Derrière les lions Toponymie. origine des noms de lieux en Algérie
Où l'on découvre pourquoi et comment «Oran» et «Tiaret» signifient la même chose.
Wihran, Wahran, Ouaran, Ouarân, Wahrân, Wihrayn, Ouadaharan, Horan, Oran, ou Tihart, Tahart, Tihârt, Tâhart, Téhert, Tiharet, Tiaret, Tiyaret, etc. Voilà des noms de lieux (ou toponymes) aussi proches l'un de l'autre sur un plan sémantique et aussi éloignés sur le plan de l'écriture ! Pour comprendre cette distorsion, il faut revenir sur les formes multiples de ces appellations et leurs adaptations à travers l'histoire, selon des périodes historiques précises et en fonction des langues en usage, aussi différentes que tamazight (avec ses variantes), les parlers locaux (arabe algérien ou maghrébin) et même le grec, le latin, le punique, l'arabe, l'espagnol, le français.
Les choses sont certes délicates, mais pas impossibles : les voies du Maghreb ne sont pas aussi obscures et impénétrables que ne le pensent certains historiens coloniaux' Bien au contraire, cette multiplicité dans les usages linguistiques d'aujourd'hui ' comme de tout temps, d'ailleurs ' obéit à des lois d'évolution naturelle de toute langue.
C'est à travers ces diverses réalisations linguistiques de la dénomination d'un même lieu que nous recherchons justement l'élément constant, et forcément il y en a un.
Les deux noms Wahran et Tihart sont cités au Haut Moyen Age (Ibn Haouqal, Abbou Zakkariya, El Bekri, Ibn Saghîr'), mais nous supposons que les deux toponymes existaient avant l'arrivée des Arabes au Maghreb central.
«Ouahran est un port tellement sûr et si bien abrité contre tous les vents que je ne pense pas qu'il ait son pareil dans tous les pays des Berbères'», écrivait Ibn Haouqal.
L'ancien maire d'Oran et spécialiste de l'histoire locale de la ville, Sadek Benkada (1988), précise que «le site a attiré, dès la préhistoire, les premiers établissements humains (') avant et durant la période néolithique (époque de la pierre polie)». Quant à Tahert, capitale du premier Etat musulman au Maghreb central, la cité fut florissante par ses produits agricoles, son commerce avec l'Afrique et ses constructions, nous dit El Muqaddasi. Tahert aussi fut renommée par son goût du savoir, sa passion des problèmes théologiques et son degré de tolérance vis-à-vis des autres communautés religieuses et ethniques installées sur son propre territoire. Mais l'influence majeure, insiste Abdallâh Laroui, «fut purement idéologique» : Egyptiens, Persans, Irakiens, Soudanais, Chrétiens, Juifs, etc. venaient à Tahert pour la notoriété intellectuelle de la cité et la sagesse de ses imams.
Plusieurs hypothèses ont été avancées par des spécialistes et de non-spécialistes quant à l'interprétation de ces toponymes (Wahran, Wihran, Oran, Tihart, Tahart, Tihârt, Tiaret, etc.) qui sont, en réalité, à l'origine des hydronymes (noms de cours d'eau) : Oued Wahran, Ouadaharan, Ouad Ouahran, Oued Tihart, etc. L'hypothèse la plus plausible, reprise depuis dans toutes les explications, est celle formulée par Pellegrin, en 1949, dans son livre «Les noms de lieux d'Algérie et de Tunisie. Etymologie et interprétation». Oran ainsi que d'autres toponymes comme Tiaret, Tahert, Taher' sont des formes dérivées d'un nom de souche libyco-berbère qui veut dire «lion». Il n'a malheureusement pas été fait encore une analyse technique de l'articulation linguistique de ces vocables.
Noms de lieux algériens : entre appellation linguistique et récupération historique
Cependant, cet éminent toponymiste, mais néanmoins membre de l'Académie des sciences coloniales, fait explicitement dériver Oran et non Wahran de la forme touareg Ouaran, et non de l'autre forme tout aussi touareg et plus proche du vocable usité par les populations actuelles et anciennes, et telle que relevée par les auteurs arabes et non arabes (espagnols, portugais, italiens, français, etc.) à partir du Xe siècle : Wahran. De manière très subtile, il est suggéré que la forme française ou francisée, Oran, serait très proche du touareg Ouaran. Quant à Tiaret, Tiaret/Tihart/Tahart/Tingartia/Tingartensis, les historiens français au XIXe siècle établissent un parallèle historique ou du moins linguistique aussi curieux entre Tiaret et Tingartia.
