Les positions ont commencé à se radicaliser lorsque des échos étaient parvenus en France mettant en cause la pratique de la torture par les services de renseignements, des informations qui faisaient réagir un certains nombre d’intellectuels français qui avaient pris part dans la métropole au combat libérateur du FLN.
Une brillante conférence à l’Institut culturel français d’Alger, animée par le directeur du centre d’histoire de sciences politique M. Jean-François Sirenelli, suivie d’une projection de films documentaires présentés par Mme Joëlle Olivier du service des archives audiovisuelles de l’INA ont consacré l’après-midi de jeudi dernier à l’examen de la mémoire historique française à travers les positionnements de bons nombres d’intellectuels durant la guerre d’Algérie. Un après-midi riche en interventions durant lequel le professeur Sirenelli qui a captivé l’attention de l’auditoire a commencé la première séance en se réjouissant d’être en présence du public algérien pour discourir à travers l’histoire culturelle française d’un thème aussi passionnant que captivant et toujours controversé. Un sujet que ce dernier a considéré immense par sa portée idéologique et politique s’agissant du rôle des intellectuels face au conflit ouvert engendré par le déclenchement de la lutte armée dans l’Algérie coloniale. «Ces intellectuels à un titre ou à un autre qui se sont saisis de ce conflit ont signé des pétitions d’un côté ou de l’autre, mais de surcroît il ya une deuxième raison qui rend ce sujet particulièrement important : c’est qu’ un certain nombre de ces intellectuels se sont engagés comme on dit dans le vocabulaire des intellectuels et ont été parfois marqués par cet engagement», dira-t-il au début de son intervention avant de donner la définition sociologique que recouvre le mot intellectuel : «C’est un homme, une femme qui contribue à la création ou à la diffusion de la culture. Un scientifique autant qu’un écrivain. Un cinéaste autant qu’un plasticien». Pour dégager l’essentiel de l’histoire de la guerre d’Algérie vue du côté français, une guerre effroyable et dure qui s’est étalée sur 8 ans (entre 1954 et 1962), l’orateur brossera d’abord le tableau de la généalogie de la problématique pour expliquer ce que sont ces intellectuels et quelles sont les questions qui étaient les leurs au moment où commence la guerre.
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, le conférencier parlera d’abord de l’histoire du mot intellectuel dans la longue tradition française qu’il a fait remonter à l’affaire Dreyfus en 1898. Une affaire qui a pris les allures d’une grande question d’Etat et où un écrivain comme Emile Zola s’était distingué par sa fameuse lettre insérée dans le quotidien l’Aurore intitulée J’accuse. Un article retentissant qui poussera les intellectuels français à s’engager publiquement dans cette affaire judiciaire qui avait été à l’origine de la parole des intellectuels dans un débat civique. «Par-delà cette intervention individuelle, dès le lendemain de la sortie de l’article, on va avoir une pétition d’intellectuels qui signeront un texte collectif pour soutenir l’intervention de Zola. «Ces intellectuels s’engagent au nom de valeurs comme celle de vérité, de justice et de remise en liberté d’un homme.
Ce sont des valeurs universalistes», explique l’intervenant qui n’oublie pas de mentionner qu’a l’issue de cette affaire, d’autres intellectuels opposés à ces derniers mettront en avant la défense de l’Armée puisque Dreyfus a été accusé de trahison. Ces intellectuels plutôt conservateurs et nationalistes étaient dans le camp de la droite. «L’affaire Dreyfus est considérée comme la scène primitive de l’entrée des intellectuels dans la vie politique française. Dans la généalogie que je suis en train de dessiner, il y a un tournant dans l’histoire des intellectuels, précisément au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Une grande partie des intellectuels de droite est profondément ébranlée. Leurs idées sont largement délégitimée, et ce sont les intellectuels de gauche qui auront la cote jusqu’aux années 1970», affirme l’intervenant.
