Dans l’intimité du militant de la première heure
Rabah Zamoun est le témoin privilégié de l’intimité secrète d’archives jalousement gardées et régulièrement enrichies de son vivant par son oncle, le militant de la première heure de l’indépendance de l’Algérie, Ali Zamoum. Et c’est sur l’insistance de sa veuve que le neveu, tétanisé par le challenge, décide de relever le défi. Si l’oncle abandonne l’école et s’engage dès l’adolescence dans le mouvement nationaliste suivant en cela son frère aîné, le colonel Si Salah, commandant de la Wilaya IV tombé au champ d’honneur, l’auteur, lui, est universitaire. Autant dire qu’il dispose des outils qui l’aideront à mener à bien une tâche qui n’est pas de tout repos, mettant en cela plusieurs années de travail. Il en sort Ali Zamoum, le juste, une sorte de suite à l’unique livre écrit par l’oncle, Tamourt Imazighen, mémoires d’un combattant qui s’arrêtent à 2004. Dans le foisonnement d’une correspondance riche, et surtout à jour, de documents inédits et d’échanges épistolaires, de nombreux témoignages qui jettent une lumière crue sur la personnalité du militant, Rabah Zamoum ne s’est pas limité à une simple compilation des documents mis à sa disposition. Bien plus, il en fait des balises d’éclairage sur l’engagement sans concession de celui qui allait devenir «politiquement incorrect», voire infréquentable tant il ne ménageait pas, par ses critiques sans complaisance, «l’establishment» issu de l’indépendance. Ce ne fut pas le cas dans son amitié avec l’écrivain Kateb Yacine qu’il soutiendra jusqu’à la fin. De bonne tenue littéraire, le livre serait une sorte de suite (1962-2004) à Tamourt Imazighen, sujet à controverse quant à la préface que refuse de faire, comme promis, Mostefa Lacheraf. Des pans entiers de la période de l’option socialiste nous sont révélés…
Le Soir d’Algérie : J’aimerais introduire cet entretien par cette appréciation du préfacier, en l’occurrence Hocine Zahouane, qui résume bien le livre Ali Zamoum, le juste. C’est une somme de prises de notes, d’échanges épistolaires, de témoignages, d’expériences professionnelles, de conflits, d’interrogations, de crises et même de déchirements. Votre avis ?
Rabah Zamoum : Oui, et de plus il y a une touche personnelle sentimentale parce qu’il a connu Ali. Sa remarque est d’à-propos car il s’agit d’un ensemble de notes, de positionnements et Dieu sait qu’Ali écrivait beaucoup le jour, la nuit, en fin de journée… Bref, à tout moment, en notant le jour, l’heure, etc. C’est passionnant de lire toutes ces notes parce qu’il raconte dans le moindre détail ce qu’il fait, ses rencontres… En réalité, il ne faisait qu’écrire. J’ai donc compulsé à son bureau toute sa correspondance. Au-delà de quelques entretiens que j’ai eus avec lui, j’ai tenté de coller au maximum au personnage Ali Zamoum mais pas à l’oncle.
On apprend en postface que la préface du livre de feu Ali Zamoum, Tamourt iImazighen(*), devait être faite par Mostefa Lacheraf, mais il a refusé...
Le livre Tamourt Imazighen commence à la page 39. Pourquoi ? Parce qu’au départ, Ali avait demandé à Mostefa Lacheraf de lui faire une préface et il avait accepté. Lacheraf rédigeait la préface en même temps qu’il lisait le livre. Pour avancer quant à l’impression, les deux hommes s’arrangent pour laisser 38 pages pour la préface que Lacheraf avait à rédiger. Mais au moment de lui remettre cette dernière, Lacheraf demande à Ali quel serait le titre du livre qui n’y était pas encore. Tamurt Imazighen, lui apprend-il. Il traite de l’Algérie et rien d’autre et que c’est seulement là qu’il évoque sa langue. Lacheraf estime que le titre fait dans la revendication berbère et suggère de le changer, mais Ali refuse.
C’est ainsi qu’il reprend sa préface. La première édition paraîtra sans préface ! En 1996, il finira par préfacer le livre dans sa deuxième édition.
Ali Zamoum, le juste ne me paraît pas comme une biographie ou un récit historique, bien que l’on retrouve ces deux approches, mais plus une chronique dans laquelle intervient fréquemment l’auteur – vous-même —, souvent acteur dans des situations fortes vécues...
