Analyse du livre de Mc Dougall
Pour nous en tenir au milieu notable constantinois, on peut rappeler la figure de « El Hadj Abdallah ». Les cultivés en arabe évoqués par J. Mac Dougall, qui se rangèrent contre la France pendant la première guerre, sous l’oriflamme du pouvoir jeune-turc et de Hadj Guillaume réunis, ne furent pas à coup sûr, pour les Allemands, les recrues les plus importantes, en tout cas ceux qui aient été forcément les plus considérés : le « lieutenant indigène » (comprenons lieutenant de seconde zone, en français colonial) Rabah Boukabouya, issu de la notabilité constantinoise, qui déserta de l’armée française sur le front au printemps 1915, se retrouva à Berlin sous le nom de « El Hadj Abdallah ». Il avait été avant la guerre instituteur dans le système d’enseignement colonial : il était donc, évidemment, francophone. Il fut notamment l’auteur d’un fascicule très diffusé par les Turco-Allemands sur l’Islam dans l’armée française, dont, avec honnêteté, J. Mac Dougall m’a dit avoir retrouvé la trace jusqu’à... Singapour. Et il fut, entre autres choses, chargé d’abondance de haranguer les prisonniers musulmans issus des armées anglaise ou russe, mais principalement française, internés dans le Halbmondlager (le camp du croissant), sis à Zossen, à 40 km au sud de Berlin. Boukabouya, qui était à même de haranguer des Maghrébins dans son dialecte constantinois par eux compréhensible, fut sans doute, à ce titre, bien aussi considérable que le lettré de culture arabe Salah Cherif sur lequel insiste J. Mac Dougall.
S’il a raison de souligner, de manière exemplairement neuve, le rôle de ces exilés, il ne faut sans doute pas plus les imaginer coupés de leur patrie d’origine qu’il ne faut opposer essentiellement les « salafî(s) » du cru aux « évolués » de l’intérieur restés en terrain algérien. Et, pour parfaire le tableau, il faut dire le poids de la socialisation chez les élites citadines, soudées, notamment, pas l’intrication des liens matrimoniaux. L’auteur dit clairement que jamais aucun « salafî » ne fut un thâ’ir (révolutionnaire) ; en cela, un « salafî » ne se distinguait guère de l’ensemble des a‘iyân (notables), fussent-ils des « Jeunes Algériens » à la Ferhat Abbas. Et rappelons que ce dernier, qui figura tant la francisation, avait commencé à écrire en signant « Kemal Abencérage », un nom (Ibn Sarrâj) qui évoquait bien la nostalgie de l’Andalousie perdue. Et que le dirigeant des « Élus », le docteur Mohammed Salah Bendjelloul, ait pu organiser, par souci de di‘âiya (propagande politique) des zarda(s) festives en l’honneur de tel saint populaire, honnies par les « salafî(s) », ne l’arrime pas pour autant au peuple : quoi qu’il pût faire, un médecin appartenait d’emblée à la khâssa. Et même, dans les rangs des « salafî(s) », J. Mac Dougall montre que ces derniers ne formèrent pas un bloc monolithique, même si c’est là plus une idée que le lecteur retire de son texte qu’une démonstration systématique qui en est faite. Il mentionne en tout cas, sous la dénomination générique de « salafî(s) », des personnalités fort différentes.
Le titre même du livre, où figure le terme de « culture » rend en effet bien compte de l’univers de la salafiyya algérienne (en Algérie, on préférait le terme de islâh), incarnée par un Ben Bâdis. Chez ce dernier, dans le triptyque célèbre énonçant l’islamité, l’arabité et la patrie algérienne, on en reste principalement à un ancrage culturaliste islamo-arabe, qui se suffit à lui-même pour aboutir à une définition identitaire, dont la problématique nationale proprement dite ne me paraît qu’à peine amorcée. Avec l’historien « salafî » Mubarak al-Milî, il en va déjà un peu différemment. Mais avec A. T. al-Madanî, on est indiscutablement déjà dans le national, ainsi que l’indique sa fameuse géographie énonçant, et cartographiant l’Algérie en centre du monde ; ou encore sa « guerre de 300 ans entre l’Algérie et l’Espagne 1492-1792 » . Son homologue français Ernest Lavisse n’avait, lui, osé n’en bâtir une que de cent ans pour la France. Toute la fantasmatique origine orientale des Algériens porte, là aussi, bien l’estampille du national, de même que l’édification de la galerie nationale algérienne de portraits, de Jugurtha à l’émir Abd El Kader, qui constitua le symétrique de la galerie nationale française de portraits, de Vercingétorix à Napoléon. Et, ressemblance supplémentaire, un semblable traumatisme originel : une fin cruelle dans une prison de Rome, cela à seulement 58 ans de distance.
