La société Maghrébine est connue pour sa tradition scripturaire. Parallèlement à cette historiographie savante, une tradition orale s’est construite. C’est cette dernière qui nous intéresse et qui constitue la source principale des écrits historiques, hagiographiques dont nous essayons de donner quelques exemples.
Il s’agit de deux saints des Monts des Ksours qui font parti des sept immolés de Sîd Ahmad B. Yûsaf plus connus sous la légende des (sab’atu Madbûhin).
Longtemps marginalisée, sous le prétexte de sa subjectivité, l’histoire orale s’avère une source incontournable pour éclairer des événements déjà traités dans les textes écrits. D’ailleurs, en ce qui nous concerne, l’histoire orale n’est pas une simple source d’informations à côté des sources écrites. Derrière chaque mémoire collective, il existe une stratégie de légitimation, surtout quand celle-ci fait ressurgir de grands moments historiques.
L’histoire collective tribale n’était pas le seul objet de manipulation. Les personnages, les individus sont soumis, eux aussi, à cette stratégie de sélection. Particulièrement, dans les récits de vie des saints, chaque lignage a sa propre histoire orale. Les récits ne convergent que lorsqu’il n’y a pas d’enjeux ou que cette convergence sert l’intérêt commun. La mémoire n’est partagée que lorsque chacun y trouve son compte.
Dans ce contexte et en occultant toutes ces stratégies de fragmentation et d’omission, nous essayons, par le présent article, de regrouper, recoller certains récits de deux des sept immolés de Sîd Ahmad B. Yûsaf: Sîd Slayman B. Bûsmaha et Sîd El-Hadj Amar. Ces deux personnages sont considérés comme des Awliya (saints). Mais d’abord, qu’est ce qu’un walï?
• Qu’est ce qu’un walï ?
Le signifiant «walï», (pluriel awliya équivalent en terme français: Saint) est souvent associé à «Allâh» ou «Salih», pour constituer des groupes lexicaux «walï Allâh» ou «walï Salih». Le nom propre du «walï» est toujours précédé par «Sîd» ou «Sîdna» l’équivalent de Seigneur ou plus exactement de Maître, preuve par le locuteur de sa vénération et sa soumission au saint homme. Ce signifiant est usité pour signifier «l’homme Saint», le personnage par rapport auquel se définit une, voire plusieurs communautés. Ce personnage doit réunir nombre de qualités: C’est un homme pieux, à qui on reconnaît un rapport relationnel spécial avec le créateur Dieu et avec l’au-delà. C’est la force protectrice de la communauté qui lui est rattachée, c’est leur source spirituelle et leur guide.
• Le «walï» et son rang dans la «Silsila»
Chaque saint occupe une place précise dans une hiérarchie d’ordre mystique exprimée par la «Silsila». Ces chaînes servent de point de départ aux ordres religieux et de repère de dénomination aux saints qui les composent. Le rang le plus élevé dans la «Silsila» est celui de Ghaûth. Le second rang est désigné sous le titre de»Qutb», qui signifie pôle. Au troisième rang, on retrouve les Aûtad (pieux, piquets de tente), au nombre de quatre. Après les Aûtad, se placent les Khiyar. Au cinquième rang de la hiérarchie se trouve les Abdal. Au sixième rang, le Nedjib, au septième et dernier rang sont formés les Naqib. Ces titres reviennent dans les chaînes généalogiques de tous les ordres religieux. Ils ont pour fonction de repérer le degré d’importance et d’influence du saint. Chaque saint doit pouvoir apporter les preuves suffisantes pour justifier son rang, souvent ses actions (A’mal) passent avant sa science (‘ilm).
• Le «walï» fondateur
Un «walï» est, par essence, fondateur de quelque chose. Cela peut être un Ksar, une tariqa ou un lignage avec possibilité de cumul de deux, sinon de trois fonctions à la fois.
Chaque Ksar a sa légende de fondation dont le «walï» en constitue la pièce maîtresse. Nous l’avons relevé avec, à titre d’exemple, Sîd M’ ‘Amar pour Arbaouat, Sîd ‘Ali Khlifa pour Méchéria, et Sîd Shaykh pour Labiodh Sîd Cheikh.
