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Emergences culturelles et artistiques au début du XXème siècle : Le rôle des nadis

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  • Emergences culturelles et artistiques au début du XXème siècle : Le rôle des nadis

    La création des nadis, ou cercles, fut un moment un acte fondateur de la modernité en Algérie. C'est pour cela qu'il est utile aujourd'hui de s'intéresser à l'étude de ce phénomène qui a marqué l'évolution de la pensée politique en Algérie au début du XXème siècle.

    1re partie

    Phénomène de l'élite, ce mouvement est à appréhender comme un processus de mobilisation mais aussi de résistance face à l'hostilité coloniale. C'est dire aussi que le mouvement, allant vers la libération du joug colonial, a eu à franchir des étapes jusqu'à la révolution. Pour progresser et vivre librement dans la dignité, l'élite algérienne allait, au début du XXème siècle, commencer par occuper l'espace en créant ses propres lieux d'identification à la modernité et en instaurant le modèle des nadis dans les vieilles cités (Alger, Tlemcen, Constantine…). C'est là un fait historique, culturel et politique important qui a marqué le début de l'ère nouvelle.

    L'expérience du mouvement associatif des nadis a constitué dans les vieilles cités un mouvement important. Secoué par le choc colonial, le mouvement nationaliste, pour ses nécessités d'action, devait créer ses propres moyens, d'où, il faut le souligner, le rôle des nadis qui, dans un élan politico-culturel, vont naître et agir en faveur du progrès des arts et de la culture avec une certaine modernité. C'est à travers ces lieux de l'élite que va s'affirmer l'identité mettant en valeur les référents historiques liés à la personnalité algérienne. C'est dans ce contexte que se font jour des personnalités de l'élite du mouvement des ‘'Jeunes Algériens‘'. La culture de l'identité sera en sorte le prétexte, le ‘'lieu'' ou encore le ‘'territoire'' où va s'organiser la résistance et tout l'art de vivre la modernité qui va se manifester dans la cité. Les éléments de l'avant-garde de l'élite vont être les vedettes de la mode, nouvelle tendance, où ‘'al-kam‘', ‘'al-barnati'', ‘'al-klah'', ‘'chèche‘'… traditionnels seront troqués contre la chéchia ottomane, les stambouliotes…

    La culture était devenue une manifestation de la vie, un langage politique des jeunes de la classe des ‘'Fetyans‘' et des ‘'Effendis''. Ce style, ou encore cette nouvelle manière de vivre, était inspiré des ‘'Jeunes-turcs'' dont le mouvement était animé par l'avant-garde éclairée de la société civile indépendante parmi, notamment, la frange les premiers lettrés formés à l'école franco-arabe. Les nadis, ou cercles, étaient, au plan politique, devenus les lieux de l'engagement patriotique de la nouvelle élite de la cité, avec le théâtre, le sport, la musique en toile de fond. Cette modernité, représentée par les cercles, allait vivre pendant plus de cinquante années dans une sorte d'art de l'association, une très belle aventure du jeune patriotisme algérien. A l'indépendance, l'élan patriotique ‘'Jeune Algérien'' a perdu de son actualité étant donné le contexte nouveau, certes différent, qui pose encore aujourd'hui la problématique du rôle de l'élite et de son engagement. Ces foyers associatifs étaient des lieux efficaces et féconds dans le jeu des influences politiques, culturelles et religieuses. Ils ont eu l'effet d'une petite révolution qui a marqué l'éveil de la conscience nationale et la ‘'démocratisation'' de la vie culturelle, politique et sociale. Certains d'entre eux comme le premier nadi fondé en 1904 les ‘Jeunes-Algériens'' affichait déjà, en 1910, au-dessus de son parvis et dans ses documents d'adhésion son caractère nationaliste, ‘'Nadi chabiba wataniya al-djazaïria'' (Cercle de la jeunesse nationaliste algérienne).

    Dans cet éveil, il faut noter la place éminente occupée par le théâtre, la musique, les débats d'idées dans le mouvement de ces cercles du renouveau pendant les durs moments de la colonisation.

