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YASMINA KHADRA, ÉCRIVAIN
“Le changement ne pourrait venir que des peuples libres”
uteur à succès planétaire, ses romans sont traduits dans une cinquantaine de langues. Il est l’un des romanciers les plus lus au monde. Yasmina Khadra est un écrivain qui cultive la tolérance et forge inlassablement l’esprit d’ouverture dans un monde de plus en plus travaillé par des replis sclérosants. C’est un intellectuel qui secoue tranquillement le monde. Un monde qu’il rêve en “maison commune. Quel magnifique projet…”. Confiné par nature, le plus prolifique des écrivains se confie à Liberté pour livrer ses impressions sur un monde paralysé par un virus invisible. “Le châtiment qui nous frappe, avec cette pandémie, est un ultimatum. Si nous refusons de nous assagir, Dame Nature éteindra notre espèce”, résume-t-il. De son pays, il dit tout le bien du monde, mais aussi tout le mal qu’on lui a infligé. “L’Algérie sera grande ou ne sera pas”, jure-t-il. Du règne de Bouteflika, il dresse un portrait des plus sévères et appelle à revoir la copie du Système. “Je l’ai vécu comme tout Algérien conscient des périls qui guettent sa patrie et de l’impérative nécessité de revoir la copie d’un système hérité des califes de l’apocalypse depuis des décennies et rendu hautement toxique par le Gang de la Momie (…) Bouteflika n’a pas seulement ruiné le pays, il a ruiné les mœurs et les esprits et corrompu les consciences et les zaouïas (...)” Yasmina Khadra clôt la conversation sur la disparition du célèbre artiste Idir : “Il représente tout ce que l’Algérie réclame à cor et à cri : la fierté d’exister.”
Comment Yasmina Khadra vit le confinement imposé par la crise sanitaire ; comme un enfermement ou un ressourcement ?
Yasmina Khadra : L’écrivain est un confiné naturel. Comme le peintre ou le compositeur. Il m’arrive de passer des heures interminables emmuré chez moi, à me battre avec un texte. Je suis plutôt casanier depuis que je vis à Paris. La grisaille et le stress contagieux de la métropole y sont pour quelque chose. Mais lorsque le confinement devient une contrainte, l’enfermement supplante le ressourcement. En tous les cas, c’est comme cela que je le perçois au quotidien, depuis l’avènement de la pandémie. Au début, j’ai accusé le coup avec une certaine désinvolture. Je croyais pouvoir gérer. Puis, j’ai commencé à suffoquer. Rien n’est plus pareil, désormais. Ni les attentes ni les petites habitudes.
Et on a du mal à le tolérer. Avant, lorsque je me retranchais dans un roman en chantier, je pouvais me permettre des pauses, sortir savourer un expresso au café du coin, acheter le journal et marcher un peu, histoire de me dégourdir les jambes et l’esprit. Le Covid-19 m’a confisqué ces petites libertés si précieuses à mon équilibre et à mon ressourcement. C’est à partir de cet “arbitraire” que les choses se compliquent. On s’angoisse, on se demande à quand l’embellie et on s’aperçoit combien tout est remis en question sans qu’il y ait la moindre possibilité d’une réponse à l’horizon. C’est dur, mais il faut faire avec. Car nous l’avons bien cherché.
Cette pandémie est un cinglant rappel à l’ordre. Dame Nature met l’Humanité aux arrêts, sans fixer la date de la levée d’écrou. Elle nous bâillonne pour qu’elle s’entende vivre. Rarement le ciel n’a été aussi limpide, et la mer aussi heureuse d’être rendue à sa faune, et les forêts si chargées de quiétude.
Le confinement physique conduit-il au confinement des esprits et des idées ou, au contraire, provoque-t-il une libération des idées ?
En tous les cas, il donne à réfléchir. Et très sérieusement. Je le vois comme une sorte d’arrêt sur image qui nous met face à nos méfaits. Cette pandémie s’est manifestée au bon moment. Depuis quelques années, l’Humanité accélère ses dérives. Les guerres s’encordent aux guerres, les extrémismes dégénèrent, les crises économiques déstabilisent les nations et l’Homme ne sait où donner de la tête. Le profit s’autorise tous les crimes : déforestation, corruption, pollution, complots, génocides, tyrannies, courses à l’armement nucléaire.
