"Le juge d'instruction est un emmerdeur, ou n'est pas." C'est ainsi que le magistrat Marc Trévidic définit sa mission dans son livre Au coeur de l'antiterrorisme , à paraître chez Jean-Claude Lattès. Cet ouvrage de 400 pages sort en pleine polémique entre Nicolas Sarkozy et les magistrats. Chargé d'enquêter sur l'attentat de Karachi et la mort des moines de Tibéhirine, le juge dénonce ici les méfaits de la raison d'Etat et explique pourquoi la France est à nouveau l'objet de sérieuses menaces d'attentat.
Il est rare qu'un magistrat antiterroriste en activité se confesse dans un livre. Pourquoi le faites-vous?
J'ai pris un risque car le résultat ne plaira pas forcément à tout le monde. Pour écrire Au coeur de l'antiterrorisme, mieux valait être à l'intérieur. Je suis magistrat depuis vingt ans et j'ai instruit des affaires de droit commun ou financier. Par mes enquêtes actuelles, j'ai élargi mon champ de vision à l'islamisme radical, à la politique. Ajoutons une motivation plus personnelle à tout cela. Dans mon métier, j'éprouvais un certain ras-le-bol... Le livre m'a permis de remettre les choses à leur place.
A quel ras-le-bol faites-vous allusion?
Je me suis rendu compte que les juges d'instruction bataillaient pour faire avancer les dossiers, tout en étant confrontés au manque de moyens, à la pression et aux attentes des victimes... Pour rien. En 2009, le président de la République a exigé la suppression de l'instruction. Et quelques jours plus tard, à l'audience de rentrée, le président du tribunal de grande instance de Paris s'est lancé dans des attaques contre ces mêmes juges, stigmatisant l'attitude irresponsable, selon lui, de certains d'entre eux. Tout cela pour appuyer la volonté de Nicolas Sarkozy. Depuis, je ne mets plus les pieds dans une audience solennelle de rentrée.
Pourquoi avoir mené ce combat contre la suppression du juge d'instruction, dont l'image a été écornée par l'affaire d'Outreau?
C'est peut-être mon côté Breton têtu mais je n'étais pas seul. Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas d'un combat corporatiste: il en va de la crédibilité des enquêtes pénales. Les investigations sensibles ne peuvent pas être dirigées par un procureur de la République sous l'autorité du pouvoir politique. Si on souhaite opter pour un système sans juges d'instruction, se pose au préalable la question de l'indépendance du ministère public. Confiez la lutte antiterroriste aux seules mains du parquet hiérarchisé en période de crise, et on embastillera à tour de bras!
Foi d'ancien parquetier?
Bien sûr. La police qui interpelle et le parquet qui poursuit dépendent du même pouvoir exécutif. S'il y a un attentat demain en France, il faudra à tout prix des résultats... et vite. Moi, quand j'étais au parquet et que ma hiérarchie me donnait l'ordre de déférer quelqu'un, j'obéissais, et ce n'était que l'application logique du système hiérarchique légalement prévu.
Vous roulez pour la gauche?
Je ne suis pas anti-Sarko. En tant que président de l'Association française des magistrats instructeurs, je n'épouse pas la vision de la justice développée par l'entourage du chef de l'Etat. Non, les magistrats ne sont pas responsables des crimes commis en France. Ils font ce qu'ils peuvent avec les moyens qu'on leur donne. Je vais vous faire une confidence: j'aimerais retrouver l'envie de voter... A force de taper sur la justice, Nicolas Sarkozy risque de me donner l'envie de m'orienter vers des gens qui respectent l'institution.
Vous dites vous tenir éloigné de la politique. Est-ce possible dans les affaires que vous instruisez dès lors que les Etats sont la cible des terroristes?
C'est le coeur de ce livre. Mon travail ne relève ni de la diplomatie, ni du renseignement. Je suis un juge à 100%. Je travaille de la même façon que dans mes précédents postes. Les seuls hommes politiques que je connaisse sont ceux qui passent dans mon bureau. Et j'ai tendance à croire que l'antiterrorisme ne s'en porte pas plus mal. Cela n'induit pas pour autant une dictature du juge. Hommes politiques, agents de renseignement, magistrats... Chacun à sa place.
Vous revendiquez une certaine empathie avec les parties civiles. N'y a-t-il pas de risque d'instrumentalisation lorsque, derrière le dossier de l'attentat de Karachi en 2002, apparaissent des attaques contre le chef de l'Etat...
