : quoiqu’il ait promu des ministres d’origine algérienne au gouvernement, une première, Nicolas Sarkozy s’entend finalement mieux avec le roi du Maroc et poursuit dans la veine du chiraquisme finissant, ce qui pour Alger est rédhibitoire. C’est pourquoi Alger mise désormais sur le retour de la gauche au pouvoir à Paris. La présidence de François Hollande a constitué un apogée de la rente mémorielle au profit d’Alger. D’autant qu’elle fut suivie du premier mandat d’Emmanuel Macron, fidèle en tout point à la politique algérienne de son prédécesseur. Comme lui, il a lancé sa campagne présidentielle le 17 octobre précédant son élection au pont de Clichy pour commémorer la mort d’Algériens jetés dans la Seine lors de la manifestation interdite du 17 octobre 1961, un geste plus qu’apprécié à Alger. Les deux Présidents se sont ensuite illustrés en prononçant des discours retentissants à Alger : au Parlement pour François Hollande, qui y a reconnu les « souffrances » faites aux Algériens, et à la télévision pour le candidat Macron en 2017, qui a assimilé la colonisation française à un « crime contre l’humanité », ce dont ne pouvait rêver le régime algérien. Une autre fleur dans la corbeille d’Alger a été de se brouiller avec le Maroc, en faisant (notamment) mine de mettre le dossier du Sahara occidental sous le tapis, ce qui a entraîné de graves et inédites tensions avec Rabat.

      Ces douze années (2007-2019) de tentatives de réconciliation avec Alger – le Président Macron ayant repris à son compte l’espoir d’un traité de paix – ont finalement mené à très peu. La France refusant le « pardon » exigé par Alger, et Alger commerçant essentiellement avec les grandes puissances, en cantonnant une France de plus en plus réduite dans ses échanges aux seuls domaines migratoires (les visas) et mémoriels (la repentance) : la relation franco-algérienne s’est étiolée. Les échanges économiques déclinent, la francophonie se meurt en Algérie, et les contorsions n’y changent rien. Les deux Présidents français ont eu beau faire semblant de s’entretenir avec Bouteflika lourdement handicapé après ses AVC de 2013 – Hollande reconnaissant même sa « très grande maîtrise intellectuelle » – ou d’ignorer le durcissement du régime policier contre ses opposants, les tentatives de réconciliation ont tourné court. Ce fut le cas lorsque le peuple algérien a surgi avec le Hirak [série de manifestations populaires contre le népotisme du régime, entre 2019 et 2021, ndlr] pour crier son aspiration à la liberté politique : l’ambassade de France a été accusée par Alger d’avoir fomenté la révolte. Puis en 2024, le régime algérien s’est soulevé contre la décision française de reconnaître mezza vocce la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.

      Sortir de l’impasse : la normalisation diplomatique

      Depuis le 29 juillet 2024, la pire crise franco-algérienne se déploie dans l’espace diplomatique et politique bilatéral. L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est devenu la victime expiatoire d’Alger, illustrant le sort réservé par Alger à la langue française et à la liberté. La « rente mémorielle » a conduit la France dans une impasse : l’Algérie répudie la francophonie, préfère les autres puissances pour échanger et investir, et fait la sourde oreille à toutes les coopérations avec la France. Il ne reste à Paris que sa mauvaise conscience pour méditer sur cette relation hors-norme dans le champ international.

      Relation bilatérale traitée directement par l’Élysée, l’Algérie a su exploiter à son profit sa « rente mémorielle » : la France lui a apporté un soutien constant en Europe, lui a offert sa générosité migratoire (plus de 85 % de la diaspora algérienne est en France) et a avalé beaucoup de couleuvres. La connaissance de l’histoire franco-algérienne, de l’Algérie et des Algériens s’étant effondrée dans les élites politiques françaises du XXIe siècle, Alger mène le bal selon ses intérêts et n’accorde pas aux dirigeants français une grande estime pour tant de faiblesse. Le temps d’une normalisation diplomatique est peut-être enfin venu, ce qui impliquerait de reconnaître qu’en discutant avec Alger, la France ne traite plus avec un ancien partenaire, mais avec un régime militaire corrompu qui n’agit que suivant ses seuls intérêts. Une banalité que personne n’ose pourtant évoquer à Paris.
      Notes

      1. Selon le mot de de Gaulle.
      2. Référence au livre Le Sanglot de l’homme blanc (1983) dans lequel Pascal Bruckner critiquait le masochisme moral et la propension à la repentance d’une partie des intellectuels occidentaux.
      3. Stora Benjamin, La Gangrène et l'Oubli. La mémoire de la guerre d'Algérie, éd. La Découverte, 1991.
      4. Plusieurs livres à charge sur les généraux algériens sont alors publiés, notamment Qui a tué à Bentalha ? de Nesroulah Yous (éd. La Découverte, 2000) ou encore La Mafia des généraux d’Hichem Aboud (éd. J.-C. Lattès, 2002).




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      • #4
        ça m agace vraiment ça veut dire quoi rente mémorielle
        un terme fourre tout

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        • #5
          Un maintient de l'ordre à la française qui fait 1 400 000 morts algériens c'est l'intérêt français d'effacer les mémoires.

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          • #6
            la rente mémorielle est plus présente en françe qu'en Algérie ,la preuve ,on a bien essayé de faire passer une loi faisant l'apologie des bienfaits de la colonisation .
            ارحم من في الارض يرحمك من في السماء
            On se fatigue de voir la bêtise triompher sans combat.(Albert Camus)

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            • #7
              La colonisation Française en Algérie était un génocide que la France ne veut pas reconnaître.

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              • #8
                Les intellos Français en roue libre sur l'Algérie.
                Le jour oû ils comprendront que l'Algérie est un pays souverain, un pays comme les autres, ils arreteront de raconter des conneries
                ce qui se conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément

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