    LE PHENOMENE LE L'ELITE AU DEBUT DU XXEME SIECLE EN ALGERIE

    Ces relais modernes allaient favoriser des moments forts de cristallisation de la parole et des premières expériences politiques. En tant que lieux du patriotisme, ils ont quelque peu fait évoluer l'activité historique des ‘'Masriyas'', des ‘'Fondouks'', des ‘'Doukkans‘', ces ‘'Homes'' qui, par le passé, se prêtaient traditionnellement aux rencontres et aux échanges privés, au cœur de la vieille médina. Le courant moderniste des cercles ou nadis est né à l'aube du XXème siècle en Algérie sous l'influence des courants réformateurs, en agitation notamment en Turquie. Cette expérience fut particulièrement intéressante s'identifiant à des courants qui entendaient faire accélérer les évolutions dans le monde musulman sous domination coloniale. Si l'impact du mouvement labellisé ‘'Jeunes-Algériens'' auxquels les colons attribuaient une influence panislamique, était encore réduit au début du XXème siècle, il a par contre figuré comme un mouvement beaucoup plus vaste qui a mobilisé dans le monde arabe sous domination des personnalités de la génération des premiers libéraux musulmans formés à l'école anglo-arabe ou franco-arabe. Fascinés par le courant de la jeune garde politique nationaliste et révolutionnaire des ‘'Jeunes-Turcs'', les mouvements ‘'Jeunes Algériens'', ‘'Jeunes Egyptiens'', ‘'Jeunes Tunisiens'' étaient souvent définis comme des lobbys avec un style de vie et un comportement qui a inauguré le courant de la société civile dans le monde arabe. Le mouvement ‘'Jeune musulman'' présentait partout de grandes similitudes se calquant sur bien des points jouant sur l'attrait de la langue arabe et du costume. Il était partagé entre réflexions sociétales et politiques. En liens étroits, les Jeunes de ce mouvement étaient porteurs du même message glorifiant le progrès et le savoir. Leurs idées s'ajustaient partout ou presque à travers le monde musulman sous domination à toutes les questions aux plans à la fois religieux, intellectuel et politique. C'est dans les nadis que l'esprit du progrès va s'enflammer dans une sorte d'esprit de résistance. Ces espaces de bouillonnement ont fait leur preuve et devaient subir la réaction politique totalisante qui a entrainé leur fermeture dès l'indépendance acquise.

    En focalisant l'analyse, on remarquera que le mouvement des ‘'Jeunes-Musulmans'' a instauré dès le XIXème siècle une vie politique et aussi l'exception d'un pluralisme qui n'existait pas encore dans leurs pays. La vie associative qu'ils ont générée avec ses apports et ses croisements d'idées fut un indicateur objectif de sa vitalité, affirmant déjà son existence politique.

    C'est par le biais des cercles créés sous l'effet de la loi coloniale de 1901 que le courant ‘'Jeune Algérien'' allait entrer de plain pied dans les préoccupations du pays et du monde musulman. C'est au beau milieu de ses espaces que naîtront des personnalités issus des milieux les plus éduqués au milieu d'une société traditionnelle en alerte tout juste après la destruction du célèbre collège d'étude du moyen âge arabe ‘'Tachfiniya‘' dont, entre autres, Abdelkader al-Midjaoui, Bénali et Larbi Fekar, Messali Hadj, Abdelkader Mahdad… Bardé de diplômes, Bénali Fekar était considéré comme un avant-gardiste du mouvement des Jeunes musulmans. Juriste, journaliste au Temps (actuel Le Monde), le Courier, le Matin de Paris… et auteur, il était le plus titré arabe et algérien de son temps (docteur en droit es sciences politiques, juridiques et économiques, lauréat de la faculté de droit de Lyon). Son étude savante sur l'usure en droit musulman est souvent citée en référence par les spécialistes en islamologie dont le Hongro-allemand Ignace Goldziher ou encore l'économiste français Maxime Rodinson… Son frère Larbi, instituteur, est fondateur du premier journal bilingue (arabe-français) ‘'Jeune algérien'' du nom d'El Misbah à Oran, en 1904. Au début au XXème siècle, l'historien William y voyait déjà là, à travers cet engagement, ‘'l'existence d'un parti de la civilisation et du progrès‘' (Ch.R. Ageron, Les Algériens musulmans et la France -1871-1919). Les ‘'Jeunes Algériens'' qui ont affronté l'hostilité coloniale sont considérés comme fondateurs de la modernité au XXème s. Les deux frères seront à la fois dans l'engagement et dans l'action pour le combat moderniste arabe et musulman des nouvelles élites. Leurs racines cordouanes irriguées par la pensée d'Ibn Hamz, Mahieddine Ibn Arabi… leur père étant, avec Cadi Choaîb, Moulay Driss ben Tabet…, un des réformistes issus de la tradition de la ‘'Tachfiniya‘'. Les deux frères s'imposaient comme des échantillons représentatifs du combat générationnel des ‘'Jeunes musulmans'' en Algérie et à travers le monde musulman avec Mustappha Kamil Pacha en Egypte, Abdelmadjid Zaoueche en Tunisie …
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  • #2
    LES EXEGETES-PREDICATEURS OU FAQIHS, LES INTELLECTUELS MODERNISTES ET LE PATRIMOINE

