La conversion au christianisme n’a rien de nouveau en Algérie. On peut noter trois points à ce sujet : elle a toujours été extrêmement marginale. Elle a été liée au colonialisme. Enfin, et surtout, l’opinion algérienne ne lui a jamais donné une signification religieuse, mais une signification sociale. En effet, dans le contexte de domination que subissait l’Algérie, le converti était considéré comme celui qui voulait accéder, ce faisant, aux privilèges de la société chrétienne coloniale dominante.
Religion et société
Toute religion n’a pas seulement un contenu spirituel, religieux, elle a aussi une fonction sociale, au sens où elle fonde l’appartenance à un groupe social. La question de l’appartenance à un groupe (famille, région, nation, parti, etc.) est essentielle dans la vie humaine et détermine les autres aspects qui en découlent (identité, culture, civilisation) ainsi que les rapports avec les autres groupes sociaux, aux différentes échelles (quartier, ville, région, pays, ou de la planète). Or, bizarrement, ou plutôt peut-être pour cette raison précise, la presse française et occidentale, qui mène campagne sur la question, mais aussi certains journaux algériens, éludent cet aspect majeur et préfèrent centrer l’attention sur les questions de la liberté de culte et celle de conscience. Ces deux libertés sont indiscutables et ne souffrent d’aucune exception, bien que, là aussi, il y a souvent deux poids, deux mesures chez ceux-là mêmes qui les mettent en avant. Mais nous y reviendrons.
L’Algérien de la rue lui, en général, réagit de façon toute différente. «Qu’ils veuillent être chrétiens, c’est leur affaire.» Il regardera ces conversions et leurs rites spectaculaires de façon sceptique, voire amusée, pour ajouter : «Cela leur facilitera peut-être l’obtention du visa.» L’argument peut paraître terre à terre et choquer ceux, certainement sincères, parmi les chrétiens, protestants, évangélistes, qui vivent intensément leur foi et trouvent donc naturel que d’autres les y rejoignent. Et, pourtant, les faits sont là : on ne peut enlever de la mémoire des peuples le rôle qu’ont joué les missionnaires aux côtés du colonialisme.
En Algérie, à l’époque coloniale, ceux, rares, qui se christianisaient, n’entraient pas seulement dans la Maison du Seigneur, mais dans celle des seigneurs. La nationalité française leur était ouverte ainsi que l’accès aux postes. Qu’y a-t-il de changé aujourd’hui ? En France, donner un prénom chrétien à son enfant correspond, pour certains d’origine maghrébine, en l’espoir d’échapper aux préjugés racistes et à la discrimination. La christianisation peut remettre en marche l’ascenseur social auparavant bloqué, permettre l’intégration à des réseaux d’influence puissants. On le voit, c’est un point d’extrême sensibilité sociale, comme toujours lorsqu’il y a des situations de dominants et de dominés.
La réciprocité
C’est le moment ici de faire justice de l’argument de «réciprocité» qui est sans cesse mis en avant concernant la question. Le président Sarkozy notamment y a fait allusion avec insistance à plusieurs reprises (1). Il consiste à dire que si les musulmans pratiquent leur foi librement dans les pays occidentaux et même s’enorgueillissent que des chrétiens s’islamisent, ils devraient accepter l’inverse. L’argument est formellement indiscutable. Mais c’est le cas typique d’une évidence qui voile en réalité d’autres vérités plus cachées. Tout d’abord que la France a eu, et jusqu’à présent, beaucoup de mal à accepter la présence de l’islam sur son territoire. La passion récurrente et extrême des débats sur tout ce qui touche à l’islam (aspects culturels, vestimentaires, voile, école, problèmes politiques, intégration de la Turquie à l’Europe, etc.) le prouve. L’existence d’une autre religion que la religion chrétienne était un phénomène nouveau pour elle tandis que dans les pays arabes (Syrie, Liban, Egypte, Jordanie, Palestine, etc.), la coexistence a toujours existé. Pendant longtemps, la seule véritable mosquée en France se trouvait à Paris. C’est récemment que les lieux de culte musulmans sont sortis de la quasi-clandestinité dans laquelle ils se trouvaient (garages, sous-sols, locaux de fortune dans les banlieues, etc.) encore qu’ils soient toujours l’objet de suspicion et de surveillance sous prétexte d’intégrisme et de terrorisme. Les musulmans sont sans cesse sommés de prouver et d’exprimer leur attachement «aux valeurs de la République». Tous les efforts des ministres de l’Intérieur français, M. Pasqua, puis M. Sarkozy, ont consisté d’ailleurs à encadrer, à organiser la pratique du culte musulman en France, comme l’avait fait la France à l’époque coloniale en Algérie, au contraire des principes de séparation de l’Eglise et de l’Etat. La loi algérienne de février 2006, qui a servi aux poursuites à l’encontre des groupes évangélistes clandestins, avait été faite à l’origine pour empêcher l’extension du mouvement islamiste à travers la prolifération de lieux de culte sans contrôle de l’Etat. Certains, qui avaient applaudi à cette loi, dénoncent aujourd’hui son application contre les églises évangélistes. Seraient-ils pour deux poids, deux mesures ?
