Dans un entretien en deux volets, le philosophe évoque son rapport à la gauche, à la laïcité, à l'islam, ses convergences et ses divergences avec Raymond Aron et Alain Finkielkraut, etc.
Franck Crudo. Vous avez fait paraître récemment un livre d’entretiens (C’est chose tendre que la vie) – sans doute le plus intime de vos livres –, où vous revenez dans le détail sur votre parcours et votre philosophie. A l’instar de Raymond Aron qui publiait, en 1981, le même type de livre (Le spectateur engagé). Quelle serait votre réaction si l’on vous présentait comme le Raymond Aron de la gauche ? Rationaliste, libéral, athée. La même sagesse tragique, le même réalisme, le même rejet des extrêmes… De surcroît, Aron soutenait le pouvoir en place tout en étant parfois très critique avec son camp. Un peu comme vous aujourd’hui…
André Comte-Sponville. C’est une comparaison qui ne me choque en rien, bien au contraire, mais qui ne me paraît qu’à moitié pertinente. Vous avez raison sur les points de convergences que vous constatez. Mais nos centres d’intérêt ne sont pas les mêmes. Raymond Aron s’intéressait surtout à la philosophie de l’histoire, à la sociologie, à la stratégie. Je m’intéresse davantage à la métaphysique, à l’éthique, à la spiritualité. La politique le passionnait. Elle m’ennuie vite. Il était plus journaliste que moi ; je crois être plus philosophe que lui. Il travaillait au plus près de l’actualité ; j’essaie plutôt de retrouver, pour parler comme Spinoza, « une certaine sorte d’éternité ». Cela ne m’empêche pas d’avoir pour Aron beaucoup d’estime, et même, pour l’homme qu’il fut, beaucoup de tendresse. Il est presque aussi attachant que Camus, et beaucoup plus que Sartre. Mais Aristote ou Épicure, Montaigne ou Alain m’importent davantage.
Si Aron se définissait comme « un spectateur engagé », vous préférez vous présenter comme « un intellectuel citoyen ». Vous craignez, expliquez-vous, de basculer du statut de philosophe à celui de polémiste. Et vous citez les mauvais exemples de Foucault et Sartre, lesquels s’étaient compromis avec la révolution islamique de Khomeiny pour l’un, l’URSS de Staline pour l’autre. Un philosophe est-il inapte à gouverner la cité, contrairement à ce que pensait Platon en son temps ?
Je me définis d’abord comme philosophe matérialiste, rationaliste et humaniste. Et comme « intellectuel citoyen », en effet, lorsque j’interviens dans les débats politiques du moment. Mais ce n’est ni ma vocation première, ni ma plus grande compétence. C’est pourquoi je le fais toujours avec humilité, en m’interdisant, au contraire de certains, de faire la leçon au monde entier. Il y a là davantage qu’un trait de tempérament. L’idéal platonicien du philosophe-roi n’est pensable que sur la base d’une conjonction, essentielle au platonisme, entre le vrai et le bien. C’est cette conjonction que je récuse. Le vrai n’est pas le bien : aucune connaissance ne tient lieu de jugement de valeur. Le bien n’est pas le vrai : aucune évaluation ne tient lieu de connaissance. Or ce que cherche le philosophe, ce n’est pas d’abord le bien, comme beaucoup le croient, mais d’abord la vérité, pour autant qu’on puisse la connaître – ce que j’appelle, corrigeant Spinoza par Karl Popper, « la norme de l’idée vraie donnée ou possible ». Dès lors que la vérité ne dit jamais ce qu’il faut faire, comme l’a vu Hume, il faut en conclure que la vérité n’est ni de droite ni de gauche. Cela n’empêche pas les citoyens que nous sommes de choisir l’un ou l’autre camp, mais implique que ce choix relève moins de la philosophie que de l’opinion. Je le constate d’ailleurs tous les jours : beaucoup de mes lecteurs, qui se reconnaissent dans ma philosophie, n’ont pas du tout les mêmes opinions politiques que moi. Et beaucoup d’autres, qui partagent mes opinions politiques, ont une tout autre philosophie que la mienne. C’est bien ainsi. Le rôle d’un philosophe, ce n’est pas de dire ce qu’il faut faire contre le chômage, ni pour qui il faut voter, mais d’aider chacun à philosopher un peu mieux, ou un peu moins mal. Ce qui importe, chez Sartre ou Foucault, ce n’est pas leurs opinons politiques, souvent saugrenues et aujourd’hui obsolètes, mais leur travail proprement philosophique. Cela vaut aussi pour moi : ce sont mes livres qui importent, pas les positions politiques qu’il m’arrive de soutenir !
