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Mon chemin vers Staline, par Youri Belov
Un texte fondamental pour comprendre pourquoi 70% des Russes regrettent l’Union soviétique et pourquoi Staline est plébiscité par eux comme le plus grand homme de tous les temps depuis quelques années et les opinions continuent à monter dans ce sens. Non les Russes ne sont pas des gens particuliers ayant un goût immodéré pour les despotes, mais voilà l’expérience qu’ils ont faite et leur évolution vers cette opinion. Non ce n’est pas Poutine qui imposerait le culte de Staline, d’un côté il est vrai qu’il le préfère à Lénine qui selon lui aurait divisé l’empire russe, mais ses alliés directs ne cessent au contraire de combattre l’URSS et Staline aussi bien que Lénine, le thème du goulag est moins fréquent que celui des magasins vides, mais il est utilisé. Non si Poutine doit montrer un certain respect pour l’URSS c’est en suivant l’opinion publique. Ici c’est quelqu’un d’âgé qui décrit le vécu de la déstalinisation et après la fin de l’URSS, une vision différente… Mais ce qui est frappant c’est qu’après une période marquée par la différence entre ceux qui avaient vécu l’URSS et la jeunesse, nous assistons à l’engouement de la jeunesse pour l’histoire et un intérêt renouvelé pour l’URSS et Staline. A lire pour comprendre, imbéciles convaincus de tout savoir après excès de BMFTV, passez votre chemin (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
Je suis de la dernière génération stalinienne. Quand, en 1961, Nikita Khrouchtchev «a dénoncé le culte de la personnalité» du grand dirigeant soviétique, ce dont nous parlerons plus bas, j’avais dix-sept ans (1). On aurait pu imaginer que l’esprit de l’éducation stalinienne demeurerait inébranlable en moi, ainsi que chez les gens de ma génération. Hélas, des doutes sur la légitimité historique de Staline m’ont rendu visite plus d’une fois et, d’ailleurs, je ne suis pas le seul. A ma grande honte, je dois avouer que cela s’est surtout produit pendant les années de la maudite perestroïka de Gorbatchev.
Un coup asséné contre ce que j’avais de plus cher dans ma jeunesse
Staline est entré dans mon âme d’enfant pendant les années de la Seconde Guerre mondiale. Il ne serait pas exagéré de dire qu’il était aimé de tout le monde comme un membre de la famille, et son nom était synonyme de foi en la victoire de notre patrie soviétique.
Ma famille a été évacuée de Leningrad assiégée vers la ville de Molotov (aujourd’hui Perm), où ma mère devint contremaître dans un atelier de couture où l’on recevait du front les uniformes des blessés pour qu’ils soient remis en état et renvoyés au front. Je me souviens qu’un jour ma mère est rentrée du travail avec un portrait de Staline. Il a été placé entre deux fenêtres de la petite pièce dans laquelle vivaient six personnes: notre mère et ses cinq enfants. Chaque matin, quand je me réveillais, je regardais le demi-profil stalinien plissant des yeux gentils et sages. Staline était alors pour nous, comme Pouchkine: notre tout. Bien sûr, nous ne connaissions pas ces mots ni ne prononcions de tels mots, mais nous sentions quelque chose de grand et de fort dans le mot «Staline».
Les années d’adolescence dans l’après-guerre se sont envolées rapidement. Imperceptiblement, nous sommes entrés dans notre jeunesse. Nous traitions Staline comme un père, strict, exigeant mais toujours juste et bon. Ni moi ni aucun de mes camarades et amis n’ont jamais pensé qu’un jour Staline ne serait plus avec nous.
Cependant, la vie suivait son cours normal, devenant plus lumineuse et plus heureuse. On se souvenait de plus en rarement de la faim des années de guerre et de la disette des années d’après-guerre. Enfants des vainqueurs, nous croyions fermement en notre heureux avenir. Nous étions vêtus plus que modestement. Une nouvelle chemise, un pantalon ou une jupe était un événement joyeux dans nos vies. Et de tels événements se produisaient de plus en plus souvent. Nous pouvions manger du pain blanc et du beurre tous les jours! Les graves pertes de la guerre – la mort de pères et de proches au front – n’avaient pas été oubliées, mais étaient estompées. Nous avons cru en nous – nous avions avec nous Staline, inflexible, invincible. La radio diffusait de la musique classique et des textes littéraires russes et soviétiques. On y célébrait le pays, le peuple, le Parti et Staline. Tout cela constituait pour nous une unité organique. Et soudain, cette unité a vacillé: dans les premiers jours de mars 1953, des informations alarmantes sur la maladie de Joseph Vissarionovitch Staline nous sont venues de la radio, et le 5 mars la radio a annoncé sa mort. Cette nouvelle m’a trouvé dans la ville de Kalinovka, région de Vinnitsa. Dans les premiers jours après la mort de Staline, j’ai découvert ce qu’est la douleur d’un peuple: des vieillards et des femmes pleuraient; des anciens combattants retenaient à peine leurs larmes. Beaucoup plus tard, en 1961, Alexandre Tvardovski, mieux que quiconque, a exprimé l’attitude du peuple soviétique envers Staline. Seuls les ennemis haineux du pouvoir soviétique, de tout ce qui est soviétique peuvent contester ces vers du poète:
Nous l’appelions (à quoi bon mentir)
Père dans notre pays-famille.
Il n’y a rien à retrancher ni ajouter, –
C’était ainsi sur notre terre.
