par Andrew Wheatcroft, New York Times (USA) 29 janvier 2010 traduit de l'anglais par Djazaïri
BLOOD AND FAITH (Le sang et la foi)
L'épuration de l'Espagne musulmane, par Matthew Carr, 350 pp. The New Press
Qui se souvient des derniers survivants de l'Espagne musulmane, que les Espagnols appelaient avec mépris Morisques ( «petits Maures")? Ils font l'objet depuis une trentaine d'années d'études impressionnantes mais, à ce jour, aucune n'a pu franchir les murs du ghetto académique. Dans son livre équilibré et très complet, Matthew Carr présente leur tragique destinée à un public plus large.
"Blood and faith" est un splendide travail de synthèse. L'histoire commence avec les dix années de guerre - une croisade - pour s'emparer du royaume maure de Grenade. La victoire chrétienne de 1492 donna le signal de départ d'une longue épuration ethnique de la Sainte Espagne. Les Juifs Espagnols en furent les premières victimes; ils furent rapidement contraints à l'exil. L'autre minorité ethnique et religieuse de la péninsule ibérique, les Maures d'Espagne, posèrent un problème plus complexe.
Les maures vivaient depuis des siècles en Espagne et étaient réputés pour leur ardeur au travail et leurs compétences en tant qu'agriculteurs et artisans. Tout aristocrate propriétaire terrien connaissait le vieil adage qui disait "Quiconque a un Maure a de l'or," et des fortunes aristocratiques ont été construites sur ce principe simple: "Plus de Maures, plus de profit."
La lente rupture de ce vivre ensemble (convivencia) débuta avec le conquête de Grenade. El 1492, les Grenadins Musulmans furent intégrés contre leur gré dans l'Espagne chrétienne, ce qui n'alla pas sans difficultés. Pour la plupart, ils livrèrent sans relâche des combats d'arrière-garde pour défendre leur culture, leur foi musulmane et leurs institutions sociales, résistant à la conversion forcée au christianisme par tous les moyens possibles.
Ils représentaient un véritable danger pour l'Espagne chrétienne. La longue façade maritime de Grenade était une frontière ouverte aux Turcs Ottomans, les ennemis mortels de l'Espagne. En 1568, après plusieurs petites révoltes, une longue et sauvage guerre civile commença. Elle fur réprimée dans le sang vers 1571, marquant un point de non retour pour chaque camp. Au moins 80 000 Musulmans - hommes, femmes et enfants - furent déportés au coeur du pays chrétien. Sans rien résoudre. Certains auteurs de l'époque opposaient les "paisibles" Maures d'Aragon et de Castille avec les "sauvages" de Grenade, mais cette distinction s'avéra vite sans importance. Tous les Musulmans, paisibles ou sauvages, furent de plus en plus considérés par leurs voisins Chrétiens comme malfaisants et dangereux.
Qu'était un Morisque à leurs yeux? Un assassin, un voleur de grand chemin ou un bandit. Tous les Morisques devinrent des souillures pour l'Espagne catholique romaine, avec leurs rites musulmans secrets et leur mépris des valeurs de la majorité. Et comme les Juifs en 1492, ils étaient impurs, leur sang évidemment était un agent de corruption; leur simple présence en Espagne une abomination.
Dans les quatre décennies qui suivirent, les dirigeants Espagnols planifièrent de purger le pays de la menace musulmane. Des méthodes très diverses furent envisagées - noyade, castration, exil sur les côtes glaciales de Terre-Neuve. Au fil du temps, la résolution du gouvernement se renforça. La question n'était plus si, mais quand et comment. Finalement, entre 1609 et 1614, environ 300 000 Musulmans furent envoyés à marche forcée vers les côtes et embarqués dans des bateaux pour l'Afrique du Nord.
Carr, auteur de "Une histoire du terrorisme" relate de manière réaliste cette rupture, sans diaboliser cependant les Chrétiens ou les Musulmans. Il laisse entendre que le développement de la défiance mutuelle et la spirale de la violence furent les premières étincelles de l'expulsion finale. Il est pourtant impossible de lire son livre sans lui trouver une résonance dans notre époque.
Dans sa conclusion, "Un avertissement de l'histoire?", le message de Carr est net. le discours catastrophiste actuel en Europe - qui donne libre cours à des prophéties de désastre démographique causé par des Musulmans prolifiques - qui s'oriente vers l'idée d'un "holocauste à l'amiable," ainsi qu'un moine Dominicain du 17ème siècle appelait la solution finale de l'Espagne à son problème insoluble. Nous devrions être plus avisés..