Attention ! quand bien même c’était mon oncle, j’ai peu vécu avec lui sauf en 1963, 1964,1965. C’est vrai que c’est Ali qui nous a recueillis ma mère, veuve de chahid, et moi orphelin de guerre(*), alors qu’il était wali de Tizi-Ouzou où j’ai entamé ma première scolarité grâce à Ferhat, son frère cadet.
Il y a cette particularité qui met en scène en même temps le sujet, Ali Zamoum, et le témoin, l’auteur, qui est son neveu de l’indépendance à sa mort en 2004. Quel est le sentiment intime qui vous animait dans l’écriture de cette période de vie, commune, j’allais dire ?
Ce qui est passionnant c’est la découverte du personnage engagé, sincère qui s’implique à fond dans son travail ou dans ses missions en même temps qu’il est très humain, clairvoyant, aimable. Par exemple, quand il s’est occupé de la ferme-pilote à Bouira où il y avait 90 enfants dont certains pauvres, d’autres sans famille, à la veille de l’Aïd et qui n’avaient pas où aller. Ali décide de rester avec eux. Après un tour au marché, il sacrifia à cette occasion deux moutons.
Engagé très jeune dans les rangs de l’ALN suivant l’exemple de son frère aîné le colonel Si Salah, commandant de la Wilaya III, Ali Zamoum a tôt fait de dénoncer plutôt que de justifier ou fermer l’œil sur des injustices ou de profiter de statut après l’indépendance...
Après l’indépendance, en 1963, il retrouve ses anciens compagnons à Bordj- Menaïel leur disant qu’il fallait reprendre en main les affaires pour reconstruire le pays. Il s’est trouvé un
Italien qui vivait là et qui leur confia sa villa durant son absence et qu’ils pouvaient utiliser pour leurs propres usages en tant qu’autorité algérienne. Mais un de ses compagnons la convoitait et la voulait pour lui-même, de plus il en avait déjà squatté deux autres. Ali s’y oppose et porte l’affaire devant Mohand Oulhadj, chef de la Wilaya III qui ne s’y oppose pas. Furieux, Ali refuse de cautionner, et c’est le clash. Il abandonne ses compagnons pour aller se réfugier ailleurs.
Pour ces raisons, le pouvoir post-indépendance, déjà, commençait à voir en lui une personne de mauvaise fréquentation car bien que haut fonctionnaire il ne cautionnait pas la politique du système refusant même les avances de Houari Boumediène pour régler son conflit avec Belaïd Abdesselam, l’homme fort du président...
Dans le secteur de l’industrie, il est en conflit avec Belaïd Abdeslam, ministre du secteur.
Après le coup d’Etat de 1965, Boumediène le convoque à son bureau à la Présidence, lui fait un topo sur la situation puis lui dit qu’il s’agit maintenant de construire le pays.
Ali le regarde et lui dit : «Vous avez détruit en un jour ce que les militants ont mis des décennies à construire.» Il lui jette la carte et lui dit : je quitte le parti. En fait ça a commencé par une mission qu’avait confiée Belaïd Abdesselam à Ali Zamoum de trouver une solution au conflit des étudiants à Boumerdès. Mission réussie et à son retour Belaïd Abdesselam lui donne une prime que refuse Ali arguant du fait qu’il n’avait fait que son travail.
Offusqué, Belaïd Abdesselam se vengera à l’Assemblée nationale en présence de Houari Boumediène déclarant qu’à l’INHS (Institut national des hydrocarbures), Ali Zamoum a autorisé les enseignants russes à entonner le chant de «l’Internationale». Cela jette un froid dans une assistance ahurie. Ali dément et sur ces entre-faits met au défi Belaïd Abdesselam de chanter Qassaman ! Cela met mal à l’aise Boumediène et Abdeeselam qui passait d’une couleur à une autre.
Quelle personne infréquentable devaient-ils se dire !
Dans les années 1970 déjà, certains qui gravitaient autour du parti (FLN) profitaient de privilèges dont des primes ou placer des proches dans des postes intéressants. De par son comportement, Ali dérangeait. Pourquoi ? Parce qu’il devenait une référence. Dans la postface du livre, Samir Imalayen écrit : «Nous n’avons pas su être à la hauteur d’un tel destin et d’une telle personnalité. La probité d’Ali, bien qu’elle ait pu faire fi totalement de la réalité, ne fut pas appréciée à sa juste valeur à cette époque et fut même clairement identifiée comme un danger pour les tenants de l’autorité. Quand Ali nous apprenait tout simplement à ne pas trahir nos idéaux.» Chez certains, il y avait cette trahison des serments de la Révolution, des idéaux du 1er Novembre.
