Commerce maritime et islamisation dans l’océan Indien : les premières mosquées swahilies (xie-xiiie siècles)
Wa-swahili, ou « ceux du rivage »1, désigne les habitants du littoral de l'Afrique orientale . Les géographes arabo-persans appelaient « Zandjî », les habitants des côtes d'Afrique orientale2. Les Portugais avaient eux aussi remarqué une différence entre les Africains du continent et les gens de la côte, qu'ils assimilaient à des Maures ou des Caffres par référence à leur religion et à leurs coutumes. C’est au début xixe qu’apparaissent les premières utilisations du mot « swahili » comme reconnaissance d’une population ; les colons ayant besoin de classifier et de différencier les populations africaines. Les Swahilis se reconnaissent comme tels depuis la période coloniale, mais ils se dénomment entre eux selon leur région d’origine, leur île ou leur ville comme les Bajûn (wa-Gunya), les wa-Pate, ou les wa-Mvita de Mombasa. Malgré un fond commun, il n’y a pas une, mais des réalités swahilies, ce fond culturel commun englobe des populations d’origines différentes, certaines couchitiques, d’autres bantoues. Le terme « swahili » recouvre donc une réalité complexe : il ne désigne pas une population, mais une culture, composée de plusieurs groupes swahili phones. En revanche, ces populations côtières partagent une même organisation sociale, une même architecture, une même langue, le kiswahili, et, plus particulièrement, une même religion, l’islam.
Plus de 450 sites archéologiques swahilis ont été enregistrés, répartis sur 3 000 km de côte. Ils laissent émerger le long de la côte orientale, aux Comores et à Madagascar plusieurs types d’expression homogènes, en particulier ce qui a trait au culte, car les gens traversaient les mers sur de grandes distances, tout en diffusant des idées et des techniques nouvelles. Le caractère marginal de la population swahilie, qui ressort de l’historiographie, est liée à notre vision de l'océan Indien qui sépare l'Afrique, l'Arabie et l'Asie ; alors que l’océan Indien apparaît comme un formidable trait d'union entre des cultures très variées. De ce point de vue, les Swahilis furent des acteurs dynamiques des relations transocéaniques, égaux aux marchands arabes, perses et indiens.
L’explication de cette expansion tient avant tout à l’activité principale des Swahilis, le commerce maritime, dont il sera question dans un premier temps. Cette civilisation, à la périphérie des mondes musulman et africain, occupa une position extrêmement propice au développement d'une culture littorale originale, fondée sur les relations commerciales et la diffusion de l’islam. La construction de mosquées témoigne de ce processus d’islamisation progressif de cette très longue bande côtière. C’est cet aspect que nous allons analyser dans une deuxième partie. Parmi les acteurs de cette islamisation, les shirâzis shiites jouèrent un rôle particulier qu’il faudra examiner dans une dernière partie.
Carte de l’océan Indien et des principaux ports médiévaux arabes et africains

Ports et commerce maritime
La côte orientale de l’Afrique bénéficie de vents de mousson qui soufflent d'avril à août dans un sens, puis changent d'orientation de décembre à mars. Ce système cyclique permettait aux bateaux arabes et indiens d'aborder facilement les côtes africaines puis de repartir vers leur point d'origine tout aussi aisément. Mogadiscio, en Somalie, forme la limite nord de l'aire culturelle swahilie. La portion de côte entre cette cité et l'archipel de Lamu est surnommée le Bénadir, mot arabo-persan signifiant la côte des ports. La limite sud de la culture swahilie correspond à la baie de Sofala du Mozambique actuel. C'est dans cette région que les islamisés venaient chercher l'or dont ils avaient besoin. À l’époque médiévale, les géographes arabes divisaient la côte africaine en quatre régions : les navigateurs touchaient d'abord « le pays des Barbares » (Bilâd al-Barbar), venait ensuite « le pays des Zandj » (Bilâd al-Zandjî) , situé entre le fleuve somalien Shebele et l'île de Zanzibar3, puis ils arrivaient au « pays de Sofala » (Bilâd al-Sufâla), zone comprise entre les embouchures du Zambèze et du Limpopo, appelée aussi « l'or de Sofala » (Sufâla al-Dhahab), enfin certains marins allaient jusqu'au mystérieux « pays des Wâk-wâk », la grande île de Madagascar.
