Coq au vin, bœuf bourguignon… La place de la gastronomie traditionnelle se réduit dans nos assiettes, au profit des burgers et autres kebabs. À qui la faute ?
Par Kévin Badeau
Bœuf bourguignon, coq au vin, ratatouille, quiche lorraine… Ces incontournables de la gastronomie française sont-ils voués à disparaître de nos assiettes ? En France, la cuisine traditionnelle qui, dans l'imaginaire collectif, est héritée de nos grands-mères et partagée en famille séduit de moins en moins.
Un exemple emblématique : la blanquette de veau. Dans La France sous nos yeux (Seuil, 2021), les auteurs Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely montrent que les amateurs de ce ragoût mijoté à la sauce blanche se font moins nombreux.
Seuls 28 % des jeunes nés entre 1996 et 2002 apprécient encore ce classique de la gastronomie française. C'est 12 points de moins que chez les personnes nées avant 1956 (40 %), une génération qui a peut-être lu les enquêtes du commissaire Maigret, héros de la littérature dont la blanquette était le plat préféré.
Il serait exagéré d'affirmer que les Français boudent leur cuisine hexagonale : 92 % d'entre eux ont d'elle une bonne opinion, selon un sondage Ipsos pour la sortie du Guide Michelin 2025. Et chaque classement des « dix plats préférés des Français » met à l'honneur des spécialités nationales comme la choucroute ou le cassoulet. Sauf que « préférés » ne veut pas forcément dire « consommés » au quotidien. Ni à l'extérieur ni à la maison.
Des cartes moins françaises
Ce moindre appétit pour les plats français se vérifie dans les brasseries populaires. On y retrouve encore les immanquables tartares de bœuf et steaks frites, mais certains plats comme l'andouillette ou le pot-au-feu se font plus rares. « Si les brasseries adoptent désormais des cartes moins françaises, c'est bien le signe que les plats traditionnels sont moins demandés », explique Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l'Ifop. Il est désormais plus certain d'y trouver des burgers (nés aux États-Unis), présents au menu de 85 % des 145 000 restaurants français avec service à table, selon les données de Gira Conseil.
Le pain et le vin, deux emblèmes de la gastronomie nationale, suivent eux aussi une pente descendante. La consommation de vin est passée de 46 millions d'hectolitres en 1970 à 24 millions en 2023, selon les données du Comité national des interprofessions des vins à appellation (CNIV). Celle de pain est passée de 325 grammes par jour dans les années 1950 à environ 120 grammes aujourd'hui, soit l'équivalent d'une demi-baguette, d'après l'Observatoire du pain. Certes, le déclin est mondial, mais la décrue relève presque de la crise de foi au pays de la sainte trinité « vin, pain et fromage ».
Du côté des fruits et légumes, la banane a supplanté la pomme en 2024, pour devenir le fruit le plus consommé en France. Ce fruit tropical originaire d'Asie, symbole de la mondialisation, bien que cultivé en Martinique et en Guadeloupe, est importé à 81 % d'Afrique, des Caraïbes et d'Amérique latine. L'avocat, quant à lui, est près de huit fois plus importé en 2020 qu'en 1980, selon les données combinées de l'Agritrop et d'Interfel.
Paris, capitale de la gastronomie étrangère
Le déclin du « manger français » au quotidien s'accompagne inversement de l'essor des cuisines du monde. Jérôme Fourquet, qui observe la mutation de la société française dans Métamorphoses françaises (Seuil, 2024), explique que ce processus est dû à « l'ouverture croissante de notre pays aux influences étrangères », mais aussi à une « appétence elle aussi croissante pour d'autres types de plats et d'alimentation ».
Ces effets de la mondialisation se vérifient en premier lieu à Paris, capitale française et ville-monde. « Dans certains quartiers, vous avez parfois plus vite fait de chercher quel restaurant n'est ni italien ni asiatique », note Claude Fischler, sociologue spécialiste des comportements alimentaires. Paris, vitrine de la cuisine française, s'affirme aussi comme « la capitale de la gastronomie étrangère », comme s'en félicite la municipalité sur son site Internet.

Il y a à Paris 1 020 restaurants italiens, 765 japonais et 420 chinois.© Apur/Mairie de Paris
D'après une étude de l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur), parmi les 6 000 restaurants traditionnels parisiens, 1 876 proposent de la gastronomie française, soit seulement 30 %. L'Apur dénombre par ailleurs 1 020 restaurants italiens, 765 japonais ou encore 420 chinois. Et ici, on ne compte même pas les kebaberies turques ou les fast-foods américains, qui relèvent de la catégorie du snacking.
