Ramdane Achab est éditeur, linguiste, militant de la cause amazighe et enseignant. Il a donné un entretien au Café Littéraire de Béjaïa le 27 avril 2013. vu l'importance de l'analyse développée sur l'édition et la revendication amazigh, nous avons décidé de reproduire cette interview. Le tout, il va de soi, avec l’aimable accord de l’auteur et du Café littéraire de Bejaïa.
Le Café Littéraire de Béjaïa : A quelle période remonte la création de votre maison d’édition et qu’est-ce qui a motivé votre initiative intervenue, il faut l’admettre, dans un contexte de rétrécissement inquiétant du lectorat ?
Ramdane Achab : La maison d’édition existe juridiquement depuis fin 2008. L’activité éditoriale proprement dite remonte, elle, au mois d’août 2009, avec la publication des deux premiers ouvrages : Le Lexique français-anglais-tamazight de la linguistique, d’Abdelaziz Berkaï, et la réédition du premier roman de Nabile Farès : Yahia, Pas de Chance, un jeune homme de Kabylie.
La motivation principale : je voulais apporter ma petite pierre à l’édifice, surtout que de par mon parcours personnel, j’étais en contact avec un grand nombre d’auteurs, et notamment les auteurs berbérisants au sens large du terme, c’est-à-dire indépendamment de la langue d’écriture, et que j’avais une assez bonne vue d’ensemble du domaine amazigh de façon générale, du travail accompli et de celui, immense, qui reste à faire. Petite pierre à l’édifice, mais aussi l’intention (la prétention ?) d’apporter un petit plus quant à la qualité des contenus, par rapport en tout cas à ce que je voyais comme publications disponibles sur le marché algérien, par rapport aussi à ce que j’entrevoyais comme niveau d’exigence à atteindre. Permettez-moi d’insister sur cet aspect : la qualité des contenus. Il ne faut surtout pas se dire : il s’agit de Tamazight, l’écrit est quelque chose de relativement récent, il faut par conséquent être indulgent et publier n’importe quoi ou presque : cela s’appelle de la démagogie et du populisme. Ce n’est pas ma façon de voir les choses. Je pense au contraire que c’est dans ces premières années, ces premières décennies qu’il faut se montrer très vigilant pour que les essais soient concluants, que le lecteur soit réconforté, satisfait, rassuré, et que la qualité de la langue soit au rendez-vous.
Quant à votre question sur le lectorat, le sujet est très vaste et d’une très grande complexité. Je n’ai pas connaissance d’études sérieuses sur le sujet. Il nous faudrait des chiffres fiables sur la longue durée, des chiffres et aussi des analyses qui nous permettraient de mieux comprendre les évolutions. Devant de tels manques, je ne puis dire que des banalités ou des généralités. La lecture engage la responsabilité des parents et celle des pouvoirs publics, car elle s’acquiert et se développe au sein de la famille, à l’école, dans les institutions culturelles, etc. La lecture suppose aussi qu’une plus grande place soit accordée à la critique littéraire dans les médias. Elle suppose également une ouverture sur le monde, de l’esprit critique, la diversité de l’offre et la liberté de choix, etc. Elle suppose aussi une société apaisée, qui laisse une place relativement importante aux loisirs, au temps libre, à la culture en général, au développement, à l’épanouissement personnel et collectif. Ces conditions sont malheureusement loin d’être réunies chez nous. L’école notamment et les services publics en général ne jouent pas leur rôle. A cela s’ajoute la situation générale du pays : insécurité, incertitude, instabilité, chômage, injustice, violence, toutes sortes de maux sociaux comme la drogue et la prostitution, etc. Comment voulez-vous lire dans ces conditions, surtout que le prix du livre reste relativement élevé ? Comment peut-on attendre des citoyennes et des citoyens qu’ils pratiquent le patinage artistique, si on les entraîne quotidiennement au rugby ? La Kabylie notamment est particulièrement visée, et fait vraiment l’objet, cette fois-ci, d’un « programme spécial » destiné à la réduire définitivement. Mais ce n’est pas une raison, bien sûr, pour baisser les bras. L’édition est un défi qu’il faut relever, un pari sur l’avenir, un combat. Je crois que c’est un penseur italien qui disait qu’il faut opposer l’optimisme de la volonté au pessimisme de l’intelligence.
