La langue berbère vit, depuis les années 90, un moment décisif de son histoire. Des décisions historiques majeures sont prises dans les deux principaux pays concernés (Algérie, Maroc) par les plus hautes autorités de l’Etat. Elles concernent principalement la question de l’enseignement de cette langue. Celui-ci, vu l’importance des enjeux pédagogiques, culturels et politiques, doit obéir à des règles de scientificité et d’objectivité. Notre intervention alimentera le débat autour de cette question à partir de deux expériences : l’une personnelle, et concerne l’enseignement du berbère que nous avons nous-même pris en charge à l’université de Toulouse II, et l’autre internationale, et concerne l’expérience de l’intégration du berbère dans le système éducatif marocain. L’objectif étant d’apporter quelques éléments de réponse au débat sur l’aménagement linguistique en Algérie, un débat qui détermine l’avenir du berbère dans ce pays».
Repères historiques : l’enseignement du berbère en Algérie
Rappelons d’abord qu’en Algérie, le berbère a été institutionnalisé très tôt, c’est-à-dire dès 1880 à la Faculté des lettres d’Alger, initialement appelée l’Ecole supérieure des lettres, puis à l’Ecole Normale de Bouzaréah. Très vite après, respectivement en 1885 et en 1887, un brevet de langue kabyle et un diplôme de « dialectes berbères » sont créés. La Faculté des lettres d’Alger, mais également l’Institut d’Etudes Orientales formeront ainsi un nombre important de berbérisants qui ont beaucoup apporté à la langue et à la culture berbères.
La chaire de berbère à la Faculté des lettres d’Alger, fut successivement occupée par des noms prestigieux : René Basset, André Basset et André Picard. Elle sera supprimée à l’indépendance. De toute cette tradition d’enseignement du berbère et de formation berbérisante, ne subsistera plus que le cours, tout juste toléré, de Mouloud Mammeri à la Faculté des Lettres d’Alger (1965-1972). Il s’agit d’un cours complémentaire en option rentrant dans le cadre de diplômes délivrés par cette Faculté.
Depuis, pour disposer d’une formation en berbère souvent de 3ème cycle, il fallait se tourner vers des pays occidentaux comme la France, l’Angleterre ou encore les Etats-Unis.
En effet, l’Algérie, pays désormais indépendant, entendant reconstruire l’unité nationale, jugeait impérieux, dans le cadre d’une vision arabo-musulmane très marquée, de nier toute forme de diversité linguistique susceptible de mettre en
danger, à ses yeux, l’unité de la nation. (V. S. Chaker, 1989 ; V. A. Bounfour, 1994). A partir de là, tout enseignement du berbère, fut-il à une échelle strictement universitaire, était perçu comme potentiellement porteur de risques majeurs de conflit.
Il faut attendre plusieurs décennies pour renouer avec cette tradition et aboutir enfin, en 1995, à la création du HCA (Haut Commissariat à l’Amazighité) et à l’enseignement à nouveau de la langue berbère.
Dans l’article 4, le décret du 28 mai 1995, portant création de cet organisme directement rattaché à la Présidence de la République, il est précisé que le HCA a pour mission : « La réhabilitation et la promotion de l’amazighité en tant que l’un des fondements de l’identité nationale ; l’introduction de la langue amazighe dans les systèmes de l’enseignement et de la communication ».
L’enseignement de la langue berbère était l’une des plus importantes revendications de toujours du Mouvement culturel berbère algérien. Cet enseignement qui a l’immense avantage d’exister, souffre tout de même d’un certain nombre de difficultés qui limitent son action : imprécision des objectifs pédagogiques, absence d’instruments didactiques, moyens financiers et humains limités, etc. L’heure est peut-être venue, comme le préconise à juste titre Le Centre National Pédagogique et Linguistique pour l’Enseignement de Tamazight (CNPLET), pour un aménagement linguistique doté d’outils didactiques adéquats et de moyens humains suffisants et formés pour cette tâche pédagogique qui ne peut être improvisée. L’Algérie dispose désormais d’une expérience appréciable d’enseignement/apprentissage qui autorise une évaluation objective dans le but d’asseoir cet enseignement sur des bases scientifiques solides. (V.N. Tigziri, Laceb, 2002). Il serait donc intéressant de faire appel aux expériences d’aménagement et d’enseignement des langues maternelles non officielles de par le monde, dans certains pays occidentaux, mais également au Maroc, comme on va évoquer ci-dessous, dont la situation sociolinguistique est comparable.
