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Pensée de Malek Bennabi : «Les conditions de la renaissance»

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  • Pensée de Malek Bennabi : «Les conditions de la renaissance»

    Les grandes lignes de Discours sur les conditions de la renaissance algérienne, titre originel du livre, ont été ébauchées par Bennabi juste après la parution, en février 1947, du Phénomène coranique.
    Il ne le reprendra qu’en avril 1948 à Alger, pour l’achever en France un mois plus tard. En juin, il inaugure une collaboration bénévole à La République algérienne qui durera, avec quelques interruptions, jusqu’en 1955. Le premier article qu’il signe est un plaidoyer pour l’entrée de la langue arabe («La langue arabe à l’Assemblée algérienne», la RA du 6 juin).
    Il se rend ensuite à Tunis où il est invité à donner une conférence sur le thème de la renaissance. Pour lui, ce thème n’est pas seulement culturel mais politique puisque les deux conditions fondamentales qu’il y met sont la fin de la colonisabilité et la fin du colonialisme.
    Quelque temps après il anime à Alger une conférence sur l’«Anthologie du chiffre arabe» puis une autre, un peu plus tard, sur «L’homme, le sol et le temps» au siège de l’Association des étudiants musulmans.

    Les conditions de la renaissance sort en librairie fin février 1949. Il l’a achevé en pensant qu’avant de mourir il fallait «laisser à (mes) frères algériens une technique de renaissance». C’est certainement pour exprimer ce sentiment qu’il a choisi de mettre en épigraphe cette touchante et si peu machiavélique pensée de Machiavel : «Le devoir d’un honnête homme est d’enseigner aux autres le bien que les iniquités du temps et la malignité des circonstances l’ont empêché d’accomplir, dans l’espoir que d’autres, plus capables et placés dans des circonstances plus favorables, seront assez heureux pour le faire.»(13) Le livre est préfacé par le Dr Abdelaziz Khaldi qui était lui-même un écrivain qui avait déjà publié, et un pamphlétaire redouté dont les premiers articles avaient paru dans Egalité.
    Le livre, dédié au Dr Saâdane et à Madame Pia(14), sort dans un contexte de mobilisation internationale des pays musulmans et de l’islam contre le communisme.
    On est au début de la guerre froide. Sollicité tacitement pour jouer un rôle dans cette stratégie, Bennabi a constamment refusé. Jamais il n’attaquera dans ses œuvres le bloc soviétique ou le communisme dans lesquels il voyait au contraire des alliés objectifs. Comme Nehru, il pense que «si le communisme est mauvais, le colonialisme est infiniment pire». Aussi va-t-il être présenté par ses contempteurs comme un suppôt du communisme. Kateb Yacine (1928-1989) rédige un article dans le journal français Combat dans lequel il s’en prend au livre.
    En fait, tous les organes de presse du mouvement national s’acharnent sur lui : Liberté du Parti communiste algérien, La République algérienne de l’UDMA, Al-Bassaïr des Oulamas, Le Jeune musulman de l’Association des étudiants musulmans algériens, Alger-républicain…
    Il ne réagit à aucune de ces attaques mais consigne dans ses Mémoires : «Le “psychological-service” remportait une victoire contre la première étude scientifique du “cœfficient colonisateur”, et de la grave maladie sociale que je dus nommer “la colonisabilité” en indiquant les moyens immédiats pour la guérir, alors que le colonialisme était heureux, au fond, que les mouvements nationaux cherchaient ces moyens dans la lune.» Il ne leur répondra, en les désignant nommément (Association des Oulamas, Parti communiste algérien, intellectuels algériens), que dix ans plus tard dans son livre La lutte idéologique dans les pays colonisés.(15)
    dz(0000/1111)dz

  • #2
    La cause de cette levée de boucliers ? Les critiques au vitriol qu’il a élevées contre les uns et les autres ainsi que l’apparition d’un concept qu’il venait de forger, la colonisabilité. Ceux qui se sont reconnus dans ses descriptions fulminent. Dans La République algérienne du 25 mars 1949, une analyse signée Juba III, pseudonyme derrière lequel se cache (selon Bennabi) une intellectuelle française, est publiée.
    Elle est critique mais ne peut nier la qualité du travail : «Ces vues qui demeurent justes dans leur hardiesse et leur nouveauté révèlent une forte personnalité, mieux, un tempérament de penseur et d’écrivain. Personnalité si forte, si originale, qu’elle évoque parfois Auguste Comte… Nous sommes constamment soumis au régime épuisant de la douche écossaise… Il ne s’agit pas cette fois d’un utopiste, mais d’un esprit positif, d’un technicien. S’il ne voit pas toujours juste, il sait voir grand !»
