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«Hommage à la foi et au courage» de Fernand Iveton

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  • «Hommage à la foi et au courage» de Fernand Iveton

    «Hommage à la foi et au courage» de Fernand Iveton qui fut le premier français à etre guillotiné le lundi 11 février 1957

    Son crime? Etre resté fidèle à ses frères algériens. Alors qu'on est venus le chercher pour le conduire à la potence , la voix de Fernand a retentis par ces cris " Tahia El Djazaïr!" et ensuite il a déclaré «La vie d’un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir. Et l’Algérie sera libre demain.» "L’Algérie libre vivra" sont les dernières paroles qu'il a prononcé avant que le couperet ne s'abatte sur son corps martyrisé.

    ====

    Sa mère, Incarnacion Gregori, née en Espagne, avait dix-sept ans quand elle lui donna le jour, à Alger, le samedi 12 juin 1926. Quand elle mourut, à peine deux ans plus tard, Pascal confia l’enfant au grand-père maternel, Fernando. Il avait trois ans quand son père se remaria. Sa belle-mère avait déjà deux enfants ; deux autres allaient naître par la suite.

    La famille s’installa sur les hauteurs du Clos Salembier (El Madania) à cinq kilomètres d’Alger. Le lieu n’avait commencé à être habité qu’au cours de ces années-là. Il n’y avait que des terrains en friche, quelques vignes et de rares maisons.

    Un propriétaire foncier, Lung, possédait une partie du Clos Salembier. Son domaine s’étendait à la Redoute (El Mouradia) et Birmandreis. En 1881, le peintre Auguste Renoir, parmi les maîtres de l’impressionnisme, peint le Ravin de la Femme sauvage.

    Dans les années 1920-1930, comme la Casbah, surpeuplée, ne pouvait accueillir plus d’habitants, des familles algériennes élirent domicile sur les terres en friche du Clos Salembier. Les Iveton figurent parmi ces nouveaux habitants. Durant longtemps, le quartier vécut à l’heure de la campagne. Il y avait des vaches et des chèvres, des crémiers faisaient la tournée pour ramasser le lait. Au fil du temps le quartier se peupla, on donna aux rues des noms de fleurs. Rue des Roses, rue des Coquelicots, les Iveton habitaient la rue des Lilas. Fernand alla à l’école du quartier. Elle se trouvait à Bellevue, entre le Clos Salembier et la Redoute. On l’appelait l’école Fenas. Un Européen avait fait don d’une maison dans laquelle huit classes avaient été installées. C’est là que Fernand prépara et obtint son certificat d’études primaires.

    A quelques dizaines de mètres de la famille Iveton, rue des Roses, vivait une famille, les Maillot. Ils s’étaient installés au Clos Salembier le 31 juillet 1931. Henri Maillot et Fernand Iveton devinrent des amis.

    Ainsi s’écoulèrent ces années entre le Clos Salembier et l’usine à gaz Lebon où Fernand fut embauché comme tourneur. Ahmed Akache qui allait devenir un des secrétaires du PCA connut, lui aussi, Fernand. «Iveton est l’un de ceux qui m’ont aidé à rester au parti. Il était profondément humaniste. En 1947, j’ai donc retrouvé Iveton dans le PCA, j’étais à l’aise. Je me souviens de ces réunions auxquelles participaient le père et le fils Iveton. Le fils contestait parfois l’autorité du père, le contredisait. Il savait ce qu’il voulait. Il avait une voix grave, sérieuse. Il avait des mouvements lents, mais sûrs, fermes. Un jour, j’étais en train de discuter avec Didouche Mourad qui était, lui aussi, du quartier.» Iveton est passé pendant que nous parlions. Didouche m’a dit : ‘celui-là n’est pas comme les autres, s’il y en avait eu beaucoup comme lui cela aurait changé bien des choses’». Iveton était un garçon un peu sentimental.

    Le dimanche, à la sortie des stades, il allait vendre des journaux.

    De son enfance, il gardait une passion pour le football. Il jouait régulièrement jusqu’en 1953 où sa santé se dégrada. Il disait qu’il avait attrapé un chaud et froid après un match de foot. Il partit en France, en Seine-et-Marne, pour s’y reposer. Il se soigna à l’hôpital de Lagny et habita à Annet dans une pension de famille «le Café bleu». C’est là qu’il rencontra Hélène, elle avait trente-deux ans. Ils se connaissaient depuis six mois, quand un jour, il lui dit : «Je m’en vais, je vous emmène.» L’affaire fut vite réglée. «Vous m’emmenez où ? A Alger. Mais pourquoi faire ? Mais pour qu’on se marie ! Je ne peux pas me marier ici, je suis en congé de maladie…» Le 13 janvier 1954, il repartit pour Alger. Toutes les semaines, il lui envoyait une lettre. Il cherchait un appartement. Linares, un ami de son père, louait la moitié de sa villa, mais il fallait donner un an de loyer d’avance. Yvette, demi-sœur de Fernand qui vivait à Sfax en Tunisie, avança la somme. Il passait son temps à préparer le logement dans l’attente de l’arrivée d’Hélène. Elle arriva un matin à cinq heures par le courrier de nuit. C’est ainsi qu’elle vint vivre au Clos Salembier, 73, rue des Coquelicots.

