La guerre d'Algérie au cinéma, ça dérange toujours. Dernier exemple en date : « Hors la loi », le film de Rachid Bouchareb.
Rachid Bouchareb et les acteurs du film "Indigènes" sur les marches du Festival de Cannes en mai 2006 (Eric Gaillard/Reuters)
La guerre d'Algérie fut longtemps la « guerre sans nom ». Cinquante ans plus tard, on se demande parfois si ce n'est pas encore une guerre qu'on cherche à ne pas trop montrer.
Rachid Bouchareb, qui avait marqué le Festival de Cannes en 2006 avec « Indigènes », revient en sélection officielle cette année avec « Hors la loi ». Ce film consacré à la guerre d'Algérie démarre avec le massacre de Sétif, le 8 mai 1945.
« Anachronismes grossiers »
Avant même qu'il ne soit vu, le dernier long métrage de Rachid Bouchareb hérisse l'aile droite de la droite. Pour dénoncer le film, Lionel Luca, député UMP des Alpes-Maritimes, a commencé par saisir le secrétaire d'Etat à la Défense, Hubert Falco.
Son but : vérifier la rigueur du travail de Rachid Bouchareb. Falco saisit ses services. Verdict plutôt sévère puisque le service historique du ministère de la Défense (SHD) relève des « anachronismes grossiers » dans une note interne officielle reproduite par l'hebdomadaire d'extrême droite Minute.
L'administration est rarement sollicitée pour vérifier la vraisemblance historique d'un film. Mais « L'Armée du crime », dernier Robert Guédiguian sur le groupe Manouchian, ou « La Rafle » de Roselyne Bosch, avaient par exemple déjà essuyé quelques critiques de ce cru ces derniers mois.
En réalité, la critique historique apparaît secondaire chez Lionel Luca, qui dénonce « un film anti-français ». Le député ne l'a pourtant pas vu. Il a simplement entendu le réalisateur en interview. Un peu juste, peut-être, pour s'enflammer.
Sur « l'anti-France », vieille rengaine de la droite dure, l'élu se montrait prolixe sur LeFigaro.fr ce week-end :
« Je ne conteste pas le fait que les Français aient commis un acte condamnable. Mais la veille, ils avaient été tirés comme des lapins ! Je ne veux pas faire de procès d'intention à Bouchareb. Simplement, tout le monde doit faire son mea culpa. Pourquoi, cinquante ans plus tard, la population française devrait-elle être la seule à tout le temps devoir faire des excuses et à reconnaître ses erreurs ? »
« Anti-français », Rachid Bouchareb ? Le cinéaste est né à Paris de parents algériens, en 1953. Soit un an avant le début du conflit, qui s'achèvera en 1962.
Les films sur la guerre d'Algérie dérangent
En réalité, c'est une vieille lune qu'agite ici Lionel Luca pour discréditer un film sur la guerre d'Algérie. D'autres films avaient fait les frais de telles attaques et été censurés… il y a quarante ans. C'est le cas par exemple du « Petit soldat », deuxième film de Jean-Luc Godard. Le tournage remonte à 1960 mais il avait fallu attendre près de trois ans pour que le gouvernement lève la censure.
Louis Terrenoire, ministre de l'Information de l'époque, justifiait son interdiction dans des termes qui ne dépareillent pas avec la critique de Lionel Luca :
« Les paroles prêtées à une protagoniste du film et par lesquelles l'action de la France et en Algérie est présentée comme dépourvue d'idéal, alors que la cause de la rébellion est défendue et exaltée, constituent à elles seules, dans les circonstances actuelles, un motif d'interdiction. »
« Le Petit soldat » est loin d'être un cas isolé. « La Bataille d'Alger », de Gillo Pontecorvo, avait ainsi été présenté en 1966 puis interdit jusqu'en 1971 en France [Trente ans plus tard, c'est à Ronald Rumsfeld, secrétaire d'Etat américain à la Défense, et aux haut-gradés du Pentagone qu'il était projeté pour ses enseignements sur la contre-guérilla urbaine].