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YASMINA KHADRA, ÉCRIVAIN
“Le changement ne pourrait venir que des peuples libres”
uteur à succès planétaire, ses romans sont traduits dans une cinquantaine de langues. Il est l’un des romanciers les plus lus au monde. Yasmina Khadra est un écrivain qui cultive la tolérance et forge inlassablement l’esprit d’ouverture dans un monde de plus en plus travaillé par des replis sclérosants. C’est un intellectuel qui secoue tranquillement le monde. Un monde qu’il rêve en “maison commune. Quel magnifique projet…”. Confiné par nature, le plus prolifique des écrivains se confie à Liberté pour livrer ses impressions sur un monde paralysé par un virus invisible. “Le châtiment qui nous frappe, avec cette pandémie, est un ultimatum. Si nous refusons de nous assagir, Dame Nature éteindra notre espèce”, résume-t-il. De son pays, il dit tout le bien du monde, mais aussi tout le mal qu’on lui a infligé. “L’Algérie sera grande ou ne sera pas”, jure-t-il. Du règne de Bouteflika, il dresse un portrait des plus sévères et appelle à revoir la copie du Système. “Je l’ai vécu comme tout Algérien conscient des périls qui guettent sa patrie et de l’impérative nécessité de revoir la copie d’un système hérité des califes de l’apocalypse depuis des décennies et rendu hautement toxique par le Gang de la Momie (…) Bouteflika n’a pas seulement ruiné le pays, il a ruiné les mœurs et les esprits et corrompu les consciences et les zaouïas (...)” Yasmina Khadra clôt la conversation sur la disparition du célèbre artiste Idir : “Il représente tout ce que l’Algérie réclame à cor et à cri : la fierté d’exister.”
Comment Yasmina Khadra vit le confinement imposé par la crise sanitaire ; comme un enfermement ou un ressourcement ?
Yasmina Khadra : L’écrivain est un confiné naturel. Comme le peintre ou le compositeur. Il m’arrive de passer des heures interminables emmuré chez moi, à me battre avec un texte. Je suis plutôt casanier depuis que je vis à Paris. La grisaille et le stress contagieux de la métropole y sont pour quelque chose. Mais lorsque le confinement devient une contrainte, l’enfermement supplante le ressourcement. En tous les cas, c’est comme cela que je le perçois au quotidien, depuis l’avènement de la pandémie. Au début, j’ai accusé le coup avec une certaine désinvolture. Je croyais pouvoir gérer. Puis, j’ai commencé à suffoquer. Rien n’est plus pareil, désormais. Ni les attentes ni les petites habitudes.
Et on a du mal à le tolérer. Avant, lorsque je me retranchais dans un roman en chantier, je pouvais me permettre des pauses, sortir savourer un expresso au café du coin, acheter le journal et marcher un peu, histoire de me dégourdir les jambes et l’esprit. Le Covid-19 m’a confisqué ces petites libertés si précieuses à mon équilibre et à mon ressourcement. C’est à partir de cet “arbitraire” que les choses se compliquent. On s’angoisse, on se demande à quand l’embellie et on s’aperçoit combien tout est remis en question sans qu’il y ait la moindre possibilité d’une réponse à l’horizon. C’est dur, mais il faut faire avec. Car nous l’avons bien cherché.
Cette pandémie est un cinglant rappel à l’ordre. Dame Nature met l’Humanité aux arrêts, sans fixer la date de la levée d’écrou. Elle nous bâillonne pour qu’elle s’entende vivre. Rarement le ciel n’a été aussi limpide, et la mer aussi heureuse d’être rendue à sa faune, et les forêts si chargées de quiétude.
Le confinement physique conduit-il au confinement des esprits et des idées ou, au contraire, provoque-t-il une libération des idées ?
En tous les cas, il donne à réfléchir. Et très sérieusement. Je le vois comme une sorte d’arrêt sur image qui nous met face à nos méfaits. Cette pandémie s’est manifestée au bon moment. Depuis quelques années, l’Humanité accélère ses dérives. Les guerres s’encordent aux guerres, les extrémismes dégénèrent, les crises économiques déstabilisent les nations et l’Homme ne sait où donner de la tête. Le profit s’autorise tous les crimes : déforestation, corruption, pollution, complots, génocides, tyrannies, courses à l’armement nucléaire.
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