CN-SPO & HNM (Horizons Nouveaux Magazine) /
2015 03 10 /
Entretien avec Luc MICHEL (*),
Diffusé dans le n° 49 de HNM (Cameroun)
Paru le 23 février 2015
# INTERVIEW EXCLUSIVE AVEC LE PANAFRICANISTE BELGE LUC MICHEL, LEADER DE L’ONG EODE (2eme PARTIE)
« NOUS SOMMES ENTRES DANS UNE DECENNIE DECISIVE »
Partie II/
QUELLES SONT VOS ANALYSES POUR L’AFRIQUE ET LE MONDE ?
# NHM : Le monde est secoué depuis des décennies par des conflits armés, qu’est ce qui explique toutes ces explosions de violence ?
Luc MICHEL : Il est bien certain que ce qui amène le chaos et les guerres dans le monde c’est bien l’impérialisme ? Dans son livre L’IMPERIALISME STADE SUPREME DU CAPITALISME, Lénine a établi la base de ce qui est la « Théorie marxiste-léniniste de l’impérialisme ». Il a raison en grande partie.
Dès la fin du XIXe siècle, c’est l’impérialisme moderne (la lutte pour la conquête des marchés, à partir du moment où l’Afrique étant colonisée il n’existait plus de marchés encore à conquérir) qui explique évidemment les grandes guerres, la Première guerre mondiale, la Seconde, la Guerre froide. Et qui explique encore ce qui se passe dans le monde du « Nouvel Ordre Mondial » de l’impérialisme américain (puisqu’il faut le nommer clairement, et nous sommes d’accord avec le Che Guevara qui disait que « l’impérialisme occidental a une tête et qu’il faut la couper). Ce sont les Etats-Unis qui ont développé plus d’une centaine de conflits dans le monde depuis 1945, mais aussi des coups d’états. En Amérique Latine, en Eurasie, mais aussi toutes les agressions contre l’Afrique depuis 1961. Et maintenant les agressions dans le cadre des « révolutions de couleur » en Europe de l’Est, de leur version moyen-orientale du soi-disant « printemps arabe ». Les sanctions et les embargos sont des guerres économiques, comme Obama vient de l’avouer sans vergogne dans le cas des sanctions contre la Russie il y a quelques jours. Et il y a aussi la « guerre culturelle », c’est-à-dire l’invasion sous prétexte de la globalisation de l’anti-civilisation yankee (avec Mc do, les vomissures d’Hollywood, la civilisation de Coca-Cola).
Il y a encore l’instrumentalisation, l’utilisation de la « géostratégie du chaos » (à ne pas confondre, comme le font beaucoup d’analystes, avec la « géopolitique du chaos », qui est un concept du début des années 90, pour expliquer le chaos géopolitique né de l’implosion de l’URSS et de la Yougoslavie). La géostratégie du chaos a eu un laboratoire : c’est la Somalie, c’est pour cela qu’on parle de « somalisation ».
Actuellement on est train de somaliser la Libye, le Mali ou la Centre Afrique, et on aimerait somaliser le Cameroun ! La Somalie inquiétait les USA dans les années 80, alliée de l’Union Soviétique (c’était le temps du maréchal Siyad Barré), aujourd’hui éclatée en deux états et en réalité en 5 états, 3 étant de des semi-états de facto, le gouvernement central siégeant à l’étranger et ne contrôlant même pas la capitale Mogadiscio. C’est le destin tragique que les américains promettent à de nombreux pays arabes et africains. Depuis le laboratoire somalien, les géopoliticiens et les géostratèges américains ont théorisé cette « géostratégie du chaos ». Le grand géopolitologue George Friedmann (le patron de STRATFOR) est celui qui dans son livre manifeste de l’expansion américaine LES 100 PROCHAINES ANNEES explique ce que les USA doivent faire pour que le XXIe siècle soit à nouveau « un siècle américain ». Il y consacre plusieurs pages à cette « géostratégie du chaos » et il y explique comment les américains, n’ayant plus les moyens militaires et économiques de s’imposer directement, doivent faire éclater les états et y organiser le chaos et régner sur celui-ci.