Le Café Littéraire de Béjaïa : Si vous deviez faire le bilan de votre activité éditoriale, pourriez-vous attester que votre contribution aura été satisfaisante du point de vue du nombre et de la qualité des titres publiés par votre maison d’édition ?
Ramdane Achab : En quatre ans environ, j’ai édité vingt-sept titres. Plusieurs dizaines d’ouvrages attendent dans mon ordinateur, et j’en reçois de nouveaux assez régulièrement. D’autre part, je viens de lancer, avec L’habitation kabyle d’Henri Genevois, la collection Fichier de Documentation Berbère, une façon de rendre hommage au travail monumental qui a été fait par les Pères Blancs d’Algérie pendant une trentaine d’années (1946-1976), en remettant à la disposition du public des publications bilingues qui ont traité de tous les aspects de la vie traditionnelle, en Kabylie surtout, mais aussi au Mzab, en Libye (Ghadamès), à Ouargla, etc. En plus de l’information et de l’analyse, toujours fiables et au plus près du terrain, qu’on trouve dans ces publications, il y a aussi la qualité de la langue, une qualité qui se perd à l’oral comme à l’écrit et qu’on ne retrouve plus, malheureusement, sous la plume de la plupart de nos jeunes écrivains. Mon activité éditoriale ne se limite pas aux seuls ouvrages écrits en tamazight (Akli Kebaïli, Ameziane Kezzar, Omar Oulamara, Mohia et autres co-auteurs). J’ai édité aussi des ouvrages en français (Des mots en rondelles, chroniques du journaliste El-Houari Dilmi, La Sainte, un roman de Mohammed Attaf, deux romans de Nabile Farès, un ouvrage de Brahim Salhi sur la citoyenneté et l’identité, Dans le giron d’une montagne de Bahia Amellal, La fête des Kabytchous de Nadia Mohia, deux ouvrages de Rachid Ali Yahia, un essai de critique cinématographique de Larbi Oudjedi, une étude de Perret-Donsimoni-Kemmar sur les bijoutiers d’Ath Yenni), ainsi que des ouvrages bilingues (La Ruche de Kabylie de Bahia Amellal, Le Roman de Chacal, de Brahim Zellal, Tirga n tmes de Hadjira Oubachir, un numéro spécial de la revue Tifin consacré à Mohia, un manuel de langue d’Amirouche Chelli, Contes de Figuig, de Hassane Benamara, L’habitation kabyle, d’Henri Genevois), voire trilingues comme le Lexique de Berkaï. Il faut ajouter à cette liste quatre gros dictionnaires : un Dictionnaire de proverbes kabyles de Ramdane At Mansour, un Dictionnaire de berbère libyen, de Jacques Lanfry, un Dictionnaire d’hydronymie générale de l’Afrique du Nord, de Foudil Cheriguen, et un Dictionnaire toponymique et historique de l’Algérie, de Mohand-Akli Haddadou. Je suis relativement satisfait de ce premier bilan, sur le double plan de la quantité et de la qualité des titres dont le mérite revient bien évidemment aux auteurs. Je suis d’ailleurs impressionné par le nombre de personnes qui écrivent. Mais ce premier bilan est infime par rapport à ce que l’on pourrait faire, si des moyens plus importants étaient réunis. J’ai d’ailleurs lancé récemment, dans un entretien publié par Algérie Express, un appel aux actions privées de soutien et de sponsoring.
La seule collection Fichier de Documentation Berbère va demander un travail monumental, parce que les dizaines de publications de ce Fichier vont toutes faire l’objet d’un travail de saisie informatique et d’actualisation de l’orthographe pour les parties amazighes. Aucune de ces publications n’a bénéficié de subventions publiques : une demande de soutien à l’édition déposée il y a environ trois ans au Ministère de la culture, concernant une dizaine de titres (dont l’œuvre complète de Hadjira Oubachir et le Dictionnaire de proverbes kabyles de Ramdane At Mansour) n’a connu aucune suite. Je n’ai même pas eu droit à une réponse négative.