Des pizzas, des McDo et des kebabs
Cet engouement pour la cuisine du monde dépasse bien sûr les frontières de la capitale. La « cartographie des goûts », une étude Ifop réalisée par Jérôme Fourquet et transmise au Point, montre que les couches d'influences culinaires étrangères accumulées au fil des années ont fini par sédimenter sur tout le territoire et séduisent de plus en plus, génération après génération. L'exemple de l'ancrage de la pizza est peut-être probant. Elle est appréciée par 36 % des personnes nées avant 1971 et plébiscité par 68 % des jeunes nés entre 1996 et 2002.
Le succès de ce plat est tel que les pizzerias font jeu égal avec les crêperies dans plusieurs villes de Bretagne, selon un décompte réalisé par l'Ifop. Les crêperies ne remportent le match qu'à Concarneau (15 crêperies contre 6 pizzerias) et à Vannes (22 contre 11), probablement parce que ce sont plutôt des communes touristiques où les visiteurs sont davantage en quête de gastronomie locale.
Autre couche de « sédimentation », celle venue des États-Unis. Le nombre d'établissements McDonald's implantés en France est passé de 103 en 1990 à 1 560 en 2024. Signe de son incroyable succès dans l'Hexagone, l'enseigne prévoit d'ouvrir 50 nouveaux « restaurants » en 2025, afin de permettre à chaque Français d'être à moins de vingt minutes d'un point de vente. Et, pendant que la France gagne des McDo, elle perd ses bistrots : de 200 000 en 1960, ils sont passés à moins de 40 000 en 2016.
Le kebab, sandwich d'origine turque à la viande grillée, souvent accompagné de son célèbre trio « salade-tomate-oignon », est lui aussi solidement implanté dans les habitudes culinaires des Français, surtout chez les jeunes. Toujours selon l'Ifop, les restaurants de kebabs sont fréquentés, de manière occasionnelle ou régulière, par 78 % des Français nés entre 1996 et 2002. « Le kebab a “grand remplacé” le jambon-beurre et le sec-cornichon », s'amuse le sociologue Julien Damon.
Boom du snacking et des livraisons
La « défrancisation des assiettes » ne se résume pas à une affaire de goût. Plusieurs phénomènes structurels entrent en jeu. Le temps est un critère crucial et « la cuisine traditionnelle française pâtit de la durée de ses préparations », explique le sociologue Claude Fischler. Le bœuf bourguignon réclame au minimum deux heures de marinade, auxquelles s'ajoutent deux heures de cuisson. Ce niveau d'exigence ne correspond plus à nos modes de vie urbains, surtout en semaine. « C'est sur la diminution du temps consacré au repas et à sa préparation qu'ont prospéré la restauration hors domicile et la mode du snacking », observe Jérôme Fourquet.
Le boom des livraisons de repas à domicile, surtout observé depuis la crise du Covid-19, affecte lui aussi le « manger français ». « Quand on commande, c'est systématiquement un plat américain ou asiatique, ce n'est jamais une blanquette de veau ou une choucroute », observe l'essayiste Pierre Valentin, fondateur de Transmission, qui a récemment travaillé sur cette question pour son média en ligne proposant des conversations longues avec des intellectuels. Le baromètre 2019 Datalicious by Just Eat révélait justement que les plats les plus commandés via cette application étaient les pizzas (26,89 % des commandes cette année-là), suivies des spécialités japonaises (19,78 %), des burgers (16,46 %) et des plats indo-pakistanais (5,9 %).
Des plats moins compétitifs
Les nouvelles habitudes alimentaires n'expliquent pas tout. Le montant de l'addition est crucial, et il joue probablement en défaveur de la cuisine française authentique. Au restaurant, le coût moyen d'un burger, facile à préparer, est de seulement 12,02 euros selon Gira Conseil. Chez McDo, le prix d'un menu Big Mac tourne autour de 10 euros. En Île-de-France, un menu kebab avoisine les 10 euros également. Quant au prix moyen de la pizza en France, il s'établit à 12,09 euros selon Gira Conseil.