Rabah Zamoun est le témoin privilégié de l’intimité secrète d’archives jalousement gardées et régulièrement enrichies de son vivant par son oncle, le militant de la première heure de l’indépendance de l’Algérie, Ali Zamoum. Et c’est sur l’insistance de sa veuve que le neveu, tétanisé par le challenge, décide de relever le défi. Si l’oncle abandonne l’école et s’engage dès l’adolescence dans le mouvement nationaliste suivant en cela son frère aîné, le colonel Si Salah, commandant de la Wilaya IV tombé au champ d’honneur, l’auteur, lui, est universitaire. Autant dire qu’il dispose des outils qui l’aideront à mener à bien une tâche qui n’est pas de tout repos, mettant en cela plusieurs années de travail. Il en sort Ali Zamoum, le juste, une sorte de suite à l’unique livre écrit par l’oncle, Tamourt Imazighen, mémoires d’un combattant qui s’arrêtent à 2004. Dans le foisonnement d’une correspondance riche, et surtout à jour, de documents inédits et d’échanges épistolaires, de nombreux témoignages qui jettent une lumière crue sur la personnalité du militant, Rabah Zamoum ne s’est pas limité à une simple compilation des documents mis à sa disposition. Bien plus, il en fait des balises d’éclairage sur l’engagement sans concession de celui qui allait devenir «politiquement incorrect», voire infréquentable tant il ne ménageait pas, par ses critiques sans complaisance, «l’establishment» issu de l’indépendance. Ce ne fut pas le cas dans son amitié avec l’écrivain Kateb Yacine qu’il soutiendra jusqu’à la fin. De bonne tenue littéraire, le livre serait une sorte de suite (1962-2004) à Tamourt Imazighen, sujet à controverse quant à la préface que refuse de faire, comme promis, Mostefa Lacheraf. Des pans entiers de la période de l’option socialiste nous sont révélés…
Le Soir d’Algérie : J’aimerais introduire cet entretien par cette appréciation du préfacier, en l’occurrence Hocine Zahouane, qui résume bien le livre Ali Zamoum, le juste. C’est une somme de prises de notes, d’échanges épistolaires, de témoignages, d’expériences professionnelles, de conflits, d’interrogations, de crises et même de déchirements. Votre avis ?
Rabah Zamoum : Oui, et de plus il y a une touche personnelle sentimentale parce qu’il a connu Ali. Sa remarque est d’à-propos car il s’agit d’un ensemble de notes, de positionnements et Dieu sait qu’Ali écrivait beaucoup le jour, la nuit, en fin de journée… Bref, à tout moment, en notant le jour, l’heure, etc. C’est passionnant de lire toutes ces notes parce qu’il raconte dans le moindre détail ce qu’il fait, ses rencontres… En réalité, il ne faisait qu’écrire. J’ai donc compulsé à son bureau toute sa correspondance. Au-delà de quelques entretiens que j’ai eus avec lui, j’ai tenté de coller au maximum au personnage Ali Zamoum mais pas à l’oncle.
On apprend en postface que la préface du livre de feu Ali Zamoum, Tamourt iImazighen(*), devait être faite par Mostefa Lacheraf, mais il a refusé...
Le livre Tamourt Imazighen commence à la page 39. Pourquoi ? Parce qu’au départ, Ali avait demandé à Mostefa Lacheraf de lui faire une préface et il avait accepté. Lacheraf rédigeait la préface en même temps qu’il lisait le livre. Pour avancer quant à l’impression, les deux hommes s’arrangent pour laisser 38 pages pour la préface que Lacheraf avait à rédiger. Mais au moment de lui remettre cette dernière, Lacheraf demande à Ali quel serait le titre du livre qui n’y était pas encore. Tamurt Imazighen, lui apprend-il. Il traite de l’Algérie et rien d’autre et que c’est seulement là qu’il évoque sa langue. Lacheraf estime que le titre fait dans la revendication berbère et suggère de le changer, mais Ali refuse.
C’est ainsi qu’il reprend sa préface. La première édition paraîtra sans préface ! En 1996, il finira par préfacer le livre dans sa deuxième édition.
Ali Zamoum, le juste ne me paraît pas comme une biographie ou un récit historique, bien que l’on retrouve ces deux approches, mais plus une chronique dans laquelle intervient fréquemment l’auteur – vous-même —, souvent acteur dans des situations fortes vécues...