Le Café Littéraire de Béjaïa : A quelle période remonte la création de votre maison d’édition et qu’est-ce qui a motivé votre initiative intervenue, il faut l’admettre, dans un contexte de rétrécissement inquiétant du lectorat ?
Ramdane Achab : La maison d’édition existe juridiquement depuis fin 2008. L’activité éditoriale proprement dite remonte, elle, au mois d’août 2009, avec la publication des deux premiers ouvrages : Le Lexique français-anglais-tamazight de la linguistique, d’Abdelaziz Berkaï, et la réédition du premier roman de Nabile Farès : Yahia, Pas de Chance, un jeune homme de Kabylie.
La motivation principale : je voulais apporter ma petite pierre à l’édifice, surtout que de par mon parcours personnel, j’étais en contact avec un grand nombre d’auteurs, et notamment les auteurs berbérisants au sens large du terme, c’est-à-dire indépendamment de la langue d’écriture, et que j’avais une assez bonne vue d’ensemble du domaine amazigh de façon générale, du travail accompli et de celui, immense, qui reste à faire. Petite pierre à l’édifice, mais aussi l’intention (la prétention ?) d’apporter un petit plus quant à la qualité des contenus, par rapport en tout cas à ce que je voyais comme publications disponibles sur le marché algérien, par rapport aussi à ce que j’entrevoyais comme niveau d’exigence à atteindre. Permettez-moi d’insister sur cet aspect : la qualité des contenus. Il ne faut surtout pas se dire : il s’agit de Tamazight, l’écrit est quelque chose de relativement récent, il faut par conséquent être indulgent et publier n’importe quoi ou presque : cela s’appelle de la démagogie et du populisme. Ce n’est pas ma façon de voir les choses. Je pense au contraire que c’est dans ces premières années, ces premières décennies qu’il faut se montrer très vigilant pour que les essais soient concluants, que le lecteur soit réconforté, satisfait, rassuré, et que la qualité de la langue soit au rendez-vous.
Quant à votre question sur le lectorat, le sujet est très vaste et d’une très grande complexité. Je n’ai pas connaissance d’études sérieuses sur le sujet. Il nous faudrait des chiffres fiables sur la longue durée, des chiffres et aussi des analyses qui nous permettraient de mieux comprendre les évolutions. Devant de tels manques, je ne puis dire que des banalités ou des généralités. La lecture engage la responsabilité des parents et celle des pouvoirs publics, car elle s’acquiert et se développe au sein de la famille, à l’école, dans les institutions culturelles, etc. La lecture suppose aussi qu’une plus grande place soit accordée à la critique littéraire dans les médias. Elle suppose également une ouverture sur le monde, de l’esprit critique, la diversité de l’offre et la liberté de choix, etc. Elle suppose aussi une société apaisée, qui laisse une place relativement importante aux loisirs, au temps libre, à la culture en général, au développement, à l’épanouissement personnel et collectif. Ces conditions sont malheureusement loin d’être réunies chez nous. L’école notamment et les services publics en général ne jouent pas leur rôle. A cela s’ajoute la situation générale du pays : insécurité, incertitude, instabilité, chômage, injustice, violence, toutes sortes de maux sociaux comme la drogue et la prostitution, etc. Comment voulez-vous lire dans ces conditions, surtout que le prix du livre reste relativement élevé ? Comment peut-on attendre des citoyennes et des citoyens qu’ils pratiquent le patinage artistique, si on les entraîne quotidiennement au rugby ? La Kabylie notamment est particulièrement visée, et fait vraiment l’objet, cette fois-ci, d’un « programme spécial » destiné à la réduire définitivement. Mais ce n’est pas une raison, bien sûr, pour baisser les bras. L’édition est un défi qu’il faut relever, un pari sur l’avenir, un combat. Je crois que c’est un penseur italien qui disait qu’il faut opposer l’optimisme de la volonté au pessimisme de l’intelligence.