La théorie marxiste-léniniste de l’impérialisme a cependant des limites importantes, car elle ne prend pas en compte l’Europe occidentale, car elle s’est arrêtée sur une vision du monde qui est celle d’avant1940. Et surtout elle a une vision du combat anti-impérialiste qui (comme l’appelait Fidel Castro dans les années 60) est « tricontinentale ». C’est une erreur parce que depuis 1944 un phénomène colonial nouveau est apparu, c’est-à-dire que les pays d’Europe occidentales sont devenus eux-mêmes des colonies de l’empire américain. Les américains qui ont débarqués en Normandie en juin 1944 ne sont jamais repartis, ils sont toujours là partout en Europe avec leurs armées, leurs bases militaires, leurs multinationales … Et surtout avec des classes politiques qui sont soumises à l’Empire américain, pour parler crûment les vaincus européens de 1939-40 ne sont pas les vainqueurs de 1945 ! Ils ont accepté la domination politique américaine pour conserver le contrôle politique et économique de leurs pays, mais ils sont devenus des sous-traitants de l’impérialisme US, notamment en Afrique. Voilà donc la situation et il fallait raisonner là dessus.
Notre Ecole géopolitique a donc développé depuis les années 60 une autre théorie de l’impérialisme qui prend en compte la question ouest -européenne et qui prône donc non plus une tricontinentale mais un « front quadricontinental » contre l’impérialisme et l’exploitation. Nous avions d’ailleurs introduit cette théorie dans les années 90 en Libye et Mouammar Kadhafi définissait la Libye comme un pont entre l’unification africaine et l’unification européenne, les deux devant se dégager ensemble de l’impérialisme américain, et c’est à nouveau notre conception, la Méditerranée servant de point de rencontre et de « Mare nostrum » (comme au temps des romains) entre les unifications panafricaine et paneuropéenne agissant en symbiose. La destruction de la Jamahiriya libyenne et la suggestion de l’Union Européenne maintenant complètement vassalisée aux États-Unis via l’OTAN (qui n’est pas le « bouclier de l’Europe » mais son harnais) n’ont pas du tout rendu cette théorie obsolète, elle est toujours valable pour les rapports futurs entre l’Eurasie et l’Afrique.
# NHM : Pour nous attarder particulièrement à l’Afrique et à la lumière des crises armées qui ont cours dans ce continent, la paix y est-il possible et quelles sont les conditions à réunir pour que cela se traduise en réalité ?
Luc MICHEL : Votre question en fait prend directement la suite de la précédente. Ce qui a produit directement ces décennies de conflits armés en Afrique, c’est évidement l’impérialisme occidental, qui a provoqué les guerres entre les pays africains, les dizaines de sécessions, de guerre civiles, de coup d’états, de guérillas. Lorsque arrivent les indépendances à la fin des années 50 et au début des années 60, l’Afrique a l’impression d’être indépendante, mais elle est confrontée à un maintien de la présence militaire et économique des anciens colonisateurs, c’est le néo-colonialisme. L’exemple typique étant celui de l’organisation par Jacques Foccart, pour le compte du régime du général de Gaulle (qui là a marqué sa mémoire d’une pierre noire et qui là n’est pas le libérateur qu’il a été au Québec ou en Asie), de la Françafrique avec tous ses mécanismes de domination néo-coloniale.
Lorsqu’on arrive plus à contrôler politiquement ou économiquement un état, et bien on le fait évidement éclater, ce sont les sécessions, c’est le cas des grands états pétroliers, avec le Sud soudan et bien avant le Biafra (organisée par Paris). Le phénomène du néo-colonialisme existe partout.
La seconde étape c’est qu’un certains nombre d’états africains ont décolonisé, ou on brisé un pouvoir de type colonial comme en Afrique du Sud avec le régime d’apartheid, mais aussi les colonies portugaises d’Afrique, se sont libérés avec l’aide des Soviétiques et parfois des Chinois, parfois avec l’appui du Corps expéditionnaire internationaliste cubain. Ces états ont pris la voie du développement.
C’était par exemple la Somalie du maréchal Syad Barré, qui avait mis un terme à l’analphabétisation en moins de 4 ans. C’était des régimes qui marchaient et qui développaient les pays africains, mais ils étaient étroitement liés à l’Union Soviétique. Lorsque l’URSS s’est effondrée, les russes quittant totalement l’Afrique, ces pays ont été laissés à eux-mêmes et ont repris la voie de la recolonisation. Il y a d’autres états qui étaient des défis inacceptables et qui ont été détruits, comme la Jamahiriya libyenne avec son système politique original, sa Démocratie directe, son système socialiste jamahiriyen (qui redistribuait équitablement les revenus du pétrole) et avec un PIB pour les habitants et un niveau de vie qui étaient ceux du sud de l’Union Européenne. La chute de la Jamahiriya libyenne est également l’une des séquelles de la chute de l’URSS, même si elle est intervenue 20 après.
