L’Association marocaine pour la promotion de l’Histoire organisait à Rabat, les Rendez-vous de l’Histoire, sous le thème de « la citoyenneté ». La conférence inaugurale a été donnée par Abdellah Laroui, penseur, historien et romancier de renommée internationale. Comme à son habitude, l’imminent penseur marocain a brillé par son érudition et la profondeur de sa déconstruction du concept de « citoyenneté » et des usages simplistes qu’en font les plumitifs et autres journalistes. Mais, encore une fois, ces différents usagers n’ont compris que ce que leur logique binaire leur permet de saisir. L’angle étroit que détermine l’opposition « sujet vs citoyen » n’est capable d’embrasser ni la complexité de la pensée de Abdellah Laroui, ni sa vivacité. Le couple sujet-citoyen n’est que l’écume de cette vague de fond qu’est la genèse de la citoyenneté en tant que concept et en tant que réalité historique.
Laroui a tenu à mettre en garde l’auditoire contre le simplisme et les emprunts qui brouillent plus qu’ils n’éclairent. Le résultat médiatique, quelques heures après la conférence, est totalement le contraire de ce qu’il espérait. Plusieurs quotidiens marocains ont titré avec de gros caractères : « Dans une sortie spectaculaire, Laroui déclare : « ceux qui présentent la Beyâ durant la cérémonie d’allégeance (walaa), sont des sujets et non des citoyens » ». Les journaux électroniques et les réseaux sociaux ont pris le relais et l’intox prend effet de neige.
S’agit-il d’une instrumentalisation tablant sur le sensationnel pour mieux vendre des journaux en mal de lectorat ? C’est possible, mais je ne le crois pas. Je penche plus vers la profondeur de cette logique binaire qui est aveugle vis-à-vis des nuances, et autiste quant à la complexité des réalités. Abdellah Laroui avait déjà signalé que « l’historien en Islam comme ailleurs est un invité à la fois inévitable et indésirable. Jamais il n’échappe à la critique, je veux dire à la censure morale. S’il se tait, on le somme de parler et quand il parle, on le prie de se taire ». Aujourd’hui, avec la toile, on fait dire à l’historien ce qu’il n’a pas dit. Malgré son effort de recherche et de pédagogie, Laroui n’est pas compris. Il a entrepris depuis les années 1980 un programme original « d’acclimatation » des concepts fondamentaux de la pensée occidentale, dans les champs épistémologique, linguistique et culturel du monde arabo-musulman. Ainsi, les notions d’idéologie, de liberté, d’État, d’Histoire et de raison ont été décortiquées par lui et réappropriées selon les présupposés et les paradigmes de l’héritage philosophique et culturel de la civilisation arabo-musulmane. L’exercice auquel s’est livré Laroui est le même vis-à-vis du concept de citoyenneté. Il signale de prime abord que « citoyenneté » et son vis-à-vis arabe « mouwatana » ne relèvent pas du même champ sémantique.
La première fait référence à la cité, donc à la participation dans la gestion politique de la cité. La deuxième, renvoie, à « watan », terroir, patrie, et à celui qui y élit domicile. La distinction est capitale et il faut l’évoquer quand il s’agit d’emprunter un concept qui a sa propre histoire. Cette précaution première n’est pas un artifice de chercheur, mais une démarche rationnelle pour celui qui ambitionne d’extraire l’universel de toute expérience humaine particulière. Sans cela, on est condamné à singer l’autre sans succès. Aussi, pour produire notre citoyenneté, il faut saisir le procès historique de sa genèse sous d’autres cieux. Ainsi Laroui s’est attelé à déconstruire et reconstruire aussi bien le concept de citoyenneté, que les réalités qu’il recouvrait tout le long de l’histoire. La citoyenneté était d’abord un privilège. Beaucoup de franges sociales dans les cités antiques, grecques et romaines ont été écartées. Certaines minorités ethniques ou religieuses, et même l’ensemble des femmes n’avaient acquis leurs droits à la citoyenneté qu’au XXe siècle. Ces droits sont liés à l’adhésion à un système politique et à sa construction la plus élaborée, celle de l’État, et plus précisément l’État-Nation. Il est d’ailleurs curieux de constater que la généralisation de la citoyenneté coïncide avec le rétrécissement de l’espace de souveraineté de l’État-Nation, mondialisation oblige !
En citant les grands penseurs qui ont traité la notion de citoyenneté, Laroui précise que les principes de liberté, égalité, et propriété ont rarement été réunis. Chaque penseur privilégie un d’entre eux. La citoyenneté, selon Rousseau, est antinomique avec la théologie, alors qu’avec d’autres, l’égalité, la liberté… sont d’abord garanties par le créateur… Ces visions nuancées de la citoyenneté, comme accomplissement de l’homme conscient de son humanité et de son droit à participer à la chose publique, sont énoncées par Laroui pour suggérer un processus endogène d’élaboration collective d’une citoyenneté marocaine qui serait le fruit de notre évolution historique et une synthèse de la pensée universelle entre la centralité de l’homme et celle de Dieu. Il va sans dire qu’on peut être en désaccord avec Laroui, mais c’est une valeur nationale que tout bon citoyen doit éviter de dévaluer.
