Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Mondialisation : Une chance ou une menace pour les langues ?

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Mondialisation : Une chance ou une menace pour les langues ?

    La langue est la mère nourricière de l’âme d’un peuple. Elle est aussi la patrie de ces écrivains qui choisissent de s’exiler dans son territoire pour à la fois semer des rêves et la protéger de l’outrage du temps. Ils évitent ainsi que des mots et des expressions ne tombent dans l’oubli. Mais l’apport des écrivains consiste aussi en l’invention de mots et de styles pour permettre à la langue d’être en phase avec son époque. Nous verrons plus loin comment se traduit leur travail de création.

    A l’heure de la mondialisation qui n’a pas seulement des effets sur les économies des pays, les langues subissent aussi les assauts de la célèbre formule anglo-saxonne : le temps c’est de l’argent (time is money). Ce système du capitalisme mondialisé tisse sa toile autour et dans les moindres espaces grâce entre autres à une technologie séduisante et bientôt à la portée de «tous». L’on sait aujourd’hui que les SMS ou textos ainsi que le langage des jeunes, à travers les réseaux sociaux d’internet, produisent certaines expressions qui sont en passe de subvertir les honorables et vieilles institutions académiques de tous les pays.

    Mais avant de cerner les chances ou les menaces que fait peser la mondialisation sur les langues, faisons quelques remarques pour éviter de tomber dans l’exaltation ou la déprime, l’ouverture béate ou le repli frileux quand on aborde le devenir des langues.

    La première remarque consiste à se convaincre qu’une langue est un organe vivant. Elle vit et s’épanouit mais peut aussi mourir. Hélas, les linguistes nous apprennent que des dizaines de langues disparaissent chaque année de la surface de la terre. Les causes de leur disparition ou de leur faiblesse sont multiples. Il y a évidemment la domination étrangère qui impose sa langue dans tous les domaines de la vie publique et interdise la ou les langues des autochtones (nous en savons quelque chose en Algérie). Mais il y aussi les dynamiques internes du sous-développement économique et le repli sur soi qui se transforme en hibernation surtout quand les pouvoirs en place élèvent des murailles autour de leurs sociétés. Un développement économique non maîtrisé par incompétence et le «je-m’en-foutisme» provoquent fatalement des blessures au corps social. On le voit dans nos villes livrées à un urbanisme sauvage. Les langues peuvent aussi connaître ce genre d’outrage et s’appauvrissent fatalement quand elles ne sont pas alimentées par les flux des productions matérielles et culturelles sortant des entrailles de la société et qui investissent toutes les sphères de la vie sociale.

    La deuxième remarque incite à ne pas oublier que pour ne pas mourir, une langue doit aussi s’ouvrir sur le monde. Toutes les langues qui trônent sur la scène internationale se sont transformées au fil du temps, et toutes on fait des emprunts aux autres langues. Ayant à l’esprit l’époque de la Renaissance en Europe qui doit beaucoup à la Grèce antique, au monde arabe et même à la lointaine Chine (poudre et boussole). Ces échanges mutuels et fructueux ont permis à ces pays de s’adapter aux découvertes scientifiques et de bénéficier des apports philosophiques pour entrer dans le royaume de l’universalité à partir des particularités de leur l’histoire.

    Ces constations que l’on peut vérifier en jetant un coup d’œil sur l’histoire des langues nous apprennent une chose simple : une langue est un produit de l’histoire, fruit du travail et de l’imaginaire d’un peuple. Par travail et imaginaire, il faut penser au paysan qui sème pour nourrir, à l’ouvrier qui construit maison et vêtement pour se protéger de la nature, au technicien qui crée la machine pour mieux produire les richesses.

    Toutes ces activités engendrent des mots et des images pour désigner les choses de la vie. Vient ensuite le poète ou l’écrivain qui les met en musique et dont la beauté (de la musique) est une garantie de leur pérennité. La mise en musique des mots accouche d’une langue vivante qui n’est donc pas une sorte de «prêt-à-porter» depuis toujours et pour l’éternité.

