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A toi mère-Algérie

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  • A toi mère-Algérie

    Au nom de la première balle tirée sur le premier chahid (martyr), au nom des héros morts sous la torture, au nom de mes sœurs et frères chers à mon cœur, condamnés à mort, au nom du premier guillotiné, je veux mère chérie, que tu te souviennes ce soir, cette nuit. Je veux que tu évoques les noms de tous tes enfants assassinés au nom de l’oppression, ou au nom de la barbe et “layadjouz” (illicite dans l’idéologie islamiste).

    Qu’il est doux ce tête-à-tête avec toi ce soir, ô toi ma mère ! Voici surgir les souvenirs et tu ne les as pas oubliés. Dans ta mémoire sont gravés les visages, les sourires, les gestes de tous tes enfants et ces images, ils ne peuvent les effacer eux qui ont décidé de confisquer ton histoire, notre mémoire et la tienne. Ils se sont approprié la patrie, mais tu sais mère chérie, qu’ils ne peuvent s’emparer de nos cœurs. Ils ne peuvent pas nous interdire de te chérir, de te serrer fort dans nos bras. Et sais-tu pourquoi ? Parce que tu es la mère qui as donné à téter à ses meilleurs enfants le lait de la colère et du refus. Alors ce soir mère Algérie, mère chérie, (1) je veux juste que tu me racontes ce qu’ils t’ont fait. Je veux juste te dire en ce premier jour d’une nouvelle année que tes souffrances telles des échardes me lacèrent le cœur et pourtant je voudrais croire en ta guérison. Un espoir ? Juste un vague espoir pour ne pas sombrer, pour rester debout comme tu le désires.

    M’accuserais-tu mère chérie, de t’avoir abandonnée aux mains de ceux qui prétendaient être tes enfants ? Clamant plus fort que nous, leur “amour” pour toi afin de mieux te détruire ? N’en crois rien mère ! Sans doute aurais-tu le droit de me reprocher comme à d’autres, de n’avoir rien fait. Mais souviens-toi mère, nous ne t’avons imposé personne.

    Comme toi, nous les avons subis et continuons à les subir. Dans ma mémoire d’adolescente au lendemain de l’Indépendance demeurera gravé à jamais, le souvenir de ton port altier, de tes grands yeux en amande, de ta longue et belle chevelure brune ou blonde, de ton joli cou de colombe et de ta poitrine regorgeant de lait pour nourrir tous tes enfants. Tu ne laissais aucun homme indifférent. Belle, charmeuse et hospitalière tu savais te parer de tous tes atours pour accueillir l’étranger qui frappait à ta porte. Mais à celui qui crut pouvoir te voler ton âme en occupant ta terre, tu opposes ton regard sombre et dis à tes enfants : “Levez-vous ! La mort sera plus douce pour vous que l’humiliation” Fiers et rebelles comme toi, tes filles et tes fils entendirent ton appel.

    Dans ma mémoire d’adolescente demeurera gravé la magnifique journée d’été où tu recouvris ta liberté. Je me souviens mère chérie, que ce jour-là, tu remis ton diadème de reine et revêtis tes habits brodés d’or. Assise sur ton trône de souveraine, tu étais resplendissante en cette soirée de juillet 1962 et brillais de mille feux. A tes côtés, se tenaient toutes les mères, les épouses, les enfants, qui t’avaient offert un mari, un fils, un père, pour que cesse ton enchaînement.

    Je me souviens que ces femmes n’étaient pas tristes. Elles ne pleuraient pas. J’entends encore aujourd’hui leurs youyous qui fusaient dans le ciel pour dire ton passé. Ta bravoure, tes luttes, tes espérances, ton avenir.

    Je me souviens de cette petite fille que tu tenais serrée contre toi et lui expliquais que son père ne reviendrait pas. Elle ne pleurait pas et t’écoutait sagement lui raconter l’Histoire de son père chahid et de ses compagnons.

    Soudain mère chérie au petit matin, la fête s’acheva dans la tristesse et l’amertume. L’été de la victoire devint l’horrible “Eté de la discorde” (2). J’étais adolescente et ne compris pas pourquoi tes enfants voulaient s’entretuer avant même d’avoir goûté aux fruits de la liberté.

    Le cri de “sabaâ snine barakat” (3) remplaça les youyous.

    Sans autre autorisation que la sienne, le premier homme à s’être érigé en maître des lieux s’emparera de déchirer tes beaux habits. Lui et ses compagnons enserrèrent ton corps dans le corset du clanisme et du régionalisme. Ils jugèrent ta manière très personnelle de porter la tête bien haute sans jamais la baisser, impertinente, arrogante et jugèrent qu’ils te feraient ployer sous leur joug. Il fallait te faire oublier tes manières raffinées et soudain l’inculture devint une vertu, l’effort des vices rédhibitoires. Le savoir et l’instruction des maladies honteuses. “Ta graisse de bourgeoise devait fondre au hammam” (4). Lorsque tu osais malgré tout donner ton opinion et émerger de ton silence forcé, la prison aux cellules crasseuses et aux mille barreaux se chargeaient de te “rééduquer”.

    Entourée de solides fils barbelés, engoncée dans une solide armature qui avait fini par former dans ta peau au fil des ans, d’horribles escarres insupportables au regard, tu fus enfermée dans une citadelle où le népotisme disait te servir de garde de corps, le clanisme de socle, le populisme de code de conduite et l’opportunisme de guide.