Selon le restaurateur Stéphane Manigold, c'est la classe politique qui aurait plongé le secteur de la restauration dans cette situation. « Le taux réduit de TVA sur la malbouffe a favorisé à la prolifération des fast-foods », mais aussi des restaurants proposant « du tout fait au détriment de la bouffe française », déplore le propriétaire de neuf établissements parisiens totalisant six étoiles au Guide Michelin.
Les fast-foods et les restaurants servant des plats « industrialisés » (comme le tartare sous gaz) ou standardisés (burger, pizza…) bénéficient du même taux de TVA réduit à 10 % que les restaurants traditionnels servant du « fait maison ». Or ces établissements, comme l'explique Stéphane Manigold, supportent un coût du travail beaucoup plus élevé – le « fait maison » réclame plus de préparation et donc de main-d'œuvre – représentant « entre 30 % et 50 % de leur chiffre d'affaires », contre « seulement 15 % quand c'est déjà tout fait ». Ce surcoût, répercuté sur les prix, rend la cuisine traditionnelle française moins compétitive.
Graines de chia et Instagram
L'hygiénisme est aussi passé par là, mais de manière paradoxale. D'un côté, comme l'assume Stéphane Manigold, « la France est devenue le pays de la malbouffe ». De l'autre, la consommation de vin et de plats en riches ne s'accorde plus avec les standards alimentaires actuels, plus axés sur le « healthy ».
« Tout le monde aspire à être mince et beau, ce qui pousse à privilégier les compléments alimentaires, le quinoa et les graines de chia plutôt que la blanquette de veau », observe Catherine Van Offelen, philosophe d'origine belge et naturalisée française.
La gastronomie traditionnelle est peut-être également victime de notre société de l'image. La blanquette de veau, servie dans son gros plat rempli de sauce, n'est pas très instagramable ! « Il y a toujours eu, dans la cuisine française d'apparat, une recherche formelle et esthétique. Mais c'étaient des plats spectaculaires qu'on apportait, pas des assiettes, décrypte Claude Fischler. La cuisine, comme la société, s'individualise et ce sont désormais des assiettes qu'on apporte maintenant à chacun et qui sont jugées. » Si les assiettes dressées, surtout dans les grands restaurants, correspondent aux critères d'Instagram, le plat familial et la cocotte apparaissent comme moins sexy.
Par Kévin Badeau
Bœuf bourguignon, coq au vin, ratatouille, quiche lorraine… Ces incontournables de la gastronomie française sont-ils voués à disparaître de nos assiettes ? En France, la cuisine traditionnelle qui, dans l'imaginaire collectif, est héritée de nos grands-mères et partagée en famille séduit de moins en moins.
Un exemple emblématique : la blanquette de veau. Dans La France sous nos yeux (Seuil, 2021), les auteurs Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely montrent que les amateurs de ce ragoût mijoté à la sauce blanche se font moins nombreux.
Seuls 28 % des jeunes nés entre 1996 et 2002 apprécient encore ce classique de la gastronomie française. C'est 12 points de moins que chez les personnes nées avant 1956 (40 %), une génération qui a peut-être lu les enquêtes du commissaire Maigret, héros de la littérature dont la blanquette était le plat préféré.
Il serait exagéré d'affirmer que les Français boudent leur cuisine hexagonale : 92 % d'entre eux ont d'elle une bonne opinion, selon un sondage Ipsos pour la sortie du Guide Michelin 2025. Et chaque classement des « dix plats préférés des Français » met à l'honneur des spécialités nationales comme la choucroute ou le cassoulet. Sauf que « préférés » ne veut pas forcément dire « consommés » au quotidien. Ni à l'extérieur ni à la maison.
Des cartes moins françaises
Ce moindre appétit pour les plats français se vérifie dans les brasseries populaires. On y retrouve encore les immanquables tartares de bœuf et steaks frites, mais certains plats comme l'andouillette ou le pot-au-feu se font plus rares. « Si les brasseries adoptent désormais des cartes moins françaises, c'est bien le signe que les plats traditionnels sont moins demandés », explique Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l'Ifop. Il est désormais plus certain d'y trouver des burgers (nés aux États-Unis), présents au menu de 85 % des 145 000 restaurants français avec service à table, selon les données de Gira Conseil.