    Les exégètes ou cadis épris de culture et les intellectuels modernistes étaient pour la plupart d'ascendance traditionnelle de savants ou d'érudits formés dans la tradition de la célèbre médersa ‘'al-Tachfiniya''. Il existait à Tlemcen d'excellentes écoles et une communauté où l'islam est vécu comme une ferveur religieuse, loin d'être bigote, tournée vers les valeurs morales familiales et l'éducation des enfants, remarque le juriste Bénali Fekar dans son livre ‘'L'œuvre française en Algérie jugée par un Arabe'' (conférence, Rouen, 1905). Construite au XIVème siècle sous le règne du roi zianide Abou Tachfin Ier, cette dernière fut détruite, comme on le sait, au début de l'occupation coloniale française sous prétexte d'urbanisme et cela, dans le but de mettre fin au renouvellement des élites traditionnelles dans la vieille cité des Zianides. Certes, cette ancienne capitale figurait parmi les villes les plus importantes du Maghreb où la société policée, aux antipodes des traditions langagières rugueuses, a connu, au moyen âge arabe, un haut degré de civilisation. Elle était à la hauteur des grandes et vieilles cités, Fès, Bédjaia, Tunis… Haut lieu du savoir, elle comptait quatre grandes prestigieuses médersas d'Al-Matmare, Al-Yacoubiya, Tachfiniya, al-Eubbad, Ouled al-Imam, qui ont formé d'illustres savants dans les sciences profanes et religieuses à l'époque médiévale, voire le mathématicien Saïd al-Okani, al-Hafidh ibn Marzouk, Benyoucef Sanoussi… dont le savoir eut une influence tant au Maghreb qu'en Andalousie et dont il est temps de ranimer et de s'approprier la pensée. Avec la destruction de la médersa at-Tachfiniya (un bijou architectural du moyen âge arabe) la culture allait se réfugier alors dans les écoles libres qui furent créées. Nous citerons par là l'école du célèbre cadi djama'a tilimsan, Choaïb Aboubekr à Bab al-Djiad (quartier des coursiers) s'illustrait par les noms d'autres faqîhs dont Mohamed Beghdadi, Mohamed Benyoucef, Mohamed Benyamina, Mohamed Belbachir fils de Abdelkaoui de Ghris…Les autres écoles étaient animées par les maîtres d'écoles, cheikh Mohamed Bouaroug al-Azhari à la mosquée de Sidi Djebbar, celle de cheikh Ahmed Yellès Chaouche à Ghars Didou, du Faqîh Mohamed al-Harchaoui à derb Hlaoua, de cheikh Mohamed Bendahmane à la médersa d'el-Eubbad…

