Une historienne de la mode se penche sur le voile, vieil ornement du vestiaire féminin
A partir de cartes postales datant de 1900 à 1915, la designer Leyla Belkaid-Neri raconte l’histoire du voile dans toute sa diversité, culturelle et religieuse. Ou quand la mode permet de calmer les ardeurs idéologiques.

Catholique de la Valette, 1910, à Malte
Marie-Claude Martin
Tandis que les affiches de l’UDC continuent de susciter la polémique, le livre de Leyla Belkaïd, «Voiles» (Editions Vestipolis) tombe à point nommé. Il ne propose pas une énième indignation ou fureur aux grands débats qui agitent l’Europe en ce moment mais replace cette pièce ambivalente du vestiaire féminin dans une perspective historique.
Et que constate-t-on? D’abord, que l’Islam n’a pas le monopole du voile. Le croire ou le faire croire, c’est ignorer l’histoire, notre histoire. Le voile est commun aux trois religions, et se portait bien avant elles. Ensuite, qu’il est aussi objet de parure, de mode et d’identité, d’où sa persistance à travers les siècles.
Sujet frivole ou tabou
Voilà le premier constat de cet ouvrage beau et raffiné, premier d'une série de neuf (Collection Autres modes) tous consacrés à un élément de parure (peplos, corsets, pyjamas de plage, caftans etc.) dans le pourtour méditerranéen. La mode pour calmer les ardeurs idéologiques, l'idée est féconde et originale.
«Je suis frappée de voir à quel point tout ce qui touche au vestimentaire n’est jamais étudié à l’école, dit Leyla Belkaïd, théoricienne de la mode et designer. Soit le sujet est tabou parce qu’il touche au corps, soit il apparaît comme insignifiant et frivole. Pourtant, on peut lire l’histoire d’une civilisation, d’une culture, d’une population à travers ses aptitudes vestimentaires.»

A la croisée de trois continents
A partir de 65 cartes postales anciennes, collection que Leyla Belkaïd a elle-même constituée au gré de ses pérégrinations, l’auteure tente de comprendre l’énigme du voile, ses ambivalences et ses multiples avatars. Même si la chercheuse s’est penchée sur l’histoire de ce vêtement depuis l’antiquité, son ouvrage ne porte que sur une période très courte, de 1900 à 1915.
Pourquoi l’espace méditerranéen et pourquoi ce moment précis de l’histoire? «La Méditerranée parce qu’elle est à la croisée de trois continents, trois cultures et de trois religions, et que sa diversité culturelle est inouïe. Les années 1900-1915 parce qu’elles précèdent la première guerre mondiale qui engendrera des bouleversements sociaux importants et uniformisera notre vestiaire. Cette période témoigne des ultimes formes de traditions vernaculaires. Après, les grandes capitales de la mode donneront le ton.»

Objet de distinction
Si le titre se conjugue au pluriel, c’est qu’il n’y a pas un seul voile, symbolique et uniforme comme nous le connaissons aujourd’hui, mais plusieurs, tous différents, dans leurs drapés, leurs formats, leurs matières, leurs couleurs, leurs imprimés, leurs ornements et leurs appellations. D’une ville à l’autre, d’Istanbul à Venise, de Séville à Alger, le nom de cette parure change et sa manière de la porter aussi.
«Au sein même d’une petite communauté, comme la communauté juive du 14e siècle à Alger, selon qu’on est originaire de Livourne ou de Séville, il est différent.» Car le voile, dont la première fonction est de se protéger du soleil, est aussi un objet de distinction. En préservant la blancheur de la peau, première motivation pour le porter depuis l’époque païenne, il est un marqueur social important: la pâleur étant un signe d’aristocratie. Sans compter le fait qu’il est difficile de travailler aux champs avec un vêtement souvent entravant.
«Quand il s’est généralisé dans la société urbaine, les femmes l’ont sophistiqué pour chaque fois renouveler leurs différences. Elles l’ont agrémenté d’ornements, ont ajouté une tiare, surélevé leur coiffe, changer d’imprimés etc.»

Chasser le mauvais oeil
Mais l’aspect mode et fonctionnel du vêtement ne doit pas faire oublier sa fonction religieuse. Avant même l’apparition des trois monothéismes, on lui accordait déjà des pouvoirs magiques, notamment celui de chasser le mauvais œil. C’est pourquoi certains hommes le portaient, notamment en Afrique du nord. «Toutes les religions ont manipulé le voile» insiste Leyla Belkaïd, qui rappelle que l’Espagne du XVIe siècle a même poussé très loin les éléments de contraintes.
«Les femmes devaient porter un long voile noire et à l’intérieur de ce costume, une sorte de cloche qui leur effaçait les hanches et un corset qui leur écrasait les seins. Il fallait effacer tout signe de féminité. Une collerette blanche séparait également la tête du reste du corps alors que leurs chaussures, de plus de 20 centimètres, les obligeaient à marcher accompagnées pour ne pas tomber. La femme ne pouvait pas se voir.»
Le voile comme déguisement
Paradoxalement, cet anonymat, à condition qu’il fut moins tyrannique, a aussi servi leur liberté. C’est toute l’ambivalence du voile. Au 17e siècle, Lady Montagu, femme de l’ambassadeur d’Angleterre à Istanbul, remarque que sous leurs voiles, les femmes ne sont pas identifiables. Ce qui leur permet de tronquer leur identité, de baisser la vigilance de leur mari et d’aller et venir dans la ville sans être repérées.
L’écrivain Gérard de Nerval fait un constat similaire avec les Egyptiennes, d’autant plus séduisantes qu’elles sont mystérieuses. «Cela étant, précise Leyla Belkaïd, le discours sur le voile est toujours misogyne: ne pas voir le visage, ça ne va pas; mais le voir, ne va pas non plus.»

