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A. Bouguermouh : La colline oubliée est pris en otage

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  • A. Bouguermouh : La colline oubliée est pris en otage

    Sauvé de justesse d’un accident, qui lui a causé plusieurs mois d’hospitalisation — pour un homme de sa trempe, qui fait très attention à la vie humaine en général— il a consacré toute sa vie courageusement, au combat pour ses racines, d’où il insiste qu’ " il n’y a pas de sentiments dans la lutte pour des causes justes, mais ce sont des parts de militantisme que l’on arrache au prix des années de luttes pacifiques et intelligentes ".

    Da Abderahman Bouguermouh est de ceux qui ont tracé le chemin aux côtés de Mouloud Mammeri, Mohand ouyahya et autres inoubliables, chacun dans son domaine. Il parle de sa Kabylie, de son premier film en langue kabyle, loin de l’esprit régionaliste fermé, mais plutôt, ouvert à ceux qui valorisent l’échelle des valeurs nobles et ancestrales. La dignité kabyle et humaine ne se récupère jamais. L’honneur, la civilisation et le développement de l’homme se puisent dans la sauvegarde de ses racine et identité. Même à l’âge de 70 ans, il continue à produire et écrire sur ce que l’homme kabyle et algérien, au sens noble, active depuis la création des cieux pour l’idéal de la vie, au delà de l’éphéméride. Écoutons-le.

    La Dépêche de Kabylie : Monsieur Bouguermouh, la colline oubliée est le premier long métrage réalisé en langue kabyle dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Le film n’est pas assez diffusé et c’est depuis belle lurette qu’il n’est pas projeté sur nos écrans, en parlant des salles de cinéma, nonobstant l’absence de l’intérêt de la télévision nationale. Pourtant, les années de plomb sont révolues. La génération actuelle n’en connaît pas grand-chose. Autant de questions qui se posent sur ce fameux film. Peut-on savoir comment et quand a eu lieu la naissance du premier long métrage cinématographique en kabyle dans l’histoire de l’Algérie indépendante ?

    Abderrahmane Bouguermouh : A mon avis, tout le monde connaît l’histoire de ce film. C’est une question à laquelle j’ai répondu pratiquement dans tout les interviews, mais puisque vous introduisez la génération dans la question c’est un droit et un devoir de répondre. C’est pour eux que le chemin a été tracé depuis des siècles afin qu’ils puissent continuer dans la juste voie et légitime cause identitaire et linguistique.

    En effet, cela remonte à l’année de la grève des étudiants, en 1956 à paris, période où j’ai connu le défunt écrivain et chercheur, Mouloud Mammeri, au café Luxembourg, par l’intermédiaire d’un ami qui m’a laissé avec Mammeri. Pour l’histoire, le jour de notre rencontre à paris, nous avions passé toute la journée, et c’était le dernier, le jour qu’il a passé en France, avant de partir au maroc, parce que les autorités coloniales, à l’époque, lui cherchaient la moindre petite bête pour l’emprisonner ou le liquider physiquement, en raison de sa notoriété en tant qu’écrivain. Et malgré son jeune âge, il était très connu. Raison pour laquelle tout le monde lui a conseillé d’aller au maroc afin d’échapper au malheur certain. C’est ainsi qu’il a décidé d’y aller. Nous avions passé toute la journée à discuter du pays et de toutes nos connaissances. Il était plus âgé que moi et je ne faisais que l’écouter. En vérité, il m’a appris beaucoup de choses. Nous avions fait plusieurs fois la navette entre la fontaine saint-michel et châtelet, à pied ; nous avions mangé dans des gargotes. A l’époque, j’étais à Montpellier et puis je suis allé à Paris, où se rencontraient les étudiants, durant la grève qui a duré deux ans. Mouloud Mammeri, malgré son âge, était un érudit et écrivain, et moi je ne savais même pas que j’allais faire du cinéma. Depuis, nous ne nous sommes pas revus jusqu'à à l’Indépendance. Juste après j’ai suivi une formation à l’Institut des hautes études cinématographiques ; j’ai travaillé à la Radio Télévision Française (RTF).