A l'époque, on reprochait au film d'évoquer la torture. Le colonel Roger Trinquier, proche du général Massu, jugeait pourtant que ce film était loin d'être monolithique et caricatural. Dans ces archives de l'INA, il jugeait tout de même que des scènes de torture pouvaient « vexer » et « blesser les Français ». (Voir la vidéo)
rue89
Rachid Bouchareb et les acteurs du film "Indigènes" sur les marches du Festival de Cannes en mai 2006 (Eric Gaillard/Reuters)
La guerre d'Algérie fut longtemps la « guerre sans nom ». Cinquante ans plus tard, on se demande parfois si ce n'est pas encore une guerre qu'on cherche à ne pas trop montrer.
Rachid Bouchareb, qui avait marqué le Festival de Cannes en 2006 avec « Indigènes », revient en sélection officielle cette année avec « Hors la loi ». Ce film consacré à la guerre d'Algérie démarre avec le massacre de Sétif, le 8 mai 1945.
« Anachronismes grossiers »
Avant même qu'il ne soit vu, le dernier long métrage de Rachid Bouchareb hérisse l'aile droite de la droite. Pour dénoncer le film, Lionel Luca, député UMP des Alpes-Maritimes, a commencé par saisir le secrétaire d'Etat à la Défense, Hubert Falco.
Son but : vérifier la rigueur du travail de Rachid Bouchareb. Falco saisit ses services. Verdict plutôt sévère puisque le service historique du ministère de la Défense (SHD) relève des « anachronismes grossiers » dans une note interne officielle reproduite par l'hebdomadaire d'extrême droite Minute.
L'administration est rarement sollicitée pour vérifier la vraisemblance historique d'un film. Mais « L'Armée du crime », dernier Robert Guédiguian sur le groupe Manouchian, ou « La Rafle » de Roselyne Bosch, avaient par exemple déjà essuyé quelques critiques de ce cru ces derniers mois.
En réalité, la critique historique apparaît secondaire chez Lionel Luca, qui dénonce « un film anti-français ». Le député ne l'a pourtant pas vu. Il a simplement entendu le réalisateur en interview. Un peu juste, peut-être, pour s'enflammer.
Sur « l'anti-France », vieille rengaine de la droite dure, l'élu se montrait prolixe sur LeFigaro.fr ce week-end :
« Je ne conteste pas le fait que les Français aient commis un acte condamnable. Mais la veille, ils avaient été tirés comme des lapins ! Je ne veux pas faire de procès d'intention à Bouchareb. Simplement, tout le monde doit faire son mea culpa. Pourquoi, cinquante ans plus tard, la population française devrait-elle être la seule à tout le temps devoir faire des excuses et à reconnaître ses erreurs ? »
« Anti-français », Rachid Bouchareb ? Le cinéaste est né à Paris de parents algériens, en 1953. Soit un an avant le début du conflit, qui s'achèvera en 1962.
Les films sur la guerre d'Algérie dérangent
En réalité, c'est une vieille lune qu'agite ici Lionel Luca pour discréditer un film sur la guerre d'Algérie. D'autres films avaient fait les frais de telles attaques et été censurés… il y a quarante ans. C'est le cas par exemple du « Petit soldat », deuxième film de Jean-Luc Godard. Le tournage remonte à 1960 mais il avait fallu attendre près de trois ans pour que le gouvernement lève la censure.
Louis Terrenoire, ministre de l'Information de l'époque, justifiait son interdiction dans des termes qui ne dépareillent pas avec la critique de Lionel Luca :
« Les paroles prêtées à une protagoniste du film et par lesquelles l'action de la France et en Algérie est présentée comme dépourvue d'idéal, alors que la cause de la rébellion est défendue et exaltée, constituent à elles seules, dans les circonstances actuelles, un motif d'interdiction. »
« Le Petit soldat » est loin d'être un cas isolé. « La Bataille d'Alger », de Gillo Pontecorvo, avait ainsi été présenté en 1966 puis interdit jusqu'en 1971 en France [Trente ans plus tard, c'est à Ronald Rumsfeld, secrétaire d'Etat américain à la Défense, et aux haut-gradés du Pentagone qu'il était projeté pour ses enseignements sur la contre-guérilla urbaine].
A l'époque, on reprochait au film d'évoquer la torture. Le colonel Roger Trinquier, proche du général Massu, jugeait pourtant que ce film était loin d'être monolithique et caricatural. Dans ces archives de l'INA, il jugeait tout de même que des scènes de torture pouvaient « vexer » et « blesser les Français ». (Voir la vidéo)
rue89