Dans ce centre pénitentiaire situé à l’ouest d’Alger, l’écrivain franco-algérien et des pontes de l’ancien régime purgent de lourdes peines dans des conditions extrêmement strictes.
Par Farid Alilat

Cette photo de la prison de Koléa, près d'Alger, a été prise en 2018 lors d'une visite organisée par la direction générale de l’Administration pénitentiaire et de la réinsertion dans le cadre de la célébration par l’Union européenne et l’Algérie de leur coopération en matière pénitentiaire. © south.euneighbours.eu
L'univers de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal tient en neuf mètres carrés. C'est la superficie exacte de sa cellule à la prison de Koléa, à trente-cinq kilomètres à l'ouest d'Alger, où il croupit depuis son arrestation, le 16 novembre 2024, et sa condamnation, le 27 mars, à cinq ans de prison pour atteinte à l'intégrité nationale.
Dans cet enfer carcéral, il y a un lit, des toilettes turques séparées du lavabo par un muret, un téléviseur accroché au mur, une porte blindée avec une lucarne pour faire passer les repas, un vasistas avec des barreaux laissant entrevoir un minuscule bout du ciel, et une ampoule allumée vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Ici, les prisonniers sont déshumanisés. Ils n'ont pas de noms, pas de prénoms. Ils sont juste des numéros d'écrou. Ici, Boualem Sansal n'est plus Boualem Sansal, mais un chiffre dans un registre d'écrou de plus de 2 000 détenus.
Oligarques, influenceurs, journalistes…
Bienvenue au centre pénitentiaire de Koléa, prison unique en Algérie, en Afrique, et peut-être même au monde. Ici ont croupi ou croupissent encore détenus de droit commun, mais surtout ex-Premiers ministres, ministres, walis (préfets), oligarques, milliardaires, patrons de grandes entreprises, terroristes, opposants politiques, influenceurs, journalistes, l'assassin du président Mohamed Boudiaf, un ancien émir d'al-Qaïda au Maghreb, et Boualem Sansal.
Jadis, ces hommes du régime du président Abdelaziz Bouteflika, chassé du pouvoir en avril 2019 – mort en 2021 à 84 ans –, naviguaient entre le palais d'El Mouradia, les ministères, les villas huppées d'Alger ou la résidence ultra-sécurisée du club des Pins. Aujourd'hui, ils dépérissent dans des cellules de neuf mètres carrés. Deux, parmi cette nomenklatura en disgrâce – l'un ministre des Travaux publics et des Transports, l'autre des Télécommunications –, sont décédés juste après en avoir été libérés.
La prison de Koléa est l'un des 162 établissements pénitentiaires que compte l'Algérie et dont une bonne partie date de l'époque coloniale. En 2019, la population carcérale était de 65 000 personnes. Plus de cinq ans après, elle explosait pour atteindre 95 000 détenus en raison, notamment, de l'expansion de la criminalité et d'une politique répressive engagée sous la présidence d'Abdelmadjid Tebboune.
Nourriture indigeste
Construite par une entreprise chinoise sous la forme d'un pentagone, elle se tient à l'écart de la ville, au milieu de vergers d'agrumes, de serres pour légumes et de terres agricoles en jachère. Une vingtaine de bâtiments, abritant les quartiers cellulaires, les blocs administratifs, le parloir, l'infirmerie, cinq terrains de foot, sont cernés de murs de six mètres surmontés de barbelés qui dissuadent toute velléité de s'en échapper.

La prison de Koléa, à trente-cinq kilomètres d'Alger. © Habib Kaki/Creative Commons
La prison compte aussi un pavillon pour femmes où la militante franco-algérienne Amira Bouraoui a été détenue en juin et juillet 2020. Son exfiltration en février 2023 de la Tunisie vers la France provoquera une crise diplomatique entre Paris et Algérie.
Elle en garde un souvenir amer : « À mon arrivée, la gardienne m'a mise à poil et à genoux, raconte-t-elle au Point. Elle me donnait des coups dans le dos tout en me demandant si j'avais caché de la drogue dans mes parties intimes. »
Des caméras et des brouilleurs de téléphones sont installés autour des bâtiments et dans les couloirs des pavillons, bien que les portables soient interdits, contrairement à la prison d'El-Harrach, dans la banlieue est d'Alger. Les cellules sont fréquemment inspectées par le directeur de la prison. Dans ce pentagone carcéral, le régime est strict, les conditions de détention, difficiles, la nourriture, indigeste.