    Des années plus tard, vers 1965/66, le directeur du Centre national de cinématographie m’avait demandé si je connaissais une belle plume. C’est ainsi que je lui ai fait part de ma connaissance de l’écrivain Mouloud Mammeri. Je suis allé le voir chez lui, et c’est lui qui m’avait ouvert la porte et m’a reconnu au premier contact. A l’occasion, je lui ai parlé de l’adaptation du roman “La colline oubliée” pour la réalisation du film. Malheureusement, le projet a été refusé à chaque fois parce qu’en bas du scénario, nous avions écrit que le film ne pouvait être réalisé qu’en langue kabyle. Ce n’est qu’après vingt ans d’attente que le projet a été accepté avec un budget dérisoire d’un milliard et demi. Sinon, je pouvais faire de ce film un chef-d’œuvre. Et malgré le peu de moyens, le film a été primé dans trois festivals internationaux : au Canada, en Espagne et en Tchécoslovaquie.

    Cela s’est fait grâce au concours de la population par ses aides et collaborateurs, qui ont tout donné pour sa réalisation.ainsi que la formation des comédiens que j’ai formés moi-même. Lorsque le film a été réalisé, j’étais le premier à être étonné. Donc, avant son décès, il savait que le film allait être réalisé dans les mois à venir.

    Justement, c’est depuis belle lurette que ce fameux premier film en kabyle n’est pas diffusé dans les salles de cinéma et encore jamais à la télévision nationale : qu’en est-il à ce sujet ?

    (La colère se lit sur le visage). Le film “La colline oubliée” est pris en otage par le coproducteur, alors que je l’ai fait pour le peuple et non pour lui. Le coproducteur côté français, qui est BRTV, est actionnaire à 15% seulement, alors que l’Algérie c’est 85%. Il n’a jamais fait quelque chose pour la promotion et la distribution. J’ai présenté le film dans trois festivals, il a eu trois prix. Par contre lui ne veut pas envoyer en Algérie ou aux autres pays ni les cassettes ni les DVD. Il ne veut pas aussi, l’envoyer dans les festivals qui s’organisent chaque année un peu partout dans le monde ni pour faire connaître la culture algérienne et kabyle en particulier, il ne veut pas du dinar algérien, il ne diffuse le film que dans sa télévision quand il veut. Il ne veut rien envoyer ni en Algérie ni aux festivals. Il parait qu’il en a des quantités importantes en stock, pourquoi ne l’envoie-t-il pas alors ? Il faut faire comprendre à ce bonhomme que le film n’est pas réalisé pour lui. Il y a 75% de la population algérienne et kabyle qui ne l’ont pas vu jusqu’à présent. S’il travaille réellement pour l’identité et la langue kabyle comme il le dit, qu’est-ce qu’il attend pour envoyer au moins 500 copies ? C’est rien pour lui cette quantité, et même 1000 ou 2000 DVD. C’est toute la population qui le cherche, mais il est introuvable sur le marché national et étranger. Tout est bloqué à son niveau.

    Avant, il était actionnaire à 15%, maintenant il est actionnaire à 100%. Quant à moi, réalisateur du film, je n’ai le droit ni de parler ni de réclamer quoi que ce soit. Je n’existe pas pour eux. Pourtant, normalement, c’est à moi de signer. C’est en mon nom que le film a été déposé à leur niveau, mais je ne veux pas faire de scandale sur ce point parce qu’il, y a un droit de gardiennage annuel à payer. Il a donné cinq copies usées à la cinémathèque. Mais que représente ce nombre pour les cinémathèques ? Je ne vois pas pourquoi ce monsieur empêche ainsi des millions de téléspectateurs algériens de voir le film. Auparavant, j’en voulais aux salles de cinéma de ne pas le diffuser. Finalement, ils n’ont pas de copie. Chaque fois qu’on lui demande d’envoyer des copies en Algérie et aux festivals, il refuse.