Avec A. T. al-Madanî, on est indiscutablement dans ce que Eric Hobsbawm et Terence Ranger dénomment « invention of tradition » . Certes, dans toute « invention of authenticity » (J. Mac Dougall), il y a un fort tissu mythique qui ne peut pas ne pas comporter de contradictions. L’auteur montre remarquablement que, chez A. T. al-Madanî, le statut du substrat berbère est assez flottant : tantôt les Berbères sont dits d’origine sémito-orientale, linguistiquement et même ethniquement, tantôt ils sont campés en vrais Algériens originels. Et, on l’a dit, il fut quelque peu embarrassé par Carthage, à la fois hautement célébrée comme annonciatrice du télos -qui fut le vrai commencement : l’aube islamo-arabe- et infestée des condamnables sacrifices d’enfants. A. T. al-Madanî s’en tire par une pirouette, qui ne peut pas quelque peu entacher sa mythification : la destruction de Carthage, en 146 av. J. C. , est évoquée comme une punition divine émanant du vrai Dieu de la vraie foi en devenir. Pour résumer, tout ne se passa-t-il pas comme si, avec Ben Bâdis, on était bien encore dans la culture, quand, avec A. T. al-Madanî, on est bien davantage dans l’idéologie nationaliste ? Mais c’est là un point de vue que Mac Dougall ne formule pas vraiment, ou seulement par prétérition.
Et toute résistance s’inscrit-elle dans le national ? Tout résistantialisme peut-il être uniment dénommé nationalisme ? L’auteur, nous semble-t-il, utilise « nationalism » et « nation » sans que ces termes recouvrent une réalité vraiment élucidée et stable. On le suivra bien sûr dans son « invention of authenticity » ; mais à quel corpus et à quel espace -spatial, mythique- se rapporte ladite « invented authenticity » ? Il note bien incidemment que les références « nationales » flottent, de l’algéro-algérien au monde arabe, via le Maghreb. A notre sens, un critère opératoire pour authentifier le national, dans la lignée des travaux de l’historien spécialiste de l’Asie du Sud-Est Benedict Anderson , est le degré de sécularisation du sacré. Et, en ce sens, A. T. al-Madanî est bien un ‘âlim moderne, qui bricole et manipule le culturalisme islamo-arabe pour édifier une nouvelle sacralité, celle précisément du national. Les historiens officiels de l’Algérie indépendante, les auteurs des manuels scolaires notamment, n’ont pas en tout retenu ses apports, et ils ne l’ont sans doute guère recherché : il ne s’inscrivait pas, lui, dans la médiocrité culturelle qui fut officiellement et délibérément mise en place. James Mac Dougall note bien au passage l’isolement de A. T. al-Madanî après 1962.
Ceci dit, la résistance, énoncée par des élites exilées, n’empêcha pas bien sûr la permanence des résistances de terrain de 1830 à 1962, certes selon des intensités et des modalités différentes selon les périodes. Et on aimerait mieux comprendre, après avoir lu le livre de J. Mac Dougall, ce que furent les corrélations entre les exhortations extérieures et le terrain, les allers-retours entre intérieur et extérieur. Le discours de l’islâh se met en place en Algérie autour de la première guerre mondiale, puis dans le contexte des luttes politiques des années 20, marquées par le combat politique de l’émir Khaled et l’action du Mouvement des Élus des Musulmans. Est- il indifférent que A. T. Al-Madanî soit en prison (de 1915 à 1918) au moment où se déclenche l’insurrection de l’Aurès-Belezma (1916-1917), qui fut impitoyablement réprimée ? Étant entendu que cette insurrection porta plus la marque d’un patriotisme résistant que d’un nationalisme encore dans les limbes ; et que les bourgeois de village et les jeunes notables ruraux qui l’encadrèrent annoncent l’encadrement du FLN du 1er novembre 1954 : pour nombre d’entre eux, la nation n’était guère dans leur problématique : ils étaient des patriotes, voire des étatistes brûlant de se construire une machinerie de pouvoir -un État- pour satisfaire des ambitions de pouvoir . Ceci dit, il y eut par ailleurs, entre autres au Congrès de la Soummam, puis dans les ministères du GPRA ou à la rédaction du Moudjahid/Mujâhid, des dirigeants et des militants du FLN pour réfléchir à la formation de la nation.