Mon chemin vers Staline, par Youri Belov
Un texte fondamental pour comprendre pourquoi 70% des Russes regrettent l’Union soviétique et pourquoi Staline est plébiscité par eux comme le plus grand homme de tous les temps depuis quelques années et les opinions continuent à monter dans ce sens. Non les Russes ne sont pas des gens particuliers ayant un goût immodéré pour les despotes, mais voilà l’expérience qu’ils ont faite et leur évolution vers cette opinion. Non ce n’est pas Poutine qui imposerait le culte de Staline, d’un côté il est vrai qu’il le préfère à Lénine qui selon lui aurait divisé l’empire russe, mais ses alliés directs ne cessent au contraire de combattre l’URSS et Staline aussi bien que Lénine, le thème du goulag est moins fréquent que celui des magasins vides, mais il est utilisé. Non si Poutine doit montrer un certain respect pour l’URSS c’est en suivant l’opinion publique. Ici c’est quelqu’un d’âgé qui décrit le vécu de la déstalinisation et après la fin de l’URSS, une vision différente… Mais ce qui est frappant c’est qu’après une période marquée par la différence entre ceux qui avaient vécu l’URSS et la jeunesse, nous assistons à l’engouement de la jeunesse pour l’histoire et un intérêt renouvelé pour l’URSS et Staline. A lire pour comprendre, imbéciles convaincus de tout savoir après excès de BMFTV, passez votre chemin (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop)
Je suis de la dernière génération stalinienne. Quand, en 1961, Nikita Khrouchtchev «a dénoncé le culte de la personnalité» du grand dirigeant soviétique, ce dont nous parlerons plus bas, j’avais dix-sept ans (1). On aurait pu imaginer que l’esprit de l’éducation stalinienne demeurerait inébranlable en moi, ainsi que chez les gens de ma génération. Hélas, des doutes sur la légitimité historique de Staline m’ont rendu visite plus d’une fois et, d’ailleurs, je ne suis pas le seul. A ma grande honte, je dois avouer que cela s’est surtout produit pendant les années de la maudite perestroïka de Gorbatchev.
Un coup asséné contre ce que j’avais de plus cher dans ma jeunesse
Staline est entré dans mon âme d’enfant pendant les années de la Seconde Guerre mondiale. Il ne serait pas exagéré de dire qu’il était aimé de tout le monde comme un membre de la famille, et son nom était synonyme de foi en la victoire de notre patrie soviétique.
Ma famille a été évacuée de Leningrad assiégée vers la ville de Molotov (aujourd’hui Perm), où ma mère devint contremaître dans un atelier de couture où l’on recevait du front les uniformes des blessés pour qu’ils soient remis en état et renvoyés au front. Je me souviens qu’un jour ma mère est rentrée du travail avec un portrait de Staline. Il a été placé entre deux fenêtres de la petite pièce dans laquelle vivaient six personnes: notre mère et ses cinq enfants. Chaque matin, quand je me réveillais, je regardais le demi-profil stalinien plissant des yeux gentils et sages. Staline était alors pour nous, comme Pouchkine: notre tout. Bien sûr, nous ne connaissions pas ces mots ni ne prononcions de tels mots, mais nous sentions quelque chose de grand et de fort dans le mot «Staline».
Les années d’adolescence dans l’après-guerre se sont envolées rapidement. Imperceptiblement, nous sommes entrés dans notre jeunesse. Nous traitions Staline comme un père, strict, exigeant mais toujours juste et bon. Ni moi ni aucun de mes camarades et amis n’ont jamais pensé qu’un jour Staline ne serait plus avec nous.
Cependant, la vie suivait son cours normal, devenant plus lumineuse et plus heureuse. On se souvenait de plus en rarement de la faim des années de guerre et de la disette des années d’après-guerre. Enfants des vainqueurs, nous croyions fermement en notre heureux avenir. Nous étions vêtus plus que modestement. Une nouvelle chemise, un pantalon ou une jupe était un événement joyeux dans nos vies. Et de tels événements se produisaient de plus en plus souvent. Nous pouvions manger du pain blanc et du beurre tous les jours! Les graves pertes de la guerre – la mort de pères et de proches au front – n’avaient pas été oubliées, mais étaient estompées. Nous avons cru en nous – nous avions avec nous Staline, inflexible, invincible. La radio diffusait de la musique classique et des textes littéraires russes et soviétiques. On y célébrait le pays, le peuple, le Parti et Staline. Tout cela constituait pour nous une unité organique. Et soudain, cette unité a vacillé: dans les premiers jours de mars 1953, des informations alarmantes sur la maladie de Joseph Vissarionovitch Staline nous sont venues de la radio, et le 5 mars la radio a annoncé sa mort. Cette nouvelle m’a trouvé dans la ville de Kalinovka, région de Vinnitsa. Dans les premiers jours après la mort de Staline, j’ai découvert ce qu’est la douleur d’un peuple: des vieillards et des femmes pleuraient; des anciens combattants retenaient à peine leurs larmes. Beaucoup plus tard, en 1961, Alexandre Tvardovski, mieux que quiconque, a exprimé l’attitude du peuple soviétique envers Staline. Seuls les ennemis haineux du pouvoir soviétique, de tout ce qui est soviétique peuvent contester ces vers du poète:
Nous l’appelions (à quoi bon mentir)
Père dans notre pays-famille.
Il n’y a rien à retrancher ni ajouter, –
C’était ainsi sur notre terre.
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