Conférence d'Yves Ubelmann, président et fondateur d'ICONEM au Musée L le jeudi 20 février 2020.
Iconem : quand une start-up française fait revivre en 3D le patrimoine détruit par Daech
La destruction de la cité antique de Palmyre par Daech a révélé au grand public l'un des joyaux archéologiques syriens, mais aussi le travail d'une start-up française, Iconem, qui a entrepris depuis plusieurs mois de photographier et de reproduire en 3D le patrimoine menacé en Syrie. Nous sommes allés à la rencontre de ses co-fondateurs, l'architecte Yves Ubelmann et le pilote Philippe Barthelemy, dans leurs bureaux parisiens devenus trop étroits. Récit d'un voyage virtuel au coeur des plus belles cités antiques.
Rien ne prédestinait Yves Ubelmann, architecte de formation spécialisé dans la représentation et la documentation des sites archéologiques, et Philippe Barthelemy, ancien pilote d'avion et d'hélicoptère, à travailler ensemble. Pourtant, les deux hommes sont aujourd'hui à la tête d'une start-up unique au monde : Iconem.
Leur ambition : préserver la connaissance du patrimoine menacé en utilisant des technologies innovantes, dont la prise de vue aérienne par drone et la modélisation en 3D, grâce à des algorithmes inédits. Une technologie que la start-up française est aujourd'hui la seule au monde à exploiter. "Il existe une fondation américaine qui, dans le même esprit, fait de la numération du patrimoine", explique Yves Ubelmann, "mais n'a pas du tout accès aux mêmes sites." "Comme on est constitués comme une start-up, on est assez souples et assez rapides et on peut aller très vite dans certains endroits. Dans des pays comme l'Irak, l'Afghanistan et la Syrie, nous nous retrouvons ainsi toujours les premiers à pouvoir agir", poursuit l'architecte.
L'aventure commence alors qu'Yves est encore étudiant et s'intéresse à la documentation de l'archéologie. "En tant qu'architecte, on est souvent utile dans un chantier de fouilles parce qu'on peut dessiner ce que les archéologues trouvent pour pouvoir interpréter les structures", explique-t-il. Ses études terminées, il travaille beaucoup en Italie et au Proche-Orient (Syrie, Iran, Afghanistan, Pakistan...) en tant qu'architecte indépendant. Il observe à cette époque que beaucoup de sites archéologiques sont assez peu connus et donc peu documentés, surtout dans des régions peu accessibles, et constate qu'ils se dégradent, pour plusieurs raisons, mais surtout du fait de l'explosion démographique et de la construction d'infrastructures. "Il y avait vraiment une accélération de la dégradation de ces sites et il n'existait quasiment aucune documentation. Aucun organisme, à l'échelle internationale, ne s'inquiétait de ce type de problème. C'est donc autour de cette problématique que j'ai commencé à réfléchir au départ."
Mais l'architecte est vite confronté aux limites des méthodes traditionnelles de relevés et se tourne alors vers les nouvelles technologies de représentation. Parmi ces techniques, la photogrammétrie qui permet, à partir d'un certain nombre d'images, de reproduire un modèle en trois dimensions. Il lance avec un chercheur, Jean Pons, une première mission en Afghanistan, sur un site archéologique appelé à disparaître car situé sur une mine de cuivre, et demande à ami photographe, Raphaël Dellaporta, de réaliser des prises de vues aériennes. "Il a donc bricolé un drone. Il ne volait donc pas très bien mais il nous permettait d'avoir des photos aériennes."
2010 : LA RENCONTRE
C'est à cette époque qu'Yves rencontre Philippe Barthelemy. Pilote d'avion et d'hélicoptère, Philippe a dû cesser son activité pour des raisons médicales. "A l'époque, il y a 10 ans, je me suis intéressé aux drones, qui étaient alors une technologie émergente mais déjà appelée à prendre de la place dans les pratiques. Les premiers travaux réalisés avec des drones étaient surtout pour la télévision, le cinéma. C'est donc sur cette voie que j'ai commencé."