Le Café Littéraire de Béjaïa : Si vous deviez faire le bilan de votre activité éditoriale, pourriez-vous attester que votre contribution aura été satisfaisante du point de vue du nombre et de la qualité des titres publiés par votre maison d’édition ?
Ramdane Achab : En quatre ans environ, j’ai édité vingt-sept titres. Plusieurs dizaines d’ouvrages attendent dans mon ordinateur, et j’en reçois de nouveaux assez régulièrement. D’autre part, je viens de lancer, avec L’habitation kabyle d’Henri Genevois, la collection Fichier de Documentation Berbère, une façon de rendre hommage au travail monumental qui a été fait par les Pères Blancs d’Algérie pendant une trentaine d’années (1946-1976), en remettant à la disposition du public des publications bilingues qui ont traité de tous les aspects de la vie traditionnelle, en Kabylie surtout, mais aussi au Mzab, en Libye (Ghadamès), à Ouargla, etc. En plus de l’information et de l’analyse, toujours fiables et au plus près du terrain, qu’on trouve dans ces publications, il y a aussi la qualité de la langue, une qualité qui se perd à l’oral comme à l’écrit et qu’on ne retrouve plus, malheureusement, sous la plume de la plupart de nos jeunes écrivains. Mon activité éditoriale ne se limite pas aux seuls ouvrages écrits en tamazight (Akli Kebaïli, Ameziane Kezzar, Omar Oulamara, Mohia et autres co-auteurs). J’ai édité aussi des ouvrages en français (Des mots en rondelles, chroniques du journaliste El-Houari Dilmi, La Sainte, un roman de Mohammed Attaf, deux romans de Nabile Farès, un ouvrage de Brahim Salhi sur la citoyenneté et l’identité, Dans le giron d’une montagne de Bahia Amellal, La fête des Kabytchous de Nadia Mohia, deux ouvrages de Rachid Ali Yahia, un essai de critique cinématographique de Larbi Oudjedi, une étude de Perret-Donsimoni-Kemmar sur les bijoutiers d’Ath Yenni), ainsi que des ouvrages bilingues (La Ruche de Kabylie de Bahia Amellal, Le Roman de Chacal, de Brahim Zellal, Tirga n tmes de Hadjira Oubachir, un numéro spécial de la revue Tifin consacré à Mohia, un manuel de langue d’Amirouche Chelli, Contes de Figuig, de Hassane Benamara, L’habitation kabyle, d’Henri Genevois), voire trilingues comme le Lexique de Berkaï. Il faut ajouter à cette liste quatre gros dictionnaires : un Dictionnaire de proverbes kabyles de Ramdane At Mansour, un Dictionnaire de berbère libyen, de Jacques Lanfry, un Dictionnaire d’hydronymie générale de l’Afrique du Nord, de Foudil Cheriguen, et un Dictionnaire toponymique et historique de l’Algérie, de Mohand-Akli Haddadou. Je suis relativement satisfait de ce premier bilan, sur le double plan de la quantité et de la qualité des titres dont le mérite revient bien évidemment aux auteurs. Je suis d’ailleurs impressionné par le nombre de personnes qui écrivent. Mais ce premier bilan est infime par rapport à ce que l’on pourrait faire, si des moyens plus importants étaient réunis. J’ai d’ailleurs lancé récemment, dans un entretien publié par Algérie Express, un appel aux actions privées de soutien et de sponsoring.
La seule collection Fichier de Documentation Berbère va demander un travail monumental, parce que les dizaines de publications de ce Fichier vont toutes faire l’objet d’un travail de saisie informatique et d’actualisation de l’orthographe pour les parties amazighes. Aucune de ces publications n’a bénéficié de subventions publiques : une demande de soutien à l’édition déposée il y a environ trois ans au Ministère de la culture, concernant une dizaine de titres (dont l’œuvre complète de Hadjira Oubachir et le Dictionnaire de proverbes kabyles de Ramdane At Mansour) n’a connu aucune suite. Je n’ai même pas eu droit à une réponse négative.

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