Ce rapprochement était voulu et privilégié : Tiaret est un mot berbère qui voudrait dire «station» ou «résidence» (Mac Carthy, Elisée Reclus, Canal). Ce qui est faux. Ce type de rapprochement, à caractère phonique et morphologique, que nous rencontrons de temps à autre dans les discours sur la toponymie locale, est sous-tendu par des présupposés historiques, idéologiques et linguistiques précis, ceux, entre autres, de l'apparentement du berbère à un fonds linguistique indo-européen : «Un certain nombre de vocables en usage dans les dialectes berbères actuels sont issus du fonds indo-européen».
Usages, transcriptions, étymologie
Wahran fait partie de cette catégorie de toponymes qui connaissent un nombre important d'interprétations.
Les formes relevées pour Oran par les historiens arabes, espagnols, portugais, etc. sont : Wahran, Ouaharan, Oued el-Haran, Ouaran, Ouarân, Ouadadaharan, Horan, Oran (Ibn Haouqal, el-Bekri, al-Muqqadassi, al-Idrissi, Abdel Rahman Ibn Khaldoun, Yahya Ibn Khaldoun, al-Mazari, al-Ziyyani, Fey, général Didier-Berard, Mazouni, Bouchiba').
De prime abord, du point de vue lexical, nous avons affaire à un nom composé : Oued + Wahran / Oued + Ouaran / Oued + Haran / Oued + Horan. Le nom est arrivé jusqu'à nous sous la forme d'un nom simple (Ouedharan/Ouadhoran') pour des raisons d'économie du langage.C'est également le cas pour Arzew (Oued Arzew), Témouchent (Aïn Témouchent), Chlef (Oued Chlef), Tlilat (Oued Tlilat), Sougueur (Oued Sougueur) et d'innombrables lieux-dits en Algérie. Nous relevons, à travers les transcriptions passées, l'agglutination de Wahran avec son générique Oued «wed» (cours d'eau en arabe) : Ouad (Ouadaharan). Si nous décomposons, dès lors, Wahran, nous relèverons la racine «HR». Ses dérivés lexicaux «ahar» ou «ihar» sont des termes berbères que nous retrouvons chez les Touareg de l'Ahaggar et d'autres locuteurs au Maghreb.
La forme plurielle est déclinée sous «aharan» et «iharan», qui désignent «les lions».
Où l'on découvre pourquoi et comment «Oran» et «Tiaret» signifient la même chose.
Wihran, Wahran, Ouaran, Ouarân, Wahrân, Wihrayn, Ouadaharan, Horan, Oran, ou Tihart, Tahart, Tihârt, Tâhart, Téhert, Tiharet, Tiaret, Tiyaret, etc. Voilà des noms de lieux (ou toponymes) aussi proches l'un de l'autre sur un plan sémantique et aussi éloignés sur le plan de l'écriture ! Pour comprendre cette distorsion, il faut revenir sur les formes multiples de ces appellations et leurs adaptations à travers l'histoire, selon des périodes historiques précises et en fonction des langues en usage, aussi différentes que tamazight (avec ses variantes), les parlers locaux (arabe algérien ou maghrébin) et même le grec, le latin, le punique, l'arabe, l'espagnol, le français.
Les choses sont certes délicates, mais pas impossibles : les voies du Maghreb ne sont pas aussi obscures et impénétrables que ne le pensent certains historiens coloniaux' Bien au contraire, cette multiplicité dans les usages linguistiques d'aujourd'hui ' comme de tout temps, d'ailleurs ' obéit à des lois d'évolution naturelle de toute langue.
C'est à travers ces diverses réalisations linguistiques de la dénomination d'un même lieu que nous recherchons justement l'élément constant, et forcément il y en a un.
Les deux noms Wahran et Tihart sont cités au Haut Moyen Age (Ibn Haouqal, Abbou Zakkariya, El Bekri, Ibn Saghîr'), mais nous supposons que les deux toponymes existaient avant l'arrivée des Arabes au Maghreb central.
«Ouahran est un port tellement sûr et si bien abrité contre tous les vents que je ne pense pas qu'il ait son pareil dans tous les pays des Berbères'», écrivait Ibn Haouqal.
