Slimane Zeghidour, 57 ans, était cette semaine à Alger pour animer, au Centre culturel français, (CCF) une conférence sur «La diaspora arabe en Amérique latine». Il est chargé de cours à l’Institut des sciences politiques (Menton) où il enseigne la «géopolitique des religions ». Il est également chercheur associé à l’Institut de Recherches Internationales et Stratégiques (IRIS).
Slimane Zeghidour, qui est rédacteur en chef de la chaîne francophone TV5 Monde, est auteur de plusieurs ouvrages : La Poésie arabe moderne, entre l’Islam et l’Occident ; Le Voile et la bannière ; L’Homme qui voulait rencontrer Dieu ; La Mecque au cœur du pèlerinage et 50 mots de l’Islam.
En février 2004, il a publié dans le Nouvel Observateur un dossier sur les évangéliques, La secte qui veut conquérir le monde. Ce dossier a scandalisé les adeptes de ce courant néo-protestant très présent parmi les conservateurs américains et matérialisé par le mouvement «born again» auquel appartient l’ex-président George W. Bush.
-La diaspora arabe en Amérique latine peut-elle changer positivement des choses pour le monde arabe ?
Il ne s’agit pas d’une diaspora en attente d’un rôle salvateur du monde arabe. Elle vit sa vie, et ce, depuis déjà 130 ans. Elle participe amplement à la vie politique, culturelle et politique de l’Amérique latine. Bien sûr, elle se prévaut fièrement, mais sans surenchère compensatrice de quelque rancœur post-coloniale ; elle est, je dirais, fière dans des baskets arabes, tout étant parfaitement «latinos». Les Etats d’Amérique latine – on doit ce concept géographique à la France de Napoléon III, soucieuse de démarquer un Nouveau Monde latin d’un Nord du continent anglo-saxon – ne demandent qu’à étoffer leurs relations avec les pays arabes. Il n’y a qu’à voir la multiplication des ambassades en dépit de la minceur des rapports politiques, culturels et économiques.
Il faudrait peut-être que les élites arabes cessent de scruter l’horizon en quête d’un secours, d’une aide, d’un sauveur ou de quelque grand frère protecteur. Les relations cela se tisse, se tricote, au jour le jour, suivant un plan, une vision géopolitique. Il existe, notamment en Argentine, au Brésil, au Venezuela et au Chili une géopolitique du monde arabe, thématisée, conceptualisée et mise en pratique avec méthode et esprit de suite. Je ne sache pas que l’inverse existe, mis à part des initiatives ponctuelles. Le Brésil a organisé, l’été 2005 à Brasilia, le premier sommet des Etats latino-américains et arabes : l’on n’y a vu qu’un chef d’Etat arabe sur cinq !
-Le monde arabe n’est-il pas intéressé avoir des relations avec cette région du monde ?
Vous parlez du monde arabe ? Vous ne croyez pas qu’il s’agit d’un concept vacillant, à en juger par le déclin de la Ligue arabe, déclin si abyssal qu’on a fini par considérer comme un succès en soi le simple fait de réunir un sommet des «frères»... Un exemple ? Un Latino peut circuler d’un bout à l’autre du continent sans visa et pourra acheter des journaux de son pays d’origine dans chacune des capitales. Rien de tel dans les pays arabes où il faut non seulement des visas mais où l’on subit souvent des vexations aux frontières, sans parler des journaux et livres qui butent, eux aussi, sur les frontières politiques mais également mentales et idéologiques.
-Dans quels domaines,cette diaspora est-elle présente : les arts, la politique, les affaires ?