Vous êtes ami avec Michel Onfray. Comment avez-vous vécu ses dernières sorties médiatiques et le fait que les propos d’un philosophe français soient repris par une vidéo de propagande de Daech ?
Avec un peu d’inquiétude et beaucoup de perplexité. Quand on se jette à ce point dans l’arène médiatique, on risque fort de se faire piéger ou récupérer. C’est ce qui est arrivé à Michel : on parle de moins en moins de ses livres, de plus en plus de ses apparitions à la télévision. C’est la faute des journalistes, qui ne cherchent que le buzz, au moins autant que la sienne. Mais disons que j’essaie d’éviter ce genre de situation. J’ai décidé de ne plus passer à la télévision, sauf exception, que pour parler de mon travail, donc de mes livres, et de refuser les invitations nombreuses qu’on m’y fait, quand il ne s’agit que de commenter l’actualité. Inutile de vous dire que cela réduit considérablement mes apparitions médiatiques, sans doute aussi les ventes de mes livres. Mais je préfère ça à des interventions tous azimuts, avec les risques de malentendu et de récupération qu’elles entraînent.
« Être attaché à une certaine culture, à un certain mode de vie, ce n’est pas du racisme »
Vous vous définissez comme un libéral de gauche. Pourtant, lors de votre jeunesse, vous avez été membre du PCF entre 1970 et 1980. Vous expliquez dans votre livre que l’invasion de l’Afghanistan en 1979, puis l’échec économique du programme commun et le tournant de la rigueur ont été des moments clés dans votre conversion idéologique. La gauche, expliquez-vous, s’est fracassée sur la réalité en refusant l’économie de marché. Ne se fracasse-t-elle pas aujourd’hui de la même manière sur le réel avec la question des migrants et de l’intégration ?
La gauche, surtout en France, a toujours tendance à prendre ses désirs pour la réalité, donc à confondre le réel et l’idéal, ou à méconnaître celui-là lorsqu’il ne correspond pas à celui-ci. C’est le piège de l’idéalisme, de l’utopie, des bons sentiments, du politiquement correct… Ce que je reproche à François Mitterrand, ce n’est pas le tournant de la rigueur, qui me paraissait nécessaire, mais le refus d’en tirer les leçons, comme si ce n’était qu’une parenthèse, après laquelle on pourrait revenir tranquillement aux aberrations économiques du passé. La gauche s’est enfermée dans ce mensonge pendant trente ans. Et voyez comme Hollande et Valls ont du mal à en sortir, comme ils se heurtent à des résistances massives, au sein même de leur camp ! S’agissant maintenant de l’immigration, il est vrai que la gauche a souvent refusé de voir le problème en face, comme si seuls les racistes pouvaient y voir une source d’inquiétude. J’ai souvent critiqué cet aveuglement (voyez par exemple mon article « Immigration », paru dans L’Événement du jeudi en 1993 et repris dans mon livre Le goût de vivre et cent autres propos). J’y citais Lévi-Strauss : il est normal que « des cultures attachées chacune à un style de vie, à un système de valeurs, veillent sur leurs particularismes », et « cette disposition est saine, nullement – comme on voudrait nous le faire croire – pathologique » (De près et de loin, Odile Jacob, 1988, p. 207). Bref, être attaché à une certaine culture, à certaines traditions, à un certain mode de vie, ce n’est pas du racisme : c’est l’expression légitime d’une certaine identité nationale ou européenne, dont nous aurions bien tort d’abandonner la défense à l’extrême droite ! Mais faut-il pour autant en conclure que le racisme n’existe pas ? Évidemment non. Que l’antiracisme est un combat funeste ? Pas davantage. Rien n’empêche de se battre sur deux fronts : contre le racisme et la xénophobie d’une part, contre les dangers d’une immigration incontrôlée d’autre part. Certains, à gauche, ne veulent mener que le premier de ces combats. Ce n’est pas une raison pour approuver ceux, à droite, qui ne veulent mener que le second…
Quand Alain Finkielkraut déclare que « l’antiracisme est le communisme du XXIe siècle », y a-t-il selon vous une part de vérité ?
