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Les Berghwata ou l’insurrection autochtone

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  • Les Berghwata ou l’insurrection autochtone




    Le mystère des Berghwata inquiète et fascine. Avec un nouveau prophète, une nouvelle religion et un nouveau Coran, ces guerriers amazighs ont pu résister près de quatre siècles aux dynasties musulmanes qui se sont succédées au Maroc.

    Nous sommes en 121 de l’hégire (738 après J.C) Le Maghreb est alors en proie aux pillages des armées arabes qui, à cette époque, n’ont pas encore manifesté de velléités de s’installer en Afrique du Nord. Les côtes méditerranéennes ne servent que de points de transit vers une Andalousie fraichement conquise, tandis que l’intérieur du pays n’a qu’une utilité : la collecte de butin pour les armées omeyyades. « Les troupes arabes procédaient à des razzias qui n’avaient rien à voir avec l’objectif annoncé de la conquête, à savoir la prédication », rapporte Ahmed Achaaban, historien et archéologue, spécialiste de l’époque. Et d’ajouter : «Dans certaines régions, on marquait les Amazighs avec des signes dans la paume de la main et les quatre cinquièmes de leurs récoltes allaient au trésor du calife à Damas ».

    « Apprendre les étoiles »

    C’est dans ce contexte hostile qu’un Comité de chefs de tribus amazighs est constitué. Sa vocation : débattre de l’attitude à adopter face à l’« envahisseur ». En chef de file, Mayssara Al Mattghari, nommé Mayssara (littéralement, le méprisable) dans les livres arabes (Ibn Hawqal dans Image de la terre et Abou Obeid Al-Bakri dans Livre des routes et des royaumes). Les sages décident alors de se rendre à Damas, pour se plaindre auprès du calife des agissements de ses armées. Mais la déception est grande : après des mois d’attente dans la capitale de l’empire musulman, aucune audience n’est accordée aux plaignants… De retour au Maghreb, le Comité décrète l’insurrection. C’est ainsi qu’en 122 de l’hégire éclate la « révolution des Berbères », suivie d’une défaite cuisante des armées arabes dans l’Ifriqia (Tunisie actuelle). Un an plus tard, les Omeyyades contrattaquent et remportent la bataille d’Al Achraf, deuxième du genre. Mayssara capitule et est contraint de se réfugier à Tanger, où il sera accusé de trahison et exécuté par ses soldats.

    Tarif, un de ses compagnons de guerre, s’installe à Tamesna, quelque part entre le Bouregreg et l’Oum Rabiaa. Rassembleur, il parvient à former une confédération de tribus qui portera le nom de Berghwata. « L’origine même du nom est toujours un mystère, nous n’avons pas pu trouver les racines de ce mot ni dans la langue amazighe, ni en Arabe », indique Ahmed Achaaban. A la mort de Tarif, son fils Salih prend le pouvoir. Le chroniqueur arabe Ibn Hawqal le décrit comme un voyageur parti dès son plus jeune âge en Irak, où il a « appris les étoiles », la magie noire et toutes sortes de sciences occultes. Une fois bien en place, Salih Ibn Tarif n’hésite pas à s’autoproclamer prophète de son peuple, et écrit son propre livre saint en amazigh. Dans la polémique qu’il engage avec les musulmans, il s’appuie sur le quatrième verset coranique de la sourate d’Abraham : « Nous n’avons envoyé de Messager qu’avec la langue de son peuple ». Le message est clair : pour Salih Ibn Tarif, Mohammed, eu égard à son appartenance ethnique, ne saurait être le messager des Amazighs.

    Au nom de «Yakech»…

    Al Bakri rapporte le premier verset du livre de Salih, baptisé « Salih Al Mouaminine » (Le Saint des croyants). L’extrait qui suit est tout ce qui reste du livre saint des Berghwata, traduit en arabe à partir de la version originale en amazigh: « Au nom de Yakech (traduction du mot Dieu en Amazigh, ndlr) qui a envoyé son livre aux hommes, un livre qui leur a montré sa voix. (…) Avec l’aide de la langue qu’Allah a envoyée avec droit aux hommes, la vérité triomphera. Imni Mamat (Regarde Mahomet, ndlr ), les hommes ont suivi le droit chemin quand il était vivant et l’ont accompagné. Ils se sont égarés après sa mort ». Ce texte aurait été composé de 80 sourates portant des noms de prophètes et

    d’animaux. Mais d’autres détails, plus sujets à caution, ont été rapportés à propos de la religion des Berghwata : Salih aurait ainsi demandé à ses apôtres d’effectuer dix prières par jour, en procédant préalablement à des ablutions quasi identiques à celles des musulmans. Mais malgré la ressemblance de leur culte avec ceux de l’islam traditionnel, les relations entre Berghwata et musulmans ont été particulièrement complexes. A titre d’exemple, les Berghwata ont interdit les mariages avec les musulmans venus d’Orient. Pourtant, ils se sont longtemps eux-mêmes considérés comme musulmans, y compris à l’époque des pionniers Salih Ibn Tarif et son fils Ilyass. Tous deux sont à ce titre considérés comme des partisans des Ibadites ou des Souffrîtes, selon les sources, de la fraction des Kharijites, qui se sont illustrés pour s’être opposés à la trêve entre Ali et Aicha.

    En attendant les archéologues

    Les historiens s’accordent néanmoins sur un point : à l’époque de Younes (petit fils de Salih), il aurait régné une sorte de Taqiya. Cette posture, qui consiste à dissimuler sa foi, en attendant des jours meilleurs et que la communauté des fidèles se renforce, avait d’ailleurs été adoptée par les Chiites, qui dominent le Maghreb à l’époque.