    D’autant plus il n’y a pas longtemps, un téléthon appelait la population à aider la chaîne afin de sortir du gouffre de la crise financière, qu’elle traverse, alors que le film en question est en hibernation depuis des années. N’est-ce pas là une contradiction aux aspirations populaires ?

    Bien sûr !quand il a besoin d’eux il fait appel par Téléthon. Et Pourquoi n’envoie t-il pas de copies au moins pour les Maisons de culture de ces wilayas, Béjaïa, Tizi Ouzou, Bouira, qui ont fait et donné pour ce film? Comme il ya eu la dissolution du CAAIC, ils ne l’attaquent pas, ils s’en foutent. Il devait donner 50% de l’argent qu’il a amassé. Il ne leur a jamais donné un sou et pareil pour les droits d’auteurs. Il devait passer un contrat obligatoire international, pour faire sortir la cassette avec moi,avec un pourcentage de 5% à 6%, il ne l’a pas fait. Il a fait sortir la cassette sans passer de contrat avec moi, pareil pour la musique du film. D’ailleurs, quand ils parlent du film, je n’existe pas, c’est plutôt Abdenour Abdeslam, Saâdi. Ils ont tous travaillé pour ce film, sauf moi. Ils s’en foutent.

  • #2
    Revenons au village Ithakyeyar où a eu lieu le tournage d’une partie du film. A Beni maouche, dans la wilaya de Béjaïa, la population, justement se dit frustrée de ne pouvoir voir le film. Eux qui se sont solidarisés tout au long du tournage n’ont pas vue leurs actions de solidarité, ne serait-ce qu’une projection depuis. Qu’en dites-vous ?

    Je tiens d‘abord à les saluer pour toute leur solidarité au même titre que tous les autres villages et lieux de tournage. Il faut qu’ils sachent que s’il y avait une organisation autour, en l’absence des cassettes audio, on pourrait dans le temps projeter le film, comme on le fait ailleurs avec le camion de type cinéma ambulant. A l’état actuel, c’est tout le monde qui réclame la projection de ce film. A cette occasion, je suis disposé à les rencontrer et discuter avec eux quand ils le voudront. Je suis reconnaissant et j’en garde de très bons souvenirs, comme ailleurs. La prochaine fête des figues, je serai avec eux, avec plaisir.

    On dit que Mouloud Mammeri a été enseignant de sa majesté le défunt roi du Maroc Hassan II. Peut-on connaître votre réponse ?

    “A ma connaissance, c’est le cousin de Mouloud Mammeri, plus âgé, qui a été enseignant du roi. Mammeri avait une grande notoriété auprès du royaume du maroc. Par contre, Mouloud Mammeri était un très bon chanteur aussi, mais entre amis seulement. Il connaissait toutes les anciennes chansons kabyles.

    Quel est votre sentiment d’avoir réalisé le premier film en kabyle ?

    Non ce n’était pas un sentiment mais ma part de militantisme. C’est plutôt la part palpable de voir des images et sons en kabyle sur nos écrans. D’ailleurs, à la sortie du film, j’étais le premier à être étonné d’avoir réussi avec mouloud mammeri et tous les autres collaborateurs à réaliser et de voir un film en kabyle.

    Voyons plus loin la question : depuis l’Indépendance nationale, il n’y a eu que trois films en kabyle, mais aussi un manque de production cinématographique de façon générale. Pour situer la question dans l’espace politique et social concernant le film kabyle, il y avait d’abord la répression en face, une revendication légitime et juste, mais malgré l’ouverture démocratique depuis les événements d’octobre 1988, la question reste posée, qu’en dites-vous ?


    Pour répondre à la question, il faut la situer en deux étapes.