En 2010, il aide donc la mission à obtenir un drone qui fonctionne. "Cette première mission a été un beau succès", se souvient Yves. "Nous avons vraiment pu reconstruire de manière très précise, en 3D, les différents sites sur lesquels on est allés." Une mission qui fait naître dans l'esprit d'Yves l'idée de fonder une start-up : il se rend compte que cette technologie répond à beaucoup de problématiques, pas seulement dans le domaine de l'archéologie.
NAISSANCE D'UNE START-UP
Avec Yves, nous nous sommes entendus sur l'idée d'entrer dans un incubateur et de travailler ensemble sur ce projet", explique Philippe. Ils sont alors accueillis par Agoranov, qui leur permet de construire leur projet et de connaître tous les dispositifs qui, en France, permettent d'aider ce type de projet. "Quand on a décidé de monter une entreprise, notre objectif était de trouver le vecteur qui nous permettrait le plus rapidement de mener à bien notre projet. Or, il se trouve qu'on a en France, dans le domaine de l'innovation et des start-up, un climat assez favorable avec beaucoup de soutien, des aides, un écosystème à Paris", explique Yves. "Il y a beaucoup de dispositifs en faveur de l'innovation et ça nous a aidés à démarrer", reconnaît l'architecte.
Les deux associés décident de ne pas se tourner vers l'industrie mais de rester sur le terrain de l'expérimentation. En 2015, ils lèvent ainsi des fonds auprès de Parrot, entreprise française qui innove dans le domaine des drones et qui a une stratégie de croissance externe. Ils négocient que ce fonds ne serve pas seulement au développement commercial de la start-up mais également à réaliser de nouvelles acquisitions de sites archéologiques. "C'est aussi cette levée de fonds qui nous permet aujourd'hui de financer des missions comme celle réalisée en Syrie. Syrian Heritage, un projet entièrement "non profit", mais nous pensons important de le réaliser, et le plus vite possible."
"En France, on se sent soutenu en tant qu'entrepreneur, surtout si on est sur les nouvelles technologies, également parce qu'on a un écosystème scientifique riche avec lequel on a beaucoup collaboré comme l'Inria, l'ENS", précise Yves. "Toutes ces institutions nous ont aidés à être à la pointe des techniques et on espère pouvoir continuer dans cette logique de développement, constant car nous faisons beaucoup de R&D."
Le projet Syrian Heritage
C'est ce projet qui a fait récemment connaître la start-up au grand public, à la suite de la destruction d'une partie du site de Palmyre et de son musée par Daech. Mais l'équipe travaille depuis longtemps en Syrie. Yves, y a ainsi travaillé de 2006 à 2009, avec des scientifiques syriens, et y a gardé des contacts. "En tant que scientifiques, ils se sont sentis assez abandonnés en 2012-2013 par toute une communauté internationale qui avait été très présente et amenait des capitaux pour le patrimoine syrien. Auparavant, énormément d'archéologues et d'architectes venaient en Syrie pour faire des études, et du jour au lendemain : plus rien. Au moment où, en pleine crise, ils avaient vraiment besoin de support pour protéger et documenter le patrimoine. Il nous a semblé évident qu'il fallait les aider."
Temple of Bel
Iconem décide alors de leur proposer un support technologique, de manière entièrement bénévole, en travaillant le soir et le week-end. Ils se heurtent de plus à la difficulté de se rendre sur place, le pays étant sous embargo et ayant rompu ses relations diplomatiques avec la France. Pendant plus d'un an, l'équipe travaille à distance, récupérant les images prises sur place et construisant depuis la France les modèles que les architectes syriens peuvent ensuite utiliser. Les archéologues syriens décident ensuite de les inviter officiellement pour une formation à la photogrammétrie. Yves se rend en Syrie en décembre 2015, pour une première session de formation et pour récolter quelques premières données.
