Le système normatif (États, religions & idéologies) est aujourd’hui déstabilisé par la prodigieuse efficacité du système productif (capitalisme, sciences & techniques
La communauté humaine du 21e siècle est assujettie à des puissances qui ont la capacité de déterminer son devenir historique. Quatre puissances principales sont aujourd’hui nettement constituées : les États, le capitalisme, les religions et la science. Les modalités d’action de ces quatre puissances ne sont pas identiques : les deux premières constituent des pouvoirs, les deux dernières sont des pôles d’influence. Cette dichotomie entre pouvoir et influence a toujours existé, mais elle s’est complexifiée au fil de notre histoire.
Les interactions
Aulnas tab
Les quatre puissances sont en interaction. Elles forment un système très évolutif et instable qui trouve à chaque moment de l’histoire un équilibre provisoire permettant aux hommes de s’adapter. Mais les évolutions étant de plus en plus rapides depuis deux siècles, l’équilibre du monde actuel est ressenti comme précaire et génère la peur de l’avenir. Il est tout à fait naturel, humain, que l’indétermination du futur suscite des craintes irrationnelles, mais le risque principal est leur exploitation par l’une des quatre puissances : le pouvoir politique.
L’histoire a progressivement renforcé le rôle du système productif (capitalisme et sciences) qui était à l’origine très simple et ne jouait qu’un rôle mineur, du moins sur le court terme historique. Le système normatif (États et religions) a donc longtemps disposé de presque toute la puissance. Un bref historique permettra de mettre en évidence cette idée.
Évolution historique : de deux à quatre puissances
Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, pouvoirs politique et économique étaient à peu de choses près confondus. Du moins appartenaient-ils aux mêmes personnes. Le pouvoir économique dans l’Égypte ancienne était entre les mains des pharaons et de l’aristocratie. Il en allait de même à Rome. Les patriciens qui détenaient le pouvoir politique étaient aussi les propriétaires des grands domaines fonciers et des esclaves qui constituaient l’essentiel de l’économie. Au Moyen Âge, l’organisation féodale repose sur une hiérarchie de fiefs dirigés par la noblesse. Le seigneur exerce sur son fief à la fois le pouvoir politique (justice, police, guerre) et le pouvoir économique (la terre lui appartient et les serfs sont attachés au domaine). Le pôle d’influence unique est, pendant toute cette période, la religion. La science n’existe pas. Le schéma des puissances ne comporte donc que deux éléments : le pouvoir politico-économique qui est entre les mains d’une petite oligarchie (souverains et aristocrates) ; un seul pôle d’influence : la religion. La religion officielle joue un rôle majeur car le contenu des normes juridiques doit respecter strictement les préceptes religieux. L’apparition du monothéisme chrétien, à contenu éthique plus précis et plus contraignant, renforcera le rôle politique de la religion au Moyen Âge.
À partir de la Renaissance, au 15e siècle, l’Occident va connaître des bouleversements majeurs. L’aristocratie du Moyen Âge perd peu à peu son pouvoir et les États-nations se constituent. A côté de l’économie traditionnelle, reposant sur le grand domaine rural et le petit artisanat, apparaît au 18e siècle le capitalisme. Des moyens de production beaucoup plus importants sont mobilisés et les quantités produites augmentent. À la même époque, la recherche scientifique devient une activité à part entière, ce qu’elle n’avait jamais été. Même si certains principes scientifiques remontent à la Grèce antique, l’aristocratie de cette époque considérait la science comme un art, à l’égal de la poésie ou de la peinture. La mise en œuvre de technologies nouvelles était tout à fait étrangère aux aristocrates de l’Antiquité. L’une des causes de la chute de l’empire romain d’Occident au 5e siècle se trouve dans l’incapacité culturelle de cette énorme structure politique d’utiliser la science et la technologie pour dynamiser son économie.
