Cartes et planisphères sont le produit d’une histoire essentiellement occidentale. A l’heure de la mondialisation, le découpage du Monde en cinq continents est devenu une représentation erronée.
Dans son petit bureau de l’Institut de géographie de la rue Saint-Jacques à Paris, Christian Grataloup est intarissable. Si cela continue, il va rater le train qu’il doit prendre pour aller donner une conférence à Lille. Car c’est un homme très demandé. C. Grataloup est l’un des promoteurs, des porte-parole d’une approche de l’histoire, arrivée nouvellement en France : il préfère l’appeler l’« histoire mondiale » plutôt que « globale » (traduction de global history). De quoi s’agit-il ? A l’heure de la mondialisation, il est devenu nécessaire de prendre en compte l’histoire des différentes régions du Monde et de leur interconnexion pour comprendre la dynamique mondiale.
« Il est indispensable de décentrer notre regard », affirme-t-il. Pendant longtemps, et encore aujourd’hui dans les programmes scolaires, l’histoire du Monde est une histoire qui se raconte au prisme de l’Europe et du monde occidental. En France, curieusement, les historiens sont encore peu nombreux à s’emparer de l’histoire mondiale. Ce sont surtout des géographes, des anthropologues ou des économistes qui ont œuvré pour une réflexion historique globale.
Et de fait, C. Grataloup est au départ géographe, même s’il se qualifie « géohistorien ». Il rend ainsi au passage un hommage à l’un de ses maîtres, Fernand Braudel (1902-1985), qui a mis l’accent dans son œuvre sur les interconnexions entre le temps et l’espace. « Pour comprendre la complexité du monde actuel, il faut métisser les disciplines. Y compris dans la corporation historienne elle-même, divisée en antiquisants, médiévistes, modernistes, contemporéanistes. »
Car C. Grataloup se méfie de tous les cloisonnements. Pour lui, le réel ne peut se découper en tranches. Et il n’est pas fils de boucher pour rien ! « Connaissez-vous la métaphore du boucher taoïste ? », me demande-t-il. « C’est l’histoire d’un boucher qui n’usait jamais ses couteaux car il savait découper la viande en respectant parfaitement le contour des muscles. Si vous tranchez sans discernement, vous obtenez un mélange de morceaux de qualité différente et c’est une catastrophe ! »
Notre géohistorien, donc, vient de sortir un nouveau livre, L’Invention des continents, dans lequel il livre une lecture critique de la découpe des continents telle qu’elle est canonisée sur nos planisphères. Un livre plein de magnifiques cartes, illustrations, venues de tous les temps et de toutes les civilisations, où l’on découvre au fil des pages que l’histoire du monde a une géographie, et qu’à l’inverse, la géographie est le produit de l’histoire. Europe, Asie, Afrique, Amérique, Océanie : en France, nous sommes accoutumés à représenter les terres de la planète en cinq continents (les anneaux olympiques) ; sept dans les pays anglo-saxons qui distinguent Amérique du Nord et du Sud et y ajoutent l’Antarctique. Mais c’est le fait de découper qui importe, quel que soit le nombre ! Ces représentations du Monde n’ont rien de naturel, comme on aurait tendance à le penser. Le découpage en continents a varié au fil du temps et il faut tenir compte de l’histoire pour le comprendre. Autrement dit, les cartes sont les représentations d’univers mentaux d’un lieu, d’une époque… C’est pourquoi C. Grataloup nous invite à s’en méfier ! Leur aspect synchronique est trompeur, elles ont tendance à réifier le Monde. Aujourd’hui par exemple, les bornes du Vieux Continent se révèlent floues : en témoigne la candidature de la Turquie à l’Union européenne. Les notions d’Asie et même d’Afrique sont fragilisées, et on en vient à se rendre compte que le mot d’Océanie est un terme bien étrange… De même que la partition du Monde en deux blocs (Est-Ouest) à l’époque de la guerre froide, et l’émergence d’un Tiers-Monde sont des partitions qui ont complètement volé en éclat.
On voit bien l’enjeu d’une telle démarche. Dans un monde globalisé, où l’Occident a vu décliner sa domination, la compréhension du monde passe par une relecture de ses histoires (c’est notamment l’objectif des subaltern studies anglo-saxonnes) et de ses découpages géographiques…
Quand et comment la représentation des continents émerge-t-elle ?
