Jean Audibert a été ambassadeur de France en Algérie de février 1989 à septembre 1992. La maladie l'a empeché de rédiger ses mémoires mais pour autant il avait rédigé des notes que son épouse a bien voulus communiquer et puis un livre composé de toutes ces notes vient d'etre édité avec ce beau titre «Jamais Je N’ai Cessé D’apprendre l’Afrique» de Jean Audibert
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Le 27 janvier 1999, dans un cimetière de Provence, plusieurs dizaines de personnes, dont l’ambassadeur d’Algérie, Mohamed Ghoualmi, se recueillaient, silencieux, sur la dépouille mortelle de Jean Audibert. L’ex-ambassadeur de France en Algérie (février 1989-septembre 1992) venait de tirer sa révérence à l’âge de 72 ans, emportée par la maladie.
Versé à la retraite depuis son départ d’Alger, le diplomate s’est éclipsé sans avoir rédigé ses mémoires, rituel très prisé par les ambassadeurs de France au soir de leur carrière. «Il y pensait sérieusement mais sa santé déclinante l’en a empêché», a précisé au Quotidien d’Oran son épouse. Audibert n’en a pas moins légué, rangés dans sa bibliothèque, une variété de documents. Notes non publiées, communications informelles, discours de circonstance, entretiens de presse. Autant d’archives qui, a posteriori, constituent un précieux outil d’éclairage des politiques algérienne et africaine de Paris.
Réunis par son épouse, Andrée Dore-Audibert, ces documents ont paru cette semaine sous forme de livre (1). Une vingtaine d’entre eux évoquent, sur une centaine de pages, le chapitre algérien de la carrière d’Audibert. Un chapitre qui comprend, outre les trois ans et demi passés à la tête de l’Ambassade, les missions effectuées en Algérie en 1965, 1970, 1975 et 1981 au titre de haut fonctionnaire.
Encarté socialiste, conseiller de Mitterrand pour les affaires africaines pendant la première cohabitation Mitterrand-Chirac, Audibert rejoint la chancellerie de Hydra en février 1989. Il y arrive à une période mouvementée de l’histoire de l’Algérie. A Alger, les stigmates des évènements d’Octobre sont encore visibles et le paysage politique connaît un bouleversement sous l’effet de la constitution de février 1989.
Quand il est rappelé à Paris fin 1992, l’Algérie aura, entre-temps, connu les années les plus mouvementées de son histoire, des «péripéties difficiles» et des «alternances imprévisibles». Irruption du pluralisme politique et médiatique, montée de l’islamisme, retour au pays des figures de l’opposition, arrivée du FIS à la tête des APC/APW, agitation de la rue pendant la guerre du Golfe, grève insurrectionnelle de mai-juin 1991, interruption du processus législatif six mois plus tard, départ de Chadli, arrivée de Boudiaf, puis sa tragique fin de parcours.
Tout au long de son séjour algérien, l’ambassadeur s’est gardé de toute déclaration publique, contraint en cela par l’obligation de réserve. Tant qu’il était en poste à Alger, il «ne lâchait jamais rien aux journalistes», témoigne Antoine Glaser, préfacier du livre et spécialiste de l’Afrique. Mais il a écrit ou fait écrire par ses collaborateurs une infinité de «télégrammes diplomatiques» destinés au Quai d’Orsay et à l’Elysée.
François Mitterrand en lisait personnellement «les plus importants», précisera plus tard Jean Audibert dans un propos de presse. En général, le chef de l’Elysée était destinataire, tous sujets confondus, des seuls résumés faits, sous forme de notes, par ses conseillers, comme le rappelait récemment Jacques Attali (2). Frappés toujours des sceaux du secret et de la confidentialité, ces télégrammes ne seront pas consultables avant leur déclassification par le Quai d’Orsay. Pas avant une trentaine d’années, comme l’impose la loi hexagonale sur les archives.
Pour toute déclaration publique, Audibert a laissé les discours prononcés à la Villa des Oliviers, sa résidence, à l’occasion de la réception du 14 Juillet. Le diplomate en a tenu trois (1989, 1990 et 1992), alors que celui de 1992 a été annulé avec la réception, l’Algérie étant encore en deuil après l’assassinat de Mohamed Boudiaf.
Jamais médiatisés, ces discours donnent postérieurement une idée de ce qu’a été le regard officiel de Paris à des périodes décisives de la vie algérienne.
Dans le discours de 1989, Audibert s’attarde sur la Révolution française qui célèbre son bicentenaire. De l’Algérie, où il est en poste depuis à peine cinq mois, l’ambassadeur ne dit pas grand-chose. Si ce n’est une insistance sur le poids, toujours pesant, de l’histoire sur les relations bilatérales vingt-sept ans après la signature des Accords d’Evian.