Il y a eu huit chefs d’Etat ce dernier quart de siècle, le premier fut Turbay Ayala en Colombie et le dernier Toni Elias Saca – qui l’a emporté mi-2006 contre un autre Palestinien, Chafik Handal! –, entre-temps il y aura eu Carlos Menem en Argentine, Abdalla Bucaram suivi de Jamil Muhawad en Equateur, Faccusé au Honduras, Jaime Majluta en République dominicaine et Edward Seaga en Jamaïque, dans les Caraïbes... C’est la première fois depuis la découverte du Nouveau Monde que des non-Latins, en l’occurrence des Arabes – et le Japonais Fujimori, au Pérou – accèdent au sommet des Etats. On trouve donc des «fils d’Arabes» sur tout l’échiquier politique, de la droite dure à la gauche radicale, exemple Sergio Haddad, un des concepteurs du sommet altermondial de Porto Alegre. Sur le plan littéraire, non seulement l’Arabe est souvent le héros central d’un roman –Chronique d’une mort annoncée de Garcia Marquez, Gabriela, girofle et cannelle de Jorge Amado – mais on ne compte plus les auteurs issus de l’immigration arabe et qui s’en inspirent. Citons déjà ceux qui sont traduits en français : Raduan Nassar, Gregorio Manzur, Juan José Saer, Gabriel Zaid, Carlos Najar...
-Ont-ils gardé l’usage de la langue arabe ?
Non, ou si peu, sauf chez les derniers arrivants, des chiites du Liban-Sud et qui ont établi de solides et prospères communautés au sud du Brésil, à Foz de Iguaçu, à la lisière des frontières du Paraguay et de l’Argentine. Là, on parle arabe, on l’étudie à l’école, on y imprime des journaux. Il faut dire que les liens avec les pays d’origine n’ont jamais été forts. Les liaisons aériennes sont quasiment inexistantes, les réseaux diplomatiques maigrichons et plutôt inadaptés. Qu’importe, l’immigration arabe fait souche et recette : il m’a suffi, il y a trente ans, à Sao Paulo, d’un déjeuner avec le grand éditeur Caio Graco pour obtenir son accord afin d’en rédiger une histoire succincte. Ce que j’ai fait aussitôt. Depuis, l’ouvrage a été réédité cinq fois et étudié dans les lycées.
-Quand vous parlez d’intégration parfaite, cela peut être un modèle dans un pays comme la France où les questions d’immigration sont toujours au cœur des débats…
Je dirais qu’il s’agit d’une expérience plus que d’un modèle. L’Amérique latine est, selon moi, et je parle de vécu, l’unique région au monde – et j’y inclus le monde arabe – où le mot «arabe» est spontanément connoté positivement, rimant avec richesse, culture, bien-être, insertion heureuse ! Elle n’a pas la même histoire que le vieux continent qui l’a vu naître et encore moins que la France, pays qui a forgé son unité politique en broyant et en assimilant à la hussarde, les peuples et les cultures à partir de l’Ile de France. L’Europe fut le continent qui projeta le plus d’immigrés aux quatre coins de l’univers cinq siècles durant, depuis la découverte de l’Amérique. Sans elle, il n’y aurait pas eu d’Australie, d’Etats-Unis ni... d’Amérique latine. Aujourd’hui, épuisée mais riche et apaisée, elle se retrouve, à son corps défendant et sans s’y être préparée, elle se retrouve donc terre d’immigration à son tour, qui plus est vouée à accueillir des populations de son ex-empire colonial. Des immigrants porteurs d’une mémoire partagée mais si douloureuse. Elle s’y fera, mais elle accouchera tôt ou tard et au forceps d’une nouvelle Europe métissée, unique occasion pour elle de rester un modèle pour la planète, ce qu’elle n’a pas cessé d’être depuis un demi-millénaire.
-Les Européens ont clairement besoin de migrants pour faire fonctionner l’économie
Le débat bruyant sur l’immigration n’est pas sociologique, c’est un enjeu électoral pour des classes politiques qui n’ont plus vraiment de solutions originales pour sortir du marasme économique, social, culturel. La Commission européenne, elle, admet qu’il faut des millions d’immigrants pour assurer la relève des populations et maintenir l’élan créatif du continent. Ce constant n’apporte rien au plan électoral tandis que le discours sur «l’invasion rampante» peut encore rapporter ou, à tout le moins, servir de diversion. Pour un temps..
