La destinée de Jugurtha s’était inscrite inexorablement dans la lignée des Aguellids (rois) tels son grand-père Massinissa et autres Gaïa et Mastanabal. Toutefois, plus que ses aïeux, Jugurtha était un poil plus distingué. Dans la vastitude du territoire numide, nourri de blé, d’eau fraîche et d’une abondante lumière, Jugurtha était doucereusement pétri pour devenir ce qui fait le caractère berbère : un rebelle dans l’âme. Un rebelle pour qui le culte et la passion de la liberté sont des déterminants inaliénables sous aucun prétexte.
Vite, la révolte et le sceau de la révolution représentent un déclic salutaire et un moment majeur dans l’histoire qu’il allait influencer, dans le sens où ils symbolisent, l’un et l’autre, autant le rejet de la subordination que l’affirmation de soi. L’affirmation de soi était l’obsession de l’enfant Jugurtha. Né en 155 av. J.-C., ce fils de Mastanabal devint orphelin à l’âge de seize ans et fut recueilli par son oncle Micipsa, déjà père de Hiempsal et Adherbal. Il était aussi entendu que l’ambiance au sein de la famille n’était pas saine, la présence de l’orphelin devenait encombrante en prévision de l’heure de l’héritage.
A la mort de son oncle, en 118 av. J.-C., les trois héritiers s’étripèrent sous le regard fort amusé de Rome. Hiempsal et Adherbal ne voyaient plus Jugurtha d’un œil fraternel, la haine exacerbait les querelles et la violence allait crescendo. Face aux vicissitudes, Jugurtha mit à mort Hiempsal et tint en échec les ruades guerrières d’Adherbal. Et, sans tarder, il se proclama l’Aguellid de toute la Numidie unifiée. Nullement content de son sort, Adherbal invoqua le secours des Romains pour faire tomber la tête de l’Aguellid autoproclamé.
Avec un paternalisme intéressé, Rome intervint et divisa la Numidie en deux : la partie orientale pour Adherbal et la partie occidentale pour Jugurtha.
En politicien avisé, le petit-fils de Massinissa sentit les visées colonialistes de l’Empire romain et, illico presto, sa carapace montra son goût et son devoir d’en découdre. En orateur enflammé, il déclara dans un mémorable discours avant la bataille de Muthul, en 109 av. J.-C., en vue de s’affirmer comme le leader incontesté d’un peuple à part entière : «Défendez votre royaume et votre roi contre la cupidité des Romains. Vous allez affronter un ennemi que vous avez déjà vaincu et fait passer sous le joug… Il a changé de chef mais non de cœur.» Joignant l’acte à la parole, Jugurtha envahit le territoire oriental avec l’espoir d’annihiler les desseins expansionnistes des envahisseurs romains.
Qu’à cela ne tienne !, se dirent les Romains furieux. Sans attendre, ils déclarèrent la guerre à l’intrépide Berbère. Cependant, le consul Lucius Calpurnius sut mettre un terme aux joutes sanglantes et put conclure un traité de paix. Favorable à Jugurtha !, criait-on aux alentours du Colisée. «Rome est à vendre si elle trouve acquéreur !», s’étranglait de honte le consul Bestia.
Invité au Sénat, l’Aguellid, en grand timonier intraitable, refusa de divulguer les noms des personnes qu’il avait soudoyées pour garder hautement la main sur son territoire. Constatant un flottement dans l’esprit de Massiva, son proche cousin, il le fit assassiner sur-le-champ, écartant, selon ses calculs, le risque de fragiliser la souveraineté et l’unité de la Numidie. Ainsi, devant les suspicions et face au doute, la guerre avait repris de plus belle. Mieux organisés et bien soutenus, les Romains pénétrèrent la Numidie et mirent Jugurtha au pied du mur. Nonobstant cette mise en difficulté, Jugurtha se montra plus que jamais obstiné et attaché, comme pour un devoir sacerdotal, à l’indépendance de son territoire et de son inviolabilité.
Jetant ses dernières forces dans une guerre sans merci, il fit appel à son beau-père Bocchus, l’Aguellid de Maurétanie. Ailleurs, d’autres sons de cloche résonnaient : instruits par l’amère déroute face à Hannibal, l’équilibre des forces fit miroiter aux Romains l’utilité de l’usage de la ruse comme dernier recours. Ainsi, longtemps demeuré insaisissable, en 105 av. J.-C., Jugurtha tomba dans un guet-apens ourdi par son propre acolyte et beau-père de sinistre mémoire dont la postérité a retenu le nom, Bocchus, comme la traitrise personnifiée.