    La démolition de cette médersa qui avait rang d'université à l'image de la Zitouna et d'al-Qarawiyyin allait, certes, décider aussi le départ de cette ville de nombreux savants vers Fès. La capitale des Idrissides bénéficiera grâce à leur présence d'une impulsion nouvelle donnée aux études du Fiqh. Le plus bel exemple est donné par cheikh Abdelkrim al-Midjaoui, père de Abdelkader, mort à Alger en 1913, qui a compté parmi ses disciples à la Qarawiyyin de Fès la pléiade des premiers exégètes-réformistes marocains dont Abdelhaï Doukkali, cheikh Mohamed Guenoun, cheikh Djaafar al-Kettani, cheikh Abdelouahid Bensouda…

    Le XXème est le début d'une phase active dans le processus de reprise historique. Il fut marqué aussi par l'entrée en jeu de personnalités distinguées au plan de la réforme. En dehors de Cadi Choaïb Aboubekr fils de Ibn Abdeldjelil auteur du ‘'Tenbih al-anam'', déjà cité, il y eut encore cheikh Abdelkader Midjaoui qui rencontra le réformateur, inspirateur du groupe égyptien al-Manâr (le Phare) cheikh Mohamed Abdou, en 1903, le professeur et auteur, homme de réflexion et d'action, Ghaouti Bouali (1863-1932), Ahmed Bensmaïl, auteur de l'encyclopédie ‘'Madjami'i'', mort en 1936 au Caire…Il mobilisera partout l'élite à Tlemcen, Constantine, Alger avec Cadi Choaïb Aboubekr, Mohamed Bensedira, Abdelhalim Bensmaïa, Mustapha Belkhodja, Mohamed Ben Mouhoub…

    LES ECOLES LIBRES, LES NADIS, DES HAUTS LIEUX DE CULTURE ET DE SOCIABILITE CITADINE

    La création des écoles libres fut suivie parallèlement par la naissance des premiers cercles en tant que lieux d'une résistance qui ne fut pas seulement religieuse puisque menée également sur le front de l'art. Elles tirent partie de l'héritage et font de sa réappropriation une contre-culture face à l'occupant, car l'appartenance nationale et la citoyenneté se confondent avec l'identité religieuse. Ce moment de nouveau souffle vit fleurir de nombreux nadis. La musique, pour sa part, allait servir de vecteur à l'expression de l'identité nationale avec tous ses symboles et ses valeurs.

    L'art musical qui imbibait fortement la société citadine avait déjà ses propres espaces de convivialité ou d'apprentissage à travers les endroits traditionnellement appelés Masriyate situés à l'intérieur de la vieille médina médiévale (sorte de mezzanine aménagée en entresol avec petites fenêtres d'accès indépendant, donnant sur la ruelle au-dessus de la porte d'entrée de la maison).

    Ces ‘'homes'', accueillant plus tard les nadis comme lieux privilégiés d'expression à l'intérieur de la vieille médina, servaient historiquement de lieux discrets où se nouaient les contacts et où s'engageaient également les discussions sur les sujets chauds et comme centre d'intérêt l'avenir de la société musulmane en Algérie. Voire les Doukkans, ou échoppes, les ateliers d'artisans ou encore les Foundouks, ou caravansérails, qui étaient au nombre de quinze ayant survécu jusqu'à l'occupation en 1842 et qui furent ensuite de moitié détruits sous prétexte de tracé urbain moderne de la ville en même temps que plusieurs mosquées, les médersas al-Yacoubiya, des Ouled al-Imam, le palais (Kasr al Qâdim) où était enterré le roi-poète zianide Abou Hammou Moussa II. Ces lieux populaires actifs, de vieille sociabilité citadine, s'animaient tous les soirs en même temps que les cercles qui, généralement, regroupaient l'élite urbaine de divers profils parmi notamment les instituteurs, les fonctionnaires, les artisans, les esthètes et amateurs d'art. Ces nadis devenus des motifs de fierté et d'appartenance sociale et culturelle survivaient grâce aux adhésions et à l'action de mécénat. « Hormis les conférences, l'animation était tantôt musicale tantôt théâtrale », notait dans ses mémoires le vieux instituteur Allal Kahia, premier président de Nadi Saada créé en 1930. Ce mouvement de renaissance fut marqué au début du XXème s. par la création de la première troupe théâtrale en 1913 par le professeur Ghaouti Bouali et en 1910, du premier club de football, Le football club de Tlemcen fondé par Abdelhamid Bouayed Agha (interprète père de l'historien Mahmoud Bouayed Agha) et dont le futur nationaliste maghrébin, Messali Hadj, figurait parmi les sociétaires-joueurs.