Entre chaud et froid, avancées et reculs, les relations ont évolué en dents de scie. «Ce n’est pas toujours facile», admet Audibert qui explique: «Les affrontements et les drames de l’histoire récente entre l’Algérie et la France ont laissé trop de traces, trop de cicatrices, trop de blessures pour que nos relations accèdent à la sérénité».
Pour autant, l’ambassadeur reconnaît entamer ses fonctions sur fond «d’amélioration graduelle» après la «détérioration temporaire» et les «très grandes difficultés des années 1986, 1987 et 1988». Trois années au cours desquelles Paris et Alger ont divergé sur nombre de questions: contentieux sur le prix du gaz, contrat Bouygues pour la réalisation de projets ferroviaires, regain d’activité de l’opposition algérienne en France et attitude - jugée négative - de la presse parisienne pendant les évènements d’Octobre.
Daté du 14 Juillet 1990, le deuxième discours n’est pas sans intérêt pour l’historien de la relation bilatérale. Lorsque Audibert prend la parole, deux évènements auront imprimé l’histoire: la chute du Mur de Berlin et, localement, la victoire du FIS aux communales et wilayales. Ces élections, commente l’ambassadeur avec une certaine distance diplomatique, ont consacré, «à la surprise générale», l’irruption de nouveaux acteurs politiques «dont on n’avait pas auparavant évalué convenablement l’influence». «Toute période de changements radicaux est pour une collectivité nationale une période de flottement, de désarroi et de difficultés», observe-t-il dans une allusion à l’accession du FIS à la tête de la majorité des APC et APW. Au prix des précautions en vogue dans le langage diplomatique, Jean Audibert ajoute: «L’abandon des pratiques anciennes, même celles qui étaient les plus critiquables et les plus critiquées, ne suscite pas d’emblée l’adoption d’un comportement nouveau. Il heurte les habitudes, perturbe les routines, fait litière des facilités que l’on s’était ménagées».
Et l’ambassadeur de préciser, au moyen d’un raccourci diplomatique, ce que sera jusqu’à janvier 1992 la ligne officielle de Paris vis-à-vis de l’Algérie en turbulences: un soutien à Chadli Bendjedid contre la poussée islamiste. «La France est liée à l’Algérie, sur la base du consentement réciproque, par des relations commerciales importantes, par une coopération technique, culturelle et scientifique intense, par les intérêts politiques et stratégiques nés de la proximité méditerranéenne».
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Le 27 janvier 1999, dans un cimetière de Provence, plusieurs dizaines de personnes, dont l’ambassadeur d’Algérie, Mohamed Ghoualmi, se recueillaient, silencieux, sur la dépouille mortelle de Jean Audibert. L’ex-ambassadeur de France en Algérie (février 1989-septembre 1992) venait de tirer sa révérence à l’âge de 72 ans, emportée par la maladie.
Versé à la retraite depuis son départ d’Alger, le diplomate s’est éclipsé sans avoir rédigé ses mémoires, rituel très prisé par les ambassadeurs de France au soir de leur carrière. «Il y pensait sérieusement mais sa santé déclinante l’en a empêché», a précisé au Quotidien d’Oran son épouse. Audibert n’en a pas moins légué, rangés dans sa bibliothèque, une variété de documents. Notes non publiées, communications informelles, discours de circonstance, entretiens de presse. Autant d’archives qui, a posteriori, constituent un précieux outil d’éclairage des politiques algérienne et africaine de Paris.
Réunis par son épouse, Andrée Dore-Audibert, ces documents ont paru cette semaine sous forme de livre (1). Une vingtaine d’entre eux évoquent, sur une centaine de pages, le chapitre algérien de la carrière d’Audibert. Un chapitre qui comprend, outre les trois ans et demi passés à la tête de l’Ambassade, les missions effectuées en Algérie en 1965, 1970, 1975 et 1981 au titre de haut fonctionnaire.
Encarté socialiste, conseiller de Mitterrand pour les affaires africaines pendant la première cohabitation Mitterrand-Chirac, Audibert rejoint la chancellerie de Hydra en février 1989. Il y arrive à une période mouvementée de l’histoire de l’Algérie. A Alger, les stigmates des évènements d’Octobre sont encore visibles et le paysage politique connaît un bouleversement sous l’effet de la constitution de février 1989.