    Pour sa part, Mohamed-Chérif Sahli (1906-1989) parle dans un article passablement hostile d’une «notion fausse dans son principe et dangereuse dans ses conséquences»(16).
    Dans Vocation de l’islam II, Bennabi laissera libre cours à sa colère : «Je suis né dans un pays et à une époque où l’on comprend à demi ce qui se dit clairement, et rien du tout à ce qui se dit à demi-mot… J’ai écrit pour mes frères les colonisables colonisés d’Algérie, mais mes frères n’ont compris qu’à demi ma pensée parce que pour la rendre efficace, j’ai dû en faire une sorte d’imprécation permanente contre leur colonisabilité. Ils auraient tant souhaité, les malheureux, me voir insulter “héroïquement” le colonialisme ! Malheureusement, les colonialistes m’ont compris à demi-mot. Ils m’ont fait le sort que mérite, à leurs yeux, celui qui n’insulte pas le colonialisme mais le tue… dans l’œuf, l’étouffe dans ses racines mêmes qui plongent dans la colonisabilité.
    En commençant ma carrière il y a vingt ans, je ne comptais pas, certes, que l’administration me prête son aide pour que je la combatte. Mais je ne comptais pas davantage que ceux-là mêmes parmi mes frères qui font, publiquement, profession de la combattre me refusent toute aide et me combattraient, au contraire, avec les armes mêmes de l’administration coloniale. Celle-ci, en effet, n’a qu’un geste à faire. Aussitôt la condamnation de ma pensée, de mon effort, de mon œuvre est signée, proclamée, exécutée par cent “patriotes”, cent “âlem”, cent “sauveurs” du pays…»
    Le livre n’avait qu’un public réduit, celui des lettrés, mais c’est justement celui-là qu’il soumet à une rude critique avec des propos tout à fait sacrilèges pour l’époque. Il s’en prend directement et nommément aux «élus», aux Oulamas, au discours populiste du PPA-MTLD, aux étudiants «progressistes»… Bennabi s’est ainsi mis tout le monde à dos. L’affrontement entre lui et le mouvement national, entrecoupé de périodes de rapprochement lorsque le colonialisme sévissait durement ou à l’occasion d’actions de résistance communes, n’allait plus cesser jusqu’au déclenchement de la Révolution et même au-delà.
    L’essai est d’une haute facture littéraire et comporte des pages écrites sous l’influence manifeste de Nietzsche. Le titre peut aussi faire songer au livre de Fichte, Discours à la nation allemande, écrit à une époque (1807) où l’Allemagne n’était pas encore unifiée et dans lequel le «philosophus teutonicus» exhortait ses compatriotes à réaliser leur vocation ici-bas en s’attachant à donner à leur existence une signification cosmique. Fichte accorde une haute importance au facteur religieux et pense que c’est la religion qui assure l’unité subjective des individus, ce qui correspond tout à fait aux vues de Bennabi.
    En tout cas, le ton et le rythme des Conditions de la renaissance révèlent un Bennabi vitaliste et assez imprégné de la pensée allemande : Fichte, Nietzsche, Spengler, Hermann de Keyserling y sont cités…
    Le sens poétique et le sens tragique alternent. Le livre est organisé en chapitres courts, extrêmement denses où est résumée en quelques pages l’histoire de l’Algérie à travers les périodes sociologiques par lesquelles elle est passée (Stade épique : guerriers et traditions ; Stade politique : idée, idole). C’est la première partie. La seconde, intitulée L’avenir, s’ouvre sur un «Apologue» écrit dans le même style, un mélange de prose et de poésie, que le «Prologue». On y trouve exposés en quelques pages les premiers jalons de sa théorie de la civilisation (l’éternel retour ; le cycle de civilisation ; les richesses permanentes) qu’il illustre par un graphique où apparaissent les moments décisifs de sa trajectoire : apparition d’une idée religieuse qui opère une synthèse de l’homme, du sol et du temps : c’est la phase de l’âme ; cette synthèse bio-historique va donner lieu à une ère de développement social et de créativité intellectuelle, c’est-à-dire une civilisation ; elle est projetée par sa vitesse de propulsion jusqu’à ce qu’un accident vienne à stopper son mouvement ascensionnel : c’est le début de la phase de la raison où la civilisation continue son expansion alors que le feu sacré qui l’a impulsée se met à décliner jusqu’à l’extinction ; la décadence ou phase de l’instinct s’installe et avec elle la fin de la créativité intellectuelle et scientifique, la crispation sur un modèle devenu non performant, faute d’innovation, puis l’arrêt définitif.