2015 03 10 /
Entretien avec Luc MICHEL (*),
Diffusé dans le n° 49 de HNM (Cameroun)
Paru le 23 février 2015
# INTERVIEW EXCLUSIVE AVEC LE PANAFRICANISTE BELGE LUC MICHEL, LEADER DE L’ONG EODE (2eme PARTIE)
« NOUS SOMMES ENTRES DANS UNE DECENNIE DECISIVE »
Partie II/
QUELLES SONT VOS ANALYSES POUR L’AFRIQUE ET LE MONDE ?
# NHM : Le monde est secoué depuis des décennies par des conflits armés, qu’est ce qui explique toutes ces explosions de violence ?
Luc MICHEL : Il est bien certain que ce qui amène le chaos et les guerres dans le monde c’est bien l’impérialisme ? Dans son livre L’IMPERIALISME STADE SUPREME DU CAPITALISME, Lénine a établi la base de ce qui est la « Théorie marxiste-léniniste de l’impérialisme ». Il a raison en grande partie.
Dès la fin du XIXe siècle, c’est l’impérialisme moderne (la lutte pour la conquête des marchés, à partir du moment où l’Afrique étant colonisée il n’existait plus de marchés encore à conquérir) qui explique évidemment les grandes guerres, la Première guerre mondiale, la Seconde, la Guerre froide. Et qui explique encore ce qui se passe dans le monde du « Nouvel Ordre Mondial » de l’impérialisme américain (puisqu’il faut le nommer clairement, et nous sommes d’accord avec le Che Guevara qui disait que « l’impérialisme occidental a une tête et qu’il faut la couper). Ce sont les Etats-Unis qui ont développé plus d’une centaine de conflits dans le monde depuis 1945, mais aussi des coups d’états. En Amérique Latine, en Eurasie, mais aussi toutes les agressions contre l’Afrique depuis 1961. Et maintenant les agressions dans le cadre des « révolutions de couleur » en Europe de l’Est, de leur version moyen-orientale du soi-disant « printemps arabe ». Les sanctions et les embargos sont des guerres économiques, comme Obama vient de l’avouer sans vergogne dans le cas des sanctions contre la Russie il y a quelques jours. Et il y a aussi la « guerre culturelle », c’est-à-dire l’invasion sous prétexte de la globalisation de l’anti-civilisation yankee (avec Mc do, les vomissures d’Hollywood, la civilisation de Coca-Cola).
Il y a encore l’instrumentalisation, l’utilisation de la « géostratégie du chaos » (à ne pas confondre, comme le font beaucoup d’analystes, avec la « géopolitique du chaos », qui est un concept du début des années 90, pour expliquer le chaos géopolitique né de l’implosion de l’URSS et de la Yougoslavie). La géostratégie du chaos a eu un laboratoire : c’est la Somalie, c’est pour cela qu’on parle de « somalisation ».
Actuellement on est train de somaliser la Libye, le Mali ou la Centre Afrique, et on aimerait somaliser le Cameroun ! La Somalie inquiétait les USA dans les années 80, alliée de l’Union Soviétique (c’était le temps du maréchal Siyad Barré), aujourd’hui éclatée en deux états et en réalité en 5 états, 3 étant de des semi-états de facto, le gouvernement central siégeant à l’étranger et ne contrôlant même pas la capitale Mogadiscio. C’est le destin tragique que les américains promettent à de nombreux pays arabes et africains. Depuis le laboratoire somalien, les géopoliticiens et les géostratèges américains ont théorisé cette « géostratégie du chaos ». Le grand géopolitologue George Friedmann (le patron de STRATFOR) est celui qui dans son livre manifeste de l’expansion américaine LES 100 PROCHAINES ANNEES explique ce que les USA doivent faire pour que le XXIe siècle soit à nouveau « un siècle américain ». Il y consacre plusieurs pages à cette « géostratégie du chaos » et il y explique comment les américains, n’ayant plus les moyens militaires et économiques de s’imposer directement, doivent faire éclater les états et y organiser le chaos et régner sur celui-ci.