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de zamane
Laroui a tenu à mettre en garde l’auditoire contre le simplisme et les emprunts qui brouillent plus qu’ils n’éclairent. Le résultat médiatique, quelques heures après la conférence, est totalement le contraire de ce qu’il espérait. Plusieurs quotidiens marocains ont titré avec de gros caractères : « Dans une sortie spectaculaire, Laroui déclare : « ceux qui présentent la Beyâ durant la cérémonie d’allégeance (walaa), sont des sujets et non des citoyens » ». Les journaux électroniques et les réseaux sociaux ont pris le relais et l’intox prend effet de neige.
S’agit-il d’une instrumentalisation tablant sur le sensationnel pour mieux vendre des journaux en mal de lectorat ? C’est possible, mais je ne le crois pas. Je penche plus vers la profondeur de cette logique binaire qui est aveugle vis-à-vis des nuances, et autiste quant à la complexité des réalités. Abdellah Laroui avait déjà signalé que « l’historien en Islam comme ailleurs est un invité à la fois inévitable et indésirable. Jamais il n’échappe à la critique, je veux dire à la censure morale. S’il se tait, on le somme de parler et quand il parle, on le prie de se taire ». Aujourd’hui, avec la toile, on fait dire à l’historien ce qu’il n’a pas dit. Malgré son effort de recherche et de pédagogie, Laroui n’est pas compris. Il a entrepris depuis les années 1980 un programme original « d’acclimatation » des concepts fondamentaux de la pensée occidentale, dans les champs épistémologique, linguistique et culturel du monde arabo-musulman. Ainsi, les notions d’idéologie, de liberté, d’État, d’Histoire et de raison ont été décortiquées par lui et réappropriées selon les présupposés et les paradigmes de l’héritage philosophique et culturel de la civilisation arabo-musulmane. L’exercice auquel s’est livré Laroui est le même vis-à-vis du concept de citoyenneté. Il signale de prime abord que « citoyenneté » et son vis-à-vis arabe « mouwatana » ne relèvent pas du même champ sémantique.
La première fait référence à la cité, donc à la participation dans la gestion politique de la cité. La deuxième, renvoie, à « watan », terroir, patrie, et à celui qui y élit domicile. La distinction est capitale et il faut l’évoquer quand il s’agit d’emprunter un concept qui a sa propre histoire. Cette précaution première n’est pas un artifice de chercheur, mais une démarche rationnelle pour celui qui ambitionne d’extraire l’universel de toute expérience humaine particulière. Sans cela, on est condamné à singer l’autre sans succès. Aussi, pour produire notre citoyenneté, il faut saisir le procès historique de sa genèse sous d’autres cieux. Ainsi Laroui s’est attelé à déconstruire et reconstruire aussi bien le concept de citoyenneté, que les réalités qu’il recouvrait tout le long de l’histoire. La citoyenneté était d’abord un privilège. Beaucoup de franges sociales dans les cités antiques, grecques et romaines ont été écartées. Certaines minorités ethniques ou religieuses, et même l’ensemble des femmes n’avaient acquis leurs droits à la citoyenneté qu’au XXe siècle. Ces droits sont liés à l’adhésion à un système politique et à sa construction la plus élaborée, celle de l’État, et plus précisément l’État-Nation. Il est d’ailleurs curieux de constater que la généralisation de la citoyenneté coïncide avec le rétrécissement de l’espace de souveraineté de l’État-Nation, mondialisation oblige !
En citant les grands penseurs qui ont traité la notion de citoyenneté, Laroui précise que les principes de liberté, égalité, et propriété ont rarement été réunis. Chaque penseur privilégie un d’entre eux. La citoyenneté, selon Rousseau, est antinomique avec la théologie, alors qu’avec d’autres, l’égalité, la liberté… sont d’abord garanties par le créateur… Ces visions nuancées de la citoyenneté, comme accomplissement de l’homme conscient de son humanité et de son droit à participer à la chose publique, sont énoncées par Laroui pour suggérer un processus endogène d’élaboration collective d’une citoyenneté marocaine qui serait le fruit de notre évolution historique et une synthèse de la pensée universelle entre la centralité de l’homme et celle de Dieu. Il va sans dire qu’on peut être en désaccord avec Laroui, mais c’est une valeur nationale que tout bon citoyen doit éviter de dévaluer.
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de zamane

je crois bien qu'il est entré au Maroc
malheureusement
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