A la libération, un certain nombre d’entre eux vont proclamer le devoir d’engagement — une notion sur laquelle l’historien reviendra tout au long de sa conférence — et c’est Jean-Paul Sartre alors âgé de 40 ans qui va promouvoir ce concept parce que dans les années 1945, le monde est alors parcouru par deux ondes de choc qui sont les mouvements de décolonisation — la France étant le deuxième empire colonial du monde à cette époque et la question de la guerre froide va provoquer une fracture géopolitique du monde où il faut choisir son camp. L’appellation «guerre d’Algérie», qui a été tout récemment adoptée par les autorités françaises vers la fin des années 1990, car jusqu’alors on préférait parler des événements d’Algérie sans mentionner explicitement qu’il s’agissait d’une guerre, rend très complexe pour l’historien cette recherche de la position des intellectuels qui va changer progressivement au cours des 8 années de guerre en fonction du changement des enjeux politiques. Un certains nombre de personnalités au moment du déclenchement de la guerre, y compris les républicains de gauche, prônaient l’alternative du statu quo en recourant parfois à l’utilisation de la force, convaincus de la mission civilisatrice de la France. Tandis qu’un intellectuel comme Sartre prendra, dès le début du conflit, le parti de l’indépendance pour des raisons idéologiques et politiques. Ainsi qu’un Raymond Aron, mais pour des raisons économiques et démographiques, il choisira la libération de l’Algérie alors qu’on sait que c’était un intellectuel de droite qui publiait des articles dans le Figaro et qu’il s’était intéressé à la question en publiant la Tragédie algérienne. Quant à Albert Camus, sa position ambigüe est celle d’un pied-noir d’Algérie et d’un écrivain et philosophe qui apparaît déchiré et écartelé par ce conflit. Pour notre conférencier, ce dernier ne se sentait pas solidaire des moyens entrepris par les combattants algériens alors que chacun sait qu’il avait été le premier intellectuel issu de la colonie à dénoncer la misère et la pauvreté dans certaines régions de Kabylie.
Mais les positions ont commencé à se radicaliser lorsque des échos étaient parvenus en France mettant en cause la pratique de la torture par les services de renseignements, des informations qui faisaient réagir un certains nombre d’intellectuels français qui avaient pris part dans la métropole au combat libérateur du FLN à l’instar du procès des porteurs de valises avec le réseau Jeanson.
Lynda Graba
Une brillante conférence à l’Institut culturel français d’Alger, animée par le directeur du centre d’histoire de sciences politique M. Jean-François Sirenelli, suivie d’une projection de films documentaires présentés par Mme Joëlle Olivier du service des archives audiovisuelles de l’INA ont consacré l’après-midi de jeudi dernier à l’examen de la mémoire historique française à travers les positionnements de bons nombres d’intellectuels durant la guerre d’Algérie. Un après-midi riche en interventions durant lequel le professeur Sirenelli qui a captivé l’attention de l’auditoire a commencé la première séance en se réjouissant d’être en présence du public algérien pour discourir à travers l’histoire culturelle française d’un thème aussi passionnant que captivant et toujours controversé. Un sujet que ce dernier a considéré immense par sa portée idéologique et politique s’agissant du rôle des intellectuels face au conflit ouvert engendré par le déclenchement de la lutte armée dans l’Algérie coloniale. «Ces intellectuels à un titre ou à un autre qui se sont saisis de ce conflit ont signé des pétitions d’un côté ou de l’autre, mais de surcroît il ya une deuxième raison qui rend ce sujet particulièrement important : c’est qu’ un certain nombre de ces intellectuels se sont engagés comme on dit dans le vocabulaire des intellectuels et ont été parfois marqués par cet engagement», dira-t-il au début de son intervention avant de donner la définition sociologique que recouvre le mot intellectuel : «C’est un homme, une femme qui contribue à la création ou à la diffusion de la culture. Un scientifique autant qu’un écrivain. Un cinéaste autant qu’un plasticien». Pour dégager l’essentiel de l’histoire de la guerre d’Algérie vue du côté français, une guerre effroyable et dure qui s’est étalée sur 8 ans (entre 1954 et 1962), l’orateur brossera d’abord le tableau de la généalogie de la problématique pour expliquer ce que sont ces intellectuels et quelles sont les questions qui étaient les leurs au moment où commence la guerre.
Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, le conférencier parlera d’abord de l’histoire du mot intellectuel dans la longue tradition française qu’il a fait remonter à l’affaire Dreyfus en 1898. Une affaire qui a pris les allures d’une grande question d’Etat et où un écrivain comme Emile Zola s’était distingué par sa fameuse lettre insérée dans le quotidien l’Aurore intitulée J’accuse. Un article retentissant qui poussera les intellectuels français à s’engager publiquement dans cette affaire judiciaire qui avait été à l’origine de la parole des intellectuels dans un débat civique. «Par-delà cette intervention individuelle, dès le lendemain de la sortie de l’article, on va avoir une pétition d’intellectuels qui signeront un texte collectif pour soutenir l’intervention de Zola. «Ces intellectuels s’engagent au nom de valeurs comme celle de vérité, de justice et de remise en liberté d’un homme.
Ce sont des valeurs universalistes», explique l’intervenant qui n’oublie pas de mentionner qu’a l’issue de cette affaire, d’autres intellectuels opposés à ces derniers mettront en avant la défense de l’Armée puisque Dreyfus a été accusé de trahison. Ces intellectuels plutôt conservateurs et nationalistes étaient dans le camp de la droite. «L’affaire Dreyfus est considérée comme la scène primitive de l’entrée des intellectuels dans la vie politique française. Dans la généalogie que je suis en train de dessiner, il y a un tournant dans l’histoire des intellectuels, précisément au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Une grande partie des intellectuels de droite est profondément ébranlée. Leurs idées sont largement délégitimée, et ce sont les intellectuels de gauche qui auront la cote jusqu’aux années 1970», affirme l’intervenant.
A la libération, un certain nombre d’entre eux vont proclamer le devoir d’engagement — une notion sur laquelle l’historien reviendra tout au long de sa conférence — et c’est Jean-Paul Sartre alors âgé de 40 ans qui va promouvoir ce concept parce que dans les années 1945, le monde est alors parcouru par deux ondes de choc qui sont les mouvements de décolonisation — la France étant le deuxième empire colonial du monde à cette époque et la question de la guerre froide va provoquer une fracture géopolitique du monde où il faut choisir son camp. L’appellation «guerre d’Algérie», qui a été tout récemment adoptée par les autorités françaises vers la fin des années 1990, car jusqu’alors on préférait parler des événements d’Algérie sans mentionner explicitement qu’il s’agissait d’une guerre, rend très complexe pour l’historien cette recherche de la position des intellectuels qui va changer progressivement au cours des 8 années de guerre en fonction du changement des enjeux politiques. Un certains nombre de personnalités au moment du déclenchement de la guerre, y compris les républicains de gauche, prônaient l’alternative du statu quo en recourant parfois à l’utilisation de la force, convaincus de la mission civilisatrice de la France. Tandis qu’un intellectuel comme Sartre prendra, dès le début du conflit, le parti de l’indépendance pour des raisons idéologiques et politiques. Ainsi qu’un Raymond Aron, mais pour des raisons économiques et démographiques, il choisira la libération de l’Algérie alors qu’on sait que c’était un intellectuel de droite qui publiait des articles dans le Figaro et qu’il s’était intéressé à la question en publiant la Tragédie algérienne. Quant à Albert Camus, sa position ambigüe est celle d’un pied-noir d’Algérie et d’un écrivain et philosophe qui apparaît déchiré et écartelé par ce conflit. Pour notre conférencier, ce dernier ne se sentait pas solidaire des moyens entrepris par les combattants algériens alors que chacun sait qu’il avait été le premier intellectuel issu de la colonie à dénoncer la misère et la pauvreté dans certaines régions de Kabylie.
Mais les positions ont commencé à se radicaliser lorsque des échos étaient parvenus en France mettant en cause la pratique de la torture par les services de renseignements, des informations qui faisaient réagir un certains nombre d’intellectuels français qui avaient pris part dans la métropole au combat libérateur du FLN à l’instar du procès des porteurs de valises avec le réseau Jeanson.
Lynda Graba