    Ces espaces, les nadis, constituaient un des aspects de l'héritage de notre modernité. Ils ont participé tant par l'exemplarité du rôle dans lequel les ont confinés les élites, l'affirmation de la vie politique, sociale et culturelle dans la cité. La culture était dans les cercles, celle de l'engagement, une manière de se libérer de l'ordre colonial en ce moment où les mots faisaient surtout référence à un discours de défiance et de méfiance. Ayant joué un grand rôle dans la prise de conscience, les ‘'Jeunes années'' des nadis, refuge de l'humanité pendant les durs moments de la présence coloniale, n'ont pas pu faire école la période post-indépendance. A l'indépendance, ces foyers politico-culturels ont malheureusement disparu sans jamais être réactivés et cela au gré du contrôle extrêmement serré de la vie politique et culturelle.

    Dans l'histoire moderne de l'Algérie, la séquence des Jeunes ‘'éveillés'', issus du milieu privilégié des premiers intellectuels, correspond à l'expérience politique menée par l'élite dans les vieilles cités. Après le choc colonial, elle a constitué une expérience très riche qui a donné lieu à une mobilisation caractérisée notamment par la création des premières associations d'où l'originalité de cette transition lancée par la jeunesse et qui a favorisé l'émergence d'une société civile. C'est dans le milieu de la jeunesse des nadis que la personnalité de Messali Hadj (1898-1972) s'est affirmée, d'où sa formidable foi patriotique, s'affirmant constamment Algérien, membre fondateur du premier parti national, l'Etoile nord-africaine (ENA). Dans l'histoire politique moderne en Algérie les nadis, ces lieux de rencontres et d'échanges, ont constitué certes, un moment important dans l'éclosion de la première élite du dire politique, du débat et du pluralisme marquant ainsi le début d'une évolution tout à fait originale, renforçant la conscience nationale militante. C'est pendant cette phase préliminaire à la lutte politique que commencèrent à se développer les pratiques participatives, avec de subtils équilibres entre les différents courants, traçant de nouveaux horizons. L'élite au sein des nadis ne s'est pas arrêtée là, marquant un net désir de recherche dans le domaine de l'histoire de l'art dit andalou. Les jeunes, couverts aussi du vocable de Fetyans, dont l'instituteur Mostéfa Ben Aboura (1875-1930), membre actif du mouvement des nadis en collaboration de Ghaouti Bouali (1874-1934) déjà cité, et le professeur Mohamed Bensmaïl (1884-1947), comprirent l'enjeu jamais entrepris auparavant par un Algérien celui de la transcription en notation d'une bonne partie du patrimoine musical de la ‘'Sana'a–Gharnatia'' (dont certains morceaux restaient inédits à ce jour). Cette codification fut présentée pour la dernière fois au congrès de musique arabe qui s'était tenu à Fès en 1939. A ce congrès, l'Algérie était représentée par l'orchestre dirigée par le professeur Mohamed Bensmaïl avec la participation de cheikh Abdelkrim Dali. Nous rappellerons, dans le même élan, la mobilisation des Jeunes dans les viviers qu'étaient les cercles dans l'environnement de vie de la cité Mohamed Bensmaïl alors professeur de langue arabe et berbère à Rabat, de 1917 à 1921, fut sollicité à créer le premier nadi créé au Maroc pour la transmission de la musique andalouse, du nom d' al-Andaloussia, à Oujda, en 1921. De ce cercle émergèrent de grandes figures de la chanson andalouse dont cheikh Salah Benchaabane, Ouarad Boumédiène… Nous rappellerons pour l'occasion que les trésors d'archives et de documentation des cheikhs Mostéfa Aboura et Ghaouti Bouali ont été versés au domaine culturel de l'Etat à l'occasion de Tlemcen capitale islamique, en 2011 alors que d'autres trésors d'archives sont encore jalousement protégés.
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    • #3
      LE ROLE DES ELITES DES NADIS : DU TRADITIONALISME A LA MODERNITE

