l’histoire inspire de nombreux auteurs et marque profondément la création dramatique. La mise en scène de faits historiques obéit au souci de réhabiliter le passé et de revaloriser un certain nombre de personnages «oubliés» de l’hagiographie officielle et ignorés par l’historiographie coloniale ou marginalisés et péjorés par les autorités politiques d’après l’indépendance.
Le retour à l’histoire obéit à une nécessité d’affirmation identitaire et à une tentative d’entamer un dialogue polémique avec le colonisateur qui a toujours cherché à décrédibiliser la parole du colonisé cantonné dans une posture d’élément passif, oubliant que le silence et la fausse inertie contribuent à la mise en œuvre d’un discours de contre-violence illustré par des signes latents, pleins, certes encore non aboutis.
Le discours, dans ce cas, est le lieu de la mise en forme de possibilités narratives et idéologiques particulières, permettant de briser la clôture dogmatique du colon, fabriquée par les représentants «scientifiques» de la colonisation.
C’est aussi une réponse à toute une littérature coloniale dont l’objectif est de nier carrément l’existence de la culture du colonisé, évacuant le fait que toute culture et toute civilisation renferme ses propres anticorps et ses espaces artistiques et sociaux.
Dans ce contexte de négation culturelle et d’appropriation, par les autochtones, des formes de représentation européennes, pour des raisons de nécessité existentielle, que vont être produites les premières pièces historiques. Nous avons ici affaire à un processus de transculturation, selon l’expression du Cubain Fernando Ortiz qui juxtapose plusieurs formes, rendant impossible toute acculturation qui serait un non-sens dans toute situation de communication.
Deux catégories de pièces historiques caractérisent le mouvement théâtral : des représentations dont le support essentiel est tiré de l’histoire et de la mythologie arabe et des pièces qui, en utilisant un événement historique, proposent un modèle politique et social inscrivant le sujet traité dans le présent du spectateur.
La première catégorie a pour unique préoccupation de réhabiliter un passé non reconnu et d’affirmer une identité quelque peu niée. Des textes comme Fath el Andalous (la conquête de l’Andalousie), jouée vers les années dix (10), Fi Sabil el Watan (au service de la patrie) ou El Mawlid (la naissance du Prophète) et Hannibal, tentent de mettre en relief l’existence d’une culture algérienne spécifique, marquée par l’appartenance à une ère arabo-islamique. Ce repli sur soi, cette farouche volonté de prouver son existence constituent des réponses au discours historique colonial et à l’ethnologie considérée comme un espace au service de la colonisation. Frantz Fanon apporte la lecture suivante : «On sait que la majorité des territoires arabes a été soumise à la domination coloniale. Le colonialisme a déployé dans ces régions les mêmes efforts pour ancrer dans les esprits des indigènes que leur histoire d’avant la colonisation était une histoire dominée par la barbarie.
La lutte de libération nationale s’est accompagnée d’un phénomène culturel connu sous le réveil de l’Islam. La passion mise par les auteurs arabes contemporains à le rappeler à leur peuple est une réponse aux mensonges de l’occupant.» Ce recours à l’histoire et à la mythologie s’explique par ce désir de mettre en lumière sa propre existence et d’affirmer sa propre culture illustrée par la présence de deux éléments paradigmatiques essentiels, l’arabité et l’islamité, deux thèmes récurrents revenant sans cesse dans la production dramatique des années dix, vingt et trente.
Il est utile de souligner l’apport fondamental des associations religieuses et culturelles dans le traitement des sujets historiques louant souvent la force et la générosité de héros ancrés dans l’imaginaire populaire (Salah Eddine el Ayyoubi, Antar, etc.). Allalou, très imprégné de culture islamique et ouvert aux sollicitations culturelles nationales, emprunta au peuple d’Alger sa vision du passé, quelque peu traversée par de vivantes réminiscences et d’amusantes transformations.