    Mais Bennabi pense qu’une renaissance est possible sous certaines conditions. C’est justement l’objet du livre. Viennent alors les «discours» sur les tâches à réaliser pour enclencher le processus de renaissance (orientation de la culture, orientation du travail, orientation du capital). La troisième partie, enfin, est consacrée au coefficient colonisateur et au cœfficient autoréducteur, suivis de monographies réservées à des catégories sociales (les femmes, les scouts, les oulamas, les politiciens, …) ou des concepts (l’art, le sol, le temps…). La conclusion est une annonce des thèmes qui seront abordés dans le livre suivant, notamment ceux relatifs au mondialisme et à la «cité humaine».
    Si Le phénomène coranique avait pour but d’établir l’authenticité de l’idée islamique, et Lebbeik celui de montrer sa capacité à transformer l’homme, Les conditions de la renaissance se propose de déterminer à quelles conditions doit se plier une société pour devenir efficace, c’est-à-dire en mesure de susciter un processus de développement intellectuel, économique et social qui s’appelle «civilisation». Le livre a un caractère de prolégomènes à l’œuvre générale. Il est en lui-même un plan de travail dont les parties feront l’objet de développements ultérieurs. Mais déjà apparaît l’ordre qui commande la réflexion de Bennabi, ordre où on le voit passer de l’idée à la réalité, de l’individu à la société, et de la société à l’humanité.
    Le livre devait, comme on le sait, porter le titre de Visages à l’aurore. Un tel titre n’est pas sans rappeler celui d’une œuvre de Nietzsche, Aurore. Renaissance et Aurore sont pour les deux philosophes une même métaphore par laquelle ils expriment le moment, pour un peuple, d’un départ dans l’histoire. Ces visages, ce sont probablement ceux de l’intellectomane, du minus habens, de l’homo-natura, du post-almohadien, etc., dépeints dans le livre : «Le spectre social algérien s’étale en une infinité de nuances qui expliquent toutes les dissonances, toutes les inharmonies d’une société qui a perdu son équilibre traditionnel et est à la recherche d’un nouvel équilibre. Recherche qui sème la vie algérienne de détails inattendus, discordants, parfois naïfs ou ridicules, et parfois même tragiques… Cette multitude de regards dénote les degrés d’adaptation différents qu’on rencontre en Algérie, le contraste des vêtements, des opinions et des goûts, les divergences. La terre n’est pas encore ronde pour tout le monde. Les uns vivent en 1368 et certains en 1948. D’autres sont entre ces deux extrêmes. C’est le drame de notre adaptation avec toute son acuité, jusque dans nos relations amicales et familiales. On a l’impression de vivre dans un milieu hybride fait de mille peuples, de mille cultures. Ces dissonances sont imputables avant tout à une vision incomplète, fragmentaire du milieu nouveau où nous sommes, à une appréciation erronée de la civilisation qui nous attire irrésistiblement.»
    A l’entrée des Conditions de la renaissance, Bennabi a mis en «Prologue» un beau poème dans lequel il exprime une perception imagée de la renaissance. Ce texte rappelle indubitablement le «Prologue» sur lequel s’ouvre Ainsi parlait Zarathoustra. Ici, Bennabi n’est pas seulement proche de Nietzsche par les paraboles et le style, il est lui-même Zarathoustra venant réveiller une cité endormie. Le livre du philosophe allemand s’ouvre sur ces lignes : «Je suis las de ma sagesse, comme l’abeille qui a butiné trop de miel…» On lit dans les Mémoires de Bennabi : «J’ai vu trop de choses depuis vingt ans ! J’en suis gorgé comme l’abeille de son miel quand elle a trop butiné…»
    Dans le livre de Nietzsche, Zarathoustra réincarne Zoroastre, prophète du mazdéisme(17). Retiré dans les montagnes à l’âge de trente ans, il connaît l’illumination après dix ans de retraite. Il se lève un matin, invoquant le «Grand astre» et lui annonce son désir d’aller prêcher aux hommes l’«éternel retour». Ayant rencontré aux abords de la ville la foule distraite par les jeux de la foire, il l’apostrophe : «Je vous le dis : vous portez encore du chaos en vous… Le moment est venu que l’homme se fixe son but. Le moment est venu pour l’homme de planter le germe de son espoir le plus haut…»
    L’homme décadent que Bennabi veut réformer, c’est l’homme déclinant que Nietzsche veut réveiller : «Je veux apprendre aux hommes le sens de leur existence qui est le surhomme», écrit ce dernier. Mais la foule le raille et se détourne de lui. Déçu, Zarathoustra quitte la ville et va se réfugier dans une forêt. En se réveillant le lendemain, il a changé de résolution : «Ce n’est pas à la foule que Zarathoustra doit parler mais à des compagnons… Des compagnons qui puissent moissonner avec lui, car chez lui tout est prêt pour la récolte… Entre l’aurore et l’aurore suivante, une vérité nouvelle m’est venue… Je ne veux plus désormais parler à la foule… C’est au créateur, au moissonneur que je veux me joindre…»
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