Et la guerre s’acheva. «Sans gloire pour les Romains», précisait Stéphane Gsell dans son Histoire de l’Afrique septentrionale. Attaché avec des fers, Jugurtha fut livré, pieds et poings liés, à Caïus Marius l’Impérator (général victorieux). Humilié par un coup de canif (trahison) venu de son camp, affaibli à en perdre la raison, Jugurtha (le plus fort) fut conduit nu vers le carcer, la prison d’Etat, un enclos où personne ne restait vivant bien longtemps. A cette époque-là, rappellent les historiens, le droit romain ne reconnaissait pas la peine d’emprisonnement. Toute incarcération est traduite sous forme d’exécution.
L’acharnement était si grossier que l’un de ses geôliers, dans un acte de pillage ostentatoire, lui arracha sa boucle d’oreille en saignant et martyrisant le lobe de l’Aguellid. Au Tullanium, un cachot souterrain, dont les vestiges sont visibles encore de nos jours, situé non loin du Forum romain, Jugurtha vit ses derniers jours dans une terrible épreuve accumulant les morsures des ténèbres aux affres de la faim. Sur sa mort atroce, Salluste n’en dit mot, tandis que d’autres historiens penchent pour une mort par strangulation. Cependant, Plutarque avança l’idée d’une mort terrible après que Jugurtha ait été abandonné sans nourriture pendant six jours.
A sa mort confirmée, le cadavre de Jugurtha fut traîné devant une foule haineuse avant qu’il ne soit jeté dans les flots du Tibre pour disparaître à tout jamais. Depuis, le plus grand des Berbères resta sans sépulture. «Un héros sans visage», dit Serge
Lancel, entre amertume et indignation. Avec sa disparition, la Numidie devint orpheline et végéta sous la botte romaine pendant six siècles. Sous la coupe du profit, des armées avaient zébré notre territoire, des légions entières l’avaient sillonné pour accaparer ses richesses avec un emballement impétueux aggravé par le doux sentiment d’impunité qui caractérise les esprits sans scrupules. Le temps passait. L’Histoire allait tumultueuse.
Le nom de Jugurtha demeura refoulé dans les dédales lointains des siècles, rangé au fond d’une épaisse omerta. Cependant, il y a toujours, comment dire, cet Anza, cet appel d’outre-tombe des âmes injustement torturées, injustement trucidées, chargé de trémolos, cher à la mythologie berbère. Son nom a résisté au temps en allant tutoyer des cimes altières par une mort qui a magnifié son échec. Salluste, son contemporain, lui reconnaissait une beauté qui accentuait sa prestance et une finesse qui rendait son intelligence dénuée de scories. En 1869, Arthur Rimbaud, en poète inspiré, avait composé un long poème en latin grâce auquel il avait obtenu le premier prix du concours de l’Académie de Douai.
Vite, la révolte et le sceau de la révolution représentent un déclic salutaire et un moment majeur dans l’histoire qu’il allait influencer, dans le sens où ils symbolisent, l’un et l’autre, autant le rejet de la subordination que l’affirmation de soi. L’affirmation de soi était l’obsession de l’enfant Jugurtha. Né en 155 av. J.-C., ce fils de Mastanabal devint orphelin à l’âge de seize ans et fut recueilli par son oncle Micipsa, déjà père de Hiempsal et Adherbal. Il était aussi entendu que l’ambiance au sein de la famille n’était pas saine, la présence de l’orphelin devenait encombrante en prévision de l’heure de l’héritage.
A la mort de son oncle, en 118 av. J.-C., les trois héritiers s’étripèrent sous le regard fort amusé de Rome. Hiempsal et Adherbal ne voyaient plus Jugurtha d’un œil fraternel, la haine exacerbait les querelles et la violence allait crescendo. Face aux vicissitudes, Jugurtha mit à mort Hiempsal et tint en échec les ruades guerrières d’Adherbal. Et, sans tarder, il se proclama l’Aguellid de toute la Numidie unifiée. Nullement content de son sort, Adherbal invoqua le secours des Romains pour faire tomber la tête de l’Aguellid autoproclamé.
Avec un paternalisme intéressé, Rome intervint et divisa la Numidie en deux : la partie orientale pour Adherbal et la partie occidentale pour Jugurtha.
En politicien avisé, le petit-fils de Massinissa sentit les visées colonialistes de l’Empire romain et, illico presto, sa carapace montra son goût et son devoir d’en découdre. En orateur enflammé, il déclara dans un mémorable discours avant la bataille de Muthul, en 109 av. J.-C., en vue de s’affirmer comme le leader incontesté d’un peuple à part entière : «Défendez votre royaume et votre roi contre la cupidité des Romains. Vous allez affronter un ennemi que vous avez déjà vaincu et fait passer sous le joug… Il a changé de chef mais non de cœur.» Joignant l’acte à la parole, Jugurtha envahit le territoire oriental avec l’espoir d’annihiler les desseins expansionnistes des envahisseurs romains.
