Pendant le ministère du cardinal Ximenez, Ferdinand V roi d’Aragon, envoya en 1505 Pierre comte de Navarre avec une armée, qui se rendit en peu de temps maître d’Oran. Cette ville était peu-plée de Maures, chassés de Grenade, de Valence & d’Aragon en 1492, lesquels sachant la langue & les chemins, causaient beaucoup de dommages à l’Espagne par leurs courses tant sur mer que par les débarquements fréquents, qu’ils faisaient sur les côtes de la terre ferme & dans les îles dépendantes de cette couronne. Après la conquête d’Oran, l’armée d’Espagne gagna du terrain, & s empara de Bougie & de plusieurs autres places avec beaucoup de rapi-dité. Les Algériens craignant le même sort pour leur ville & leur pays, appelèrent à leur secours Selim Eutemi, prince Arabe d’une grande réputation, & distingué par sa valeur. Il vint avec plusieurs braves Arabes de la nombreuse nation qui lui était sumise dans la plaine de la Mutija ou Mostigie, & amena Zaphira sa femme, princesse douée de rares quali-tés, & un f ls qui était âgé d’environ douze ans. Mais il ne put empêcher que la même année, Ferdinand, ayant envoyé une puissante armée navale & des troupes de débarquement, n’obligeât la ville d’Al-ger à lui faire hommage, & à se rendre tributaire. Les Algériens souffrirent même, que les Espagnols construisirent un fort sur une île vis à vis de la ville, où ils mirent de l’artillerie, & une garnison pour les tenir en bride, & empêcher le départ & l’entrée des corsaires Algériens. Ils supportèrent avec tranquil-lité le joug fâcheux que les chrétiens leur avaient imposé, jusqu’en 1516 que Ferdinand étant mort, ils résolurent de le secouer. Pour y réussir, ils firent une députation à Aroudj Barberousse, corsaire mahométan, aussi fameux par sa fortune que par sa valeur, & natif de l’île de Lesbos, à présent Metelin dans l’archipel. Il était occupé à croiser avec une escadre de galères & de barques, lorsque des députés Algériens vinrent le prier de les délivrer du joug des Espagnols, & lui promirent une récom-pense proportionnée aux grands services qu’ils en attendaient : il leur répondit très favorablement, & tint sa parole. Ce corsaire envoya à Alger 18 galères & 30 barques sous les ordres de son lieutenant, & il marcha lui-même par terre avec tout ce qu’il put trouver de Turcs & de Maures affectionnés. Les Algériens furent transportés de joie en apprenant la diligence de Barberousse, qu’ils regardaient comme un foudre de guerre, & un homme invin-cible. Selim Eutemi, général d’Alger & tous les principaux de la ville furent le recevoir à près de deux journées. Ils lui rendirent des honneurs extra-ordinaires, l’amenèrent en triomphe dans Alger aux acclamations du peuple, & le logèrent dans le palais du prince Selim Eutemi, qui les reçut avec toute la distinction possible. Les troupes furent aussi traitées avec beaucoup d’amitié & de générosité ; mais elle en abusèrent bientôt, le besoin qu’on avait d’elles leur ayant inspiré beaucoup de f erté. Le pirate Barberousse s’enf a aussi d’orgueil, & conçut le dessein de s’emparer d’Alger & de son territoire, & de s’en rendre souverain. Il le communiqua à son ministre & à ses principaux officiers, & il fut résolu dans son conseil particulier, qu’on garderait un secret inviolable, & qu’on se mettrait pas en peine de réprimer la licence des soldats Turcs. Ceux-ci f rent d’abord les maîtres dans la ville & à la campagne, & maltraitèrent fort les bourgeois ; & Barberousse était persuadé, que cette conduite donnerait lieu à des troubles dont il prof terait. Cependant le pirate, pour faire voir qu’il était de bonne foi, peu de temps après son arrivée, f t dresser une batterie de canons à la porte de la marine, vis à vis le fort des Espagnols construit sur une île éloignée d’environ 500 pas. Il le f t battre inutilement pendant un mois, parce que le canon