    En juillet 1954, à la fin de l’année scolaire, Jean-Claude rejoignit sa mère. Il avait quatorze ans. Il s’entendait bien avec Fernand. Il en fit son véritable père. Le lundi 25 juillet 1955, Fernand et Hélène se marièrent. Ce fut un mariage intime. Une amie d’Hélène et un copain de travail de Fernand furent témoins. Le matin, ils avaient travaillé et l’après-midi ils allèrent à la mairie d’Alger. Le Clos Salembier prit en ce temps-là l’apparence d’un quartier misérable.

    A proximité, le maire d’Alger, Jacques Chevalier, fit entreprendre la construction de la cité de la «pierre qui pleure», Diar El Mahçoul. Plus de trois cents familles furent déplacées de leur bidonville pour permettre le début des travaux. Elles se regroupèrent en plein centre du Clos Salembier.
    La mort d’Henri Maillot fut, pour Fernand, un déchirement. Elle ne put que l’inciter à vouloir aller plus loin dans l’action mais la vie continue.

    Le 5 juillet 1956, c’était un jeudi, une grève générale éclata à Alger, à l’appel du FLN. Elle marquait le cent vingt-sixième anniversaire du débarquement des troupes françaises à Sidi Ferruch. Fernand fut l’un des rares Européens à se joindre à la grève. Dès le lendemain, les sanctions tombèrent. Trois mille Algériens furent licenciés. Le samedi 7 juillet 1956, Fernand reçut une lettre recommandée, elle provenait de la direction de l’Electricité et gaz d’Algérie (EGA). «Monsieur, nous avons constaté que vous avez été absent sans motif au cours de la journée du jeudi 5 juillet 1956. Nous considérons que cette absence constitue une faute grave et nous décidons, en conséquence, en application de l’article 6, paragraphe 2, du statut national, de vous relever de votre service, avec privation totale de votre traitement à compter de la date de réception de la présente lettre recommandée et jusqu’à proposition de sanction par la commission compétente.»

    Fernand et Felix Collozi décident d’aller incendier des wagons d’alfa sur le port d’Alger. Ils se donnent rendez-vous juste après le couvre-feu. Ils ont quatre bouteilles d’essence. Felix pilote le scooter, Fernand est assis derrière. Quand ils arrivent sur la Route moutonnière, ils voient défiler des phares. Ce sont des blindés qui reviennent d’une importante opération militaire. «Rentrons, dit Fernand, on ne va tout même pas attaquer l’armée française avec quatre bouteilles d’essence.»

    Mercredi 14 novembre 1956. Fernand a rendez-vous avec Jacqueline Guerroudj.

    Il ignore son identité. Il doit la retrouver à 13h30 au ravin de la Femme sauvage. Le soir, il a rendez-vous à 19 heures, à côté de l’usine. Quelqu’un doit le conduire à un refuge avant qu’il ne gagne le maquis. Fernand sait qu’après l’attentat, il sera immédiatement suspecté. Il a été décidé qu’il disparaîtra d’Alger. L’homme qu’il doit retrouver, c’est Yahia Briki. Celui-ci doit le conduire dans une cache de la Casbah.

    Jacqueline Guerroudj a rendez-vous avec Taleb Abderrahmane. Ensemble, ils vont régler les deux bombes chez des Européens à Hussein Dey. L’une est réglée à 19h25. L’autre à 19h30. Il y a deux papiers. Sur le premier est écrit : «Entre 19h25 et 19h30» et au verso : «Avance du déclic 5 minutes.» Sur le second : «Entre 19h25 et 19h30» au verso : «Avance du déclic 7 minutes.» Chaque bombe se trouve dans une caissette en bois, longue de quarante centimètres et haute de dix. Dans chaque caissette, il y a un réveil branché sur deux piles. Le tic-tac fait du bruit. Sur une bombe, Taleb Abderrahmane écrit : «Betty» ; sur l’autre : «Jacqueline» à 11 heures. Fernand demande à un vieil ouvrier, Matahar, la clé d’un local désaffecté dans lequel personne ne va jamais. Il prétend vouloir y faire la sieste. C’est là que, finalement, il décide de déposer les bombes avant de les installer sur les lieux de l’attentat. A Midi, il quitte l’usine en compagnie de deux amis, tous les deux chauffeurs à l’EGA : Mohamed Oukacine et Fernand Ghebboub. Ils ignorent les projets de Fernand.