Slimane Zeghidour, qui est rédacteur en chef de la chaîne francophone TV5 Monde, est auteur de plusieurs ouvrages : La Poésie arabe moderne, entre l’Islam et l’Occident ; Le Voile et la bannière ; L’Homme qui voulait rencontrer Dieu ; La Mecque au cœur du pèlerinage et 50 mots de l’Islam.
En février 2004, il a publié dans le Nouvel Observateur un dossier sur les évangéliques, La secte qui veut conquérir le monde. Ce dossier a scandalisé les adeptes de ce courant néo-protestant très présent parmi les conservateurs américains et matérialisé par le mouvement «born again» auquel appartient l’ex-président George W. Bush.
-La diaspora arabe en Amérique latine peut-elle changer positivement des choses pour le monde arabe ?
Il ne s’agit pas d’une diaspora en attente d’un rôle salvateur du monde arabe. Elle vit sa vie, et ce, depuis déjà 130 ans. Elle participe amplement à la vie politique, culturelle et politique de l’Amérique latine. Bien sûr, elle se prévaut fièrement, mais sans surenchère compensatrice de quelque rancœur post-coloniale ; elle est, je dirais, fière dans des baskets arabes, tout étant parfaitement «latinos». Les Etats d’Amérique latine – on doit ce concept géographique à la France de Napoléon III, soucieuse de démarquer un Nouveau Monde latin d’un Nord du continent anglo-saxon – ne demandent qu’à étoffer leurs relations avec les pays arabes. Il n’y a qu’à voir la multiplication des ambassades en dépit de la minceur des rapports politiques, culturels et économiques.
Il faudrait peut-être que les élites arabes cessent de scruter l’horizon en quête d’un secours, d’une aide, d’un sauveur ou de quelque grand frère protecteur. Les relations cela se tisse, se tricote, au jour le jour, suivant un plan, une vision géopolitique. Il existe, notamment en Argentine, au Brésil, au Venezuela et au Chili une géopolitique du monde arabe, thématisée, conceptualisée et mise en pratique avec méthode et esprit de suite. Je ne sache pas que l’inverse existe, mis à part des initiatives ponctuelles. Le Brésil a organisé, l’été 2005 à Brasilia, le premier sommet des Etats latino-américains et arabes : l’on n’y a vu qu’un chef d’Etat arabe sur cinq !
-Le monde arabe n’est-il pas intéressé avoir des relations avec cette région du monde ?
Vous parlez du monde arabe ? Vous ne croyez pas qu’il s’agit d’un concept vacillant, à en juger par le déclin de la Ligue arabe, déclin si abyssal qu’on a fini par considérer comme un succès en soi le simple fait de réunir un sommet des «frères»... Un exemple ? Un Latino peut circuler d’un bout à l’autre du continent sans visa et pourra acheter des journaux de son pays d’origine dans chacune des capitales. Rien de tel dans les pays arabes où il faut non seulement des visas mais où l’on subit souvent des vexations aux frontières, sans parler des journaux et livres qui butent, eux aussi, sur les frontières politiques mais également mentales et idéologiques.
-Dans quels domaines,cette diaspora est-elle présente : les arts, la politique, les affaires ?
