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Lounis Aït Menguellet, Kabyle en tête

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  • Lounis Aït Menguellet, Kabyle en tête

    A 62 ans dont plus de quarante de carrière, le poète chanteur folk militant reste résolument chevillé à sa communauté

    A ceux qui s’étonnaient de l’absence de "printemps arabe" en Algérie en 2011, les observateurs firent remarquer que celui-ci avait eu lieu trente ans auparavant, sous le nom de "printemps berbère". Un mouvement populaire, cas peut-être unique dans l’histoire, déclenché par… la poésie. Ce fut en effet l’interdiction d’une conférence de l’écrivain Mouloud Mammeri, consacrée à "la Poésie ancienne des Kabyles", qui jeta dans les rues de Tizi Ouzou, en mars 1980, des dizaines de milliers de manifestants. La revendication d’une place pour la langue et la culture kabyles fut réprimée dans le sang : plus de cent tués.
    En cette nuit de ramadan de la mi-août, la Maison de la culture Mouloud-Mammeri (mort en 1989 dans un accident de la route) organise le concert du poète chanteur Lounis Aït Menguellet dans le centre de Tizi Ouzou. Il est 22 heures, les familles ont eu le temps de rompre le jeûne et affluent vers le stade Oukil-Ramdane. Parmi les 5 000 spectateurs, très peu de femmes voilées, bien moins que dans certains quartiers de Paris. Les ballades folks qu’égrène Lounis Aït Menguellet de sa voix grave sont accueillies dans un silence ému. A 62 ans, après plus de quarante ans de carrière, il reste l’artiste le plus respecté par le public kabyle, d’Algérie comme de France. Sa poésie complexe, qui aborde les thèmes politiques par le biais de la parabole, a fait l’objet de plusieurs livres. Elle est le sujet de thèses universitaires. A la fin du concert, la foule reprend le slogan "Que sommes-nous ? Nous sommes amazigh". Ce qui, il y a trente ans, aurait constitué un acte d’insoumission, prend aujourd’hui naturellement place dans une manifestation officielle.
    Le lendemain matin, cap sur Ighli Bouammas, où le chanteur a toujours vécu. "Mon pays est fait de colliers / Sur le cou des montagnes", décrit une chanson écoutée la veille. La route grimpe et serpente entre les champs arides. A l’ombre des oliviers, les villageois proposent caisses de raisin, figues de barbarie et melons d’un jaune aveuglant.
    Sur la terrasse de la maison, vaste mais sans luxe, le soleil de midi est écrasant. "Ighli Bouammas signifie la colline du milieu, explique le chanteur. C’est le village de mes ancêtres." Son père cultivait la terre la moitié de l’année, l’autre moitié, il devenait colporteur en Oranie. Sa mère élevait les cinq frères et sœurs. Plus qu’une famille, les Menguellet sont une tribu nombreuse, dont le patriarche a son mausolée, qu’un pèlerinage honore chaque printemps. "C’est un des très rares "saints" de la région sans rapport avec la religion", dit en souriant Aït Menguellet. Les Kabyles aiment se rattacher aux temps païens, au passé préislamique.
    Dans le salon, des photos de ses enfants en karatéka, des arcs sculptés, un oud serti de nacre offert par le légendaire chanteur Kamel Hammadi. Souvenirs heureux qui effacent ceux qui le sont moins. La colonisation, par exemple. "J’allais à l’école indigène, qui n’était pas celle des Français, poursuit le chanteur. A l’indépendance, j’avais 12 ans et j’ai vécu ce moment comme une deuxième naissance. Nous nous sommes débarrassés de gens venus sans qu’on les invite, qui ont accaparé les meilleures terres… Oui, des problèmes se sont posés par la suite, et se posent encore. Mais ce sont nos problèmes. A nous, Algériens, de les régler en hommes libres." Formuler ces griefs dans la langue de l’ancien oppresseur ne lui pose aucun problème. "Quand on me le reproche, je reprends les mots de Kateb Yacine : "Pour nous, le français est un butin de guerre.""
    Quand il arrive en France en 1974, Lounis Aït Menguellet constate qu’il est aussi populaire que chez lui. La communauté kabyle immigrée, forte d’un million de personnes, le plébiscite. Il remplit l’Olympia, le Zénith… Sans jamais quitter l’Algérie, alors que les raisons de s’expatrier ne manquent pas. Dans les années 1980, il est interdit de radio et de télé. La sécurité militaire l’arrête ici, dans sa maison. Il sera condamné à trois ans de prison et, suite à une forte mobilisation sur place et à l’étranger, libéré au bout de six mois. Plus tard, ce sont les groupes islamistes armés, les GIA, qui s’en prennent aux artistes. "J’ai été menacé, comme tant d’autres, concède-t-il. Mais rester ne relevait ni du défi, ni du courage. Simplement, je ne reconnais à personne le droit de me chasser de chez moi." Pourtant, il a une carte de résidence en France. "J’ai un appartement en Seine-Saint-Denis, complète-t-il, je paie mes impôts en France, mais je n’y vais que quand j’ai une tournée. Je suis bien ici, je reste un montagnard dans l’âme." Un montagnard attaché à la famille : deux de ses huit petits-enfants jouent à proximité. Il a six enfants. Deux sont musiciens, un autre est emprisonné en France pour un meurtre qu’il nie avoir commis.
    Symbole de la résistance identitaire, Lounis Aït Menguellet porte un regard désabusé sur la situation actuelle de la culture. "Pour les gouvernements précédents, seule l’arabe avait droit de cité. Nous n’en sommes plus là. Il a fallu du sang et des larmes mais nous avons progressé. Maintenant, c’est à nous de faire. On s’est battus pour le droit de publier des livres en kabyle, mais maintenant qu’ils existent, ils prennent la poussière dans les librairies."
    Cette polarisation sur la défense de sa culture l’a-t-elle empêché de toucher le public non kabyle ? L’artiste reconnaît n’avoir fait aucun effort dans ce sens : "Je n’ai jamais eu la prétention de m’adresser à un autre public que ma communauté. Je vais là où elle me réclame : en Algérie, en France, en Belgique, au Canada il y a quelques mois. Je pars de l’idée qu’un Français ou un Algérien non berbérophone qui veut m’écouter doit faire le premier pas." Au refus des concessions s’ajoute une attitude austère et taciturne, propre aux gens des hauteurs. Grâce aux reprises enregistrées par des Kabyles de France (Rim K du 113, Amazigh Kateb), son répertoire commence à toucher un public plus jeune. Les frères Amokrane, de Zebda, l’ont chanté deux fois : avec 100% Motivés puis au sein de Mouss et Hakim. "C’est la bande-son de notre enfance, témoigne Mouss, ce qu’on écoutait à la maison et en voiture. La force de ses mélodies est impressionnante. Le moment où Aït Menguellet nous a rejoints en 2010, lors d’un concert au Cabaret sauvage à Paris, a été extraordinaire. Qui compte autant, pour mon frère et moi, que le succès de Tomber la chemise."
    Symbole du combat culturel, Lounis Aït Menguellet aurait pu basculer vers la politique. Il s’en est bien gardé, certains en Kabylie le lui ont reproché. En réponse, il a résumé le Prince de Machiavel dans une chanson de vingt-cinq minutes.