Le pain et le vin, deux emblèmes de la gastronomie nationale, suivent eux aussi une pente descendante. La consommation de vin est passée de 46 millions d'hectolitres en 1970 à 24 millions en 2023, selon les données du Comité national des interprofessions des vins à appellation (CNIV). Celle de pain est passée de 325 grammes par jour dans les années 1950 à environ 120 grammes aujourd'hui, soit l'équivalent d'une demi-baguette, d'après l'Observatoire du pain. Certes, le déclin est mondial, mais la décrue relève presque de la crise de foi au pays de la sainte trinité « vin, pain et fromage ».
Du côté des fruits et légumes, la banane a supplanté la pomme en 2024, pour devenir le fruit le plus consommé en France. Ce fruit tropical originaire d'Asie, symbole de la mondialisation, bien que cultivé en Martinique et en Guadeloupe, est importé à 81 % d'Afrique, des Caraïbes et d'Amérique latine. L'avocat, quant à lui, est près de huit fois plus importé en 2020 qu'en 1980, selon les données combinées de l'Agritrop et d'Interfel.
Paris, capitale de la gastronomie étrangère
Le déclin du « manger français » au quotidien s'accompagne inversement de l'essor des cuisines du monde. Jérôme Fourquet, qui observe la mutation de la société française dans Métamorphoses françaises (Seuil, 2024), explique que ce processus est dû à « l'ouverture croissante de notre pays aux influences étrangères », mais aussi à une « appétence elle aussi croissante pour d'autres types de plats et d'alimentation ».
Ces effets de la mondialisation se vérifient en premier lieu à Paris, capitale française et ville-monde. « Dans certains quartiers, vous avez parfois plus vite fait de chercher quel restaurant n'est ni italien ni asiatique », note Claude Fischler, sociologue spécialiste des comportements alimentaires. Paris, vitrine de la cuisine française, s'affirme aussi comme « la capitale de la gastronomie étrangère », comme s'en félicite la municipalité sur son site Internet.

Il y a à Paris 1 020 restaurants italiens, 765 japonais et 420 chinois.© Apur/Mairie de Paris
D'après une étude de l'Atelier parisien d'urbanisme (Apur), parmi les 6 000 restaurants traditionnels parisiens, 1 876 proposent de la gastronomie française, soit seulement 30 %. L'Apur dénombre par ailleurs 1 020 restaurants italiens, 765 japonais ou encore 420 chinois. Et ici, on ne compte même pas les kebaberies turques ou les fast-foods américains, qui relèvent de la catégorie du snacking.
Des pizzas, des McDo et des kebabs
Cet engouement pour la cuisine du monde dépasse bien sûr les frontières de la capitale. La « cartographie des goûts », une étude Ifop réalisée par Jérôme Fourquet et transmise au Point, montre que les couches d'influences culinaires étrangères accumulées au fil des années ont fini par sédimenter sur tout le territoire et séduisent de plus en plus, génération après génération. L'exemple de l'ancrage de la pizza est peut-être probant. Elle est appréciée par 36 % des personnes nées avant 1971 et plébiscité par 68 % des jeunes nés entre 1996 et 2002.
Le succès de ce plat est tel que les pizzerias font jeu égal avec les crêperies dans plusieurs villes de Bretagne, selon un décompte réalisé par l'Ifop. Les crêperies ne remportent le match qu'à Concarneau (15 crêperies contre 6 pizzerias) et à Vannes (22 contre 11), probablement parce que ce sont plutôt des communes touristiques où les visiteurs sont davantage en quête de gastronomie locale.
Autre couche de « sédimentation », celle venue des États-Unis. Le nombre d'établissements McDonald's implantés en France est passé de 103 en 1990 à 1 560 en 2024. Signe de son incroyable succès dans l'Hexagone, l'enseigne prévoit d'ouvrir 50 nouveaux « restaurants » en 2025, afin de permettre à chaque Français d'être à moins de vingt minutes d'un point de vente. Et, pendant que la France gagne des McDo, elle perd ses bistrots : de 200 000 en 1960, ils sont passés à moins de 40 000 en 2016.
Le kebab, sandwich d'origine turque à la viande grillée, souvent accompagné de son célèbre trio « salade-tomate-oignon », est lui aussi solidement implanté dans les habitudes culinaires des Français, surtout chez les jeunes. Toujours selon l'Ifop, les restaurants de kebabs sont fréquentés, de manière occasionnelle ou régulière, par 78 % des Français nés entre 1996 et 2002. « Le kebab a “grand remplacé” le jambon-beurre et le sec-cornichon », s'amuse le sociologue Julien Damon.