Il y a la réciprocité formelle et la réciprocité réelle. Dans un rapport de domination, d’inégalité, tout est faussé. Le même acte, apparemment réciproque, n’a pas la même signification. Le nationalisme de l’Algérien contre le colonisateur est un acte libérateur. Celui du dominateur est un acte de négation de l’autre, d’oppression. Le dirigeant israélien qui reçoit un dirigeant arabe à Tel-Aviv aura toute l’assurance du dominant, du «patron». Mais le même acte, pour un dirigeant arabe, prendra la signification d’un acte de soumission, de trahison.
La réciprocité en matière de liberté de culte doit être respectée. Mais personne ne nous empêchera cependant d’exercer une autre liberté, celle d’opinion, celle-là sur la signification réelle, c’est-à-dire sociale, de la conversion à une religion, suivant le contexte, quand une religion est associée à un pays dominant et perçue comme une entreprise politique de domination. Le thème de la «persécution des chrétiens» a été un des prétextes des interventions coloniales et de la «politique de la canonnière». Voilà qu’il ressurgit aujourd’hui. Nos amis chrétiens le savent. Beaucoup, en Algérie et en France (le journal Témoignage chrétien, par exemple), ont pris partie contre le colonialisme et n’ont pas voulu qu’on identifie leur foi au système colonial. L’Eglise catholique en Algérie, qui connaissait bien le lourd passif sur cette question, a su le faire aussi avec des représentants prestigieux comme Mgr Duval. Son souci permanent, après l’indépendance, a été de devenir une Eglise réellement algérienne, c’est-à-dire un facteur de renforcement de la culture, de la cohésion et de l’unité nationale algériennes. Mais il semble qu’il en est tout autrement pour les églises évangélistes made in USA qui se sont fait remarquer ces dernières années par une activité intense en direction du monde arabo-musulman.
Religion et société
Toute religion n’a pas seulement un contenu spirituel, religieux, elle a aussi une fonction sociale, au sens où elle fonde l’appartenance à un groupe social. La question de l’appartenance à un groupe (famille, région, nation, parti, etc.) est essentielle dans la vie humaine et détermine les autres aspects qui en découlent (identité, culture, civilisation) ainsi que les rapports avec les autres groupes sociaux, aux différentes échelles (quartier, ville, région, pays, ou de la planète). Or, bizarrement, ou plutôt peut-être pour cette raison précise, la presse française et occidentale, qui mène campagne sur la question, mais aussi certains journaux algériens, éludent cet aspect majeur et préfèrent centrer l’attention sur les questions de la liberté de culte et celle de conscience. Ces deux libertés sont indiscutables et ne souffrent d’aucune exception, bien que, là aussi, il y a souvent deux poids, deux mesures chez ceux-là mêmes qui les mettent en avant. Mais nous y reviendrons.
L’Algérien de la rue lui, en général, réagit de façon toute différente. «Qu’ils veuillent être chrétiens, c’est leur affaire.» Il regardera ces conversions et leurs rites spectaculaires de façon sceptique, voire amusée, pour ajouter : «Cela leur facilitera peut-être l’obtention du visa.» L’argument peut paraître terre à terre et choquer ceux, certainement sincères, parmi les chrétiens, protestants, évangélistes, qui vivent intensément leur foi et trouvent donc naturel que d’autres les y rejoignent. Et, pourtant, les faits sont là : on ne peut enlever de la mémoire des peuples le rôle qu’ont joué les missionnaires aux côtés du colonialisme.
En Algérie, à l’époque coloniale, ceux, rares, qui se christianisaient, n’entraient pas seulement dans la Maison du Seigneur, mais dans celle des seigneurs. La nationalité française leur était ouverte ainsi que l’accès aux postes. Qu’y a-t-il de changé aujourd’hui ? En France, donner un prénom chrétien à son enfant correspond, pour certains d’origine maghrébine, en l’espoir d’échapper aux préjugés racistes et à la discrimination. La christianisation peut remettre en marche l’ascenseur social auparavant bloqué, permettre l’intégration à des réseaux d’influence puissants. On le voit, c’est un point d’extrême sensibilité sociale, comme toujours lorsqu’il y a des situations de dominants et de dominés.