Attention ! quand bien même c’était mon oncle, j’ai peu vécu avec lui sauf en 1963, 1964,1965. C’est vrai que c’est Ali qui nous a recueillis ma mère, veuve de chahid, et moi orphelin de guerre(*), alors qu’il était wali de Tizi-Ouzou où j’ai entamé ma première scolarité grâce à Ferhat, son frère cadet.
Il y a cette particularité qui met en scène en même temps le sujet, Ali Zamoum, et le témoin, l’auteur, qui est son neveu de l’indépendance à sa mort en 2004. Quel est le sentiment intime qui vous animait dans l’écriture de cette période de vie, commune, j’allais dire ?
Ce qui est passionnant c’est la découverte du personnage engagé, sincère qui s’implique à fond dans son travail ou dans ses missions en même temps qu’il est très humain, clairvoyant, aimable. Par exemple, quand il s’est occupé de la ferme-pilote à Bouira où il y avait 90 enfants dont certains pauvres, d’autres sans famille, à la veille de l’Aïd et qui n’avaient pas où aller. Ali décide de rester avec eux. Après un tour au marché, il sacrifia à cette occasion deux moutons.
Engagé très jeune dans les rangs de l’ALN suivant l’exemple de son frère aîné le colonel Si Salah, commandant de la Wilaya III, Ali Zamoum a tôt fait de dénoncer plutôt que de justifier ou fermer l’œil sur des injustices ou de profiter de statut après l’indépendance...
Après l’indépendance, en 1963, il retrouve ses anciens compagnons à Bordj- Menaïel leur disant qu’il fallait reprendre en main les affaires pour reconstruire le pays. Il s’est trouvé un
Italien qui vivait là et qui leur confia sa villa durant son absence et qu’ils pouvaient utiliser pour leurs propres usages en tant qu’autorité algérienne. Mais un de ses compagnons la convoitait et la voulait pour lui-même, de plus il en avait déjà squatté deux autres. Ali s’y oppose et porte l’affaire devant Mohand Oulhadj, chef de la Wilaya III qui ne s’y oppose pas. Furieux, Ali refuse de cautionner, et c’est le clash. Il abandonne ses compagnons pour aller se réfugier ailleurs.
Pour ces raisons, le pouvoir post-indépendance, déjà, commençait à voir en lui une personne de mauvaise fréquentation car bien que haut fonctionnaire il ne cautionnait pas la politique du système refusant même les avances de Houari Boumediène pour régler son conflit avec Belaïd Abdesselam, l’homme fort du président...
Dans le secteur de l’industrie, il est en conflit avec Belaïd Abdeslam, ministre du secteur.
Après le coup d’Etat de 1965, Boumediène le convoque à son bureau à la Présidence, lui fait un topo sur la situation puis lui dit qu’il s’agit maintenant de construire le pays.
Ali le regarde et lui dit : «Vous avez détruit en un jour ce que les militants ont mis des décennies à construire.» Il lui jette la carte et lui dit : je quitte le parti. En fait ça a commencé par une mission qu’avait confiée Belaïd Abdesselam à Ali Zamoum de trouver une solution au conflit des étudiants à Boumerdès. Mission réussie et à son retour Belaïd Abdesselam lui donne une prime que refuse Ali arguant du fait qu’il n’avait fait que son travail.
Offusqué, Belaïd Abdesselam se vengera à l’Assemblée nationale en présence de Houari Boumediène déclarant qu’à l’INHS (Institut national des hydrocarbures), Ali Zamoum a autorisé les enseignants russes à entonner le chant de «l’Internationale». Cela jette un froid dans une assistance ahurie. Ali dément et sur ces entre-faits met au défi Belaïd Abdesselam de chanter Qassaman ! Cela met mal à l’aise Boumediène et Abdeeselam qui passait d’une couleur à une autre.
Quelle personne infréquentable devaient-ils se dire !
Dans les années 1970 déjà, certains qui gravitaient autour du parti (FLN) profitaient de privilèges dont des primes ou placer des proches dans des postes intéressants. De par son comportement, Ali dérangeait. Pourquoi ? Parce qu’il devenait une référence. Dans la postface du livre, Samir Imalayen écrit : «Nous n’avons pas su être à la hauteur d’un tel destin et d’une telle personnalité. La probité d’Ali, bien qu’elle ait pu faire fi totalement de la réalité, ne fut pas appréciée à sa juste valeur à cette époque et fut même clairement identifiée comme un danger pour les tenants de l’autorité. Quand Ali nous apprenait tout simplement à ne pas trahir nos idéaux.» Chez certains, il y avait cette trahison des serments de la Révolution, des idéaux du 1er Novembre.

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