Il y a eu huit chefs d’Etat ce dernier quart de siècle, le premier fut Turbay Ayala en Colombie et le dernier Toni Elias Saca – qui l’a emporté mi-2006 contre un autre Palestinien, Chafik Handal! –, entre-temps il y aura eu Carlos Menem en Argentine, Abdalla Bucaram suivi de Jamil Muhawad en Equateur, Faccusé au Honduras, Jaime Majluta en République dominicaine et Edward Seaga en Jamaïque, dans les Caraïbes... C’est la première fois depuis la découverte du Nouveau Monde que des non-Latins, en l’occurrence des Arabes – et le Japonais Fujimori, au Pérou – accèdent au sommet des Etats. On trouve donc des «fils d’Arabes» sur tout l’échiquier politique, de la droite dure à la gauche radicale, exemple Sergio Haddad, un des concepteurs du sommet altermondial de Porto Alegre. Sur le plan littéraire, non seulement l’Arabe est souvent le héros central d’un roman –Chronique d’une mort annoncée de Garcia Marquez, Gabriela, girofle et cannelle de Jorge Amado – mais on ne compte plus les auteurs issus de l’immigration arabe et qui s’en inspirent. Citons déjà ceux qui sont traduits en français : Raduan Nassar, Gregorio Manzur, Juan José Saer, Gabriel Zaid, Carlos Najar...
-Ont-ils gardé l’usage de la langue arabe ?
Non, ou si peu, sauf chez les derniers arrivants, des chiites du Liban-Sud et qui ont établi de solides et prospères communautés au sud du Brésil, à Foz de Iguaçu, à la lisière des frontières du Paraguay et de l’Argentine. Là, on parle arabe, on l’étudie à l’école, on y imprime des journaux. Il faut dire que les liens avec les pays d’origine n’ont jamais été forts. Les liaisons aériennes sont quasiment inexistantes, les réseaux diplomatiques maigrichons et plutôt inadaptés. Qu’importe, l’immigration arabe fait souche et recette : il m’a suffi, il y a trente ans, à Sao Paulo, d’un déjeuner avec le grand éditeur Caio Graco pour obtenir son accord afin d’en rédiger une histoire succincte. Ce que j’ai fait aussitôt. Depuis, l’ouvrage a été réédité cinq fois et étudié dans les lycées.
-Quand vous parlez d’intégration parfaite, cela peut être un modèle dans un pays comme la France où les questions d’immigration sont toujours au cœur des débats…
Je dirais qu’il s’agit d’une expérience plus que d’un modèle. L’Amérique latine est, selon moi, et je parle de vécu, l’unique région au monde – et j’y inclus le monde arabe – où le mot «arabe» est spontanément connoté positivement, rimant avec richesse, culture, bien-être, insertion heureuse ! Elle n’a pas la même histoire que le vieux continent qui l’a vu naître et encore moins que la France, pays qui a forgé son unité politique en broyant et en assimilant à la hussarde, les peuples et les cultures à partir de l’Ile de France. L’Europe fut le continent qui projeta le plus d’immigrés aux quatre coins de l’univers cinq siècles durant, depuis la découverte de l’Amérique. Sans elle, il n’y aurait pas eu d’Australie, d’Etats-Unis ni... d’Amérique latine. Aujourd’hui, épuisée mais riche et apaisée, elle se retrouve, à son corps défendant et sans s’y être préparée, elle se retrouve donc terre d’immigration à son tour, qui plus est vouée à accueillir des populations de son ex-empire colonial. Des immigrants porteurs d’une mémoire partagée mais si douloureuse. Elle s’y fera, mais elle accouchera tôt ou tard et au forceps d’une nouvelle Europe métissée, unique occasion pour elle de rester un modèle pour la planète, ce qu’elle n’a pas cessé d’être depuis un demi-millénaire.
-Les Européens ont clairement besoin de migrants pour faire fonctionner l’économie
Le débat bruyant sur l’immigration n’est pas sociologique, c’est un enjeu électoral pour des classes politiques qui n’ont plus vraiment de solutions originales pour sortir du marasme économique, social, culturel. La Commission européenne, elle, admet qu’il faut des millions d’immigrants pour assurer la relève des populations et maintenir l’élan créatif du continent. Ce constant n’apporte rien au plan électoral tandis que le discours sur «l’invasion rampante» peut encore rapporter ou, à tout le moins, servir de diversion. Pour un temps..
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