Résumé
L’émigration des Algériens vers la France est ancienne et a changé plusieurs fois de forme tout au long du XXe siècle. Conçue au départ pour alimenter une immigration de travail, elle était vécue comme un exil supposé temporaire. À partir du milieu des années soixante-dix, en vertu des dispositifs de regroupement familial, le départ de l’Algérie a débouché sur une installation plus pérenne, voire définitive, en France. Le choix de rester sur le territoire français, d’en acquérir la nationalité, d’y fonder une famille, continue depuis de se heurter aux soupçons lancinants des discours sur l’intégration.
L’émigration des Algériens vers la France est ancienne et a changé plusieurs fois de forme tout au long du XXe siècle. Conçue au départ pour alimenter une immigration de travail, elle était vécue comme un exil supposé temporaire. À partir du milieu des années soixante-dix, en vertu des dispositifs de regroupement familial, le départ de l’Algérie a débouché sur une installation plus pérenne, voire définitive, en France. Le choix de rester sur le territoire français, d’en acquérir la nationalité, d’y fonder une famille, continue depuis de se heurter aux soupçons lancinants des discours sur l’intégration.
Les premières études qui leur ont été consacrées ont montré qu’en Afrique du Nord, le mouvement des hommes à travers l’espace et le temps était conçu comme une écologie humaine proche du cycle des céréales : “En Algérie, les montagnards émigrent du printemps à l’été pour se placer comme travailleurs saisonniers dans la Mitidja où les appellent les divers travaux de la vigne, puis dans la plaine du Chélif pour les moissons ; ils rentrent avant l’automne pour les mariages et les labours puis repartent au début de l’hiver afin de diminuer le nombre de bouches à nourrir dans la maison, cherchant à se placer cette fois dans les villes voisines"1. Cette vie cyclique, écologique, qui était à la merci du moindre accident naturel (mauvaises récoltes, sécheresse, attaques de sauterelles, épizooties), était souvent bouleversée par des luttes tribales et, récemment, par la conquête française de 1830, avec son lot de violences, de spoliations, d’interdictions, de déplacements de populations. La guerre de libération de 1954 à 1962 n’a pas été en reste avec ses confrontations sanglantes, parfois fratricides.
Ce qui détermine les individus à s’exiler, c’est d’abord la faim. Mais aussi le désir de liberté et parfois la fuite de l’oppression, qu’elle soit politique ou socioculturelle. Tous ces éléments combinés poussent chaque année des dizaines ou des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vers un monde inconnu.
Une démographie galopante
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la population européenne en Algérie comptait 936 000 individus, dont plus de 83 % étaient nés en Algérie et 12 % en métropole. La population active a été évaluée à 332 000 personnes occupées pour l’essentiel dans le secteur tertiaire (administrations, professions libérales, commerces). Quant à la population indigène “musulmane”, elle était évaluée à 7,6 millions d’individus. Un chiffre qui n’a cessé de progresser (en 2007 l’Algérie comptait plus de 38 millions d’habitants). Les Indigènes vivaient à plus de 84 % à la campagne en 1948 contre 90 % en 1900. Aussi, plus de 80 % de la population active masculine étaient absorbés par le secteur agricole : les Indigènes vivaient majoritairement de l’agriculture, qui était centrée sur la famille, unité de production et de consommation, une production entièrement consommée et qui ne satisfaisait pas les besoins domestiques. En dehors du milieu rural, la population musulmane était employée dans la manutention et dans l’industrie de transformation.
Les campagnes médicales et sanitaires entreprises par l’autorité coloniale avaient progressivement réduit la mortalité infantile et augmenté l’espérance de vie qui était de 45 ans à la naissance pour les Indigènes et de plus de 60 ans pour les Européens d’Algérie. À terme, cela s’était traduit par un accroissement démographique et une augmentation des besoins alimentaires que l’économie locale traditionnelle ne pouvait satisfaire, pour n’avoir pas pu ou su s’adapter à la situation nouvelle. Le taux de natalité très élevé dans les zones rurales avait aussi provoqué une importante densité de population.
De la pauvreté des terres à la “prolétarisation”
Les terres agricoles, souvent dispersées, restaient dans l’indivision. Elles étaient peu propices au développement technique et à l’innovation à cause du manque de moyens et du poids des traditions : les activités agricoles ont longtemps obéi à un rituel d’où la religiosité n’était pas absente ; de plus, la tenure des terres ne facilitait pas les prises de décision.
La création par les autorités coloniales des Sociétés indigènes de prévoyance (SIP), transformées en Sociétés agricoles de prévoyance (SAP), sortes de coopératives intervenant au moyen de prêts et avances sur semences, n’avait pas atteint les résultats escomptés. L’ethnologue Jean Servier liait la famine à la répartition des terres fertiles ; la responsabilité n'en était attribuée aux notables indigènes, amis de la France, qui avaient bénéficié de cette répartition mais n’avaient pas joué le rôle d’intermédiaires avec les autorités locales. Au contraire, ils ont constitué de véritables remparts entre les Indigènes et l’autorité administrative.
Un autre ethnologue considère que la colonisation a eu pour conséquence l’appauvrissement des populations et la domination politique et sociale des Indigènes. Il se base sur les lois foncières telles qu’elles découlaient du sénatus-consulte de 1863 ou de la loi Warnier de 1873, responsables à ses yeux de “la désagrégation des structures fondamentales de l’économie et de la société”. En effet, Pierre Bourdieu fustige “cette politique agraire (…) qui a facilité la concentration des meilleures terres aux mains des Européens"5. Avec pour conséquence l’apparition d’un “prolétariat rural constituant une réserve de main-d’œuvre à bon marché”. Une autre loi décida que les forêts algériennes seraient propriétés de l’État français : les petits éleveurs furent alors interdits de cet espace traditionnel qui assurait leur subsistance. Il ne restait plus aux Indigènes qu’à rejoindre les grandes villes pour espérer trouver un emploi ou émigrer en France, abandonnant le statut de “cultivateur” qui leur avait été assigné de facto.
Selon Bourdieu, cela s’est traduit par “l’émigration des prolétaires sans ressources et sans racines vers les villes, la destruction de l’unité économique de la famille, l’affaiblissement des solidarités anciennes et des contraintes collectives protectrices de l’ordre agraire, l’essor de l’individualisme économique qui font éclater les cadres communautaires

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