Les historiens savent aujourd’hui que ce sont les nationalistes qui forgent la nation, et non l’inverse. Et on sait, dans les constructions nationales, le rôle souvent joué par les marginaux et les expatriés : comme dans le célèbre Va pensiero ! du chœur des Hébreux, dans le Nabucco de Verdi, l’identité s’exprime dans et par l’exil : c’est bien là la thèse, féconde et stimulante de J. Mac Dougall. Or, jusqu’alors, les historiens de l’Algérie ont principalement étudié l’émigration de travail, la ghurba (l’exil, l’expatriation) en France, sans laquelle il est impossible de comprendre la création de l’Étoile Nord-Africaine, d’où est issu le PPA, apatrié en Algérie à partir de 1937. Le fait de montrer l’importance de la ghurba des élites de culture arabe n’empêche pas que la ghurba de travail a bien été d’une importance historique décisive ; et la place des Kabyles, berbérophones, y est longtemps restée majeure... même si ce fut un Tlemcénien -donc un arabophone- qui en prit très tôt la direction, le za‘îm Messali Hadj. Il fut bien un expatrié, peu profondément cultivé en arabe, certes, mais cela ne l’empêcha pas de devenir aux yeux du peuple algérien l’incarnation de la résistance à la domination coloniale. Il y aurait d’ailleurs à méditer sur le fait qu’une communauté ouvrière très majoritairement berbérophone ait porté à sa tête un compatriote arabophone, qui ne fit, au surplus, que demeurer passagèrement dans la condition ouvrière. (ce qui montre que jamais les Berbères, donc les Kabyles, n'ont eu le moindre souci avec leurs compatriotes arabes quand il s'agissait de l'indépendance du pays, une invention pour diviser qui continue)
Pour nous en tenir au milieu notable constantinois, on peut rappeler la figure de « El Hadj Abdallah ». Les cultivés en arabe évoqués par J. Mac Dougall, qui se rangèrent contre la France pendant la première guerre, sous l’oriflamme du pouvoir jeune-turc et de Hadj Guillaume réunis, ne furent pas à coup sûr, pour les Allemands, les recrues les plus importantes, en tout cas ceux qui aient été forcément les plus considérés : le « lieutenant indigène » (comprenons lieutenant de seconde zone, en français colonial) Rabah Boukabouya, issu de la notabilité constantinoise, qui déserta de l’armée française sur le front au printemps 1915, se retrouva à Berlin sous le nom de « El Hadj Abdallah ». Il avait été avant la guerre instituteur dans le système d’enseignement colonial : il était donc, évidemment, francophone. Il fut notamment l’auteur d’un fascicule très diffusé par les Turco-Allemands sur l’Islam dans l’armée française, dont, avec honnêteté, J. Mac Dougall m’a dit avoir retrouvé la trace jusqu’à... Singapour. Et il fut, entre autres choses, chargé d’abondance de haranguer les prisonniers musulmans issus des armées anglaise ou russe, mais principalement française, internés dans le Halbmondlager (le camp du croissant), sis à Zossen, à 40 km au sud de Berlin. Boukabouya, qui était à même de haranguer des Maghrébins dans son dialecte constantinois par eux compréhensible, fut sans doute, à ce titre, bien aussi considérable que le lettré de culture arabe Salah Cherif sur lequel insiste J. Mac Dougall.