• Le «walï» faiseur de Karama-t
Les gens les invoquent pour qu’ils intercèdent auprès de Dieu en leur faveur et leur accordent leur bénédiction: pour qu’ils ne les abandonnent pas dans les difficultés, surtout, qu’ils ne les oublient pas car, il est important qu’ils continuent de se manifester aux vivants, pour que ne soit pas rompu le lien entre passé et présent, sacré et profane, là-bas et ici, l’unité primordiale nécessaire à l’harmonie de l’espace habité. Les prodiges réalisés par ces deux thaumaturges sont célèbres, sans pour autant différer de la plupart des karama-t qui distinguent les saints maghrébins.
• Errance
Le thème de la mobilité est une récurrence en matière de sainteté. Cette mobilité se présente, bien évidemment, sous des formes diverses. L’errance (siyâha) qui est une étape obligatoire pour accéder à la sainteté. Le futur saint commence par errer en dehors des lieux habituels. Ce sont ces pérégrinations qui fortifient l’aspirant à la sainteté. Les privations physiques (faim, abstinence, rigueur du climat) lui fournissent l’occasion de développer une maîtrise du corps et de l’esprit. La connaissance des hommes et des lieux élargit son horizon mental et spirituel.
Conformément à cette prescription pour accéder à la sainteté, Sîd Ahmed B. Yûsaf a voyagé durant une quinzaine d’années, dont trois consacrées à la visite de la région du sud-ouest (Figuig, Chellala, Tiout..). Le voyage est considéré par les musulmans comme très utile à la formation de l’homme. Là-fàida-h-fî-radjul-idà-lam-yadjûl»: rien de bon à tirer d’un homme qui n’a pas voyagé.
• Mais, qui est ce personnage (Sîd Ahmad B. Yûsaf)?
Sîd Ahmad B. Yûsaf Al-Milyânî Al-Marîni Al-Huwwârî Al-Râshîdî Al-Milyânî (XVème/XVIème, mort en 1524/25) est incontournable, dans la généalogie mystique des confréries du Maghreb. Plusieurs études lui furent consacrées, entre autres, celles de M. Bodin, de M. Hadj Sadok, de R. Basset et des fragments dans les oeuvres de J. Berque et des Gouvion. La source écrite, la plus importante pour la biographie de Sîd Ahmad B. Yûsaf, est un ouvrage intitulé: Bûstan-l-Azhar-Fî-Manaqib-l-Abrar-wa-M’adin-l-Anwar, son auteur se nommait Muhammad As-Sabbar et fut qadi d’-l-Qal’a des Bni-Rashad).(1)
• L’immolation un test de loyauté
L’épreuve se serait déroulée le jour de la fête du sacrifice (Aïd El-Adha) de la façon suivante: un à un, ces disciples étaient introduits dans un local à deux issues pourvues chacune d’une porte.
Dès que l’un d’eux y pénétrait, un filet de sang s’écoulait hors du local sous les regards de ses compagnons qui attendaient leur tour. Dont voici le récit:
Récit 1: Sab’atu Madbûhïn de Sîd Ahmad B. Yûsaf
«Un jour Sîd Ahmad B. Yûsaf réunit tous ses élèves. C’est le jour de l’Aïd El-Adha.
Il demande des volontaires pour être égorgés en sacrifice. La majorité s’enfuit. Seuls sept, parmi les meilleurs, acceptèrent; parmi ces septs, se trouvaient Sîd Slayman et Sîd Hadj B.’Amar» (2)
L’idée du Walï, inspirée du récit de l’Ange Gabriel et d’Ibrahim-l-Khalil, étant de mettre à l’épreuve ses disciples, Sîd Ahmad B. Yûsaf, après son discours de l’Aïd El-Adha, leva son couteau et dit qu’il avait vu un rêve: il devait égorger des victimes expiatoires qui se porteraient volontaires. Des disciples défilèrent un à un. Sîd Ahmad B. Yûsaf égorgeait des moutons. Finalement, le Saint félicita les volontaires, les gratifia de sa bénédiction, les baptisa du nom de Madbûhin (égorgés) et les consacra Muqaddam Shaduliya. Les Gouvion fournissent la liste des sept volontaires classés par ordre d’immolation: Sîd Slayman B. Bûsmaha, Sîd Abd-Er-Rahman Es-Sahli, Sîd Mûsa-l-Barrishi, Sîd Mûsa-l-Gûrar, Sîd hadj B. Amar, Sîd Bûthkhil-l-Djilani, Sîd Yaqûb ainsi qu’une femme nommée Lalla Satti.