Le dernier livre d'Andrew Wheatcroft est “The Enemy at the Gate: Habsburgs, Ottomans, and the Battle for Europe.” [L'ennemi à nos portes: les Habsbourg, les Ottomans et la bataille pour l'Europe]
Libellés : Allemagne, Andalousie, Espagne, Grenade, Habsbourg, Ibn Arabi, Inquisition, Islam, Morisques
BLOOD AND FAITH (Le sang et la foi)
L'épuration de l'Espagne musulmane, par Matthew Carr, 350 pp. The New Press
Qui se souvient des derniers survivants de l'Espagne musulmane, que les Espagnols appelaient avec mépris Morisques ( «petits Maures")? Ils font l'objet depuis une trentaine d'années d'études impressionnantes mais, à ce jour, aucune n'a pu franchir les murs du ghetto académique. Dans son livre équilibré et très complet, Matthew Carr présente leur tragique destinée à un public plus large.
"Blood and faith" est un splendide travail de synthèse. L'histoire commence avec les dix années de guerre - une croisade - pour s'emparer du royaume maure de Grenade. La victoire chrétienne de 1492 donna le signal de départ d'une longue épuration ethnique de la Sainte Espagne. Les Juifs Espagnols en furent les premières victimes; ils furent rapidement contraints à l'exil. L'autre minorité ethnique et religieuse de la péninsule ibérique, les Maures d'Espagne, posèrent un problème plus complexe.
Les maures vivaient depuis des siècles en Espagne et étaient réputés pour leur ardeur au travail et leurs compétences en tant qu'agriculteurs et artisans. Tout aristocrate propriétaire terrien connaissait le vieil adage qui disait "Quiconque a un Maure a de l'or," et des fortunes aristocratiques ont été construites sur ce principe simple: "Plus de Maures, plus de profit."
La lente rupture de ce vivre ensemble (convivencia) débuta avec le conquête de Grenade. El 1492, les Grenadins Musulmans furent intégrés contre leur gré dans l'Espagne chrétienne, ce qui n'alla pas sans difficultés. Pour la plupart, ils livrèrent sans relâche des combats d'arrière-garde pour défendre leur culture, leur foi musulmane et leurs institutions sociales, résistant à la conversion forcée au christianisme par tous les moyens possibles.
Ils représentaient un véritable danger pour l'Espagne chrétienne. La longue façade maritime de Grenade était une frontière ouverte aux Turcs Ottomans, les ennemis mortels de l'Espagne. En 1568, après plusieurs petites révoltes, une longue et sauvage guerre civile commença. Elle fur réprimée dans le sang vers 1571, marquant un point de non retour pour chaque camp. Au moins 80 000 Musulmans - hommes, femmes et enfants - furent déportés au coeur du pays chrétien. Sans rien résoudre. Certains auteurs de l'époque opposaient les "paisibles" Maures d'Aragon et de Castille avec les "sauvages" de Grenade, mais cette distinction s'avéra vite sans importance. Tous les Musulmans, paisibles ou sauvages, furent de plus en plus considérés par leurs voisins Chrétiens comme malfaisants et dangereux.
Qu'était un Morisque à leurs yeux? Un assassin, un voleur de grand chemin ou un bandit. Tous les Morisques devinrent des souillures pour l'Espagne catholique romaine, avec leurs rites musulmans secrets et leur mépris des valeurs de la majorité. Et comme les Juifs en 1492, ils étaient impurs, leur sang évidemment était un agent de corruption; leur simple présence en Espagne une abomination.
Dans les quatre décennies qui suivirent, les dirigeants Espagnols planifièrent de purger le pays de la menace musulmane. Des méthodes très diverses furent envisagées - noyade, castration, exil sur les côtes glaciales de Terre-Neuve. Au fil du temps, la résolution du gouvernement se renforça. La question n'était plus si, mais quand et comment. Finalement, entre 1609 et 1614, environ 300 000 Musulmans furent envoyés à marche forcée vers les côtes et embarqués dans des bateaux pour l'Afrique du Nord.
Carr, auteur de "Une histoire du terrorisme" relate de manière réaliste cette rupture, sans diaboliser cependant les Chrétiens ou les Musulmans. Il laisse entendre que le développement de la défiance mutuelle et la spirale de la violence furent les premières étincelles de l'expulsion finale. Il est pourtant impossible de lire son livre sans lui trouver une résonance dans notre époque.
Dans sa conclusion, "Un avertissement de l'histoire?", le message de Carr est net. le discours catastrophiste actuel en Europe - qui donne libre cours à des prophéties de désastre démographique causé par des Musulmans prolifiques - qui s'oriente vers l'idée d'un "holocauste à l'amiable," ainsi qu'un moine Dominicain du 17ème siècle appelait la solution finale de l'Espagne à son problème insoluble. Nous devrions être plus avisés..
Le dernier livre d'Andrew Wheatcroft est “The Enemy at the Gate: Habsburgs, Ottomans, and the Battle for Europe.” [L'ennemi à nos portes: les Habsbourg, les Ottomans et la bataille pour l'Europe]
Libellés : Allemagne, Andalousie, Espagne, Grenade, Habsbourg, Ibn Arabi, Inquisition, Islam, Morisques