S’il a raison de souligner, de manière exemplairement neuve, le rôle de ces exilés, il ne faut sans doute pas plus les imaginer coupés de leur patrie d’origine qu’il ne faut opposer essentiellement les « salafî(s) » du cru aux « évolués » de l’intérieur restés en terrain algérien. Et, pour parfaire le tableau, il faut dire le poids de la socialisation chez les élites citadines, soudées, notamment, pas l’intrication des liens matrimoniaux. L’auteur dit clairement que jamais aucun « salafî » ne fut un thâ’ir (révolutionnaire) ; en cela, un « salafî » ne se distinguait guère de l’ensemble des a‘iyân (notables), fussent-ils des « Jeunes Algériens » à la Ferhat Abbas. Et rappelons que ce dernier, qui figura tant la francisation, avait commencé à écrire en signant « Kemal Abencérage », un nom (Ibn Sarrâj) qui évoquait bien la nostalgie de l’Andalousie perdue. Et que le dirigeant des « Élus », le docteur Mohammed Salah Bendjelloul, ait pu organiser, par souci de di‘âiya (propagande politique) des zarda(s) festives en l’honneur de tel saint populaire, honnies par les « salafî(s) », ne l’arrime pas pour autant au peuple : quoi qu’il pût faire, un médecin appartenait d’emblée à la khâssa. Et même, dans les rangs des « salafî(s) », J. Mac Dougall montre que ces derniers ne formèrent pas un bloc monolithique, même si c’est là plus une idée que le lecteur retire de son texte qu’une démonstration systématique qui en est faite. Il mentionne en tout cas, sous la dénomination générique de « salafî(s) », des personnalités fort différentes.
Le titre même du livre, où figure le terme de « culture » rend en effet bien compte de l’univers de la salafiyya algérienne (en Algérie, on préférait le terme de islâh), incarnée par un Ben Bâdis. Chez ce dernier, dans le triptyque célèbre énonçant l’islamité, l’arabité et la patrie algérienne, on en reste principalement à un ancrage culturaliste islamo-arabe, qui se suffit à lui-même pour aboutir à une définition identitaire, dont la problématique nationale proprement dite ne me paraît qu’à peine amorcée. Avec l’historien « salafî » Mubarak al-Milî, il en va déjà un peu différemment. Mais avec A. T. al-Madanî, on est indiscutablement déjà dans le national, ainsi que l’indique sa fameuse géographie énonçant, et cartographiant l’Algérie en centre du monde ; ou encore sa « guerre de 300 ans entre l’Algérie et l’Espagne 1492-1792 » . Son homologue français Ernest Lavisse n’avait, lui, osé n’en bâtir une que de cent ans pour la France. Toute la fantasmatique origine orientale des Algériens porte, là aussi, bien l’estampille du national, de même que l’édification de la galerie nationale algérienne de portraits, de Jugurtha à l’émir Abd El Kader, qui constitua le symétrique de la galerie nationale française de portraits, de Vercingétorix à Napoléon. Et, ressemblance supplémentaire, un semblable traumatisme originel : une fin cruelle dans une prison de Rome, cela à seulement 58 ans de distance.
Avec A. T. al-Madanî, on est indiscutablement dans ce que Eric Hobsbawm et Terence Ranger dénomment « invention of tradition » . Certes, dans toute « invention of authenticity » (J. Mac Dougall), il y a un fort tissu mythique qui ne peut pas ne pas comporter de contradictions. L’auteur montre remarquablement que, chez A. T. al-Madanî, le statut du substrat berbère est assez flottant : tantôt les Berbères sont dits d’origine sémito-orientale, linguistiquement et même ethniquement, tantôt ils sont campés en vrais Algériens originels. Et, on l’a dit, il fut quelque peu embarrassé par Carthage, à la fois hautement célébrée comme annonciatrice du télos -qui fut le vrai commencement : l’aube islamo-arabe- et infestée des condamnables sacrifices d’enfants. A. T. al-Madanî s’en tire par une pirouette, qui ne peut pas quelque peu entacher sa mythification : la destruction de Carthage, en 146 av. J. C. , est évoquée comme une punition divine émanant du vrai Dieu de la vraie foi en devenir. Pour résumer, tout ne se passa-t-il pas comme si, avec Ben Bâdis, on était bien encore dans la culture, quand, avec A. T. al-Madanî, on est bien davantage dans l’idéologie nationaliste ? Mais c’est là un point de vue que Mac Dougall ne formule pas vraiment, ou seulement par prétérition.