Boom du snacking et des livraisons
La « défrancisation des assiettes » ne se résume pas à une affaire de goût. Plusieurs phénomènes structurels entrent en jeu. Le temps est un critère crucial et « la cuisine traditionnelle française pâtit de la durée de ses préparations », explique le sociologue Claude Fischler. Le bœuf bourguignon réclame au minimum deux heures de marinade, auxquelles s'ajoutent deux heures de cuisson. Ce niveau d'exigence ne correspond plus à nos modes de vie urbains, surtout en semaine. « C'est sur la diminution du temps consacré au repas et à sa préparation qu'ont prospéré la restauration hors domicile et la mode du snacking », observe Jérôme Fourquet.
Le boom des livraisons de repas à domicile, surtout observé depuis la crise du Covid-19, affecte lui aussi le « manger français ». « Quand on commande, c'est systématiquement un plat américain ou asiatique, ce n'est jamais une blanquette de veau ou une choucroute », observe l'essayiste Pierre Valentin, fondateur de Transmission, qui a récemment travaillé sur cette question pour son média en ligne proposant des conversations longues avec des intellectuels. Le baromètre 2019 Datalicious by Just Eat révélait justement que les plats les plus commandés via cette application étaient les pizzas (26,89 % des commandes cette année-là), suivies des spécialités japonaises (19,78 %), des burgers (16,46 %) et des plats indo-pakistanais (5,9 %).
Des plats moins compétitifs
Les nouvelles habitudes alimentaires n'expliquent pas tout. Le montant de l'addition est crucial, et il joue probablement en défaveur de la cuisine française authentique. Au restaurant, le coût moyen d'un burger, facile à préparer, est de seulement 12,02 euros selon Gira Conseil. Chez McDo, le prix d'un menu Big Mac tourne autour de 10 euros. En Île-de-France, un menu kebab avoisine les 10 euros également. Quant au prix moyen de la pizza en France, il s'établit à 12,09 euros selon Gira Conseil.
Selon le restaurateur Stéphane Manigold, c'est la classe politique qui aurait plongé le secteur de la restauration dans cette situation. « Le taux réduit de TVA sur la malbouffe a favorisé à la prolifération des fast-foods », mais aussi des restaurants proposant « du tout fait au détriment de la bouffe française », déplore le propriétaire de neuf établissements parisiens totalisant six étoiles au Guide Michelin.
Les fast-foods et les restaurants servant des plats « industrialisés » (comme le tartare sous gaz) ou standardisés (burger, pizza…) bénéficient du même taux de TVA réduit à 10 % que les restaurants traditionnels servant du « fait maison ». Or ces établissements, comme l'explique Stéphane Manigold, supportent un coût du travail beaucoup plus élevé – le « fait maison » réclame plus de préparation et donc de main-d'œuvre – représentant « entre 30 % et 50 % de leur chiffre d'affaires », contre « seulement 15 % quand c'est déjà tout fait ». Ce surcoût, répercuté sur les prix, rend la cuisine traditionnelle française moins compétitive.
Graines de chia et Instagram
L'hygiénisme est aussi passé par là, mais de manière paradoxale. D'un côté, comme l'assume Stéphane Manigold, « la France est devenue le pays de la malbouffe ». De l'autre, la consommation de vin et de plats en riches ne s'accorde plus avec les standards alimentaires actuels, plus axés sur le « healthy ».
« Tout le monde aspire à être mince et beau, ce qui pousse à privilégier les compléments alimentaires, le quinoa et les graines de chia plutôt que la blanquette de veau », observe Catherine Van Offelen, philosophe d'origine belge et naturalisée française.
La gastronomie traditionnelle est peut-être également victime de notre société de l'image. La blanquette de veau, servie dans son gros plat rempli de sauce, n'est pas très instagramable ! « Il y a toujours eu, dans la cuisine française d'apparat, une recherche formelle et esthétique. Mais c'étaient des plats spectaculaires qu'on apportait, pas des assiettes, décrypte Claude Fischler. La cuisine, comme la société, s'individualise et ce sont désormais des assiettes qu'on apporte maintenant à chacun et qui sont jugées. » Si les assiettes dressées, surtout dans les grands restaurants, correspondent aux critères d'Instagram, le plat familial et la cocotte apparaissent comme moins sexy.
Commentaire