      Motivés par la même ardeur en faveur de la protection des valeurs historiques de l'identité pour une résurgence culturelle, d'autres nadis à orientation culturelle nationaliste ont également essaimé à travers la ville. Ils étaient élargis à toutes les couches sociales avec cependant chacun son obédience politique et culturelle allant du traditionalisme à la modernité jusqu'à la tendance progressiste. Ces cercles, ou espaces de vie publique, mobilisaient, d'une manière inédite une pépinière de nationalistes de profils différents : Abdelkader Mahdad, Mohhamed Badsi, Mohamed Guenanèche, Boumediene Maarouf, Mohamed Mamchaoui, Mustapha Berrezoug, Choaïb Tchouar, Abdelkrim Benosmane, Abdelhamid Bénachenhou, Mohamed Benblal… parmi eux également les noms d'illustres martyrs : le médecin-généraliste Bénaouda Benzerdjeb, l'ophtalmologiste Tidjani Damerdji, le pharmacien Lakhdar Benseghir, le professeur Sid-Ahmed Inal, l'héroïne Maliha Hamidou… des échantillons représentatifs de la génération des nadis inscrits dans une démarche tout à fait libérale. Parmi ces lieux de résistance culturelle et politique nous citerons les associations : '‘Jeunesse littéraire musulmane ‘'(1916), ‘' Nadi es-Saada‘'(1930) (nationaliste), ‘'Nadi Radja''(patriotique) (1928), ‘'Nadi Islami''(Oulamas) (1924),'' Les Amis du livre''(1927), ‘'Sanoussiya'' (1934), ‘'Nadi Ittihad'' (progressiste) (1934), SLAM (1934), ‘'Rachidiya'' (1948) (société artistiques et musicales)…Dans ce mouvement libéro-patriotique et progressiste, la laïcité que la loi de 1905 a établie, ne satisfaisait pas encore l'élite car ne rimant pas sur le terrain avec les principes d'égalité et de liberté. De diverses colorations politiques, l'existence de ces coins d'échanges et de dialogue démontraient parfaitement bien que les Algériens n'étaient pas dépouillés de tout ancrage politique et idéologique. Certains cercles, ou nadis, défendaient avec force conviction la lecture et ont créé ‘'les Amis du livre‘' et ‘'les Amis du manuscrit''(1948)… Ces bouillonnants espaces ont fait leur preuve en devenant des lieux d'éclosion de grandes figures littéraires et artistiques dont l'écrivain Mohamed Dib, Abdelmadjid Meziane, Mohamed Gnanèche, Djelloul Yellès…les peintres Abdelhalim Hemch, Bachir Yellès…. Nous rappellerons que l'écrivain algérien Mohamed Dib n'est autre que le petit-fils du grand maître de la musique andalouse Mohamed Dib connu pour avoir participé à l'exil des Algériens en Turquie et en Syrie, rejoignant en cela l'acte de désobéissance civile ou Hidjra de 1911. Le milieu très actif des cercles encouragea la naissance d'une floraison de troupes à caractère culturel, sportif, religieux et caritatif dans l'espace de sociabilité dans la vieille cité des Zianides. Dans le contexte des activités de ces associations émergeront, parallèlement, des personnalités, des acteurs politico-culturels au sein de la société dont nous citerons : le professeur Abdelkader Mahdad, féru de culture andalouse, auteur du commentaire de l'œuvre intitulée les poèmes à chanter et à danser, ‘'Ounwan al-Mouraqîssat oua-l-Moutaribat'' de Maheddine Ibn Arabi (XIIème s.) et un large commentaire du livre intitulé ‘'Zad al–mouçafer'' (Le viatique du voyageur) de Aboubekr Sofiane ibn Idriss al-Murçi (XIIème siècle). Ce linguiste et hispanisant, président-fondateur de l'association Jeunesse littéraire musulmane sera plus tard en 1946 membre fondateur avec Ferhat Abbès et le docteur Saâdane de l'UDMA. Le mouvement de résurgence animé par les Jeunes algériens à travers les nadis, fruits des avant-gardes qui ont démontré une certaine capacité de résistance et ont déjà engagé leurs ainés, ne s'arrêta pas aux seuls travaux cités plus haut consacrés à la musique dont la protection du patrimoine était accomplie à l'instar d'une cause mystique. D'autres compilations consacrées aux œuvres de poètes et à la musique seront entreprises par l'élite moderniste. Nous citerons par là l'œuvre de Si Mohamed Bekkhoucha et le musicien lettré et poète Si Abderrahmane Sekkal sur la musique andalouse fondateur post-indépendance de l'association ‘'en-Nahda'', à Oran. Le premier publié en 1936 sa compilation de l'œuvre du poète du Dahra Sidi Lakhdar ben Khlouf à Tétouan et avec son ami le lettré musicien Sekkal son : Anthologie intitulée ‘'Les printanières'' à Tlemcen, aux éditions Ibn Khaldoun. A l'indépendance, Si Mohamed Bekkhoucha fait paraître aux éditions SNED son livre sur l'illustre poète du ‘'Beldi-hawzi'' Said ben Abdellah al-Mandassi (XVIème s) (en 2 tomes, 1 seul tome ayant paru à ce jour) dont une partie des œuvres a trouvé chemin dans la ‘'Sana'a''. Le professeur à la médersa Abdelhamid Hamidou (père de l'héroïne de la révolution Maliha Hamidou) un renaissant-nahdiste est aussi auteur de nombreuses études publiées dans ‘'Revue africaine'' sur la poésie et la chanson populaire andalouse dont une publication concerne la vie et l'œuvre du grand poète-musicien et archétype au début du XVIIIème siècle du Beldi-Hawzi, Mohamed Ben M'saib. Il est également l'auteur d'un livre intitulé ‘'Saada al-Abadiya‘' (Le bonheur éternel, Fès, 1940) portant sur l'œuvre de Sidi Abou Madyan Choaïb. D'autres recueils en manuscrits avec codification universelle traitant du ‘'Zendani'' ou le chant libre à caractère trivial incarnant la vie dans la cité et ses débauches, des ‘'Tchanbar enqlabate sika'', recueil des ‘'Qâdriyas‘', gâteries musicales dont les poèmes sont puisés dans le répertoire des poètes-musiciens populaires du ‘'Beldi-hawzi'' clôturant une longue nouba, enfin, des ‘'Tawchias'' (Rasd, raml…) jalousement conservés attendent encore d'être publiés un jour.