Et toute résistance s’inscrit-elle dans le national ? Tout résistantialisme peut-il être uniment dénommé nationalisme ? L’auteur, nous semble-t-il, utilise « nationalism » et « nation » sans que ces termes recouvrent une réalité vraiment élucidée et stable. On le suivra bien sûr dans son « invention of authenticity » ; mais à quel corpus et à quel espace -spatial, mythique- se rapporte ladite « invented authenticity » ? Il note bien incidemment que les références « nationales » flottent, de l’algéro-algérien au monde arabe, via le Maghreb. A notre sens, un critère opératoire pour authentifier le national, dans la lignée des travaux de l’historien spécialiste de l’Asie du Sud-Est Benedict Anderson , est le degré de sécularisation du sacré. Et, en ce sens, A. T. al-Madanî est bien un ‘âlim moderne, qui bricole et manipule le culturalisme islamo-arabe pour édifier une nouvelle sacralité, celle précisément du national. Les historiens officiels de l’Algérie indépendante, les auteurs des manuels scolaires notamment, n’ont pas en tout retenu ses apports, et ils ne l’ont sans doute guère recherché : il ne s’inscrivait pas, lui, dans la médiocrité culturelle qui fut officiellement et délibérément mise en place. James Mac Dougall note bien au passage l’isolement de A. T. al-Madanî après 1962.
Ceci dit, la résistance, énoncée par des élites exilées, n’empêcha pas bien sûr la permanence des résistances de terrain de 1830 à 1962, certes selon des intensités et des modalités différentes selon les périodes. Et on aimerait mieux comprendre, après avoir lu le livre de J. Mac Dougall, ce que furent les corrélations entre les exhortations extérieures et le terrain, les allers-retours entre intérieur et extérieur. Le discours de l’islâh se met en place en Algérie autour de la première guerre mondiale, puis dans le contexte des luttes politiques des années 20, marquées par le combat politique de l’émir Khaled et l’action du Mouvement des Élus des Musulmans. Est- il indifférent que A. T. Al-Madanî soit en prison (de 1915 à 1918) au moment où se déclenche l’insurrection de l’Aurès-Belezma (1916-1917), qui fut impitoyablement réprimée ? Étant entendu que cette insurrection porta plus la marque d’un patriotisme résistant que d’un nationalisme encore dans les limbes ; et que les bourgeois de village et les jeunes notables ruraux qui l’encadrèrent annoncent l’encadrement du FLN du 1er novembre 1954 : pour nombre d’entre eux, la nation n’était guère dans leur problématique : ils étaient des patriotes, voire des étatistes brûlant de se construire une machinerie de pouvoir -un État- pour satisfaire des ambitions de pouvoir . Ceci dit, il y eut par ailleurs, entre autres au Congrès de la Soummam, puis dans les ministères du GPRA ou à la rédaction du Moudjahid/Mujâhid, des dirigeants et des militants du FLN pour réfléchir à la formation de la nation.
Les historiens savent aujourd’hui que ce sont les nationalistes qui forgent la nation, et non l’inverse. Et on sait, dans les constructions nationales, le rôle souvent joué par les marginaux et les expatriés : comme dans le célèbre Va pensiero ! du chœur des Hébreux, dans le Nabucco de Verdi, l’identité s’exprime dans et par l’exil : c’est bien là la thèse, féconde et stimulante de J. Mac Dougall. Or, jusqu’alors, les historiens de l’Algérie ont principalement étudié l’émigration de travail, la ghurba (l’exil, l’expatriation) en France, sans laquelle il est impossible de comprendre la création de l’Étoile Nord-Africaine, d’où est issu le PPA, apatrié en Algérie à partir de 1937. Le fait de montrer l’importance de la ghurba des élites de culture arabe n’empêche pas que la ghurba de travail a bien été d’une importance historique décisive ; et la place des Kabyles, berbérophones, y est longtemps restée majeure... même si ce fut un Tlemcénien -donc un arabophone- qui en prit très tôt la direction, le za‘îm Messali Hadj. Il fut bien un expatrié, peu profondément cultivé en arabe, certes, mais cela ne l’empêcha pas de devenir aux yeux du peuple algérien l’incarnation de la résistance à la domination coloniale. Il y aurait d’ailleurs à méditer sur le fait qu’une communauté ouvrière très majoritairement berbérophone ait porté à sa tête un compatriote arabophone, qui ne fit, au surplus, que demeurer passagèrement dans la condition ouvrière. (ce qui montre que jamais les Berbères, donc les Kabyles, n'ont eu le moindre souci avec leurs compatriotes arabes quand il s'agissait de l'indépendance du pays, une invention pour diviser qui continue)
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