Diversité et unité de la langue berbère
Avant d’aller plus loin dans notre propos, interrogeons-nous d’abord sur le contenu de l’appellation «langue berbère». Il est vrai que l’on assiste
aujourd’hui à une extrême fragmentation de cette langue. Sa présence sur des territoires distants les uns des autres affaiblit considérablement les échanges linguistiques et favorise énormément le morcellement de la langue aussi bien sur le plan lexical que phonétique.
La facilité des moyens de communication au sens large, ces dernières décennies, a considérablement atténué1 ce problème en favorisant le contact entre les groupes berbérophones, mais il n’en demeure pas moins vrai que cette langue a souffert jusqu’à une date récente de l’absence de ce qui pouvait être l’atout majeur de son uniformisation et sa promotion à savoir une instance de normalisation officielle.
Cet état de choses amène les linguistes à considérer la notion de langue berbère comme une abstraction linguistique et non une réalité sociolinguistique identifiable et localisable. La seule réalité observable, ce sont en effet les usages locaux effectifs. Cette diversité, inhérente à toutes les communautés et à tous les systèmes linguistiques et non pas seulement au berbère, n’est pas incompatible avec l’unité fondamentale de cette langue. Même les grandes langues à vieille tradition scripturale ou normalisatrice connaissent ce phénomène universel. Il n’existe pas de langue homogène, identique à elle-même à tout point de vue. La sociolinguistique a depuis longtemps remis en cause cette illusion. La langue amazighe souffre justement de ces clichés largement répandus aussi bien dans la masse que chez certains intellectuels non spécialistes1.
La tradition berbérisante française a toujours fait sienne cette thèse d’unité. Venture de Paradis, l’un des premiers explorateurs linguistiques qui a mené ses enquêtes vers 1787-88 (publiées en 1838), reconnaissait déjà que le kabyle et le chleuh comme étant deux dialectes d’une seule et même langue. R. et A. Basset, grandes figures de cette tradition, ont toujours confirmé que «la langue berbère est une et chaque dialecte n’en est qu’une variante régionale».
Cependant, depuis 1985, des linguistes comme L. Galand parlent de langues berbères. Cette approche pluralisante est en rupture totale avec la conception unitaire jusque-là admise partout et par tout le monde y compris même la tradition arabe qui depuis toujours a considéré les Berbères comme un seul peuple, comme une seule nation et ce malgré l’extraordinaire fragmentation de ses tribus.
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Repères historiques : l’enseignement du berbère en Algérie
Rappelons d’abord qu’en Algérie, le berbère a été institutionnalisé très tôt, c’est-à-dire dès 1880 à la Faculté des lettres d’Alger, initialement appelée l’Ecole supérieure des lettres, puis à l’Ecole Normale de Bouzaréah. Très vite après, respectivement en 1885 et en 1887, un brevet de langue kabyle et un diplôme de « dialectes berbères » sont créés. La Faculté des lettres d’Alger, mais également l’Institut d’Etudes Orientales formeront ainsi un nombre important de berbérisants qui ont beaucoup apporté à la langue et à la culture berbères.
La chaire de berbère à la Faculté des lettres d’Alger, fut successivement occupée par des noms prestigieux : René Basset, André Basset et André Picard. Elle sera supprimée à l’indépendance. De toute cette tradition d’enseignement du berbère et de formation berbérisante, ne subsistera plus que le cours, tout juste toléré, de Mouloud Mammeri à la Faculté des Lettres d’Alger (1965-1972). Il s’agit d’un cours complémentaire en option rentrant dans le cadre de diplômes délivrés par cette Faculté.
Depuis, pour disposer d’une formation en berbère souvent de 3ème cycle, il fallait se tourner vers des pays occidentaux comme la France, l’Angleterre ou encore les Etats-Unis.
En effet, l’Algérie, pays désormais indépendant, entendant reconstruire l’unité nationale, jugeait impérieux, dans le cadre d’une vision arabo-musulmane très marquée, de nier toute forme de diversité linguistique susceptible de mettre en
danger, à ses yeux, l’unité de la nation. (V. S. Chaker, 1989 ; V. A. Bounfour, 1994). A partir de là, tout enseignement du berbère, fut-il à une échelle strictement universitaire, était perçu comme potentiellement porteur de risques majeurs de conflit.