J'en ai parfaitement conscience. La loi m'interdit de donner ma position et d'argumenter. Les parties civiles, elles, ont le droit de s'exprimer et de rapporter ce que leur a dit le juge. Le seul à pouvoir communiquer reste le parquet, hiérarchiquement dépendant du pouvoir. Mais cette communication officielle s'apparente parfois à une communication à la soviétique.
Dans cette affaire, l'arrêt du versement de commissions par la France est une "piste cruellement logique", selon vous. Avez-vous prononcé cette phrase?
La formule est assez forte. Ça ne signifie pas pour autant que c'est la seule piste, ni que c'est forcément la bonne. Les investigations seront longues.
Comptez-vous vous rendre au Pakistan ?
Il faut toujours se rendre sur les lieux du crime. Il y a des gens à entendre et des procédures à consulter. Ensuite, c'est un problème de timing. Peut-être faut-il attendre les élections au Pakistan prévues dans un an? En tout cas, y aller est inévitable. Comme il est indispensable de se rendre un jour en Algérie pour l'affaire des moines de Tibéhirine!
Vous tentez d'élucider les conditions de leur assassinat, en 1996.
Qu'avez-vous pensé du film Des hommes et des dieux évoquant le destin tragique de ces religieux?
Il y a tellement de morts dans les affaires terroristes... Dans votre cabinet, ils vous environnent, d'une façon immatérielle. Ils sont là dans chacun des tomes qui s'entassent dans les placards. C'est très troublant de les voir revivre à l'écran, de suivre en gros plan ces visages. Je dois dire que c'est à la fois émouvant et motivant.
Dans vos dossiers, vous vous heurtez souvent à la notion de "secret défense". La raison d'Etat est, écrivez-vous, l'"oraison funèbre" d'une enquête...
Le Parlement a abdiqué ses responsabilités sur la question du secret défense. La mission parlementaire sur l'attentat de Karachi s'est ainsi vu refuser des documents classifiés sans s'indigner outre mesure, excepté l'un des membres de cette mission. Je suis sidéré par cette situation! Quant à la commission chargée d'examiner les demandes des juges, elle donne un simple avis. Elle ne dispose d'aucun pouvoir d'investigation, ni d'injonction. La décision relève du seul ministre. La création d'une "juridiction du secret défense" est plus que jamais nécessaire. Composée de magistrats extérieurs au dossier, elle serait chargée de déterminer la pertinence de la demande des juges.
A suivre...
Il est rare qu'un magistrat antiterroriste en activité se confesse dans un livre. Pourquoi le faites-vous?
J'ai pris un risque car le résultat ne plaira pas forcément à tout le monde. Pour écrire Au coeur de l'antiterrorisme, mieux valait être à l'intérieur. Je suis magistrat depuis vingt ans et j'ai instruit des affaires de droit commun ou financier. Par mes enquêtes actuelles, j'ai élargi mon champ de vision à l'islamisme radical, à la politique. Ajoutons une motivation plus personnelle à tout cela. Dans mon métier, j'éprouvais un certain ras-le-bol... Le livre m'a permis de remettre les choses à leur place.
A quel ras-le-bol faites-vous allusion?
Je me suis rendu compte que les juges d'instruction bataillaient pour faire avancer les dossiers, tout en étant confrontés au manque de moyens, à la pression et aux attentes des victimes... Pour rien. En 2009, le président de la République a exigé la suppression de l'instruction. Et quelques jours plus tard, à l'audience de rentrée, le président du tribunal de grande instance de Paris s'est lancé dans des attaques contre ces mêmes juges, stigmatisant l'attitude irresponsable, selon lui, de certains d'entre eux. Tout cela pour appuyer la volonté de Nicolas Sarkozy. Depuis, je ne mets plus les pieds dans une audience solennelle de rentrée.
Pourquoi avoir mené ce combat contre la suppression du juge d'instruction, dont l'image a été écornée par l'affaire d'Outreau?
C'est peut-être mon côté Breton têtu mais je n'étais pas seul. Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas d'un combat corporatiste: il en va de la crédibilité des enquêtes pénales. Les investigations sensibles ne peuvent pas être dirigées par un procureur de la République sous l'autorité du pouvoir politique. Si on souhaite opter pour un système sans juges d'instruction, se pose au préalable la question de l'indépendance du ministère public. Confiez la lutte antiterroriste aux seules mains du parquet hiérarchisé en période de crise, et on embastillera à tour de bras!