    En tant qu’acteur social, une langue a besoin de s’alimenter et de chercher sa pitance comme tous les acteurs sociaux d’une société. Et parmi ces nourritures, celles fournies (insistons sur ce point) par les écrivains sont précieuses. Elles habillent la langue des charmes de l’élégance et de la précision. Imaginons la langue arabe sans les poètes depuis la période dite des mouâlaqhate (avant l’islam) jusqu’à Adonis et Mahmoud Darwich.

    Imaginons le manque que l’on ressentirait en Algérie sans le poète kabyle Mohand-u-Mhand qui a sauvé de l’oubli de délicieuses expressions poétiques. Sa vie faite d’errance que l'on lit dans ses poèmes a sans doute marqué l’âme du pays encore aujourd’hui puisque les Algériens sont éparpillés aux quatre coins du monde à cause des turbulences qui ont toujours agité leur société.

    Enfin, puisque cet article est écrit en français, imaginons la langue de Molière sans les apports d’un Mallarmé, d’un Voltaire, de Victor Hugo, d’Aragon, de Rimbaud et Verlaine… et de tant d’autres. Une autre nourriture ne doit pas être sous-estimée, celle qui naît dans la rue et qui enrichit aussi une langue. Les constipés de l’esprit, soi-disant puristes, ont tendance à reléguer la langue de la rue dans la sphère de la vulgarité. Il y a un exemple insolite qui mérite d’être cité, c’est l’introduction du mot kifer, un pur produit de l’arabe algérien qui a conquis ses lettres de noblesse jusque dans les milieux des bourgeois du 16e arrondissement de Paris. Ce mot a introduit une nuance dans l’utilisation du verbe aimer. En français, contrairement à l’anglais, on dit j’aime les frites et j’aime une femme. L’anglais utilise to like pour les frites et to love pour une femme. Avec le verbe kifer, les Français doivent aux jeunes issus de l’émigration la possibilité d’éviter de confondre les sentiments nobles (amitié, amour, œuvres de l’esprit) et le désir des choses de l’estomac — j’ai pris à dessein cet exemple pour montrer qu’un simple mot qui entre par effraction dans le parler français arrive à s’imposer dans des milieux sociaux pétris de préjugés. Il y a une foule de mots arabes scientifiques et poétiques qui fleurissent la langue française et dont les locuteurs oublient leur origine car cela remonte à la nuit des temps. Enfin, la langue nous repose de uniformisation des modes alimentaires et vestimentaires. De nos jours, dans des lieux où se bousculent voyageurs et touristes, les foules bigarrées sont de plus en plus engoncées ou «dénudées» dans le même style d’accoutrements. Il ne reste que la langue (et l’accent) pour identifier «l’origine» desdits voyageurs. Alors la mondialisation chance ou menace ? Désigner l’une de ces possibilités par enthousiasme délirant ou par peur panique nous ferait tourner le dos à la rigueur scientifique. Car l’histoire des langues n’est jamais écrite par avance, elle est le résultat de dynamiques où se conjuguent la lutte politique, la créativité de la culture et les innovations scientifiques. Si l’on considère la mondialisation comme une étape historique de l’aventure humaine où se crée des richesses matérielles et scientifiques comme jamais auparavant, et si la gestion de ces richesses se fait à la lumière d’une philosophie du partage de ces richesses, alors elle est aussi une chance pour les langues.

    Les facilités de communication en l’absence de frontières physiques permettront aux langues d’échanger, d’emprunter, d’être traduites, activités contraignantes aujourd’hui en raison de la pauvreté des financements mais aussi à cause des barrières érigées par les dictatures.