Il s’agit de deux saints des Monts des Ksours qui font parti des sept immolés de Sîd Ahmad B. Yûsaf plus connus sous la légende des (sab’atu Madbûhin).
Longtemps marginalisée, sous le prétexte de sa subjectivité, l’histoire orale s’avère une source incontournable pour éclairer des événements déjà traités dans les textes écrits. D’ailleurs, en ce qui nous concerne, l’histoire orale n’est pas une simple source d’informations à côté des sources écrites. Derrière chaque mémoire collective, il existe une stratégie de légitimation, surtout quand celle-ci fait ressurgir de grands moments historiques.
L’histoire collective tribale n’était pas le seul objet de manipulation. Les personnages, les individus sont soumis, eux aussi, à cette stratégie de sélection. Particulièrement, dans les récits de vie des saints, chaque lignage a sa propre histoire orale. Les récits ne convergent que lorsqu’il n’y a pas d’enjeux ou que cette convergence sert l’intérêt commun. La mémoire n’est partagée que lorsque chacun y trouve son compte.
Dans ce contexte et en occultant toutes ces stratégies de fragmentation et d’omission, nous essayons, par le présent article, de regrouper, recoller certains récits de deux des sept immolés de Sîd Ahmad B. Yûsaf: Sîd Slayman B. Bûsmaha et Sîd El-Hadj Amar. Ces deux personnages sont considérés comme des Awliya (saints). Mais d’abord, qu’est ce qu’un walï?
• Qu’est ce qu’un walï ?
Le signifiant «walï», (pluriel awliya équivalent en terme français: Saint) est souvent associé à «Allâh» ou «Salih», pour constituer des groupes lexicaux «walï Allâh» ou «walï Salih». Le nom propre du «walï» est toujours précédé par «Sîd» ou «Sîdna» l’équivalent de Seigneur ou plus exactement de Maître, preuve par le locuteur de sa vénération et sa soumission au saint homme. Ce signifiant est usité pour signifier «l’homme Saint», le personnage par rapport auquel se définit une, voire plusieurs communautés. Ce personnage doit réunir nombre de qualités: C’est un homme pieux, à qui on reconnaît un rapport relationnel spécial avec le créateur Dieu et avec l’au-delà. C’est la force protectrice de la communauté qui lui est rattachée, c’est leur source spirituelle et leur guide.
• Le «walï» et son rang dans la «Silsila»
Chaque saint occupe une place précise dans une hiérarchie d’ordre mystique exprimée par la «Silsila». Ces chaînes servent de point de départ aux ordres religieux et de repère de dénomination aux saints qui les composent. Le rang le plus élevé dans la «Silsila» est celui de Ghaûth. Le second rang est désigné sous le titre de»Qutb», qui signifie pôle. Au troisième rang, on retrouve les Aûtad (pieux, piquets de tente), au nombre de quatre. Après les Aûtad, se placent les Khiyar. Au cinquième rang de la hiérarchie se trouve les Abdal. Au sixième rang, le Nedjib, au septième et dernier rang sont formés les Naqib. Ces titres reviennent dans les chaînes généalogiques de tous les ordres religieux. Ils ont pour fonction de repérer le degré d’importance et d’influence du saint. Chaque saint doit pouvoir apporter les preuves suffisantes pour justifier son rang, souvent ses actions (A’mal) passent avant sa science (‘ilm).
• Le «walï» fondateur
Un «walï» est, par essence, fondateur de quelque chose. Cela peut être un Ksar, une tariqa ou un lignage avec possibilité de cumul de deux, sinon de trois fonctions à la fois.
Chaque Ksar a sa légende de fondation dont le «walï» en constitue la pièce maîtresse. Nous l’avons relevé avec, à titre d’exemple, Sîd M’ ‘Amar pour Arbaouat, Sîd ‘Ali Khlifa pour Méchéria, et Sîd Shaykh pour Labiodh Sîd Cheikh.