    Depuis mère chérie, vois ce qu’ils t’ont donc fait : si jeune et pourtant si vieille ! Promets-moi de ne jamais leur pardonner. Hier si belle, vois ce qu’ils ont fait de toi sans mémoire, sans repères et totalement épuisée.

    La cupidité, — leur cupidité —, a asséché ta terre, la concussion t’a défigurée, la forfaiture enlaidie. Les colliers de jasmin dont tu aimais orner ton cou aujourd’hui flétri, ne sont plus que souvenirs dans ma mémoire. Leur odeur qui embaumait tes rues, tes villes et tes maisons, a cédé la place à une puanteur générale. Celle du vol, de la corruption, des richesses mal acquises, celle de la force, du mépris, celle de nos cœurs déchirés.

    Pouvais-tu mère en cette belle journée d’été de 1962 imaginer pareil avenir ? Il m’est souvent arrivé de croire que tu aimais peut-être les médiocres, les faussaires et repoussais ceux qui ne t’ont jamais rien subtilisé et n’ont eu de cesse de te servir toi la grande dame.

    Pardonne-moi d’avoir pensé cela. Je sais à présent que ce n’est pas toi la femme damnée, mais ce sont eux les maudits. Eux qui ont fait de la wilaya, du douar, de la tribu, une nation. De l’incompétence une vertu, eux qui ont enfanté des courtisans, des valets, ce ne sont pas les enfants de cette mère fière et rebelle, toi ma mère.

    Eux qui ne savent pas que tu les as frappés depuis fort longtemps d’anathème. Le pire de tous parce qu’il est celui de la Mère patrie. Lorsque la folie meurtrière des “barbus” ensanglanta ta terre, tes meilleurs enfants acceptèrent une nouvelle fois de mourir pour toi. Certains dirent que tu étais une “croqueuse” puisqu’incapable de protéger ta progéniture. Il est vrai que tu t’es séparée de tes filles et de tes fils mais ce n’est pas toi mère qui les as tués. Ce sont ceux qui t’ont enlaidie, vieillie, toi dont les douleurs sont de moins en moins supportables.

    Comment donc aurais-tu pu imaginer belle et souveraine en cette soirée de juillet 1962 que la haine, l’intolérance et la cruauté s’empareraient de ceux que tu appelais “mes enfants” ? Comment aurais-tu pu imaginer qu’ils violeraient tes filles, détruiraient tes biens et assassineraient tes meilleurs enfants ? Comment aurais-tu pu imaginer que l’assassin puisse être pardonné ? Mère chérie tu n’es pas maudite et ta terre n’est pas frappée de malédiction. Ce sont eux les maudits. Eux qui n’ont cessé et continuent de rouer ton corps de coups croyant pouvoir te faire ployer la tête. Eux qui t’ont arraché ta couronne de souveraine persuadés qu’ils t’avaient volé ton âme. Il n’en est rien mère chérie. Parce que tu sais que ceux qui te chérissent sont plus nombreux que ceux que tu poursuivras éternellement de ta malédiction. Promets-moi mère adorée, promets-moi en ce premier jour de cette nouvelle année de ne jamais oublier les souffrances et les malheurs qu’ils t’ont fait et te font endurer. Il paraît que l’on peut mourir d’amour pour toi. Cela s’appelle “le mal de l’Algérie”.

    Qu’importe mère chérie !

    Serre très fort contre ta poitrine tes meilleurs enfants et ne les repousse plus. Ceux que tu as maudits avaient fait le serment aux chouhada de te chérir. Ils les ont trahis et le sang versé par tes enfants martyrs leur portera malheur.

    Que te réservera cette année 2007 ? Qui peut le dire ? Népotisme, régionalisme, populisme, islamisme, opportunisme, clanisme, sont encore tes habitants. J’ai envie de te souhaiter meilleure santé ce soir, mais comment pourrais-tu recouvrir celle-ci si tous ces “ismes” continuent à décider pour toi et tes meilleurs enfants ?

    N. B.
    : (1) Extraits tirés de l’ouvrage Ce ne sont que des hommes Leïla Aslaoui Casbah édition.
    (2) Eté de la discordetitre de l’ouvrage de M. Ali Haroun Casbah édition.
    (3) Sept ans ça suffit !
    (4) Extrait d’un discours prononcé en 1963 par le Premier président de la République contre la bourgeoisie citadine notamment algéroise et constantinoise.


    Par Leila Aslaoui.

  • #2
    Que te réservera cette année 2007 ? Qui peut le dire ? Népotisme, régionalisme, populisme, islamisme, opportunisme, clanisme, sont encore tes habitants. J’ai envie de te souhaiter meilleure santé ce soir, mais comment pourrais-tu recouvrir celle-ci si tous ces “ismes” continuent à décider pour toi et tes meilleurs enfants ?
    Et c'est une expression que l'en répetra encore et encore (peut etre éternellement)...Tant qu'elle ne se sent pas en bonne santé, tant que la corruption, le favoritisme...et tous ses maux...continuent.

    J'espere de tout coeur que cette annee sera meilleurs, sur tous les plans (pour notre chere mere, Algerie).

    Merci Morjane.

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