    Mais si la mondialisation reste aux mains des prédateurs obnubilés par le tiroir caisse, alors la menace ne pèse pas seulement sur les pays pauvres mais inquièterait aussi ceux qui le sont moins. Le regroupement des pays par aire linguistique (francophone, hispanique, lusophone) en dit long sur l’appréhension de grands pays devant le danger représenté par l’oncle Sam qui impose la langue anglo-américaine, héritière, certes, de Shakespeare mais étouffante pour les autres langues. Car derrière l’anglo-américain qui est un trésor comme les autres langues, un trésor pour une fois immatériel et donc sans propriétaire, se profile en réalité une stratégie pour déverser la camelote des industries servies par le dieu dollar. Et ce dieu-là impose un mode de vie et une vision du monde, donc une pensée. Cette pensée dominante appauvrira fatalement des civilisations nées avec le temps lui-même. Entre l’expression de «il était une fois» qui indique la lointaine date de naissance de ces civilisations et le «to day» (aujourd’hui) américain, il est temps de construire un pont entre les langues et la technologie pour que la beauté reste l’apanage de la langue et de la poésie et que l’on ne soit pas prisonnier de la froideur des robots, certes utiles dans beaucoup de domaines mais qui peuvent nous frustrer des saveurs de l’imaginaire.

  • #2
    En ce qui nous concerne, la question des langues nationales en Algérie doit être traitée avec la rigueur nécessaire pour éviter les erreurs et la précipitation de l’arabisation au rabais des années 1970. Pour cela, il faut laisser aux vestiaires les préjugés et les rancunes pour affronter sereinement le gigantesque chantier des langues et de la culture. Ni les a priori idéologiques ni l’ignorance de l’histoire des langues ne doivent nous enchaîner à des certitudes quelque peu décalées par rapport à notre époque. Ce ne sont pas «l’originalité et la difficulté» de nos langues qui empêchent leur rayonnement et notre culture. Ce sont plutôt l’ignorance de notre histoire dans toute sa complexité humaine et politique, les frustrations et autres complexes hérités des aventures coloniales qui sèment des obstacles sur le chemin de nouveaux horizons.

    Ces handicaps ont semé des bombes a retardement qui explosent ici et là quand on aborde l’arabisation de l’enseignement, quand on met du temps à reconnaître tamazight comme langue nationale. Et cela continue quant au choix de l’extension de cette langue à l’ensemble du pays et de la nature de l’alphabet comme support de cette langue.

    Nous pouvons pourtant aborder ces problèmes sans se précipiter. Il nous faut d’abord déblayer le terrain en évitant de mesurer le temps à l’aune de notre propre vie. Il nous faut penser essentiellement à l’avenir des enfants qui méritent de se réapproprier nos langues dans toute leur splendeur pour tenir leur rang avec les autres langues sur le terrain de la poésie et des sciences. Il faut utiliser les ressources des mathématiques et du jeu des échecs qui proposent la meilleure façon d’atteindre un but et non s’enfermer dans le labyrinthe des présupposés idéologiques. Il n’y a aucune raison de ne pas parvenir à faire comme ces pays dont les langues sont autrement plus «compliquées» et qui arrivent à exporter leurs cultures et «arracher» des prix Nobel de littérature, de physique, de chimie et des palmes d’or dans les festivals les plus prestigieux.

    Il faut en finir avec cette malédiction qui a fait que les monuments de notre culture comme Apulée, Saint Augustin et plus près de nous Kateb Yacine soient assimilés à la culture (à cause de la langue de leurs œuvres) des autres et pratiquement inconnus chez nous. Cette désappropriation de nos gloires littéraires pour injuste qu’elle soit a été possible car la langue n’est pas uniquement un outil de communication. Elle véhicule une pensée, une philosophie à tel point que les œuvres des plus grands écrivains nous disent plus sur les «magies et les mystères» de la vie que beaucoup de traités philosophiques. Je terminerai sur une note personnelle en liaison avec le sujet de l’article.

    Lors de mon passage au Festival du film amazigh, je n’ai communiqué qu’en français car mon arabe de l’inspecteur Tahar m’a posé quelques problèmes dans les rues de Tizi Ouzou où l’on parlait une langue algérienne, un mélange de tamazight et d’arabe populaire que je pressens devenir la langue nationale du pays pour que tous les Algériens se comprennent de l'est en ouest, du sud au nord. Un rêve possible à notre portée si l’on tient compte des problématiques de la vie des langues dont j’ai esquissé les contours dans cette modeste contribution.


    Par Ali Akika, cinéaste- Le Soir

    Commentaire

    Chargement...
    X