    Les quelques bribes d’informations rapportées par les historiens arabes ne font qu’ajouter au mystère de ce royaume éphémère. Inutile de chercher du côté des textes gréco-romains, dont aucun ne fait référence aux Berghwata, ni aux tribus qui ont fait l’actualité de l’époque (Sanhaja, Masmouda etc.). Dans son Histoire du Maghreb, Abdellah Laroui estime qu’un travail de recherche devrait être confié aux archéologues, pour faire la lumière sur ce pan méconnu de notre histoire. « Nous bloquons toujours sur des aspects élémentaires. On ne sait toujours pas si les Berghwata étaient une union politique, religieuse, ethnique ou spatiale », regrette Ahmed Achaaban, qui est pourtant le premier archéologue marocain à avoir mené des fouilles dans la région de la Chaouia. Tamesna, décrite comme une grande cité, capitale du royaume de Salih Ibn Tarif, n’a par exemple toujours pas été localisée.

    Les troupes coalisées

    L’armée des Berghwata était connue pour être une des plus redoutables de son époque. Elle est estimée selon les études à quelque dix mille hommes, principalement issus de la tribu de Beni Tarif, qui figure parmi les fondateurs du royaume des Berghwata. Particularité des troupes de Beni Tarif : plusieurs milliers d’éléments sont considérés comme des soldats de réserve, qui appartiennent à des tribus musulmanes telles que les Sanhaja et les Masmouda. L’oppression arabe aurait été telle, qu’elle aurait donné lieu à une solidarité qui transcendait l’appartenance religieuse des clans. D’autres tribus auraient quant à elles décidé de s’allier par peur des représailles. Les armées berghwata ont ainsi résisté aux différents empires qui se sont succédés au Maroc. Elles ont ainsi survécu aux Idrissides, combattu les Almoravides, mais succomberont finalement aux Almohades.

    Zamane

  • #2
    Merci Haddou

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    • #3
      sacré haddou..
      très intéressant.

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      • #4
        Déjà il semble important de noter d'emblée que l'Algérie a eut sensiblement la même histoire (disons le même schema), avec Khalid ibn Hamid al-Zanati suivit d'Abou Qura et qui se finit avec Ibn Rustom et le royaume Rostemide.

        Les Rostémides sont souvent comparés aux Idrissides alors que pour moi, ils ont suivi la même voie que les Berghwatas.


        En chef de file, Mayssara Al Mattghari, nommé Mayssara (....) Les sages décident alors de se rendre à Damas, pour se plaindre auprès du calife des agissements de ses armées. Mais la déception est grande : après des mois d’attente dans la capitale de l’empire musulman, aucune audience n’est accordée aux plaignants… De retour au Maghreb, le Comité décrète l’insurrection.
        T'as beau l'expliquer aux "berbéristes" en long, en large. Les arabes, à partir de ces révoltes, n'ont plus jamais administrés le Maghreb. Et nous avons pris en main notre destin.

        Nous devons assumer cet héritage.



        Dans son Histoire du Maghreb, Abdellah Laroui estime qu’un travail de recherche devrait être confié aux archéologues, pour faire la lumière sur ce pan méconnu de notre histoire. « Nous bloquons toujours sur des aspects élémentaires. On ne sait toujours pas si les Berghwata étaient une union politique, religieuse, ethnique ou spatiale »
        Voilà qui explique pourquoi on retient surtout de cette période les Idrissides, qui eux, on crée un État. Fragile, mais autonome et indépendant.

        Les armées coalisées des Berghwata [....] elles ont ainsi survécu aux Idrissides, combattu les Almoravides, mais succomberont finalement aux Almohades.
        Pas d'accord, ou en partie seulement.

        Je suis entrain de lire une excellente analyse sur l'installation du soufisme au Maroc du temps des Almoravides, qui parle notamment de l'influence énorme d'un penseur musulman au Maroc médieval : Al Ghazali et son Ihyâ'.

        Et selon moi, ce ne sont ni les Almoravides, ni les Almohades qui ont mis fin aux Berghwatas, c'est bien le mouvement soufi et ses ramifications dans la société qui, en unifiant spirituellement la société et a fait le plus de mal aux sectes et autres religions déviantes, comme celle des Berghwatas.
        Ce sont les soufis qui ont le mieux exposé à la société le projet politique de l'Islam, bien aidé il faut le dire par l'unification Almoravide du territoire.

        Le soufisme, un contre pouvoir de la société médiévale que n'a pu maitriser aucune dynastie.
        Dernière modification par Olichk, 04 mai 2015, 11h11.

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        • #5
          Merci les gars ,cet article nous fait découvrir une facette de l'histoire qu'on nous enseigne pas malheureusement dans notre cursus académique ,on en trouve une petit ligne et on passe à autre chose , c'est dommage d'escamoter une telle épopée enrichissante

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          • #6
            Haddou, ton article est très intéressant par qu'il donne un point de départ à l'Histoire des Royaumes indépendants du Maghreb Al Aqsa. Ça serait bien d'avoir des articles équivalents sur Nekour et sur Sijilmassa.

            Surtout Sijilmassa, parce qu'apparement, c'est là ou l’école Malekite a commencé son chemin, et ce sont des gens de Sijilmassa et de Fès (des anciens de Kerouan) qui, à la demande des Sanhaja, ont choisit le soussi Ibn Yassine pour les diriger et créer le mouvement almoravides de rite malékite.

            Ce qui faut comprendre c'est que cette période almoravide, c'est la mise en place d'une société structurée autour du malékisme et du soufisme, société que perdurera jusqu'au 20ème siècle. Et rien de ceci n'aurait pu être possible sans les Berghwatas, et leur combat d'indépendances contres les arabes.

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