La formule de Finkielkraut est évidemment outrancière. Le communisme a fait des millions de morts. L’antiracisme, même sous les formes un peu niaises qu’il prend souvent, est très loin d’avoir la même responsabilité !
Certes. Mais Alain Finkielkraut, par cette formule, voulait probablement souligner que le logiciel antiraciste avait supplanté l’utopie communiste moribonde. Qu’il était le nouvel horizon indépassable de la pensée d’une partie de la gauche, pas seulement radicale. Il est saisissant de constater qu’une féministe comme Clémentine Autain s’est sentie obligée de tweeter, après les viols de Cologne, que l’Armée rouge avait aussi perpétrée de telles exactions en 1945. Et elle n’est pas la seule à avoir pris ce type de position ! Ce qu’il y a de presque effrayant ici, c’est qu’on a l’impression que l’antiracisme supplante toutes les autres valeurs, y compris féministes, au nom du pas d’amalgame, pas de stigmatisation.
Même ainsi interprétée, la formule reste caricaturale. Le communisme, au milieu du XXe siècle, structurait la plupart des débats politiques, voire idéologiques : on était pour ou contre. Beaucoup de nos plus grands artistes ou intellectuels s’y reconnaissaient. Vous n’allez tout de même pas mettre Clémentine Autain ou Harlem Désir (ou le dirigeant actuel de SOS racisme, dont je ne connais même pas le nom) sur le même plan que Picasso, Aragon ou Sartre ! D’ailleurs, l’antiracisme en général, tout le monde est pour, en tout cas dans le monde intellectuel. On ne critique (comme le fait Finkielkraut, souvent à juste titre) que telle ou telle de ses formes. Ce n’est pas une raison pour cesser de combattre le racisme, intellectuellement discrédité, et c’est heureux, mais qui reste, socialement, plus vivace qu’on ne le voudrait.
Franck Crudo. Vous avez fait paraître récemment un livre d’entretiens (C’est chose tendre que la vie) – sans doute le plus intime de vos livres –, où vous revenez dans le détail sur votre parcours et votre philosophie. A l’instar de Raymond Aron qui publiait, en 1981, le même type de livre (Le spectateur engagé). Quelle serait votre réaction si l’on vous présentait comme le Raymond Aron de la gauche ? Rationaliste, libéral, athée. La même sagesse tragique, le même réalisme, le même rejet des extrêmes… De surcroît, Aron soutenait le pouvoir en place tout en étant parfois très critique avec son camp. Un peu comme vous aujourd’hui…
André Comte-Sponville. C’est une comparaison qui ne me choque en rien, bien au contraire, mais qui ne me paraît qu’à moitié pertinente. Vous avez raison sur les points de convergences que vous constatez. Mais nos centres d’intérêt ne sont pas les mêmes. Raymond Aron s’intéressait surtout à la philosophie de l’histoire, à la sociologie, à la stratégie. Je m’intéresse davantage à la métaphysique, à l’éthique, à la spiritualité. La politique le passionnait. Elle m’ennuie vite. Il était plus journaliste que moi ; je crois être plus philosophe que lui. Il travaillait au plus près de l’actualité ; j’essaie plutôt de retrouver, pour parler comme Spinoza, « une certaine sorte d’éternité ». Cela ne m’empêche pas d’avoir pour Aron beaucoup d’estime, et même, pour l’homme qu’il fut, beaucoup de tendresse. Il est presque aussi attachant que Camus, et beaucoup plus que Sartre. Mais Aristote ou Épicure, Montaigne ou Alain m’importent davantage.
Si Aron se définissait comme « un spectateur engagé », vous préférez vous présenter comme « un intellectuel citoyen ». Vous craignez, expliquez-vous, de basculer du statut de philosophe à celui de polémiste. Et vous citez les mauvais exemples de Foucault et Sartre, lesquels s’étaient compromis avec la révolution islamique de Khomeiny pour l’un, l’URSS de Staline pour l’autre. Un philosophe est-il inapte à gouverner la cité, contrairement à ce que pensait Platon en son temps ?