Qu’à cela ne tienne !, se dirent les Romains furieux. Sans attendre, ils déclarèrent la guerre à l’intrépide Berbère. Cependant, le consul Lucius Calpurnius sut mettre un terme aux joutes sanglantes et put conclure un traité de paix. Favorable à Jugurtha !, criait-on aux alentours du Colisée. «Rome est à vendre si elle trouve acquéreur !», s’étranglait de honte le consul Bestia.
Invité au Sénat, l’Aguellid, en grand timonier intraitable, refusa de divulguer les noms des personnes qu’il avait soudoyées pour garder hautement la main sur son territoire. Constatant un flottement dans l’esprit de Massiva, son proche cousin, il le fit assassiner sur-le-champ, écartant, selon ses calculs, le risque de fragiliser la souveraineté et l’unité de la Numidie. Ainsi, devant les suspicions et face au doute, la guerre avait repris de plus belle. Mieux organisés et bien soutenus, les Romains pénétrèrent la Numidie et mirent Jugurtha au pied du mur. Nonobstant cette mise en difficulté, Jugurtha se montra plus que jamais obstiné et attaché, comme pour un devoir sacerdotal, à l’indépendance de son territoire et de son inviolabilité.
Jetant ses dernières forces dans une guerre sans merci, il fit appel à son beau-père Bocchus, l’Aguellid de Maurétanie. Ailleurs, d’autres sons de cloche résonnaient : instruits par l’amère déroute face à Hannibal, l’équilibre des forces fit miroiter aux Romains l’utilité de l’usage de la ruse comme dernier recours. Ainsi, longtemps demeuré insaisissable, en 105 av. J.-C., Jugurtha tomba dans un guet-apens ourdi par son propre acolyte et beau-père de sinistre mémoire dont la postérité a retenu le nom, Bocchus, comme la traitrise personnifiée.
Et la guerre s’acheva. «Sans gloire pour les Romains», précisait Stéphane Gsell dans son Histoire de l’Afrique septentrionale. Attaché avec des fers, Jugurtha fut livré, pieds et poings liés, à Caïus Marius l’Impérator (général victorieux). Humilié par un coup de canif (trahison) venu de son camp, affaibli à en perdre la raison, Jugurtha (le plus fort) fut conduit nu vers le carcer, la prison d’Etat, un enclos où personne ne restait vivant bien longtemps. A cette époque-là, rappellent les historiens, le droit romain ne reconnaissait pas la peine d’emprisonnement. Toute incarcération est traduite sous forme d’exécution.
L’acharnement était si grossier que l’un de ses geôliers, dans un acte de pillage ostentatoire, lui arracha sa boucle d’oreille en saignant et martyrisant le lobe de l’Aguellid. Au Tullanium, un cachot souterrain, dont les vestiges sont visibles encore de nos jours, situé non loin du Forum romain, Jugurtha vit ses derniers jours dans une terrible épreuve accumulant les morsures des ténèbres aux affres de la faim. Sur sa mort atroce, Salluste n’en dit mot, tandis que d’autres historiens penchent pour une mort par strangulation. Cependant, Plutarque avança l’idée d’une mort terrible après que Jugurtha ait été abandonné sans nourriture pendant six jours.
A sa mort confirmée, le cadavre de Jugurtha fut traîné devant une foule haineuse avant qu’il ne soit jeté dans les flots du Tibre pour disparaître à tout jamais. Depuis, le plus grand des Berbères resta sans sépulture. «Un héros sans visage», dit Serge
Lancel, entre amertume et indignation. Avec sa disparition, la Numidie devint orpheline et végéta sous la botte romaine pendant six siècles. Sous la coupe du profit, des armées avaient zébré notre territoire, des légions entières l’avaient sillonné pour accaparer ses richesses avec un emballement impétueux aggravé par le doux sentiment d’impunité qui caractérise les esprits sans scrupules. Le temps passait. L’Histoire allait tumultueuse.
Le nom de Jugurtha demeura refoulé dans les dédales lointains des siècles, rangé au fond d’une épaisse omerta. Cependant, il y a toujours, comment dire, cet Anza, cet appel d’outre-tombe des âmes injustement torturées, injustement trucidées, chargé de trémolos, cher à la mythologie berbère. Son nom a résisté au temps en allant tutoyer des cimes altières par une mort qui a magnifié son échec. Salluste, son contemporain, lui reconnaissait une beauté qui accentuait sa prestance et une finesse qui rendait son intelligence dénuée de scories. En 1869, Arthur Rimbaud, en poète inspiré, avait composé un long poème en latin grâce auquel il avait obtenu le premier prix du concours de l’Académie de Douai.

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