Cette représentation émerge dans l’Antiquité méditerranéenne. La matrice du monde grec archaïque est la mer Egée, dont la rive occidentale est le couchant nommé Europè, et la rive orientale Asiè. Ces mots viennent de la langue phénicienne. Pour les Romains, Europa représente la rive nord de la mare Nostrum (Méditerranée), Asia est une petite province de l’Asie mineure actuelle, et Africa représente en gros la Tunisie (l’arabe Ifriqiya). Ces noms représentent de vagues directions, mais pas des parties du Monde.
C’est au Moyen Age que l’on commence à construire les premières mappemondes que l’on appelle « T dans O » . La Terre est représentée comme une sorte de galette plate, divisée en trois parties (Asie, Afrique, Europe) et entourée d’un anneau océanique. Transmis notamment par l’évêque Isidore de Séville (env. 560-636), cet univers mental est censé se conformer à une lecture littérale de la Bible. Dans la Genèse (livre IX), après le Déluge les trois fils de Noé vont partir chacun dans une direction différente pour peupler la Terre. Sem part vers l’orient (la Mésopotamie), Japhet vers le nord-ouest (l’Anatolie) et Cham vers l’Egypte. Ils donneront naissance à trois « races » qui vont peupler les trois continents connus.
L’histoire occidentale est marquée par cette idée d’une diffusion du peuplement de la Terre depuis le Croissant fertile, cette région charnière entre l’Afrique et l’Eurasie. En France, les programmes scolaires en histoire démarrent de l’Egypte et de la Palestine pour passer à l’enseignement de la Grèce puis de Rome et, ensuite, de l’Europe occidentale : ils incarnent bien cette géographie de l’histoire.
Pourquoi dites-vous que la découverte de l’Amérique va avoir pour effet de laïciser le Monde ?
En 1507, à Saint-Dié-des-Vosges, où se tient désormais un célèbre festival annuel de géographie (FIG), un imprimeur, Vautrin Lud, demande à un jeune cartographe d’actualiser la carte du Monde en fonction des nouvelles découvertes. Martin Waldseemüller s’appuie sur les lettres d’Amerigo Vespucci de 1503 pour établir un tracé de la rive occidentale de l’Atlantique et donne le nom d’America (version latine d’Amerigo) pour désigner ce qu’il appelle une « quatrième partie de la Terre » (ce qui a provoqué plus tard des polémiques, certains défendant la paternité de cette découverte de Christophe Colomb). En prenant une forme latine calquée sur les noms des autres parties du monde (Asia, Africa, Europa), les cartographes ont certainement voulu assurer la pérennité du découpage médiéval.
Mais de fait, la découverte des populations amérindiennes a très vite posé un grave problème : si le Monde est composé de trois « races » issues des trois fils de Noé, comment considérer les Indiens comme des humains ? C’est l’objet de la célèbre controverse de Valladolid (1550), dans laquelle les théologiens s’affrontent sur cette question. Vitus Behring ne découvrira le détroit qui porte son nom qu’en 1728. La découverte des glaciations du quaternaire et du passage des populations de l’Asie à l’Amérique rendant compréhensible la diffusion sur la planète d’une seule espèce humaine date de la fin du XIXe.
Quoi qu’il en soit, la rupture avec une lecture littérale de la Bible est en marche, dans le contexte de la Renaissance européenne. La découverte de l’Amérique a pour effet de représenter le Monde en quatre parties et de le séculariser. On oublie l’origine biblique. L’Encyclopédie ancrera définitivement cette manière d’appréhender la surface du globe, en fixant des limites linéaires – comme par exemple l’Oural entre Europe et Asie – qui sont purement arbitraires.
Dès le XIXe siècle, on perçoit bien l’aspect lacunaire de ces grandes classifications. Il faut inventer d’ailleurs un cinquième « continent » une fois que l’on a découvert les terres océaniennes. Mais pendant longtemps – jusqu’au milieu du xxe siècle –, on enseigne aux enfants qu’il existe quatre continents, quatre races, quatre couleurs (blancs, noirs, jaunes, rouges)…
Avec la découverte du Nouveau Monde et son développement à partir de la Renaissance, l’Europe a construit le Monde autour d’elle. Il y a un siècle, le planisphère la mettant au centre, entourée de l’Asie, l’Afrique et l’Amérique, ce qui correspondait au monde réel. La géographie a considéré cette représentation comme une réalité naturelle.