    Premièrement, il faut revenir au passé, où le gouvernement accordait les subventions à la production cinématographique, en plus de la disponibilité du matériel et autres assistances techniques. Les entreprises de production répondaient suffisamment à la demande. D’autre part, l’absence d’ouverture dans une large vision cinématographique constitue un autre blocage. Ce qui veut dire qu’il n’y a que ceux qui ne dérangent pas les pouvoirs qui se produisent.

    En deuxième lieu, depuis 1989, l’état a arrêté le financement des films. De ce fait, lié à plusieurs facteurs tant économique que politique, les spécialistes rencontrent d’énormes difficultés à trouver les financements,mis à part ceux qui se débrouillent ici et là, ou en partant à l’étranger pour mener à terme leurs projets.

    En d’autres termes, le désengagement de l’état dans la production cinématographique a découragé les opérateurs.

    En plus de la dégradation totale des salles de cinéma à l’échelle nationale, l’insécurité qui règne dans ces lieux ; en d’autres termes, l’arrivée de la vidéo et autres supports audiovisuels et le manque de distribution. Tout cela sont des facteurs qui ne permettent pas d’aller au delà des attentes en matière de productions cinématographiques, et pour revenir à une situation normale en assurant la sécurité et l’assainissement du cinéma.

    Partant de votre expérience et savoir-faire en tant que cinéaste, le film " La colline oubliée " nous rappelle un peu la fameuse chanson Ekker a mmis umazigh du défunt, Idir Ait Amrane, en appelant au réveil des consciences, d’autant plus que le premier film en kabyle est lié à l’histoire ou la plume de l’écrivain et chercheur Mouloud Mammeri, qui a donné des touches scientifiques et littéraires dans la revendication identitaire. Que peut apporter le cinéma pour l’histoire, la culture et l’identité amazighes en général ?

    Le cinéma est une arme à double tranchant. Comme il peut construire, il peut détruire aussi. Tout dépend des objectifs visés. Maintenant, c’est vrai que les gens lisent moins, et même si tu lis, on ne peut pas se faire une idée exacte de la situation. Tandis que le cinéma a un impact direct sur le citoyen. il suffit de suivre une histoire sur l’écran, c’est comme si on aurait été à l’école durant cinq ou six ans. Quant à la chanson, il faut reconnaître le sacrifice des chanteurs engagés sur la question. C’est l’âme de la revendication identitaire même. Sans eux on ne serait pas arrivé là où on en est maintenant. bien qu’il reste beaucoup de choses à faire. Ce n’est pas parce qu’on a eu droit enfin à quelques heures en kabyle à la télévision qu’on croit avoir gagné. Le chemin est encore long.

    Peut-on dire qu’il existe un cinéma algérien ?

    Le cinéma non, mais le film algérien on peut dire oui. Avec une production de 165 films depuis l’Indépendance, on peut dire qu’il existe un minimum.

    Si l’on parle des films en langue kabyle, il y a trois longs métrages assez intéressants quand même, Machaho de Belkacem hadjadj et la Montagne de Baya du défunt Azzedine Meddour lesquels ont bénéficié de budgets assez importants par rapport à la colline oubliée, mais il ne faut pas en rester là, il faut produire encore autant que possible. Bien que la Colline oubliée reste le précurseur du film en kabyle vu qu’il est lié au grand écrivain et chercheur Mouloud Mammeri, mais il ne faut pas se contenter uniquement de ce que l’on a à présent.

    Da Abderahmane, vous êtes aussi sur l’écriture d’un livre intitulé Cent ans de Kabylie, qu’en est-il au juste du contenu de votre prochaine édition ?

    C’est toute la destinée d’un Kabyle, j’étais sur le point de le terminer, malheureusement, j’ai eu cet accident qui m’a retardé. C’est un livre qui parle de l’immigration kabyle, à l’intérieur et l’extérieur du pays, ainsi que de la Deuxième guerre mondiale et de tout ce qui s’est passé en Kabylie depuis l00 ans à nos jours. Dès que je termine ma rééducation en orthopédie, je me remettrai au travail pour son édition.

    Par la depêche de Kabylie

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