Il faudra mille ans de Moyen Âge pour que, à partir du 15e siècle, les hommes prennent lentement conscience que leur action peut avoir une influence déterminante sur leur devenir historique. Les historiens ont appelé cette période Renaissance. Il s’agit en réalité d’une prise de conscience qui se déroulera progressivement sur quelques siècles et qui peut être schématisée ainsi : nous autres, humains, ne sommes pas seulement le jouet des dieux, nous avons une histoire et pouvons l’infléchir par notre intelligence. À partir du 18e siècle, cette évolution culturelle fondamentale est un acquis. Le progrès scientifique et technique permet l’émergence d’une capacité de production beaucoup plus importante (révolution industrielle) nécessitant des moyens de financement considérables. Le capitalisme est né. Il prend conscience, bien avant les économistes (l’analyse de la réalité demande du temps), que la destruction créatrice représente un élément moteur de l’histoire. Le capitalisme utilisera systématiquement la science pour asseoir sa puissance. Les quatre puissances qui dominent encore le monde sont constituées à partir du 19e siècle.
L’apparition des idéologies
Au 19e siècle naissent les idéologies. Il s’agit d’explications globales comme les religions, mais n’utilisant pas le concept de dieu. Au cours des deux derniers siècles, la seule idéologie qui ait eu une influence importante, mais brève, est le marxisme. Cette pensée propose une vision de l’histoire axée sur la notion de lutte des classes sociales. À terme, une société sans classes, donc sans injustice, doit voir le jour. L’État, c’est-à-dire le pouvoir politique, disparait. L’administration des choses remplace le gouvernement des hommes. L’influence géopolitique du marxisme a été importante au 20e siècle puisque des États (URSS, Chine, etc.) prétendaient mettre en œuvre la pensée de Marx. Ils ont donc créé une structure productive entièrement étatique qui s’est révélée totalement inefficace par rapport au capitalisme. Au début du 21e siècle, il subsiste quelques États se réclamant encore du marxisme, mais il s’agit de dictatures assez sordides qui disparaîtront tôt ou tard. La Chine quitte progressivement l’orthodoxie marxiste du fait de sa réussite économique qui nécessite souplesse et adaptabilité.
L’idéologie marxiste a donc constitué un pôle d’influence essentiel au 20e siècle, aux côtés des religions. Il s’agissait pour les États communistes, d’une sorte de religion officielle, mais sans dieu. Dans les États démocratiques, des partis communistes et socialistes ont joué un rôle important en tant que force d’opposition au capitalisme. Ils ont poussé les États à intervenir dans l’économie, les transformant ainsi en centres de pouvoir économique, à côté du capitalisme. Le socialisme et le communisme ne peuvent pas être considérés comme les seuls bâtisseurs de l’État-providence, mais ils ont influencé l’orientation en ce sens.
Aujourd’hui, le communisme a presque disparu et le socialisme s’est adapté aux réalités en abandonnant l’essentiel de son idéologie traditionnelle. L’idéologie marxiste est morte et constitue une explication du devenir historique correspondant à certaines réalités du 19e siècle (l’exploitation de la classe ouvrière par la bourgeoisie était bien réelle) et à une forme de pensée scientiste prétendant pouvoir élaborer une conception générale du monde avec quelques concepts (Weltanschauung).
L’efficacité productive croissante du capitalisme a conduit à la fin du 20e siècle à un nouveau questionnement : la conciliation de l’économie et de l’écologie. De petits partis politiques écologistes sont apparus et ils ont construit un corps de doctrine. La question est de savoir s’il s’agit d’une idéologie émergente. La réponse est plutôt positive car la pensée écologiste dessine notre avenir de façon très stricte sur la base d’un ensemble d’idées assez articulées et formant un véritable corpus doctrinal : économie d’énergie et de matières premières par la réglementation étatique, relocalisation des productions, réglementation stricte du transport et du logement, fiscalité fortement incitative, etc. Les écologistes veulent imposer à tous un comportement jugé par eux vertueux en agissant par l’intermédiaire du pouvoir étatique. Il s’agit là d’une forme d’autoritarisme caractéristique de toutes les idéologies : la certitude de détenir la vérité conduit à vouloir l’imposer à tous. Il n’est pas possible de développer cette problématique nouvelle ici. Disons simplement que l’écologisme constitue un danger important car il cherche à s’emparer de l’appareil étatique avec l’ambition de soumettre à sa doctrine tout le système productif : capitalisme, sciences et techniques. L’objectif est le monopole écologiste sur les quatre puissances en utilisant l’État comme instrument de domination. Le potentiel totalitariste de l’idéologie écologiste est donc élevé.