Le sociologue Abdelkader Djeghloul le souligne dans sa préface aux mémoires de l’auteur : «Certes, le théâtre de Allalou est lui aussi imprégné d’Islam mais de manière différente. Histoire islamique décrispée, banalisée, ramenée aux proportions de la quotidienneté du petit peuple d’Alger. Histoire qui continue à faire rêver mais fait aussi sourire.» Le héros légendaire, Haroun er Rachid, devient Qaroun er Rachiq (Qaroun le corrompu). Ce regard parodique, d’ailleurs présent dans l’œuvre de Kateb Yacine, exprime un évident rejet d’un illusoire retour aux sources et une volonté de démystification du passé. Allalou reprend la version populaire de l’histoire arabe tant mythifiée par les élites lettrées, apportant une lecture singulière du fait national, faisant de celui-ci le lieu d’articulation de plusieurs cultures ayant marqué le parcours historique de l’Algérie. Il ne rejette pas les différents discours caractérisant le fait national, mais les revendique comme des espaces marquants de l’algérianité. La deuxième catégorie de pièces fait appel à l’histoire non comme espace figé, mais comme élément dynamique susceptible d’élucider des faits d’actualité.
Après l’indépendance, de nouveaux dramaturges, souvent séduits par l’enseignement théorique brechtien, vont utiliser les faits historiques comme arrière-fond d’une lecture politique et actuelle des réalités algériennes. L’histoire devient en quelque sorte prétexte à une interrogation du présent et à une introspection de l’être algérien confronté aux vicissitudes d’un présent un peu dur. Le passé se mue en un simple cadre temporel. Ould Abderrahmane Kaki, Abdelkader Alloula, Slimane Bénaïssa et Mohamed Tayeb Déhimi mettent souvent en scène des pièces qui recourent à des faits historiques, lieux allégoriques et métaphoriques, élucidant des questions présentes. Cette manière de faire, réfractaire à toute tentative de reconstitution, fonctionnant par allusions, donne à voir un présent que le spectateur reconstitue comme une sorte de puzzle.
La réception demeure l’espace fondamental de la représentation. C’est au lecteur-spectateur de découvrir les lieux latents d’un récit souvent éclaté renvoyant au moment de la réception. Dans 132 anset Afrique avant un, Kaki tente de mettre en forme une lecture de l’Histoire de l’Algérie et de l’Afrique en recourant à des documents historiques significatifs du parcours de ce continent. C’est un théâtre-document. Les différents tableaux composant ces deux pièces, construits de manière non linéaire, donnent à voir un univers marqué par la lutte anticoloniale. La fin des deux récits est ouverte. Les personnages de El Alleg (Les Sangsues), Lejouad (Les Généreux)ou El Khobza sont historiquement déterminés. Situées dans le temps présent, les pièces tentent d’expliquer des situations actuelles en faisant appel à des événements historiques. Cette démarche s’inscrit dans la continuité historique. Les faits du présent entretiennent des relations étroites et dynamiques avec les éléments du passé pouvant contribuer à la lecture de l’actualité. Le personnage est le produit d’une Histoire et d’une conjoncture précise. Les instances temporelles et spatiales produisent des systèmes de signes complexes. Kateb Yacine mêle passé et présent, histoire et actualité, mythe et réel. Ses pièces transportent les personnages dans de multiples espaces géographiques et historiques. Cette pluri-spatialité et cette pluri-temporalité obéissent à la logique idéologique de l’auteur de Nedjma chargé d’un discours matérialiste. De la Kahina, on passe à la révolution agraire, en faisant des détours par le Vietnam, la Révolution russe, mai 1945, etc. La dramaturgie en fragments brise toute possibilité de détermination spatio-temporelle et exclut toute logique narrative linéaire. Pour lui, tous les mouvements révolutionnaires participent d’une seule et même lutte : le combat pour le socialisme au niveau planétaire. Les premiers textes de Kateb Yacine portent essentiellement sur le mouvement historique algérien (pièces contenues dans Le Cercle des représailles). L’histoire apporte un nouvel éclairage au présent. Ainsi, les éléments tirés du passé façonnent le discours théâtral et lui donnent un sens nouveau.