  • #2
    A 13h30, comme convenu, il retrouve Jacqueline Guerroudj. Elle circule à bord d’une Panhard bleue. Fernand est, en apparence, très détendu. Elle lui tend les deux papiers préparés par Taleb Abderrahmane. Il les lit, les met dans sa poche. Elle lui donne les deux bombes pour qu’il les fasse rentrer dans le sac de basket. C’est trop volumineux. «Le contremaître se méfie de moi, dit-il, je ne peux pas prendre les deux bombes.» Il en garde donc une seule dans son sac. Jacqueline Guerroudj l’accompagne un bout de chemin en voiture. Elle le dépose assez loin de l’usine pour ne pas être vue en sa compagnie. Elle se demande ce qu’elle va pouvoir faire de cette deuxième bombe qui lui reste sur les bras. A 14 heures, Fernand pénètre dans l’usine, suivant Oukacine et Ghebboub. Il porte son sac sur l’épaule. Il se dirige vers le local désaffecté. Il y dépose le sac dans un placard. Se rend-il compte que dans ce local vide l’horlogerie s’entend beaucoup ? C’est probable. Mais puisque personne n’y vient jamais, il n’y a rien à craindre. Il n’a pas remarqué que le contremaître, Oriol, celui qui se méfie de lui, l’a suivi et l’a vu entrer dans le local avec son sac et en ressortir les mains vides.

    Oriol prévient le contremaître principal, Carrio. Tous les deux se rendent dans le local. Ils entendent la minuterie. L’ingénieur Maurel est prévenu. Il alerte le directeur de l’usine.

    Le téléphone sonne au commissariat du 12e arrondissement d’Alger (Ruisseau), il est 16h45. Le commissaire Hugh répond. Au bout du fil, il y a le directeur de l’usine du Hamma : «J’ai vu le communiste Iveton déposer un paquet suspect dans un des placards de l’usine ; venez vite ! c’est peut-être très grave.»

    Le commissaire contacte l’officier commandant des patrouilles de l’arrondissement, le sous-lieutenant Loiseau. Ce dernier désigne une patrouille de trois soldats de l’armée de l’air. Les premières classes, Marcel Jolivet, Michel Desombre, Paul Watel, se rendent à l’usine. Ils trouvent le sac de plage, la bombe à l’intérieur. Il est 16h20. Pendant ce temps, la police arrive. L’usine est bouclée. Fernand est arrêté, fouillé, sur lui on trouve les deux papiers. Il y a donc une deuxième bombe, où est-elle ? Fernand est amené au Commissariat central d’Alger,boulevard Baudin (Cl. Amirouche) et là commencèrent les tortures les plus atroces.

    Au cours de cet interrogatoire, Fernand donne de faux renseignements pour protéger ses camarades. Le lundi 19 novembre 1956 dans la soirée, Fernand quitte le Commissariat central du boulevard Baudin. On le met au secret dans une cellule de la prison de Barberousse.

    Mardi 20 novembre 1956, la nouvelle est officielle : Fernand va être jugé par un tribunal militaire des flagrants délits. Les décrets 56-268 et 56-269 adoptés en mars, lui sont appliqués.

    Le samedi 24 novembre 1956, on tond Fernand, on lui rase sa moustache, il est méconnaissable. Il est huit heures quand le procès commence au tribunal militaire, rue Cavaignac à Alger.

    L’officier de justice militaire de première classe, Roynard, préside le tribunal avec l’uniforme de «colonel» quand Fernand entre dans le box des accusés, encadré par des gendarmes, Hélène ne le reconnaît pas tout de suite. Il lui faut un petit moment pour se rendre à l’évidence. C’est bien lui ! «Ce n’est pas possible ! se dit-elle. Dans quel état ils l’ont mis […].»

    Le président Roynard lit l’acte d’accusation. Il conclut par ces mots : «Sans circonstances atténuantes, vous risquez la peine de mort.»
    Il procède à l’interrogatoire d’identité et demande :
    «Vous étiez l’ami de l’ex-aspirant Henri Maillot ?
    - C’est exact, j’étais son ami intime.
    - Pourquoi avez-vous adhéré à un groupe clandestin ?
    -J’ai décidé cela parce que je me considérais comme Algérien et que je n’étais pas insensible à la lutte que mène le peuple algérien.»