      Les associations de bénévolat dont la création reste encore à ce jour une question dérangeante (voir le cas de nombreuses fondations pieuses de main morte ou ‘'Habous'' et des associations frappées d'arrêt : ADESC, JASR, Ahbab tourath…) travaillant aujourd'hui dans l'ombre et dans l'oubli total des institutions publiques chargées de la culture, méritent bien un sort meilleur. A Tlemcen où il n'existe pas encore de conservatoire et où le festival de la ‘'Sana'a-gharnata'' fut annulé après plus de vingt années de son existence alors que le travail de mémoire concernant le lourd héritage culturel mérite aide et encouragement de l'Etat. La société civile de l'élite qui a prouvé son engagement dans le passé et le présent a besoin aujourd'hui encore, comme hier, de s'investir dans les affaires collectives à travers les espaces à l'instar des nadis qu'il faut peut-être réinventer.

      Enseignant-chercheur et auteur.

      Auteur et producteur (Conférence colloque international sur les musiques anciennes. Ministère de la Culture, Alger 2015).

      Bibliographie :

      - Florilège histoire, art et politique. El hassar Salim, El hassar Mohamed al-Amine (Dalimen, Alger, 2011)

      - Les Jeunes Algériens et la mouvance moderniste. Les frères Larbi et Bénali Fekar El hassar Bénali. Paris, 2013.

      - Le rêve moderniste en Algérie au début du XXème s. El hassar Bénali(Paris, 2013).

      - Les Algériens musulmans et la France (1873-1919). Charles-Robert Ageron P.U.F de France, 1968.
      par El Hassar Abdelkader Salim
      Quotidien d'Oran
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