• Le «walï» faiseur de Karama-t
Les gens les invoquent pour qu’ils intercèdent auprès de Dieu en leur faveur et leur accordent leur bénédiction: pour qu’ils ne les abandonnent pas dans les difficultés, surtout, qu’ils ne les oublient pas car, il est important qu’ils continuent de se manifester aux vivants, pour que ne soit pas rompu le lien entre passé et présent, sacré et profane, là-bas et ici, l’unité primordiale nécessaire à l’harmonie de l’espace habité. Les prodiges réalisés par ces deux thaumaturges sont célèbres, sans pour autant différer de la plupart des karama-t qui distinguent les saints maghrébins.
• Errance
Le thème de la mobilité est une récurrence en matière de sainteté. Cette mobilité se présente, bien évidemment, sous des formes diverses. L’errance (siyâha) qui est une étape obligatoire pour accéder à la sainteté. Le futur saint commence par errer en dehors des lieux habituels. Ce sont ces pérégrinations qui fortifient l’aspirant à la sainteté. Les privations physiques (faim, abstinence, rigueur du climat) lui fournissent l’occasion de développer une maîtrise du corps et de l’esprit. La connaissance des hommes et des lieux élargit son horizon mental et spirituel.
Conformément à cette prescription pour accéder à la sainteté, Sîd Ahmed B. Yûsaf a voyagé durant une quinzaine d’années, dont trois consacrées à la visite de la région du sud-ouest (Figuig, Chellala, Tiout..). Le voyage est considéré par les musulmans comme très utile à la formation de l’homme. Là-fàida-h-fî-radjul-idà-lam-yadjûl»: rien de bon à tirer d’un homme qui n’a pas voyagé.
• Mais, qui est ce personnage (Sîd Ahmad B. Yûsaf)?
Sîd Ahmad B. Yûsaf Al-Milyânî Al-Marîni Al-Huwwârî Al-Râshîdî Al-Milyânî (XVème/XVIème, mort en 1524/25) est incontournable, dans la généalogie mystique des confréries du Maghreb. Plusieurs études lui furent consacrées, entre autres, celles de M. Bodin, de M. Hadj Sadok, de R. Basset et des fragments dans les oeuvres de J. Berque et des Gouvion. La source écrite, la plus importante pour la biographie de Sîd Ahmad B. Yûsaf, est un ouvrage intitulé: Bûstan-l-Azhar-Fî-Manaqib-l-Abrar-wa-M’adin-l-Anwar, son auteur se nommait Muhammad As-Sabbar et fut qadi d’-l-Qal’a des Bni-Rashad).(1)
• L’immolation un test de loyauté
L’épreuve se serait déroulée le jour de la fête du sacrifice (Aïd El-Adha) de la façon suivante: un à un, ces disciples étaient introduits dans un local à deux issues pourvues chacune d’une porte.
Dès que l’un d’eux y pénétrait, un filet de sang s’écoulait hors du local sous les regards de ses compagnons qui attendaient leur tour. Dont voici le récit:
Récit 1: Sab’atu Madbûhïn de Sîd Ahmad B. Yûsaf
«Un jour Sîd Ahmad B. Yûsaf réunit tous ses élèves. C’est le jour de l’Aïd El-Adha.
Il demande des volontaires pour être égorgés en sacrifice. La majorité s’enfuit. Seuls sept, parmi les meilleurs, acceptèrent; parmi ces septs, se trouvaient Sîd Slayman et Sîd Hadj B.’Amar» (2)
L’idée du Walï, inspirée du récit de l’Ange Gabriel et d’Ibrahim-l-Khalil, étant de mettre à l’épreuve ses disciples, Sîd Ahmad B. Yûsaf, après son discours de l’Aïd El-Adha, leva son couteau et dit qu’il avait vu un rêve: il devait égorger des victimes expiatoires qui se porteraient volontaires. Des disciples défilèrent un à un. Sîd Ahmad B. Yûsaf égorgeait des moutons. Finalement, le Saint félicita les volontaires, les gratifia de sa bénédiction, les baptisa du nom de Madbûhin (égorgés) et les consacra Muqaddam Shaduliya. Les Gouvion fournissent la liste des sept volontaires classés par ordre d’immolation: Sîd Slayman B. Bûsmaha, Sîd Abd-Er-Rahman Es-Sahli, Sîd Mûsa-l-Barrishi, Sîd Mûsa-l-Gûrar, Sîd hadj B. Amar, Sîd Bûthkhil-l-Djilani, Sîd Yaqûb ainsi qu’une femme nommée Lalla Satti.

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