La théorie marxiste-léniniste de l’impérialisme a cependant des limites importantes, car elle ne prend pas en compte l’Europe occidentale, car elle s’est arrêtée sur une vision du monde qui est celle d’avant1940. Et surtout elle a une vision du combat anti-impérialiste qui (comme l’appelait Fidel Castro dans les années 60) est « tricontinentale ». C’est une erreur parce que depuis 1944 un phénomène colonial nouveau est apparu, c’est-à-dire que les pays d’Europe occidentales sont devenus eux-mêmes des colonies de l’empire américain. Les américains qui ont débarqués en Normandie en juin 1944 ne sont jamais repartis, ils sont toujours là partout en Europe avec leurs armées, leurs bases militaires, leurs multinationales … Et surtout avec des classes politiques qui sont soumises à l’Empire américain, pour parler crûment les vaincus européens de 1939-40 ne sont pas les vainqueurs de 1945 ! Ils ont accepté la domination politique américaine pour conserver le contrôle politique et économique de leurs pays, mais ils sont devenus des sous-traitants de l’impérialisme US, notamment en Afrique. Voilà donc la situation et il fallait raisonner là dessus.
Notre Ecole géopolitique a donc développé depuis les années 60 une autre théorie de l’impérialisme qui prend en compte la question ouest -européenne et qui prône donc non plus une tricontinentale mais un « front quadricontinental » contre l’impérialisme et l’exploitation. Nous avions d’ailleurs introduit cette théorie dans les années 90 en Libye et Mouammar Kadhafi définissait la Libye comme un pont entre l’unification africaine et l’unification européenne, les deux devant se dégager ensemble de l’impérialisme américain, et c’est à nouveau notre conception, la Méditerranée servant de point de rencontre et de « Mare nostrum » (comme au temps des romains) entre les unifications panafricaine et paneuropéenne agissant en symbiose. La destruction de la Jamahiriya libyenne et la suggestion de l’Union Européenne maintenant complètement vassalisée aux États-Unis via l’OTAN (qui n’est pas le « bouclier de l’Europe » mais son harnais) n’ont pas du tout rendu cette théorie obsolète, elle est toujours valable pour les rapports futurs entre l’Eurasie et l’Afrique.
# NHM : Pour nous attarder particulièrement à l’Afrique et à la lumière des crises armées qui ont cours dans ce continent, la paix y est-il possible et quelles sont les conditions à réunir pour que cela se traduise en réalité ?
Luc MICHEL : Votre question en fait prend directement la suite de la précédente. Ce qui a produit directement ces décennies de conflits armés en Afrique, c’est évidement l’impérialisme occidental, qui a provoqué les guerres entre les pays africains, les dizaines de sécessions, de guerre civiles, de coup d’états, de guérillas. Lorsque arrivent les indépendances à la fin des années 50 et au début des années 60, l’Afrique a l’impression d’être indépendante, mais elle est confrontée à un maintien de la présence militaire et économique des anciens colonisateurs, c’est le néo-colonialisme. L’exemple typique étant celui de l’organisation par Jacques Foccart, pour le compte du régime du général de Gaulle (qui là a marqué sa mémoire d’une pierre noire et qui là n’est pas le libérateur qu’il a été au Québec ou en Asie), de la Françafrique avec tous ses mécanismes de domination néo-coloniale.
Lorsqu’on arrive plus à contrôler politiquement ou économiquement un état, et bien on le fait évidement éclater, ce sont les sécessions, c’est le cas des grands états pétroliers, avec le Sud soudan et bien avant le Biafra (organisée par Paris). Le phénomène du néo-colonialisme existe partout.
La seconde étape c’est qu’un certains nombre d’états africains ont décolonisé, ou on brisé un pouvoir de type colonial comme en Afrique du Sud avec le régime d’apartheid, mais aussi les colonies portugaises d’Afrique, se sont libérés avec l’aide des Soviétiques et parfois des Chinois, parfois avec l’appui du Corps expéditionnaire internationaliste cubain. Ces états ont pris la voie du développement.
C’était par exemple la Somalie du maréchal Syad Barré, qui avait mis un terme à l’analphabétisation en moins de 4 ans. C’était des régimes qui marchaient et qui développaient les pays africains, mais ils étaient étroitement liés à l’Union Soviétique. Lorsque l’URSS s’est effondrée, les russes quittant totalement l’Afrique, ces pays ont été laissés à eux-mêmes et ont repris la voie de la recolonisation. Il y a d’autres états qui étaient des défis inacceptables et qui ont été détruits, comme la Jamahiriya libyenne avec son système politique original, sa Démocratie directe, son système socialiste jamahiriyen (qui redistribuait équitablement les revenus du pétrole) et avec un PIB pour les habitants et un niveau de vie qui étaient ceux du sud de l’Union Européenne. La chute de la Jamahiriya libyenne est également l’une des séquelles de la chute de l’URSS, même si elle est intervenue 20 après.

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