La communauté humaine du 21e siècle est assujettie à des puissances qui ont la capacité de déterminer son devenir historique. Quatre puissances principales sont aujourd’hui nettement constituées : les États, le capitalisme, les religions et la science. Les modalités d’action de ces quatre puissances ne sont pas identiques : les deux premières constituent des pouvoirs, les deux dernières sont des pôles d’influence. Cette dichotomie entre pouvoir et influence a toujours existé, mais elle s’est complexifiée au fil de notre histoire.
Les interactions
Aulnas tab
Les quatre puissances sont en interaction. Elles forment un système très évolutif et instable qui trouve à chaque moment de l’histoire un équilibre provisoire permettant aux hommes de s’adapter. Mais les évolutions étant de plus en plus rapides depuis deux siècles, l’équilibre du monde actuel est ressenti comme précaire et génère la peur de l’avenir. Il est tout à fait naturel, humain, que l’indétermination du futur suscite des craintes irrationnelles, mais le risque principal est leur exploitation par l’une des quatre puissances : le pouvoir politique.
L’histoire a progressivement renforcé le rôle du système productif (capitalisme et sciences) qui était à l’origine très simple et ne jouait qu’un rôle mineur, du moins sur le court terme historique. Le système normatif (États et religions) a donc longtemps disposé de presque toute la puissance. Un bref historique permettra de mettre en évidence cette idée.
Évolution historique : de deux à quatre puissances
Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, pouvoirs politique et économique étaient à peu de choses près confondus. Du moins appartenaient-ils aux mêmes personnes. Le pouvoir économique dans l’Égypte ancienne était entre les mains des pharaons et de l’aristocratie. Il en allait de même à Rome. Les patriciens qui détenaient le pouvoir politique étaient aussi les propriétaires des grands domaines fonciers et des esclaves qui constituaient l’essentiel de l’économie. Au Moyen Âge, l’organisation féodale repose sur une hiérarchie de fiefs dirigés par la noblesse. Le seigneur exerce sur son fief à la fois le pouvoir politique (justice, police, guerre) et le pouvoir économique (la terre lui appartient et les serfs sont attachés au domaine). Le pôle d’influence unique est, pendant toute cette période, la religion. La science n’existe pas. Le schéma des puissances ne comporte donc que deux éléments : le pouvoir politico-économique qui est entre les mains d’une petite oligarchie (souverains et aristocrates) ; un seul pôle d’influence : la religion. La religion officielle joue un rôle majeur car le contenu des normes juridiques doit respecter strictement les préceptes religieux. L’apparition du monothéisme chrétien, à contenu éthique plus précis et plus contraignant, renforcera le rôle politique de la religion au Moyen Âge.
À partir de la Renaissance, au 15e siècle, l’Occident va connaître des bouleversements majeurs. L’aristocratie du Moyen Âge perd peu à peu son pouvoir et les États-nations se constituent. A côté de l’économie traditionnelle, reposant sur le grand domaine rural et le petit artisanat, apparaît au 18e siècle le capitalisme. Des moyens de production beaucoup plus importants sont mobilisés et les quantités produites augmentent. À la même époque, la recherche scientifique devient une activité à part entière, ce qu’elle n’avait jamais été. Même si certains principes scientifiques remontent à la Grèce antique, l’aristocratie de cette époque considérait la science comme un art, à l’égal de la poésie ou de la peinture. La mise en œuvre de technologies nouvelles était tout à fait étrangère aux aristocrates de l’Antiquité. L’une des causes de la chute de l’empire romain d’Occident au 5e siècle se trouve dans l’incapacité culturelle de cette énorme structure politique d’utiliser la science et la technologie pour dynamiser son économie.