L'économie est au centre de la société swahilie, tributaire des échanges à longue distance. Les cités littorales formaient une interface ethnique et culturelle entre les Africains des hauts-plateaux et les marchands de l'océan Indien. Les Swahilis étaient donc extrêmement vulnérables aux fluctuations des marchés et la construction d’un port reste un facteur décisif de l'urbanisation, c’est là qu’arrivaient les marchandises et de là qu’elles repartaient ; c'est là que les taxes étaient acquittées et que les échanges furent réalisés. Le port concentre les richesses et favorise les évolutions culturelles et techniques. Malheureusement, les caractères physiques des ports swahilis sont impossibles à cerner puisqu'un bout de plage suffisait pour échouer des boutres à faible tirant d'eau. Les bateaux marchands utilisés par les Swahilis sont des boutres à voile latine et à faible tirant d'eau, appelés « dhows ». Beaucoup de navires appartenaient à des marchands et des marins indiens du Gujerat. Les bateaux partaient du golfe Persique entre novembre et décembre, faisaient escale à Merka et Barawa, puis descendaient vers Lamu et Mombasa, avant d'arriver fin février à Zanzibar et à Kilwa. Ils repartaient au printemps avec le renversement des vents de la mousson. Les caravelles et les galions portugais les concurrencèrent, sans réussir à détrôner ces modes de transport. Au xixe siècle, les grands dhows sont remplacés par des bateaux à vapeur (Pradines, 2004 : 87).
L'Afrique orientale exportait surtout des matières premières. Ces produits sont pour la plupart invisibles aux yeux des archéologues puisqu'il s'agit de matériaux organiques, comme l'ivoire, les peaux de léopard, le tissu ou le bois. Une des marchandises les plus prisées était l'ivoire. Les défenses étaient généralement vendues brutes par les villes de Vumba, Mombasa, Malindi, Lamu et Pate puis étaient travaillées dans les lieux d’importation, comme Le Caire à l'époque fatimide. Outre les revenus du commerce et de la pêche, les cités swahilies possédaient des plantations leur permettant de subvenir à leurs besoins. Les autres produits agricoles, de chasse ou de cueillette étaient fournis par des populations de l'hinterland côtier. Divers produits agricoles swahilis étaient aussi exportés, comme les noix de coco ou le riz. Des archives du xve siècle des douanes d'Aden, font mention de riz importé de Kilwa, mais Neville Chittick pense quant à lui que ce riz ne faisait que transiter par Kilwa et venait en fait de Madagascar (Chittick, 1980 : 19). Le clou de girofle est introduit à Zanzibar en 1818 par Sa’îd ibn Sultân qui en fait le principal produit d'exportation de Pemba et de Zanzibar. Le bois d'œuvre de mangrove était exporté en grande quantité vers les pays du golfe Persique, sous le nom arabe de saj ou mwangati en kiswahili. Les Swahilis ont aussi fourni à l'Oman et au Koweit des bois travaillés, comme des portes et des frontons sculptés (P. Bonnenfant et H. Sulayman al-Harthi, 1977 : 116 et Lewcock, 1978).
Al-Idrisi parle de plusieurs grands centres d'exploitation du fer, situés entre Malindi et Mombasa. Ce fer aurait été la première source de revenus de cette région et les Indiens auraient importé de grosses quantités de ce métal pour en faire des armes en acier (Al-Idrisi, édition de 1970 : 59-60 et 68-69). Nos recherches à Gedi ont confirmé que la production de fer était très importante dans les niveaux anciens, datés du xiie au xiiie siècle. Selon Muktahar ibn Tahir al-Maqdisî, le pays des Zendjs fournit beaucoup d'or aux Arabes dès le xe siècle (Moffa, 1995 : 96-97). Les bénéfices de ce commerce jouèrent un rôle non négligeable dans la prospérité du royaume du Grand Zimbabwe qui exploitait de nombreuses mines. L'or extrait était envoyé à Sofala, localité vassale de Kilwa Kisiwani à partir du xiie siècle. L'or était redistribué par Kilwa qui s'assura ainsi une position de monopole jusqu'au xve siècle (Mathew, 1963 : 112). En 1501, Cabral arraisonna deux bateaux de Kilwa remplis d'or (Freeman-Grenville, 1962 : 59-60). Le « métal jaune » devint le principal produit africain digne d'intérêt aux yeux des Portugais qui s'implantèrent par la suite au Mozambique et dans l'arrière pays de Sofala (Freeman-Grenville, 1962 : 59-60). L'or africain, mais aussi le cristal de roche, étaient des matières premières très demandées sous les Fatimides. Des éléments en cristal de roche ont été retrouvés sur plusieurs sites de la côte swahilie, à Gomani sur l'île de Tumbatu, à Gedi, à Manda et à Shanga. Ce minéral serait étranger aux zones littorales et viendrait de la vallée de Kerio ou de la vallée du Rift.