    François-Xavier Gomez
    dz(0000/1111)dz

  • #2


    C’est sans doute sa dimension poétique qui a chevillé Aït Menguellet à son public depuis plusieurs décennies, une dimension qui tient dans le génie du verbe de ce visionnaire atypique qui a longtemps frappé aux portes de nos consciences.

    Cet éternel rêveur toujours en quête d’absolu porte en lui en fardeau un idéal en fuite et assiste impuissant à la décomposition latente de sa langue et de sa culture.

    Depuis longtemps Aït Menguellet ne cesse de flirter avec le réel mieux que d’autres voix poétiques pour invoquer l’espoir en évoquent ce qui constitue le cœur même de l’humain, l’amour de la patrie, le sens de la dignité et des valeurs authentiques ; et plus le pays semble s’effriter plus il tente de le préserver par la simple magie des mots. Il s’est aussi forgé une opinion sur l’endormissement de son peuple par une alimentation spirituelle permanente et dangereuse. A cet égard, ses réflexions et sa philosophie empreintes d’une grande sagesse nous véhiculent dans l’histoire qui se confond au présent et conditionne l’avenir.

    Les œuvres d’Aït Menguellet ne peuvent appartenir à un espace contingent et un temps limité, elles débordent en amont et en aval des datations conventionnelles et jouent un rôle important à la hauteur de nos songes.

    Aux premiers abords ; l’homme est de l’espèce la plus rude. Physiquement assez fort, avec des moustaches en crocs. On pourrait d’ailleurs faire toute une typologie de celle-ci à travers ses photos et ses portraits où on le voit à la fois serein et mélancolique, avec un regard triste qui alterne tour à tour intelligence et nostalgie.

    Cet être simple, capable de gestes de bonté et de générosité qui lui valent d’ailleurs des dévouements inaltérables, cache tellement ses sentiments que certains le tiennent pour une nature insensible. Ce caractère ainsi sous-estimé abrite en réalité une clairvoyance tourmentée.

    Au moment où ces mots sont rédigés, Lounis Aït Menguellet est proche de la soixantaine. Il commence à vieillir, ça se voit sur son visage et ses tempes grisonnantes. Il n’a plus la souplesse d’autrefois et donne l’impression d’être fatigué. Fatigué par une errance sur les chemins de la vie, à la recherche de tout ce que nous avons perdu. Fatigué de voir son peuple en perpétuelle adversité. Fatigué de ne pouvoir guérir les tragédies nationales, les tourmentes régionales et les blessures familiales. Fatigué d’avoir raison mais demeure souvent incompris. Des fatigues qui caractérisent ce poète des heurts et des malheurs, d’une région et d’un peuple martyrisés, dont la réalité est souvent plus fantastique que la fiction.

    Beaucoup reste à dire et à s’écrire sur cette grandeur universelle dans une dimension locale. Le moindre est de le voir entrer dans la postérité par la grande voie royale.


    Arezki HAMOUDI
    Détenu de la cause berbère des années 70

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