Le voile érotique
Mais d’abord pourquoi le voile? Pourquoi toute l’attention a-t-elle été portée sur cette pièce de vêtement plutôt que sur la jupe ou la chaussure. «Pour des raisons érotiques, lance l’historienne de la mode. Les cheveux rappellent la toison pubienne. Toutes les religions ont prôné la décence. Mais aussi parce que l’hygiène n’était pas celle d’aujourd’hui. Ne pouvant se laver les cheveux tous les jours, on les recouvrait. C’est une constante dans l’histoire que de se protéger la tête et les cheveux. Il n’y a guère que depuis trente ans que l’on se promène tête nue, les cheveux exposés à toutes sortes d’agressions et la peau menacée par les risques de mélanomes.»
Et la même de poursuivre, non sans malice: «Pour des raisons sanitaires et écologistes (les shampoings, teintures et autres produits capillaires sont polluants), la logique voudrait que l’on se couvre la tête et le visage. Mais pour se prémunir efficacement du soleil, il n’y a que l’ombrelle qu’utilisent les Japonaises ou le voile, totalement stigmatisé. Si les designers inventaient de nouveaux objets pour nous en protéger, je crois qu’ils feraient fortune.»
Objet tabou
Pour ce qui est des stylistes, malgré l’attirance que certains éprouvent pour le voile, objet esthétique qui a l’avantage de créer de l’espace entre le corps et le tissu, le sujet reste tabou. Comme la montré récemment l’affaire Diam’s, le voile a une connotation trop forte pour revenir sur les podiums même si l’accessoire de cet hiver, le snood, écharpe très large en maille qui peut recouvrir la tête, n’est pas sans évoquer celui de la madone du quattrocento.
«Voiles» de Leyla Belkaïd, éditions Vestipolis.
A partir de cartes postales datant de 1900 à 1915, la designer Leyla Belkaid-Neri raconte l’histoire du voile dans toute sa diversité, culturelle et religieuse. Ou quand la mode permet de calmer les ardeurs idéologiques.

Catholique de la Valette, 1910, à Malte
Marie-Claude Martin
Tandis que les affiches de l’UDC continuent de susciter la polémique, le livre de Leyla Belkaïd, «Voiles» (Editions Vestipolis) tombe à point nommé. Il ne propose pas une énième indignation ou fureur aux grands débats qui agitent l’Europe en ce moment mais replace cette pièce ambivalente du vestiaire féminin dans une perspective historique.
Et que constate-t-on? D’abord, que l’Islam n’a pas le monopole du voile. Le croire ou le faire croire, c’est ignorer l’histoire, notre histoire. Le voile est commun aux trois religions, et se portait bien avant elles. Ensuite, qu’il est aussi objet de parure, de mode et d’identité, d’où sa persistance à travers les siècles.
Sujet frivole ou tabou
Voilà le premier constat de cet ouvrage beau et raffiné, premier d'une série de neuf (Collection Autres modes) tous consacrés à un élément de parure (peplos, corsets, pyjamas de plage, caftans etc.) dans le pourtour méditerranéen. La mode pour calmer les ardeurs idéologiques, l'idée est féconde et originale.
«Je suis frappée de voir à quel point tout ce qui touche au vestimentaire n’est jamais étudié à l’école, dit Leyla Belkaïd, théoricienne de la mode et designer. Soit le sujet est tabou parce qu’il touche au corps, soit il apparaît comme insignifiant et frivole. Pourtant, on peut lire l’histoire d’une civilisation, d’une culture, d’une population à travers ses aptitudes vestimentaires.»

A la croisée de trois continents
A partir de 65 cartes postales anciennes, collection que Leyla Belkaïd a elle-même constituée au gré de ses pérégrinations, l’auteure tente de comprendre l’énigme du voile, ses ambivalences et ses multiples avatars. Même si la chercheuse s’est penchée sur l’histoire de ce vêtement depuis l’antiquité, son ouvrage ne porte que sur une période très courte, de 1900 à 1915.
Pourquoi l’espace méditerranéen et pourquoi ce moment précis de l’histoire? «La Méditerranée parce qu’elle est à la croisée de trois continents, trois cultures et de trois religions, et que sa diversité culturelle est inouïe. Les années 1900-1915 parce qu’elles précèdent la première guerre mondiale qui engendrera des bouleversements sociaux importants et uniformisera notre vestiaire. Cette période témoigne des ultimes formes de traditions vernaculaires. Après, les grandes capitales de la mode donneront le ton.»