Foi d'ancien parquetier?
Bien sûr. La police qui interpelle et le parquet qui poursuit dépendent du même pouvoir exécutif. S'il y a un attentat demain en France, il faudra à tout prix des résultats... et vite. Moi, quand j'étais au parquet et que ma hiérarchie me donnait l'ordre de déférer quelqu'un, j'obéissais, et ce n'était que l'application logique du système hiérarchique légalement prévu.
Vous roulez pour la gauche?
Je ne suis pas anti-Sarko. En tant que président de l'Association française des magistrats instructeurs, je n'épouse pas la vision de la justice développée par l'entourage du chef de l'Etat. Non, les magistrats ne sont pas responsables des crimes commis en France. Ils font ce qu'ils peuvent avec les moyens qu'on leur donne. Je vais vous faire une confidence: j'aimerais retrouver l'envie de voter... A force de taper sur la justice, Nicolas Sarkozy risque de me donner l'envie de m'orienter vers des gens qui respectent l'institution.
Vous dites vous tenir éloigné de la politique. Est-ce possible dans les affaires que vous instruisez dès lors que les Etats sont la cible des terroristes?
C'est le coeur de ce livre. Mon travail ne relève ni de la diplomatie, ni du renseignement. Je suis un juge à 100%. Je travaille de la même façon que dans mes précédents postes. Les seuls hommes politiques que je connaisse sont ceux qui passent dans mon bureau. Et j'ai tendance à croire que l'antiterrorisme ne s'en porte pas plus mal. Cela n'induit pas pour autant une dictature du juge. Hommes politiques, agents de renseignement, magistrats... Chacun à sa place.
Vous revendiquez une certaine empathie avec les parties civiles. N'y a-t-il pas de risque d'instrumentalisation lorsque, derrière le dossier de l'attentat de Karachi en 2002, apparaissent des attaques contre le chef de l'Etat...
J'en ai parfaitement conscience. La loi m'interdit de donner ma position et d'argumenter. Les parties civiles, elles, ont le droit de s'exprimer et de rapporter ce que leur a dit le juge. Le seul à pouvoir communiquer reste le parquet, hiérarchiquement dépendant du pouvoir. Mais cette communication officielle s'apparente parfois à une communication à la soviétique.
Dans cette affaire, l'arrêt du versement de commissions par la France est une "piste cruellement logique", selon vous. Avez-vous prononcé cette phrase?
La formule est assez forte. Ça ne signifie pas pour autant que c'est la seule piste, ni que c'est forcément la bonne. Les investigations seront longues.
Comptez-vous vous rendre au Pakistan ?
Il faut toujours se rendre sur les lieux du crime. Il y a des gens à entendre et des procédures à consulter. Ensuite, c'est un problème de timing. Peut-être faut-il attendre les élections au Pakistan prévues dans un an? En tout cas, y aller est inévitable. Comme il est indispensable de se rendre un jour en Algérie pour l'affaire des moines de Tibéhirine!
Vous tentez d'élucider les conditions de leur assassinat, en 1996.
Qu'avez-vous pensé du film Des hommes et des dieux évoquant le destin tragique de ces religieux?
Il y a tellement de morts dans les affaires terroristes... Dans votre cabinet, ils vous environnent, d'une façon immatérielle. Ils sont là dans chacun des tomes qui s'entassent dans les placards. C'est très troublant de les voir revivre à l'écran, de suivre en gros plan ces visages. Je dois dire que c'est à la fois émouvant et motivant.
Dans vos dossiers, vous vous heurtez souvent à la notion de "secret défense". La raison d'Etat est, écrivez-vous, l'"oraison funèbre" d'une enquête...
Le Parlement a abdiqué ses responsabilités sur la question du secret défense. La mission parlementaire sur l'attentat de Karachi s'est ainsi vu refuser des documents classifiés sans s'indigner outre mesure, excepté l'un des membres de cette mission. Je suis sidéré par cette situation! Quant à la commission chargée d'examiner les demandes des juges, elle donne un simple avis. Elle ne dispose d'aucun pouvoir d'investigation, ni d'injonction. La décision relève du seul ministre. La création d'une "juridiction du secret défense" est plus que jamais nécessaire. Composée de magistrats extérieurs au dossier, elle serait chargée de déterminer la pertinence de la demande des juges.
A suivre...
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