Il faut attendre plusieurs décennies pour renouer avec cette tradition et aboutir enfin, en 1995, à la création du HCA (Haut Commissariat à l’Amazighité) et à l’enseignement à nouveau de la langue berbère.
Dans l’article 4, le décret du 28 mai 1995, portant création de cet organisme directement rattaché à la Présidence de la République, il est précisé que le HCA a pour mission : « La réhabilitation et la promotion de l’amazighité en tant que l’un des fondements de l’identité nationale ; l’introduction de la langue amazighe dans les systèmes de l’enseignement et de la communication ».
L’enseignement de la langue berbère était l’une des plus importantes revendications de toujours du Mouvement culturel berbère algérien. Cet enseignement qui a l’immense avantage d’exister, souffre tout de même d’un certain nombre de difficultés qui limitent son action : imprécision des objectifs pédagogiques, absence d’instruments didactiques, moyens financiers et humains limités, etc. L’heure est peut-être venue, comme le préconise à juste titre Le Centre National Pédagogique et Linguistique pour l’Enseignement de Tamazight (CNPLET), pour un aménagement linguistique doté d’outils didactiques adéquats et de moyens humains suffisants et formés pour cette tâche pédagogique qui ne peut être improvisée. L’Algérie dispose désormais d’une expérience appréciable d’enseignement/apprentissage qui autorise une évaluation objective dans le but d’asseoir cet enseignement sur des bases scientifiques solides. (V.N. Tigziri, Laceb, 2002). Il serait donc intéressant de faire appel aux expériences d’aménagement et d’enseignement des langues maternelles non officielles de par le monde, dans certains pays occidentaux, mais également au Maroc, comme on va évoquer ci-dessous, dont la situation sociolinguistique est comparable.
Diversité et unité de la langue berbère
Avant d’aller plus loin dans notre propos, interrogeons-nous d’abord sur le contenu de l’appellation «langue berbère». Il est vrai que l’on assiste
aujourd’hui à une extrême fragmentation de cette langue. Sa présence sur des territoires distants les uns des autres affaiblit considérablement les échanges linguistiques et favorise énormément le morcellement de la langue aussi bien sur le plan lexical que phonétique.
La facilité des moyens de communication au sens large, ces dernières décennies, a considérablement atténué1 ce problème en favorisant le contact entre les groupes berbérophones, mais il n’en demeure pas moins vrai que cette langue a souffert jusqu’à une date récente de l’absence de ce qui pouvait être l’atout majeur de son uniformisation et sa promotion à savoir une instance de normalisation officielle.
Cet état de choses amène les linguistes à considérer la notion de langue berbère comme une abstraction linguistique et non une réalité sociolinguistique identifiable et localisable. La seule réalité observable, ce sont en effet les usages locaux effectifs. Cette diversité, inhérente à toutes les communautés et à tous les systèmes linguistiques et non pas seulement au berbère, n’est pas incompatible avec l’unité fondamentale de cette langue. Même les grandes langues à vieille tradition scripturale ou normalisatrice connaissent ce phénomène universel. Il n’existe pas de langue homogène, identique à elle-même à tout point de vue. La sociolinguistique a depuis longtemps remis en cause cette illusion. La langue amazighe souffre justement de ces clichés largement répandus aussi bien dans la masse que chez certains intellectuels non spécialistes1.
La tradition berbérisante française a toujours fait sienne cette thèse d’unité. Venture de Paradis, l’un des premiers explorateurs linguistiques qui a mené ses enquêtes vers 1787-88 (publiées en 1838), reconnaissait déjà que le kabyle et le chleuh comme étant deux dialectes d’une seule et même langue. R. et A. Basset, grandes figures de cette tradition, ont toujours confirmé que «la langue berbère est une et chaque dialecte n’en est qu’une variante régionale».
Cependant, depuis 1985, des linguistes comme L. Galand parlent de langues berbères. Cette approche pluralisante est en rupture totale avec la conception unitaire jusque-là admise partout et par tout le monde y compris même la tradition arabe qui depuis toujours a considéré les Berbères comme un seul peuple, comme une seule nation et ce malgré l’extraordinaire fragmentation de ses tribus.
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