Le commerce maritime dans l’océan Indien a permis l’éclosion d’une culture africaine originale, la culture swahilie. Les premières traces archéologiques de l’islamisation en Afrique orientale remontent au xie siècle et sont caractérisées par des mosquées en calcaire corallien. L'islam swahili, tolérant et syncrétique, s'est imposé en douceur par l'intermédiaire de petits groupes de marchands et de réfugiés arabo-persans shiites, appelés shirâzis. Ces communautés ont joué un rôle décisif dans l’urbanisation de la côte orientale de l’Afrique.
Plus de 450 sites archéologiques swahilis ont été enregistrés, répartis sur 3 000 km de côte. Ils laissent émerger le long de la côte orientale, aux Comores et à Madagascar plusieurs types d’expression homogènes, en particulier ce qui a trait au culte, car les gens traversaient les mers sur de grandes distances, tout en diffusant des idées et des techniques nouvelles. Le caractère marginal de la population swahilie, qui ressort de l’historiographie, est liée à notre vision de l'océan Indien qui sépare l'Afrique, l'Arabie et l'Asie ; alors que l’océan Indien apparaît comme un formidable trait d'union entre des cultures très variées. De ce point de vue, les Swahilis furent des acteurs dynamiques des relations transocéaniques, égaux aux marchands arabes, perses et indiens.
L’explication de cette expansion tient avant tout à l’activité principale des Swahilis, le commerce maritime, dont il sera question dans un premier temps. Cette civilisation, à la périphérie des mondes musulman et africain, occupa une position extrêmement propice au développement d'une culture littorale originale, fondée sur les relations commerciales et la diffusion de l’islam. La construction de mosquées témoigne de ce processus d’islamisation progressif de cette très longue bande côtière. C’est cet aspect que nous allons analyser dans une deuxième partie. Parmi les acteurs de cette islamisation, les shirâzis shiites jouèrent un rôle particulier qu’il faudra examiner dans une dernière partie.
Carte de l’océan Indien et des principaux ports médiévaux arabes et africains

Ports et commerce maritime
La côte orientale de l’Afrique bénéficie de vents de mousson qui soufflent d'avril à août dans un sens, puis changent d'orientation de décembre à mars. Ce système cyclique permettait aux bateaux arabes et indiens d'aborder facilement les côtes africaines puis de repartir vers leur point d'origine tout aussi aisément. Mogadiscio, en Somalie, forme la limite nord de l'aire culturelle swahilie. La portion de côte entre cette cité et l'archipel de Lamu est surnommée le Bénadir, mot arabo-persan signifiant la côte des ports. La limite sud de la culture swahilie correspond à la baie de Sofala du Mozambique actuel. C'est dans cette région que les islamisés venaient chercher l'or dont ils avaient besoin. À l’époque médiévale, les géographes arabes divisaient la côte africaine en quatre régions : les navigateurs touchaient d'abord « le pays des Barbares » (Bilâd al-Barbar), venait ensuite « le pays des Zandj » (Bilâd al-Zandjî) , situé entre le fleuve somalien Shebele et l'île de Zanzibar3, puis ils arrivaient au « pays de Sofala » (Bilâd al-Sufâla), zone comprise entre les embouchures du Zambèze et du Limpopo, appelée aussi « l'or de Sofala » (Sufâla al-Dhahab), enfin certains marins allaient jusqu'au mystérieux « pays des Wâk-wâk », la grande île de Madagascar.