Je me définis d’abord comme philosophe matérialiste, rationaliste et humaniste. Et comme « intellectuel citoyen », en effet, lorsque j’interviens dans les débats politiques du moment. Mais ce n’est ni ma vocation première, ni ma plus grande compétence. C’est pourquoi je le fais toujours avec humilité, en m’interdisant, au contraire de certains, de faire la leçon au monde entier. Il y a là davantage qu’un trait de tempérament. L’idéal platonicien du philosophe-roi n’est pensable que sur la base d’une conjonction, essentielle au platonisme, entre le vrai et le bien. C’est cette conjonction que je récuse. Le vrai n’est pas le bien : aucune connaissance ne tient lieu de jugement de valeur. Le bien n’est pas le vrai : aucune évaluation ne tient lieu de connaissance. Or ce que cherche le philosophe, ce n’est pas d’abord le bien, comme beaucoup le croient, mais d’abord la vérité, pour autant qu’on puisse la connaître – ce que j’appelle, corrigeant Spinoza par Karl Popper, « la norme de l’idée vraie donnée ou possible ». Dès lors que la vérité ne dit jamais ce qu’il faut faire, comme l’a vu Hume, il faut en conclure que la vérité n’est ni de droite ni de gauche. Cela n’empêche pas les citoyens que nous sommes de choisir l’un ou l’autre camp, mais implique que ce choix relève moins de la philosophie que de l’opinion. Je le constate d’ailleurs tous les jours : beaucoup de mes lecteurs, qui se reconnaissent dans ma philosophie, n’ont pas du tout les mêmes opinions politiques que moi. Et beaucoup d’autres, qui partagent mes opinions politiques, ont une tout autre philosophie que la mienne. C’est bien ainsi. Le rôle d’un philosophe, ce n’est pas de dire ce qu’il faut faire contre le chômage, ni pour qui il faut voter, mais d’aider chacun à philosopher un peu mieux, ou un peu moins mal. Ce qui importe, chez Sartre ou Foucault, ce n’est pas leurs opinons politiques, souvent saugrenues et aujourd’hui obsolètes, mais leur travail proprement philosophique. Cela vaut aussi pour moi : ce sont mes livres qui importent, pas les positions politiques qu’il m’arrive de soutenir !
Vous êtes ami avec Michel Onfray. Comment avez-vous vécu ses dernières sorties médiatiques et le fait que les propos d’un philosophe français soient repris par une vidéo de propagande de Daech ?
Avec un peu d’inquiétude et beaucoup de perplexité. Quand on se jette à ce point dans l’arène médiatique, on risque fort de se faire piéger ou récupérer. C’est ce qui est arrivé à Michel : on parle de moins en moins de ses livres, de plus en plus de ses apparitions à la télévision. C’est la faute des journalistes, qui ne cherchent que le buzz, au moins autant que la sienne. Mais disons que j’essaie d’éviter ce genre de situation. J’ai décidé de ne plus passer à la télévision, sauf exception, que pour parler de mon travail, donc de mes livres, et de refuser les invitations nombreuses qu’on m’y fait, quand il ne s’agit que de commenter l’actualité. Inutile de vous dire que cela réduit considérablement mes apparitions médiatiques, sans doute aussi les ventes de mes livres. Mais je préfère ça à des interventions tous azimuts, avec les risques de malentendu et de récupération qu’elles entraînent.
« Être attaché à une certaine culture, à un certain mode de vie, ce n’est pas du racisme »
Vous vous définissez comme un libéral de gauche. Pourtant, lors de votre jeunesse, vous avez été membre du PCF entre 1970 et 1980. Vous expliquez dans votre livre que l’invasion de l’Afghanistan en 1979, puis l’échec économique du programme commun et le tournant de la rigueur ont été des moments clés dans votre conversion idéologique. La gauche, expliquez-vous, s’est fracassée sur la réalité en refusant l’économie de marché. Ne se fracasse-t-elle pas aujourd’hui de la même manière sur le réel avec la question des migrants et de l’intégration ?