était trop petit, & il remit son expédition à un autre temps. Selim Eutemi ne fut pas longtemps à s’aper-cevoir de la faute qu’il avait faite, d’appeler au secours d’Alger, le fier Barberousse qui ne faisait aucun cas de lui, & ne prenait jamais son avis. Les habitants traités avec autant de hauteur & de tyran-nie par la soldatesque, reconnurent aussi le dessein du pirate, & le publièrent ouvertement. Barberousse se voyant découvert ne garda plus de mesures, & s’abandonnant à son naturel violent, ils résolut d’ôter la vie au prince Selim, de se faire proclamer roi par ses troupes, & reconnaî-tre de gré ou de force par les habitants. Voici ce qui contribua à faire hâter l’exécu-tion de cette barbare entreprise. Le pirate ayant été d’abord vivement touché de la beauté & du mérite de la princesse Zaphira, se servit inutilement de toutes sortes de voies de douceur pour se rendre maître de son cœur. Le mépris avec lequel Barberousse en fut reçu, alluma toute sa rage, & lui f t prendre la réso-lution d’acquérir Zaphira par un crime, dont son ambition avait commencé de lui inspirer. Il se f attait d’épouser la princesse dès qu’elle serait veuve, & qu’il serait souverain du pays. Comme Barberousse était un homme de fortune, né misérable, & dont l’origine était inconnue, il tirait beaucoup de vanité de ce projet ; parce que Zaphira descendait des plus illustres Arabes, & que sa famille était alliée à tous les plus puissants cheikhs de ces nations. Il se f attait aussi, que par ce mariage il deviendrait respectable à ces nations Arabes, & qu’elles ne se ligueraient pas contre lui pour le chasser d’un pays, dont il aurait été l’usurpateur. Barberousse ne différa pas longtemps l’exécution de ce projet. Il avait observé que le prince Arabe restait ordinairement quelque temps seul dans son bain, avant la prière du midi. Comme Barberousse était logé dans son palais, il eut un jour la commodité d’y entrer sans être vu par le prince. Il le surprit nu & sans armes, & l’étrangla avec une serviette, sans lui donner le temps de se reconnaî-tre. Le pirate sortit sur le champ, & rentra dans le bain peu après avec nombre de personnes qui l’accompagnaient, comme pour se baigner selon la coutume. Il affecta une surprise extraordinaire de la mort du prince. Il fi t publier qu’il était tombé en faiblesse, selon toute apparence, & mort faute de secours ; & il ordonna en même temps à ses troupes de prendre les armes. Les habitants d’Alger ne se doutèrent point, que ce ne fût un coup du perf de Barberousse. Chacun d’eux craignant le même sort, ils s’enfer-mèrent dans leurs maisons, abandonnant la ville aux soldats Turcs, qui prof tèrent de cette occasion pour s’en rendre entièrement maîtres. Ils conduisirent Barberousse à cheval & en grande pompe par toute la ville, & le proclamèrent roi d’Alger, en criant : «Vive Aroudj Barberousse l’invincible roi d’Alger, que Dieu a choisi pour gouverner son peuple & le délivrer de l’oppression des chrétiens. Malheur à ceux qui refuseront de lui obéir comme à leur légitime souverain ». Après avoir jeté la terreur & l’épouvante parmi les bourgeois, qui s’attendaient à quelque massacre, ils placèrent Barberousse sur le siège royal dans le palais du prince Selim, envi-ronné de gardes bien armés. Les troupes se répan-dirent dans les principales maisons des habitants, pour leur faire part de ce qui se passait, & les prier fort honnêtement de la part du nouveau roi de lui aller rendre hommage, & de lui prêter serment de f délité ; on leur promettait beaucoup d’égards & d’avantages de cette démarche, s’ils la faisaient de bonne grâce. Ces bourgeois craignant d’être immolés à la cruauté de Barberousse s’y laissèrent conduire. Il les combla de belles paroles, de pro-messes & de témoignages d’amitié, & leur f t prêter serment, & signer l’acte de son couronnement.