La réciprocité
C’est le moment ici de faire justice de l’argument de «réciprocité» qui est sans cesse mis en avant concernant la question. Le président Sarkozy notamment y a fait allusion avec insistance à plusieurs reprises (1). Il consiste à dire que si les musulmans pratiquent leur foi librement dans les pays occidentaux et même s’enorgueillissent que des chrétiens s’islamisent, ils devraient accepter l’inverse. L’argument est formellement indiscutable. Mais c’est le cas typique d’une évidence qui voile en réalité d’autres vérités plus cachées. Tout d’abord que la France a eu, et jusqu’à présent, beaucoup de mal à accepter la présence de l’islam sur son territoire. La passion récurrente et extrême des débats sur tout ce qui touche à l’islam (aspects culturels, vestimentaires, voile, école, problèmes politiques, intégration de la Turquie à l’Europe, etc.) le prouve. L’existence d’une autre religion que la religion chrétienne était un phénomène nouveau pour elle tandis que dans les pays arabes (Syrie, Liban, Egypte, Jordanie, Palestine, etc.), la coexistence a toujours existé. Pendant longtemps, la seule véritable mosquée en France se trouvait à Paris. C’est récemment que les lieux de culte musulmans sont sortis de la quasi-clandestinité dans laquelle ils se trouvaient (garages, sous-sols, locaux de fortune dans les banlieues, etc.) encore qu’ils soient toujours l’objet de suspicion et de surveillance sous prétexte d’intégrisme et de terrorisme. Les musulmans sont sans cesse sommés de prouver et d’exprimer leur attachement «aux valeurs de la République». Tous les efforts des ministres de l’Intérieur français, M. Pasqua, puis M. Sarkozy, ont consisté d’ailleurs à encadrer, à organiser la pratique du culte musulman en France, comme l’avait fait la France à l’époque coloniale en Algérie, au contraire des principes de séparation de l’Eglise et de l’Etat. La loi algérienne de février 2006, qui a servi aux poursuites à l’encontre des groupes évangélistes clandestins, avait été faite à l’origine pour empêcher l’extension du mouvement islamiste à travers la prolifération de lieux de culte sans contrôle de l’Etat. Certains, qui avaient applaudi à cette loi, dénoncent aujourd’hui son application contre les églises évangélistes. Seraient-ils pour deux poids, deux mesures ?
Il y a la réciprocité formelle et la réciprocité réelle. Dans un rapport de domination, d’inégalité, tout est faussé. Le même acte, apparemment réciproque, n’a pas la même signification. Le nationalisme de l’Algérien contre le colonisateur est un acte libérateur. Celui du dominateur est un acte de négation de l’autre, d’oppression. Le dirigeant israélien qui reçoit un dirigeant arabe à Tel-Aviv aura toute l’assurance du dominant, du «patron». Mais le même acte, pour un dirigeant arabe, prendra la signification d’un acte de soumission, de trahison.
La réciprocité en matière de liberté de culte doit être respectée. Mais personne ne nous empêchera cependant d’exercer une autre liberté, celle d’opinion, celle-là sur la signification réelle, c’est-à-dire sociale, de la conversion à une religion, suivant le contexte, quand une religion est associée à un pays dominant et perçue comme une entreprise politique de domination. Le thème de la «persécution des chrétiens» a été un des prétextes des interventions coloniales et de la «politique de la canonnière». Voilà qu’il ressurgit aujourd’hui. Nos amis chrétiens le savent. Beaucoup, en Algérie et en France (le journal Témoignage chrétien, par exemple), ont pris partie contre le colonialisme et n’ont pas voulu qu’on identifie leur foi au système colonial. L’Eglise catholique en Algérie, qui connaissait bien le lourd passif sur cette question, a su le faire aussi avec des représentants prestigieux comme Mgr Duval. Son souci permanent, après l’indépendance, a été de devenir une Eglise réellement algérienne, c’est-à-dire un facteur de renforcement de la culture, de la cohésion et de l’unité nationale algériennes. Mais il semble qu’il en est tout autrement pour les églises évangélistes made in USA qui se sont fait remarquer ces dernières années par une activité intense en direction du monde arabo-musulman.
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