Le retour à l’histoire obéit à une nécessité d’affirmation identitaire et à une tentative d’entamer un dialogue polémique avec le colonisateur qui a toujours cherché à décrédibiliser la parole du colonisé cantonné dans une posture d’élément passif, oubliant que le silence et la fausse inertie contribuent à la mise en œuvre d’un discours de contre-violence illustré par des signes latents, pleins, certes encore non aboutis.
Le discours, dans ce cas, est le lieu de la mise en forme de possibilités narratives et idéologiques particulières, permettant de briser la clôture dogmatique du colon, fabriquée par les représentants «scientifiques» de la colonisation.
C’est aussi une réponse à toute une littérature coloniale dont l’objectif est de nier carrément l’existence de la culture du colonisé, évacuant le fait que toute culture et toute civilisation renferme ses propres anticorps et ses espaces artistiques et sociaux.
Dans ce contexte de négation culturelle et d’appropriation, par les autochtones, des formes de représentation européennes, pour des raisons de nécessité existentielle, que vont être produites les premières pièces historiques. Nous avons ici affaire à un processus de transculturation, selon l’expression du Cubain Fernando Ortiz qui juxtapose plusieurs formes, rendant impossible toute acculturation qui serait un non-sens dans toute situation de communication.
Deux catégories de pièces historiques caractérisent le mouvement théâtral : des représentations dont le support essentiel est tiré de l’histoire et de la mythologie arabe et des pièces qui, en utilisant un événement historique, proposent un modèle politique et social inscrivant le sujet traité dans le présent du spectateur.
La première catégorie a pour unique préoccupation de réhabiliter un passé non reconnu et d’affirmer une identité quelque peu niée. Des textes comme Fath el Andalous (la conquête de l’Andalousie), jouée vers les années dix (10), Fi Sabil el Watan (au service de la patrie) ou El Mawlid (la naissance du Prophète) et Hannibal, tentent de mettre en relief l’existence d’une culture algérienne spécifique, marquée par l’appartenance à une ère arabo-islamique. Ce repli sur soi, cette farouche volonté de prouver son existence constituent des réponses au discours historique colonial et à l’ethnologie considérée comme un espace au service de la colonisation. Frantz Fanon apporte la lecture suivante : «On sait que la majorité des territoires arabes a été soumise à la domination coloniale. Le colonialisme a déployé dans ces régions les mêmes efforts pour ancrer dans les esprits des indigènes que leur histoire d’avant la colonisation était une histoire dominée par la barbarie.
La lutte de libération nationale s’est accompagnée d’un phénomène culturel connu sous le réveil de l’Islam. La passion mise par les auteurs arabes contemporains à le rappeler à leur peuple est une réponse aux mensonges de l’occupant.» Ce recours à l’histoire et à la mythologie s’explique par ce désir de mettre en lumière sa propre existence et d’affirmer sa propre culture illustrée par la présence de deux éléments paradigmatiques essentiels, l’arabité et l’islamité, deux thèmes récurrents revenant sans cesse dans la production dramatique des années dix, vingt et trente.
Il est utile de souligner l’apport fondamental des associations religieuses et culturelles dans le traitement des sujets historiques louant souvent la force et la générosité de héros ancrés dans l’imaginaire populaire (Salah Eddine el Ayyoubi, Antar, etc.). Allalou, très imprégné de culture islamique et ouvert aux sollicitations culturelles nationales, emprunta au peuple d’Alger sa vision du passé, quelque peu traversée par de vivantes réminiscences et d’amusantes transformations.