Objet de distinction
Si le titre se conjugue au pluriel, c’est qu’il n’y a pas un seul voile, symbolique et uniforme comme nous le connaissons aujourd’hui, mais plusieurs, tous différents, dans leurs drapés, leurs formats, leurs matières, leurs couleurs, leurs imprimés, leurs ornements et leurs appellations. D’une ville à l’autre, d’Istanbul à Venise, de Séville à Alger, le nom de cette parure change et sa manière de la porter aussi.
«Au sein même d’une petite communauté, comme la communauté juive du 14e siècle à Alger, selon qu’on est originaire de Livourne ou de Séville, il est différent.» Car le voile, dont la première fonction est de se protéger du soleil, est aussi un objet de distinction. En préservant la blancheur de la peau, première motivation pour le porter depuis l’époque païenne, il est un marqueur social important: la pâleur étant un signe d’aristocratie. Sans compter le fait qu’il est difficile de travailler aux champs avec un vêtement souvent entravant.
«Quand il s’est généralisé dans la société urbaine, les femmes l’ont sophistiqué pour chaque fois renouveler leurs différences. Elles l’ont agrémenté d’ornements, ont ajouté une tiare, surélevé leur coiffe, changer d’imprimés etc.»

Chasser le mauvais oeil
Mais l’aspect mode et fonctionnel du vêtement ne doit pas faire oublier sa fonction religieuse. Avant même l’apparition des trois monothéismes, on lui accordait déjà des pouvoirs magiques, notamment celui de chasser le mauvais œil. C’est pourquoi certains hommes le portaient, notamment en Afrique du nord. «Toutes les religions ont manipulé le voile» insiste Leyla Belkaïd, qui rappelle que l’Espagne du XVIe siècle a même poussé très loin les éléments de contraintes.
«Les femmes devaient porter un long voile noire et à l’intérieur de ce costume, une sorte de cloche qui leur effaçait les hanches et un corset qui leur écrasait les seins. Il fallait effacer tout signe de féminité. Une collerette blanche séparait également la tête du reste du corps alors que leurs chaussures, de plus de 20 centimètres, les obligeaient à marcher accompagnées pour ne pas tomber. La femme ne pouvait pas se voir.»
Le voile comme déguisement
Paradoxalement, cet anonymat, à condition qu’il fut moins tyrannique, a aussi servi leur liberté. C’est toute l’ambivalence du voile. Au 17e siècle, Lady Montagu, femme de l’ambassadeur d’Angleterre à Istanbul, remarque que sous leurs voiles, les femmes ne sont pas identifiables. Ce qui leur permet de tronquer leur identité, de baisser la vigilance de leur mari et d’aller et venir dans la ville sans être repérées.
L’écrivain Gérard de Nerval fait un constat similaire avec les Egyptiennes, d’autant plus séduisantes qu’elles sont mystérieuses. «Cela étant, précise Leyla Belkaïd, le discours sur le voile est toujours misogyne: ne pas voir le visage, ça ne va pas; mais le voir, ne va pas non plus.»

Le voile érotique
Mais d’abord pourquoi le voile? Pourquoi toute l’attention a-t-elle été portée sur cette pièce de vêtement plutôt que sur la jupe ou la chaussure. «Pour des raisons érotiques, lance l’historienne de la mode. Les cheveux rappellent la toison pubienne. Toutes les religions ont prôné la décence. Mais aussi parce que l’hygiène n’était pas celle d’aujourd’hui. Ne pouvant se laver les cheveux tous les jours, on les recouvrait. C’est une constante dans l’histoire que de se protéger la tête et les cheveux. Il n’y a guère que depuis trente ans que l’on se promène tête nue, les cheveux exposés à toutes sortes d’agressions et la peau menacée par les risques de mélanomes.»
Et la même de poursuivre, non sans malice: «Pour des raisons sanitaires et écologistes (les shampoings, teintures et autres produits capillaires sont polluants), la logique voudrait que l’on se couvre la tête et le visage. Mais pour se prémunir efficacement du soleil, il n’y a que l’ombrelle qu’utilisent les Japonaises ou le voile, totalement stigmatisé. Si les designers inventaient de nouveaux objets pour nous en protéger, je crois qu’ils feraient fortune.»
Objet tabou
Pour ce qui est des stylistes, malgré l’attirance que certains éprouvent pour le voile, objet esthétique qui a l’avantage de créer de l’espace entre le corps et le tissu, le sujet reste tabou. Comme la montré récemment l’affaire Diam’s, le voile a une connotation trop forte pour revenir sur les podiums même si l’accessoire de cet hiver, le snood, écharpe très large en maille qui peut recouvrir la tête, n’est pas sans évoquer celui de la madone du quattrocento.
«Voiles» de Leyla Belkaïd, éditions Vestipolis.



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