L'économie est au centre de la société swahilie, tributaire des échanges à longue distance. Les cités littorales formaient une interface ethnique et culturelle entre les Africains des hauts-plateaux et les marchands de l'océan Indien. Les Swahilis étaient donc extrêmement vulnérables aux fluctuations des marchés et la construction d’un port reste un facteur décisif de l'urbanisation, c’est là qu’arrivaient les marchandises et de là qu’elles repartaient ; c'est là que les taxes étaient acquittées et que les échanges furent réalisés. Le port concentre les richesses et favorise les évolutions culturelles et techniques. Malheureusement, les caractères physiques des ports swahilis sont impossibles à cerner puisqu'un bout de plage suffisait pour échouer des boutres à faible tirant d'eau. Les bateaux marchands utilisés par les Swahilis sont des boutres à voile latine et à faible tirant d'eau, appelés « dhows ». Beaucoup de navires appartenaient à des marchands et des marins indiens du Gujerat. Les bateaux partaient du golfe Persique entre novembre et décembre, faisaient escale à Merka et Barawa, puis descendaient vers Lamu et Mombasa, avant d'arriver fin février à Zanzibar et à Kilwa. Ils repartaient au printemps avec le renversement des vents de la mousson. Les caravelles et les galions portugais les concurrencèrent, sans réussir à détrôner ces modes de transport. Au xixe siècle, les grands dhows sont remplacés par des bateaux à vapeur (Pradines, 2004 : 87).
L'Afrique orientale exportait surtout des matières premières. Ces produits sont pour la plupart invisibles aux yeux des archéologues puisqu'il s'agit de matériaux organiques, comme l'ivoire, les peaux de léopard, le tissu ou le bois. Une des marchandises les plus prisées était l'ivoire. Les défenses étaient généralement vendues brutes par les villes de Vumba, Mombasa, Malindi, Lamu et Pate puis étaient travaillées dans les lieux d’importation, comme Le Caire à l'époque fatimide. Outre les revenus du commerce et de la pêche, les cités swahilies possédaient des plantations leur permettant de subvenir à leurs besoins. Les autres produits agricoles, de chasse ou de cueillette étaient fournis par des populations de l'hinterland côtier. Divers produits agricoles swahilis étaient aussi exportés, comme les noix de coco ou le riz. Des archives du xve siècle des douanes d'Aden, font mention de riz importé de Kilwa, mais Neville Chittick pense quant à lui que ce riz ne faisait que transiter par Kilwa et venait en fait de Madagascar (Chittick, 1980 : 19). Le clou de girofle est introduit à Zanzibar en 1818 par Sa’îd ibn Sultân qui en fait le principal produit d'exportation de Pemba et de Zanzibar. Le bois d'œuvre de mangrove était exporté en grande quantité vers les pays du golfe Persique, sous le nom arabe de saj ou mwangati en kiswahili. Les Swahilis ont aussi fourni à l'Oman et au Koweit des bois travaillés, comme des portes et des frontons sculptés (P. Bonnenfant et H. Sulayman al-Harthi, 1977 : 116 et Lewcock, 1978).
Al-Idrisi parle de plusieurs grands centres d'exploitation du fer, situés entre Malindi et Mombasa. Ce fer aurait été la première source de revenus de cette région et les Indiens auraient importé de grosses quantités de ce métal pour en faire des armes en acier (Al-Idrisi, édition de 1970 : 59-60 et 68-69). Nos recherches à Gedi ont confirmé que la production de fer était très importante dans les niveaux anciens, datés du xiie au xiiie siècle. Selon Muktahar ibn Tahir al-Maqdisî, le pays des Zendjs fournit beaucoup d'or aux Arabes dès le xe siècle (Moffa, 1995 : 96-97). Les bénéfices de ce commerce jouèrent un rôle non négligeable dans la prospérité du royaume du Grand Zimbabwe qui exploitait de nombreuses mines. L'or extrait était envoyé à Sofala, localité vassale de Kilwa Kisiwani à partir du xiie siècle. L'or était redistribué par Kilwa qui s'assura ainsi une position de monopole jusqu'au xve siècle (Mathew, 1963 : 112). En 1501, Cabral arraisonna deux bateaux de Kilwa remplis d'or (Freeman-Grenville, 1962 : 59-60). Le « métal jaune » devint le principal produit africain digne d'intérêt aux yeux des Portugais qui s'implantèrent par la suite au Mozambique et dans l'arrière pays de Sofala (Freeman-Grenville, 1962 : 59-60). L'or africain, mais aussi le cristal de roche, étaient des matières premières très demandées sous les Fatimides. Des éléments en cristal de roche ont été retrouvés sur plusieurs sites de la côte swahilie, à Gomani sur l'île de Tumbatu, à Gedi, à Manda et à Shanga. Ce minéral serait étranger aux zones littorales et viendrait de la vallée de Kerio ou de la vallée du Rift.




Commentaire