Il faudra mille ans de Moyen Âge pour que, à partir du 15e siècle, les hommes prennent lentement conscience que leur action peut avoir une influence déterminante sur leur devenir historique. Les historiens ont appelé cette période Renaissance. Il s’agit en réalité d’une prise de conscience qui se déroulera progressivement sur quelques siècles et qui peut être schématisée ainsi : nous autres, humains, ne sommes pas seulement le jouet des dieux, nous avons une histoire et pouvons l’infléchir par notre intelligence. À partir du 18e siècle, cette évolution culturelle fondamentale est un acquis. Le progrès scientifique et technique permet l’émergence d’une capacité de production beaucoup plus importante (révolution industrielle) nécessitant des moyens de financement considérables. Le capitalisme est né. Il prend conscience, bien avant les économistes (l’analyse de la réalité demande du temps), que la destruction créatrice représente un élément moteur de l’histoire. Le capitalisme utilisera systématiquement la science pour asseoir sa puissance. Les quatre puissances qui dominent encore le monde sont constituées à partir du 19e siècle.
L’apparition des idéologies
Au 19e siècle naissent les idéologies. Il s’agit d’explications globales comme les religions, mais n’utilisant pas le concept de dieu. Au cours des deux derniers siècles, la seule idéologie qui ait eu une influence importante, mais brève, est le marxisme. Cette pensée propose une vision de l’histoire axée sur la notion de lutte des classes sociales. À terme, une société sans classes, donc sans injustice, doit voir le jour. L’État, c’est-à-dire le pouvoir politique, disparait. L’administration des choses remplace le gouvernement des hommes. L’influence géopolitique du marxisme a été importante au 20e siècle puisque des États (URSS, Chine, etc.) prétendaient mettre en œuvre la pensée de Marx. Ils ont donc créé une structure productive entièrement étatique qui s’est révélée totalement inefficace par rapport au capitalisme. Au début du 21e siècle, il subsiste quelques États se réclamant encore du marxisme, mais il s’agit de dictatures assez sordides qui disparaîtront tôt ou tard. La Chine quitte progressivement l’orthodoxie marxiste du fait de sa réussite économique qui nécessite souplesse et adaptabilité.
L’idéologie marxiste a donc constitué un pôle d’influence essentiel au 20e siècle, aux côtés des religions. Il s’agissait pour les États communistes, d’une sorte de religion officielle, mais sans dieu. Dans les États démocratiques, des partis communistes et socialistes ont joué un rôle important en tant que force d’opposition au capitalisme. Ils ont poussé les États à intervenir dans l’économie, les transformant ainsi en centres de pouvoir économique, à côté du capitalisme. Le socialisme et le communisme ne peuvent pas être considérés comme les seuls bâtisseurs de l’État-providence, mais ils ont influencé l’orientation en ce sens.
Aujourd’hui, le communisme a presque disparu et le socialisme s’est adapté aux réalités en abandonnant l’essentiel de son idéologie traditionnelle. L’idéologie marxiste est morte et constitue une explication du devenir historique correspondant à certaines réalités du 19e siècle (l’exploitation de la classe ouvrière par la bourgeoisie était bien réelle) et à une forme de pensée scientiste prétendant pouvoir élaborer une conception générale du monde avec quelques concepts (Weltanschauung).
L’efficacité productive croissante du capitalisme a conduit à la fin du 20e siècle à un nouveau questionnement : la conciliation de l’économie et de l’écologie. De petits partis politiques écologistes sont apparus et ils ont construit un corps de doctrine. La question est de savoir s’il s’agit d’une idéologie émergente. La réponse est plutôt positive car la pensée écologiste dessine notre avenir de façon très stricte sur la base d’un ensemble d’idées assez articulées et formant un véritable corpus doctrinal : économie d’énergie et de matières premières par la réglementation étatique, relocalisation des productions, réglementation stricte du transport et du logement, fiscalité fortement incitative, etc. Les écologistes veulent imposer à tous un comportement jugé par eux vertueux en agissant par l’intermédiaire du pouvoir étatique. Il s’agit là d’une forme d’autoritarisme caractéristique de toutes les idéologies : la certitude de détenir la vérité conduit à vouloir l’imposer à tous. Il n’est pas possible de développer cette problématique nouvelle ici. Disons simplement que l’écologisme constitue un danger important car il cherche à s’emparer de l’appareil étatique avec l’ambition de soumettre à sa doctrine tout le système productif : capitalisme, sciences et techniques. L’objectif est le monopole écologiste sur les quatre puissances en utilisant l’État comme instrument de domination. Le potentiel totalitariste de l’idéologie écologiste est donc élevé.
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