Le sociologue Abdelkader Djeghloul le souligne dans sa préface aux mémoires de l’auteur : «Certes, le théâtre de Allalou est lui aussi imprégné d’Islam mais de manière différente. Histoire islamique décrispée, banalisée, ramenée aux proportions de la quotidienneté du petit peuple d’Alger. Histoire qui continue à faire rêver mais fait aussi sourire.» Le héros légendaire, Haroun er Rachid, devient Qaroun er Rachiq (Qaroun le corrompu). Ce regard parodique, d’ailleurs présent dans l’œuvre de Kateb Yacine, exprime un évident rejet d’un illusoire retour aux sources et une volonté de démystification du passé. Allalou reprend la version populaire de l’histoire arabe tant mythifiée par les élites lettrées, apportant une lecture singulière du fait national, faisant de celui-ci le lieu d’articulation de plusieurs cultures ayant marqué le parcours historique de l’Algérie. Il ne rejette pas les différents discours caractérisant le fait national, mais les revendique comme des espaces marquants de l’algérianité. La deuxième catégorie de pièces fait appel à l’histoire non comme espace figé, mais comme élément dynamique susceptible d’élucider des faits d’actualité.
Après l’indépendance, de nouveaux dramaturges, souvent séduits par l’enseignement théorique brechtien, vont utiliser les faits historiques comme arrière-fond d’une lecture politique et actuelle des réalités algériennes. L’histoire devient en quelque sorte prétexte à une interrogation du présent et à une introspection de l’être algérien confronté aux vicissitudes d’un présent un peu dur. Le passé se mue en un simple cadre temporel. Ould Abderrahmane Kaki, Abdelkader Alloula, Slimane Bénaïssa et Mohamed Tayeb Déhimi mettent souvent en scène des pièces qui recourent à des faits historiques, lieux allégoriques et métaphoriques, élucidant des questions présentes. Cette manière de faire, réfractaire à toute tentative de reconstitution, fonctionnant par allusions, donne à voir un présent que le spectateur reconstitue comme une sorte de puzzle.
La réception demeure l’espace fondamental de la représentation. C’est au lecteur-spectateur de découvrir les lieux latents d’un récit souvent éclaté renvoyant au moment de la réception. Dans 132 anset Afrique avant un, Kaki tente de mettre en forme une lecture de l’Histoire de l’Algérie et de l’Afrique en recourant à des documents historiques significatifs du parcours de ce continent. C’est un théâtre-document. Les différents tableaux composant ces deux pièces, construits de manière non linéaire, donnent à voir un univers marqué par la lutte anticoloniale. La fin des deux récits est ouverte. Les personnages de El Alleg (Les Sangsues), Lejouad (Les Généreux)ou El Khobza sont historiquement déterminés. Situées dans le temps présent, les pièces tentent d’expliquer des situations actuelles en faisant appel à des événements historiques. Cette démarche s’inscrit dans la continuité historique. Les faits du présent entretiennent des relations étroites et dynamiques avec les éléments du passé pouvant contribuer à la lecture de l’actualité. Le personnage est le produit d’une Histoire et d’une conjoncture précise. Les instances temporelles et spatiales produisent des systèmes de signes complexes. Kateb Yacine mêle passé et présent, histoire et actualité, mythe et réel. Ses pièces transportent les personnages dans de multiples espaces géographiques et historiques. Cette pluri-spatialité et cette pluri-temporalité obéissent à la logique idéologique de l’auteur de Nedjma chargé d’un discours matérialiste. De la Kahina, on passe à la révolution agraire, en faisant des détours par le Vietnam, la Révolution russe, mai 1945, etc. La dramaturgie en fragments brise toute possibilité de détermination spatio-temporelle et exclut toute logique narrative linéaire. Pour lui, tous les mouvements révolutionnaires participent d’une seule et même lutte : le combat pour le socialisme au niveau planétaire. Les premiers textes de Kateb Yacine portent essentiellement sur le mouvement historique algérien (pièces contenues dans Le Cercle des représailles). L’histoire apporte un nouvel éclairage au présent. Ainsi, les éléments tirés du passé façonnent le discours théâtral et lui donnent un sens nouveau.
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