L'espoir pour les anciens caciques du régime déchu de quitter leur cellule un jour est ténu. Ceux qui y sont depuis cinq ans savent qu'ils y resteront tant que le président Tebboune sera au pouvoir. S'il n'est pas à l'origine de leur incarcération lors de la vaste opération de « manu pulite » (« mains propres ») de l'été 2019, il ne nourrit aucune intention de les gracier ou de réduire leurs peines. « Ils y sont, ils y resteront », aurait-il confié lors d'un conseil restreint où le sort de ces célèbres prisonniers avait été abordé.
Corrigé à coups de bâton
Le prévenu qui entre à Koléa a droit au passage rituel chez le coiffeur, ainsi qu'à une visite médicale. Le port de l'uniforme vert moutarde du prisonnier est réservé à ceux qui sont définitivement condamnés, le reste des détenus s'habille en civil. Pour éliminer tout risque de pendaison, ceintures et lacets sont prohibés.
Militant dans le mouvement associatif, Slimane* est arrivé à Koléa en septembre 2021 après avoir transité par les prisons de Tizi-Ouzou et d'El-Harrach. Poursuivi pour appartenance à l'organisation séparatiste MAK (Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie), il finira par être innocenté après quinze mois d'incarcération.
Lui aussi garde de très mauvais souvenirs : « Chaque prisonnier reçoit deux couvertures pour toute l'année, un gobelet, une cuillère et une gamelle, tous en plastique, témoigne-t-il auprès du Point. Ici, on désigne cette sébile en caoutchouc sous le vocable de “tchoupina”. Dès que vous posez le pied dans cette cellule, on vous traite comme un sous-homme. »
Le quotidien carcéral est un rituel codifié à la lettre, et gare à celui qui ne s'y conforme pas. Le réfractaire peut être conduit dans un cachot pour être corrigé à coups de bâton sans que ses cris ne passent les murs insonorisés. À la prison de Koléa, la journée commence à 8 heures du matin avec l'appel individuel des prisonniers alignés dans les couloirs afin de s'assurer que personne ne manque.
Cette formalité terminée, les détenus sont astreints au nettoyage de leur cellule avant que le petit déjeuner ne leur soit servi. Déposé à travers la petite lucarne, celui-ci consiste en deux baguettes et un mauvais café. « Le lait est livré au gré de sa disponibilité, ironise Slimane. On a même oublié son goût et sa couleur. »
La première sortie dans une courette de 180 mètres carrés s'effectue de 9 heures à 11 heures. La seconde, entre 14 heures et 16 heures. Ce sont là les seuls moments de la journée où le prisonnier peut se dégourdir les jambes, échanger avec les autres détenus et rompre avec l'isolement pour ceux qui sont enfermés seuls.
Le déjeuner varie entre lentilles, haricots blancs, riz ou pois chiche. Le soir, ce sont exclusivement des pâtes. Le vendredi, jour sacré dans la religion musulmane, les prisonniers ont droit à un couscous accompagné d'une maigre portion de poulet.
Aucun traitement de faveur
Pour améliorer l'ordinaire, les détenus disposent d'un ticket alimentaire hebdomadaire de 4 000 dinars (environ 26 euros) pour commander, auprès de la supérette de la prison, gâteaux, fromages, jus, friandises et tabac. Ils ont également droit au panier livré par familles et proches tous les quinze jours lors des visites au parloir.
« La nourriture est tellement infecte qu'on n'y touche quasiment pas », témoigne Mourad, un journaliste qui y a passé dix-huit mois avant d'être relâché et blanchi de l'accusation d'appartenance à une organisation terroriste. « Ceux qui sortent de Koléa prennent dix ans à cause de cette mauvaise nourriture, de l'angoisse et de la déprime. La prison est un impitoyable accélérateur de vieillissement », poursuit-il.
Pour combler l'ennui, le prisonnier peut regarder la télévision qui diffuse des programmes nationaux ou des films hindous ou turcs, ou commander des livres auprès de la bibliothèque de la prison que dirige un ancien colonel des services secrets condamné à trente ans de prison pour meurtre.
Les deux blocs où sont détenus les prisonniers hors droit commun sont situés à l'extrémité des bâtiments. Pour y parvenir, il faut traverser treize portails. Le premier bloc est réservé aux condamnés à mort et aux terroristes comme Abderrazak el Para, l'émir islamiste qui a ordonné, en 2003, la mort de 43 militaires algériens et le rapt de 32 touristes européens dans le Sahara, dont 15 Allemands qui furent libérés contre une rançon de 5 millions d'euros.
Le second bloc abrite les anciens pontes du régime. On le surnomme le 19 A. Les cellules sont identiques au reste des autres pavillons, le règlement est le même, la nourriture aussi infecte, aucun traitement de faveur n'est accordé. C'est dans ce 19 A que se concentre ce que fut, dans un passé pas très lointain, les oligarques qui flambaient l'argent du pétrole et les ministres qui se pensaient intouchables et dont certains se voyaient un destin national.
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