En quoi la géographie peut-elle permettre de mieux comprendre l’histoire du monde ?
Prenons les périodes historiques conventionnelles : Antiquité, Moyen Age, temps modernes, époque contemporaine : on s’aperçoit que l’usage de ce découpage chronologique n’est valable que pour l’histoire européenne. On pourrait même définir le Moyen Age comme la période de naissance véritable de l’Europe, le moment où cette partie ouest de l’Eurasie se constitue en un ensemble sociétal que l’on appelle aujourd’hui l’Occident chrétien.
Tout comme il y a une géographie historique du Moyen Age, on peut aussi se poser la question : « Où est l’Antiquité ? »
L’usage courant est de considérer que cette période de l’histoire correspond au Monde tout entier, aussi bien à Rome que dans les mondes andin, chinois ou polynésien. Cela revient à voir l’Antiquité comme un moment nécessaire dans l’évolution des sociétés.
Or rien n’indique que la civilisation de Nazca* ou celle des Mayas soient dans l’Antiquité au même moment que Rome par exemple. La période de l’Antiquité correspond à un ensemble de sociétés du bassin méditerranéen pendant un certain nombre de siècles, qui ont en commun certaines caractéristiques comme l’organisation en cités ou une forme d’esclavage… Il n’est pas plus absurde de considérer que l’Antiquité est une région du Monde que de penser le continent européen comme un concept historique.
Autre idée reçue : toutes les sociétés passeraient par des phases identiques, même si c’est à des moments différents. Ces modèles évolutionnistes ont dominé au xixe et au xxe siècle. Dans le modèle marxiste par exemple, l’Antiquité est le moment de l’esclavagisme, le Moyen Age celui du féodalisme. Des penseurs libéraux comme Walt W. Rostow* dans les années 1960 ont aussi modélisé des étapes du développement. Ces modèles sont sous-tendus par l’idée que le Monde entier suit une flèche du progrès, d’évolution vers plus de démocratie, plus de développement économique, etc.
Dans son petit bureau de l’Institut de géographie de la rue Saint-Jacques à Paris, Christian Grataloup est intarissable. Si cela continue, il va rater le train qu’il doit prendre pour aller donner une conférence à Lille. Car c’est un homme très demandé. C. Grataloup est l’un des promoteurs, des porte-parole d’une approche de l’histoire, arrivée nouvellement en France : il préfère l’appeler l’« histoire mondiale » plutôt que « globale » (traduction de global history). De quoi s’agit-il ? A l’heure de la mondialisation, il est devenu nécessaire de prendre en compte l’histoire des différentes régions du Monde et de leur interconnexion pour comprendre la dynamique mondiale.
« Il est indispensable de décentrer notre regard », affirme-t-il. Pendant longtemps, et encore aujourd’hui dans les programmes scolaires, l’histoire du Monde est une histoire qui se raconte au prisme de l’Europe et du monde occidental. En France, curieusement, les historiens sont encore peu nombreux à s’emparer de l’histoire mondiale. Ce sont surtout des géographes, des anthropologues ou des économistes qui ont œuvré pour une réflexion historique globale.