Ensuite les off ciers de Barberousse accompagnés de soldats, menèrent avec eux les principaux bour-geois, & furent de maison en maison exhorter les autres habitants à faire la même démarche, & ils se rendirent sans résistance. L’usurpateur f t ensuite publier par un crieur public son couronnement & les promesses qu’il faisait à son peuple de bien le traiter, & de le défendre contre les chrétiens & tous ses autres ennemis. Il f t un règlement pour l’ordre et la discipline, qui ne fut pas observé. Il ordonna que tous les habitants sortiraient de leurs maisons & vaqueraient à leurs affaires comme auparavant, sans crainte d’être inquiétés ; il leur faisait espérer au contraire sa protection comme à ses sujets & à ses enfants. Le f ls du prince Selim, encore jeune, crai-gnant pour lui-même le sort de son père, prit la fuite secrètement avec l’aide d’un Arabe officier de sa maison, & d’un esclave affectionné. Il se réfugia à Oran sous la protection de l’Espagne, & sur la parole du marquis de Comarez gouverneur de cette place, qui le reçut avec honneur, & le traita avec beaucoup de distinction. Barberousse ayant été déclaré roi, & reconnu de gré ou de force, f t réparer les fortif cations de l’Alcaçave, y plaça beaucoup d’artillerie avec une bonne garnison Turque, & y f t battre la monnaie en son nom. Le peuple na resta pas longtemps sans ressentir le poids de la tyrannie, & de l’oppression de son nouveau roi. Ce prince fit étrangler tous ceux qu’il soupçonnait d’être ses ennemis, ou pour mieux dire, tous ceux qu’il craignait ; car ils étaient tous ses ennemis. Il s’empara de leurs biens, & exigea des amendes considérables de tous ceux qui avaient de l’argent. On conçut tant d’horreur pour lui & pour ses soldats, que lorsqu’il sortait pour se faire voir en public, tous les habitants se cachaient & fermaient les portes de leurs maisons. Pendant que la désolation régnait dans Alger, la princesse Zaphira devenue la proie d’un perf de, fit éclater sa constance & sa vertu, & se fit admirer malgré les rigueurs du sort qui l’accablait. De souveraine qu’elle était, elle se vit sujette & esclave du meurtrier de son mari, & de l’usurpateur du royaume. La douleur que son état lui causait, & le souvenir des déclarations de tendresse que Barberousse avait osé lui faire, lui donnaient lieu d’appréhender que ce tyran qu’elle avait traité avec mépris, ne voulut s’en venger, & user à son égard de tout son pouvoir. Ces frayeurs troublèrent son esprit : elle devint furieuse, & s’armant d’un poignard, elle résolut de le plonger dans le sein du tyran, ou de se tuer elle-même, si elle manquait son coup.
Ensuite les off ciers de Barberousse accompagnés de soldats, menèrent avec eux les principaux bour-geois, & furent de maison en maison exhorter les autres habitants à faire la même démarche, & ils se rendirent sans résistance. L’usurpateur f t ensuite publier par un crieur public son couronnement & les promesses qu’il faisait à son peuple de bien le traiter, & de le défendre contre les chrétiens & tous ses autres ennemis. Il f t un règlement pour l’ordre et la discipline, qui ne fut pas observé. Il ordonna que tous les habitants sortiraient de leurs maisons & vaqueraient à leurs affaires comme auparavant, sans crainte d’être inquiétés ; il leur faisait espérer au contraire sa protection comme à ses sujets & à ses enfants. Le f ls du prince Selim, encore jeune, crai-gnant pour lui-même le sort de son père, prit la fuite secrètement avec l’aide d’un Arabe officier de sa maison, & d’un esclave affectionné. Il se réfugia à Oran sous la protection de l’Espagne, & sur la parole du marquis de Comarez gouverneur de cette place, qui le reçut avec honneur, & le traita avec beaucoup de distinction. Barberousse ayant été déclaré roi, & reconnu de gré ou de force, f t réparer les fortif cations de l’Alcaçave, y plaça beaucoup d’artillerie avec une bonne garnison Turque, & y f t battre la monnaie en son nom. Le peuple na resta pas longtemps sans ressentir le poids de la tyrannie, & de l’oppression de son nouveau roi. Ce prince fit étrangler tous ceux qu’il soupçonnait d’être ses ennemis, ou pour mieux dire, tous ceux qu’il craignait ; car ils étaient tous ses ennemis. Il s’empara de leurs biens, & exigea des amendes considérables de tous ceux qui avaient de l’argent. On conçut tant d’horreur pour lui & pour ses soldats, que lorsqu’il sortait pour se faire voir en public, tous les habitants se cachaient & fermaient les portes de leurs maisons. Pendant que la désolation régnait dans Alger, la princesse Zaphira devenue la proie d’un perf de, fit éclater sa constance & sa vertu, & se fit admirer malgré les rigueurs du sort qui l’accablait. De souveraine qu’elle était, elle se vit sujette & esclave du meurtrier de son mari, & de l’usurpateur du royaume. La douleur que son état lui causait, & le souvenir des déclarations de tendresse que Barberousse avait osé lui faire, lui donnaient lieu d’appréhender que ce tyran qu’elle avait traité avec mépris, ne voulut s’en venger, & user à son égard de tout son pouvoir. Ces frayeurs troublèrent son esprit : elle devint furieuse, & s’armant d’un poignard, elle résolut de le plonger dans le sein du tyran, ou de se tuer elle-même, si elle manquait son coup.
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