Quand il est rappelé à Paris fin 1992, l’Algérie aura, entre-temps, connu les années les plus mouvementées de son histoire, des «péripéties difficiles» et des «alternances imprévisibles». Irruption du pluralisme politique et médiatique, montée de l’islamisme, retour au pays des figures de l’opposition, arrivée du FIS à la tête des APC/APW, agitation de la rue pendant la guerre du Golfe, grève insurrectionnelle de mai-juin 1991, interruption du processus législatif six mois plus tard, départ de Chadli, arrivée de Boudiaf, puis sa tragique fin de parcours.
Tout au long de son séjour algérien, l’ambassadeur s’est gardé de toute déclaration publique, contraint en cela par l’obligation de réserve. Tant qu’il était en poste à Alger, il «ne lâchait jamais rien aux journalistes», témoigne Antoine Glaser, préfacier du livre et spécialiste de l’Afrique. Mais il a écrit ou fait écrire par ses collaborateurs une infinité de «télégrammes diplomatiques» destinés au Quai d’Orsay et à l’Elysée.
François Mitterrand en lisait personnellement «les plus importants», précisera plus tard Jean Audibert dans un propos de presse. En général, le chef de l’Elysée était destinataire, tous sujets confondus, des seuls résumés faits, sous forme de notes, par ses conseillers, comme le rappelait récemment Jacques Attali (2). Frappés toujours des sceaux du secret et de la confidentialité, ces télégrammes ne seront pas consultables avant leur déclassification par le Quai d’Orsay. Pas avant une trentaine d’années, comme l’impose la loi hexagonale sur les archives.
Pour toute déclaration publique, Audibert a laissé les discours prononcés à la Villa des Oliviers, sa résidence, à l’occasion de la réception du 14 Juillet. Le diplomate en a tenu trois (1989, 1990 et 1992), alors que celui de 1992 a été annulé avec la réception, l’Algérie étant encore en deuil après l’assassinat de Mohamed Boudiaf.
Jamais médiatisés, ces discours donnent postérieurement une idée de ce qu’a été le regard officiel de Paris à des périodes décisives de la vie algérienne.
Dans le discours de 1989, Audibert s’attarde sur la Révolution française qui célèbre son bicentenaire. De l’Algérie, où il est en poste depuis à peine cinq mois, l’ambassadeur ne dit pas grand-chose. Si ce n’est une insistance sur le poids, toujours pesant, de l’histoire sur les relations bilatérales vingt-sept ans après la signature des Accords d’Evian.
Entre chaud et froid, avancées et reculs, les relations ont évolué en dents de scie. «Ce n’est pas toujours facile», admet Audibert qui explique: «Les affrontements et les drames de l’histoire récente entre l’Algérie et la France ont laissé trop de traces, trop de cicatrices, trop de blessures pour que nos relations accèdent à la sérénité».
Pour autant, l’ambassadeur reconnaît entamer ses fonctions sur fond «d’amélioration graduelle» après la «détérioration temporaire» et les «très grandes difficultés des années 1986, 1987 et 1988». Trois années au cours desquelles Paris et Alger ont divergé sur nombre de questions: contentieux sur le prix du gaz, contrat Bouygues pour la réalisation de projets ferroviaires, regain d’activité de l’opposition algérienne en France et attitude - jugée négative - de la presse parisienne pendant les évènements d’Octobre.
Daté du 14 Juillet 1990, le deuxième discours n’est pas sans intérêt pour l’historien de la relation bilatérale. Lorsque Audibert prend la parole, deux évènements auront imprimé l’histoire: la chute du Mur de Berlin et, localement, la victoire du FIS aux communales et wilayales. Ces élections, commente l’ambassadeur avec une certaine distance diplomatique, ont consacré, «à la surprise générale», l’irruption de nouveaux acteurs politiques «dont on n’avait pas auparavant évalué convenablement l’influence». «Toute période de changements radicaux est pour une collectivité nationale une période de flottement, de désarroi et de difficultés», observe-t-il dans une allusion à l’accession du FIS à la tête de la majorité des APC et APW. Au prix des précautions en vogue dans le langage diplomatique, Jean Audibert ajoute: «L’abandon des pratiques anciennes, même celles qui étaient les plus critiquables et les plus critiquées, ne suscite pas d’emblée l’adoption d’un comportement nouveau. Il heurte les habitudes, perturbe les routines, fait litière des facilités que l’on s’était ménagées».
Et l’ambassadeur de préciser, au moyen d’un raccourci diplomatique, ce que sera jusqu’à janvier 1992 la ligne officielle de Paris vis-à-vis de l’Algérie en turbulences: un soutien à Chadli Bendjedid contre la poussée islamiste. «La France est liée à l’Algérie, sur la base du consentement réciproque, par des relations commerciales importantes, par une coopération technique, culturelle et scientifique intense, par les intérêts politiques et stratégiques nés de la proximité méditerranéenne».
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