Et de fait, C. Grataloup est au départ géographe, même s’il se qualifie « géohistorien ». Il rend ainsi au passage un hommage à l’un de ses maîtres, Fernand Braudel (1902-1985), qui a mis l’accent dans son œuvre sur les interconnexions entre le temps et l’espace. « Pour comprendre la complexité du monde actuel, il faut métisser les disciplines. Y compris dans la corporation historienne elle-même, divisée en antiquisants, médiévistes, modernistes, contemporéanistes. »
Car C. Grataloup se méfie de tous les cloisonnements. Pour lui, le réel ne peut se découper en tranches. Et il n’est pas fils de boucher pour rien ! « Connaissez-vous la métaphore du boucher taoïste ? », me demande-t-il. « C’est l’histoire d’un boucher qui n’usait jamais ses couteaux car il savait découper la viande en respectant parfaitement le contour des muscles. Si vous tranchez sans discernement, vous obtenez un mélange de morceaux de qualité différente et c’est une catastrophe ! »
Notre géohistorien, donc, vient de sortir un nouveau livre, L’Invention des continents, dans lequel il livre une lecture critique de la découpe des continents telle qu’elle est canonisée sur nos planisphères. Un livre plein de magnifiques cartes, illustrations, venues de tous les temps et de toutes les civilisations, où l’on découvre au fil des pages que l’histoire du monde a une géographie, et qu’à l’inverse, la géographie est le produit de l’histoire. Europe, Asie, Afrique, Amérique, Océanie : en France, nous sommes accoutumés à représenter les terres de la planète en cinq continents (les anneaux olympiques) ; sept dans les pays anglo-saxons qui distinguent Amérique du Nord et du Sud et y ajoutent l’Antarctique. Mais c’est le fait de découper qui importe, quel que soit le nombre ! Ces représentations du Monde n’ont rien de naturel, comme on aurait tendance à le penser. Le découpage en continents a varié au fil du temps et il faut tenir compte de l’histoire pour le comprendre. Autrement dit, les cartes sont les représentations d’univers mentaux d’un lieu, d’une époque… C’est pourquoi C. Grataloup nous invite à s’en méfier ! Leur aspect synchronique est trompeur, elles ont tendance à réifier le Monde. Aujourd’hui par exemple, les bornes du Vieux Continent se révèlent floues : en témoigne la candidature de la Turquie à l’Union européenne. Les notions d’Asie et même d’Afrique sont fragilisées, et on en vient à se rendre compte que le mot d’Océanie est un terme bien étrange… De même que la partition du Monde en deux blocs (Est-Ouest) à l’époque de la guerre froide, et l’émergence d’un Tiers-Monde sont des partitions qui ont complètement volé en éclat.
On voit bien l’enjeu d’une telle démarche. Dans un monde globalisé, où l’Occident a vu décliner sa domination, la compréhension du monde passe par une relecture de ses histoires (c’est notamment l’objectif des subaltern studies anglo-saxonnes) et de ses découpages géographiques…
Quand et comment la représentation des continents émerge-t-elle ?
Cette représentation émerge dans l’Antiquité méditerranéenne. La matrice du monde grec archaïque est la mer Egée, dont la rive occidentale est le couchant nommé Europè, et la rive orientale Asiè. Ces mots viennent de la langue phénicienne. Pour les Romains, Europa représente la rive nord de la mare Nostrum (Méditerranée), Asia est une petite province de l’Asie mineure actuelle, et Africa représente en gros la Tunisie (l’arabe Ifriqiya). Ces noms représentent de vagues directions, mais pas des parties du Monde.
C’est au Moyen Age que l’on commence à construire les premières mappemondes que l’on appelle « T dans O » . La Terre est représentée comme une sorte de galette plate, divisée en trois parties (Asie, Afrique, Europe) et entourée d’un anneau océanique. Transmis notamment par l’évêque Isidore de Séville (env. 560-636), cet univers mental est censé se conformer à une lecture littérale de la Bible. Dans la Genèse (livre IX), après le Déluge les trois fils de Noé vont partir chacun dans une direction différente pour peupler la Terre. Sem part vers l’orient (la Mésopotamie), Japhet vers le nord-ouest (l’Anatolie) et Cham vers l’Egypte. Ils donneront naissance à trois « races » qui vont peupler les trois continents connus.
L’histoire occidentale est marquée par cette idée d’une diffusion du peuplement de la Terre depuis le Croissant fertile, cette région charnière entre l’Afrique et l’Eurasie. En France, les programmes scolaires en histoire démarrent de l’Egypte et de la Palestine pour passer à l’enseignement de la Grèce puis de Rome et, ensuite, de l’Europe occidentale : ils incarnent bien cette géographie de l’histoire.
Pourquoi dites-vous que la découverte de l’Amérique va avoir pour effet de laïciser le Monde ?