La gauche, surtout en France, a toujours tendance à prendre ses désirs pour la réalité, donc à confondre le réel et l’idéal, ou à méconnaître celui-là lorsqu’il ne correspond pas à celui-ci. C’est le piège de l’idéalisme, de l’utopie, des bons sentiments, du politiquement correct… Ce que je reproche à François Mitterrand, ce n’est pas le tournant de la rigueur, qui me paraissait nécessaire, mais le refus d’en tirer les leçons, comme si ce n’était qu’une parenthèse, après laquelle on pourrait revenir tranquillement aux aberrations économiques du passé. La gauche s’est enfermée dans ce mensonge pendant trente ans. Et voyez comme Hollande et Valls ont du mal à en sortir, comme ils se heurtent à des résistances massives, au sein même de leur camp ! S’agissant maintenant de l’immigration, il est vrai que la gauche a souvent refusé de voir le problème en face, comme si seuls les racistes pouvaient y voir une source d’inquiétude. J’ai souvent critiqué cet aveuglement (voyez par exemple mon article « Immigration », paru dans L’Événement du jeudi en 1993 et repris dans mon livre Le goût de vivre et cent autres propos). J’y citais Lévi-Strauss : il est normal que « des cultures attachées chacune à un style de vie, à un système de valeurs, veillent sur leurs particularismes », et « cette disposition est saine, nullement – comme on voudrait nous le faire croire – pathologique » (De près et de loin, Odile Jacob, 1988, p. 207). Bref, être attaché à une certaine culture, à certaines traditions, à un certain mode de vie, ce n’est pas du racisme : c’est l’expression légitime d’une certaine identité nationale ou européenne, dont nous aurions bien tort d’abandonner la défense à l’extrême droite ! Mais faut-il pour autant en conclure que le racisme n’existe pas ? Évidemment non. Que l’antiracisme est un combat funeste ? Pas davantage. Rien n’empêche de se battre sur deux fronts : contre le racisme et la xénophobie d’une part, contre les dangers d’une immigration incontrôlée d’autre part. Certains, à gauche, ne veulent mener que le premier de ces combats. Ce n’est pas une raison pour approuver ceux, à droite, qui ne veulent mener que le second…
Quand Alain Finkielkraut déclare que « l’antiracisme est le communisme du XXIe siècle », y a-t-il selon vous une part de vérité ?
La formule de Finkielkraut est évidemment outrancière. Le communisme a fait des millions de morts. L’antiracisme, même sous les formes un peu niaises qu’il prend souvent, est très loin d’avoir la même responsabilité !
Certes. Mais Alain Finkielkraut, par cette formule, voulait probablement souligner que le logiciel antiraciste avait supplanté l’utopie communiste moribonde. Qu’il était le nouvel horizon indépassable de la pensée d’une partie de la gauche, pas seulement radicale. Il est saisissant de constater qu’une féministe comme Clémentine Autain s’est sentie obligée de tweeter, après les viols de Cologne, que l’Armée rouge avait aussi perpétrée de telles exactions en 1945. Et elle n’est pas la seule à avoir pris ce type de position ! Ce qu’il y a de presque effrayant ici, c’est qu’on a l’impression que l’antiracisme supplante toutes les autres valeurs, y compris féministes, au nom du pas d’amalgame, pas de stigmatisation.
Même ainsi interprétée, la formule reste caricaturale. Le communisme, au milieu du XXe siècle, structurait la plupart des débats politiques, voire idéologiques : on était pour ou contre. Beaucoup de nos plus grands artistes ou intellectuels s’y reconnaissaient. Vous n’allez tout de même pas mettre Clémentine Autain ou Harlem Désir (ou le dirigeant actuel de SOS racisme, dont je ne connais même pas le nom) sur le même plan que Picasso, Aragon ou Sartre ! D’ailleurs, l’antiracisme en général, tout le monde est pour, en tout cas dans le monde intellectuel. On ne critique (comme le fait Finkielkraut, souvent à juste titre) que telle ou telle de ses formes. Ce n’est pas une raison pour cesser de combattre le racisme, intellectuellement discrédité, et c’est heureux, mais qui reste, socialement, plus vivace qu’on ne le voudrait.
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