    Le tribunal se retire pour délibérer. Il doit répondre à deux questions. Iveton est-il coupable d’avoir tenté de détruire à l’aide d’explosifs des édifices ? Lesdits édifices étaient-ils habités ou servaient-ils d’habitations ?

    Il est 16h45, le président Roynard rend le verdict. Fernand Iveton est condamné à mort.
    «Ne pleure pas ! Ne pleure pas ! Ils seraient trop heureux de te voir pleurer», se répète Hélène. Elle serre le bras de sa belle-mère pour qu’elle, aussi, ne pleure pas. Tout d’un coup elle ne peut plus marcher. Elle s’accroche au bras de Pascal. «Je ne peux plus avancer, lui dit-elle, tirez-moi !» Son beau-père d’un côté, sa belle-mère de l’autre, elle sort du tribunal. «On pleurera à la maison, mais pas ici», répète-t-elle.

    Le mardi 27 novembre 1956, Hélène se rend à la prison de Barberousse pour voir Fernand. Devant la prison, une cinquantaine de personnes attendent l’heure des visites. On la reconnaît. «Bonjour, madame Iveton !» Certains l’applaudissent. Les gens s’écartent. «C’est la femme à Iveton ! Laissez passer, c’est la femme à Iveton !»
    Lundi 3 décembre 1956, le tribunal de cassation militaire d’Alger se réunit. Il est quinze heures. Charles Laïnné défend le dossier.
    Il conteste la compétence du tribunal militaire ainsi que la procédure qui a été employée.

    Le pourvoi en cassation de Fernand est rejeté. Le lundi 11 février 1957, il est environ quatre heures du matin. Un car de police vient chercher Albert Smadja à son domicile. Alger a encore deux heures à vivre sous le couvre-feu. L’avocat est conduit jusqu’à la prison. Là, dans la cour, la guillotine a été dressée. Le commissaire du gouvernement et d’autres militaires sont présents. Il y a également Charles Laïnné et Jules Declercq. Dort-il quand les gardiens entrent brusquement dans la cellule 22 ? Se jettent-ils sur lui, à trois ou quatre ? L’attrapent-ils par les bras et les jambes ? Le poussent-ils en lui tordant violemment les bras dans le dos ?

    Dans le couloir, il crie! «Tahia El Djazaïr!» Vive l’Algérie ! Abdelkader Guerroudj entend ce cri, Felix Collozi également. Mais qui le lance ? Il est conduit au greffe de la prison. Il déclare : «La vie d’un homme, la mienne, compte peu. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir. Et l’Algérie sera libre demain.» Ses deux compagnons le rejoignent. De toute la prison des cris montent, s’amplifient. Les femmes accrochées aux barreaux de leurs fenêtres pour que leurs voix portent plus loin, chantent des nachids.
    On commence à savoir qui est conduit à la guillotine. C’est Fernand Iveton ! Ils sortent tous les trois dans la cour.
    Albert Smadja les voit venir. Fernand est vêtu d’un maillot de corps, d’un pantalon, de pataugas. Des gardiens lui tiennent les mains derrière le dos. Il échange quelques mots avec ses avocats. Il parle à l’oreille de Jules Declercq qui lui donne l’absolution. Les trois condamnés s’embrassent. «Iveton, mon frère», dit l’un d’eux à Fernand. La Casbah s’est éveillée.
    Elle entend. Elle comprend. Des terrasses s’élèvent les youyous des femmes. Cris de joie pour les martyrs qui vont mourir. Fernand crie : «L’Algérie libre vivra.» Il est face à la guillotine. Face à celui que la rumeur appelle «Monsieur d’Alger» Maurice Meyssonier.

    Fernand Meyssonnier, professionnel de la mort et fils de Monsieur d’Alger, dira plus tard : «Iveton fut un condamné à mort marchant droit, impeccable, courageux, jusqu’au couperet.»
    On lui lie les mains dans le dos. Charles Laïnné s’agenouille. Il prie. Albert Smadja détourne la tête. Il pleure. Il est 5h10 quand la vie de l’ancien gamin du Clos Salembier est tranchée. Deux autres militants l’ont suivi sur l’échafaud. Lakhneche Mohamed, 5h12. Ouennouni Mohamed, 5h13.
    Equipe des exécuteurs à l’aube de ce lundi 11 février 1957 :
    - exécuteur en chef, Meyssonnier Maurice (Monsieur d’Alger)
    - premier adjoint, Carrier Marcel
    - adjoint, Daudet Justin
    - adjoint, Fortin Bernard
    - adjoint, Riera Pierre.

    Par T. E.-H., La tribune

    * Ancien combattant du Clos Salembier (d’après J.-L. Einaudi)

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