L'ancien maire d'Oran et spécialiste de l'histoire locale de la ville, Sadek Benkada (1988), précise que «le site a attiré, dès la préhistoire, les premiers établissements humains (') avant et durant la période néolithique (époque de la pierre polie)». Quant à Tahert, capitale du premier Etat musulman au Maghreb central, la cité fut florissante par ses produits agricoles, son commerce avec l'Afrique et ses constructions, nous dit El Muqaddasi. Tahert aussi fut renommée par son goût du savoir, sa passion des problèmes théologiques et son degré de tolérance vis-à-vis des autres communautés religieuses et ethniques installées sur son propre territoire. Mais l'influence majeure, insiste Abdallâh Laroui, «fut purement idéologique» : Egyptiens, Persans, Irakiens, Soudanais, Chrétiens, Juifs, etc. venaient à Tahert pour la notoriété intellectuelle de la cité et la sagesse de ses imams.
Plusieurs hypothèses ont été avancées par des spécialistes et de non-spécialistes quant à l'interprétation de ces toponymes (Wahran, Wihran, Oran, Tihart, Tahart, Tihârt, Tiaret, etc.) qui sont, en réalité, à l'origine des hydronymes (noms de cours d'eau) : Oued Wahran, Ouadaharan, Ouad Ouahran, Oued Tihart, etc. L'hypothèse la plus plausible, reprise depuis dans toutes les explications, est celle formulée par Pellegrin, en 1949, dans son livre «Les noms de lieux d'Algérie et de Tunisie. Etymologie et interprétation». Oran ainsi que d'autres toponymes comme Tiaret, Tahert, Taher' sont des formes dérivées d'un nom de souche libyco-berbère qui veut dire «lion». Il n'a malheureusement pas été fait encore une analyse technique de l'articulation linguistique de ces vocables.
Noms de lieux algériens : entre appellation linguistique et récupération historique
Cependant, cet éminent toponymiste, mais néanmoins membre de l'Académie des sciences coloniales, fait explicitement dériver Oran et non Wahran de la forme touareg Ouaran, et non de l'autre forme tout aussi touareg et plus proche du vocable usité par les populations actuelles et anciennes, et telle que relevée par les auteurs arabes et non arabes (espagnols, portugais, italiens, français, etc.) à partir du Xe siècle : Wahran. De manière très subtile, il est suggéré que la forme française ou francisée, Oran, serait très proche du touareg Ouaran. Quant à Tiaret, Tiaret/Tihart/Tahart/Tingartia/Tingartensis, les historiens français au XIXe siècle établissent un parallèle historique ou du moins linguistique aussi curieux entre Tiaret et Tingartia.
Ce rapprochement était voulu et privilégié : Tiaret est un mot berbère qui voudrait dire «station» ou «résidence» (Mac Carthy, Elisée Reclus, Canal). Ce qui est faux. Ce type de rapprochement, à caractère phonique et morphologique, que nous rencontrons de temps à autre dans les discours sur la toponymie locale, est sous-tendu par des présupposés historiques, idéologiques et linguistiques précis, ceux, entre autres, de l'apparentement du berbère à un fonds linguistique indo-européen : «Un certain nombre de vocables en usage dans les dialectes berbères actuels sont issus du fonds indo-européen».
Usages, transcriptions, étymologie
Wahran fait partie de cette catégorie de toponymes qui connaissent un nombre important d'interprétations.
Les formes relevées pour Oran par les historiens arabes, espagnols, portugais, etc. sont : Wahran, Ouaharan, Oued el-Haran, Ouaran, Ouarân, Ouadadaharan, Horan, Oran (Ibn Haouqal, el-Bekri, al-Muqqadassi, al-Idrissi, Abdel Rahman Ibn Khaldoun, Yahya Ibn Khaldoun, al-Mazari, al-Ziyyani, Fey, général Didier-Berard, Mazouni, Bouchiba').
De prime abord, du point de vue lexical, nous avons affaire à un nom composé : Oued + Wahran / Oued + Ouaran / Oued + Haran / Oued + Horan. Le nom est arrivé jusqu'à nous sous la forme d'un nom simple (Ouedharan/Ouadhoran') pour des raisons d'économie du langage.C'est également le cas pour Arzew (Oued Arzew), Témouchent (Aïn Témouchent), Chlef (Oued Chlef), Tlilat (Oued Tlilat), Sougueur (Oued Sougueur) et d'innombrables lieux-dits en Algérie. Nous relevons, à travers les transcriptions passées, l'agglutination de Wahran avec son générique Oued «wed» (cours d'eau en arabe) : Ouad (Ouadaharan). Si nous décomposons, dès lors, Wahran, nous relèverons la racine «HR». Ses dérivés lexicaux «ahar» ou «ihar» sont des termes berbères que nous retrouvons chez les Touareg de l'Ahaggar et d'autres locuteurs au Maghreb.
La forme plurielle est déclinée sous «aharan» et «iharan», qui désignent «les lions».
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