En 1507, à Saint-Dié-des-Vosges, où se tient désormais un célèbre festival annuel de géographie (FIG), un imprimeur, Vautrin Lud, demande à un jeune cartographe d’actualiser la carte du Monde en fonction des nouvelles découvertes. Martin Waldseemüller s’appuie sur les lettres d’Amerigo Vespucci de 1503 pour établir un tracé de la rive occidentale de l’Atlantique et donne le nom d’America (version latine d’Amerigo) pour désigner ce qu’il appelle une « quatrième partie de la Terre » (ce qui a provoqué plus tard des polémiques, certains défendant la paternité de cette découverte de Christophe Colomb). En prenant une forme latine calquée sur les noms des autres parties du monde (Asia, Africa, Europa), les cartographes ont certainement voulu assurer la pérennité du découpage médiéval.
Mais de fait, la découverte des populations amérindiennes a très vite posé un grave problème : si le Monde est composé de trois « races » issues des trois fils de Noé, comment considérer les Indiens comme des humains ? C’est l’objet de la célèbre controverse de Valladolid (1550), dans laquelle les théologiens s’affrontent sur cette question. Vitus Behring ne découvrira le détroit qui porte son nom qu’en 1728. La découverte des glaciations du quaternaire et du passage des populations de l’Asie à l’Amérique rendant compréhensible la diffusion sur la planète d’une seule espèce humaine date de la fin du XIXe.
Quoi qu’il en soit, la rupture avec une lecture littérale de la Bible est en marche, dans le contexte de la Renaissance européenne. La découverte de l’Amérique a pour effet de représenter le Monde en quatre parties et de le séculariser. On oublie l’origine biblique. L’Encyclopédie ancrera définitivement cette manière d’appréhender la surface du globe, en fixant des limites linéaires – comme par exemple l’Oural entre Europe et Asie – qui sont purement arbitraires.
Dès le XIXe siècle, on perçoit bien l’aspect lacunaire de ces grandes classifications. Il faut inventer d’ailleurs un cinquième « continent » une fois que l’on a découvert les terres océaniennes. Mais pendant longtemps – jusqu’au milieu du xxe siècle –, on enseigne aux enfants qu’il existe quatre continents, quatre races, quatre couleurs (blancs, noirs, jaunes, rouges)…
Avec la découverte du Nouveau Monde et son développement à partir de la Renaissance, l’Europe a construit le Monde autour d’elle. Il y a un siècle, le planisphère la mettant au centre, entourée de l’Asie, l’Afrique et l’Amérique, ce qui correspondait au monde réel. La géographie a considéré cette représentation comme une réalité naturelle.
En quoi la géographie peut-elle permettre de mieux comprendre l’histoire du monde ?
Prenons les périodes historiques conventionnelles : Antiquité, Moyen Age, temps modernes, époque contemporaine : on s’aperçoit que l’usage de ce découpage chronologique n’est valable que pour l’histoire européenne. On pourrait même définir le Moyen Age comme la période de naissance véritable de l’Europe, le moment où cette partie ouest de l’Eurasie se constitue en un ensemble sociétal que l’on appelle aujourd’hui l’Occident chrétien.
Tout comme il y a une géographie historique du Moyen Age, on peut aussi se poser la question : « Où est l’Antiquité ? »
L’usage courant est de considérer que cette période de l’histoire correspond au Monde tout entier, aussi bien à Rome que dans les mondes andin, chinois ou polynésien. Cela revient à voir l’Antiquité comme un moment nécessaire dans l’évolution des sociétés.
Or rien n’indique que la civilisation de Nazca* ou celle des Mayas soient dans l’Antiquité au même moment que Rome par exemple. La période de l’Antiquité correspond à un ensemble de sociétés du bassin méditerranéen pendant un certain nombre de siècles, qui ont en commun certaines caractéristiques comme l’organisation en cités ou une forme d’esclavage… Il n’est pas plus absurde de considérer que l’Antiquité est une région du Monde que de penser le continent européen comme un concept historique.
Autre idée reçue : toutes les sociétés passeraient par des phases identiques, même si c’est à des moments différents. Ces modèles évolutionnistes ont dominé au xixe et au xxe siècle. Dans le modèle marxiste par exemple, l’Antiquité est le moment de l’esclavagisme, le Moyen Age celui du féodalisme. Des penseurs libéraux comme Walt W. Rostow* dans les années 1960 ont aussi modélisé des étapes du développement. Ces modèles sont sous-tendus par l’idée que le Monde entier suit une flèche du progrès, d’évolution vers plus de démocratie, plus de développement économique, etc.
Commentaire