En avril 2016, Yves et Philippe sont une nouvelle fois invités, au moment du départ de Daech de Palmyre. Ils font alors un relevé très précis du site en l'état, pour pouvoir localiser les dégradations, et reviennent en France avec 20 000 images sur le musée et sur le site lui-même. Sur cette base, l'équipe effectue aujourd'hui un travail très rigoureux et très scientifique sur ces données pour pouvoir offrir aux archéologues et aux experts internationaux, notamment de l'Unesco, un fonds documentaire le plus précis possible leur permettant de réfléchir à l'avenir du site, au type de rénovation à adopter. "Sur la base de l'analyse des blocs, il est possible de savoir très précisément d'où provenait un bloc lorsque l'édifice était encore debout, de faire des liens entre les blocs, et donc, si on a assez de blocs, reconstituer le phénomène d'explosion", explique Yves.
LA NUMÉRISATION DU PATRIMOINE : UN ENJEU MONDIAL
Yves Ubelmann et Philippe Barthelemy n'ont de cesse de le rappeler : la numérisation du patrimoine archéologique est un enjeu mondial. "Beaucoup de gouvernements prennent d'ailleurs conscience que c'est un enjeu d'avenir, de valorisation du pays", explique Yves. Iconem travaille ainsi pour le gouvernement afghan, aidé par la Banque mondiale, sur des gros projets de numérisation des sites archéologiques en Afghanistan, mais aussi pour le gouvernement omanais, pour l'Unesco ou encore pour des instituts de recherche dans le domaine de l'archéologie comme le CNRS ou l'ENS.
Mais ces technologies intéressent également de plus en plus le monde de la diffusion et des médias : elles sont tellement précises et photo-réalistes qu'elles peuvent tout à fait être utilisées pour créer des environnements immersifs. "Il y a là un marché qui peut être très intéressant pour nous et qui permet de mettre en valeur tous nos modèles", précise Philippe. Ainsi, Iconem contribue à des projets dans le domaine du cinéma, du jeu vidéo ou encore du documentaire.
Iconem : quand une start-up française fait revivre en 3D le patrimoine détruit par Daech
La destruction de la cité antique de Palmyre par Daech a révélé au grand public l'un des joyaux archéologiques syriens, mais aussi le travail d'une start-up française, Iconem, qui a entrepris depuis plusieurs mois de photographier et de reproduire en 3D le patrimoine menacé en Syrie. Nous sommes allés à la rencontre de ses co-fondateurs, l'architecte Yves Ubelmann et le pilote Philippe Barthelemy, dans leurs bureaux parisiens devenus trop étroits. Récit d'un voyage virtuel au coeur des plus belles cités antiques.
Rien ne prédestinait Yves Ubelmann, architecte de formation spécialisé dans la représentation et la documentation des sites archéologiques, et Philippe Barthelemy, ancien pilote d'avion et d'hélicoptère, à travailler ensemble. Pourtant, les deux hommes sont aujourd'hui à la tête d'une start-up unique au monde : Iconem.
Leur ambition : préserver la connaissance du patrimoine menacé en utilisant des technologies innovantes, dont la prise de vue aérienne par drone et la modélisation en 3D, grâce à des algorithmes inédits. Une technologie que la start-up française est aujourd'hui la seule au monde à exploiter. "Il existe une fondation américaine qui, dans le même esprit, fait de la numération du patrimoine", explique Yves Ubelmann, "mais n'a pas du tout accès aux mêmes sites." "Comme on est constitués comme une start-up, on est assez souples et assez rapides et on peut aller très vite dans certains endroits. Dans des pays comme l'Irak, l'Afghanistan et la Syrie, nous nous retrouvons ainsi toujours les premiers à pouvoir agir", poursuit l'architecte.
"Il y avait vraiment une accélération de la dégradation de ces sites et il n'existait quasiment aucune documentation. Aucun organisme, à l'échelle internationale, ne s'inquiétait de ce type de problème."
Mais l'architecte est vite confronté aux limites des méthodes traditionnelles de relevés et se tourne alors vers les nouvelles technologies de représentation. Parmi ces techniques, la photogrammétrie qui permet, à partir d'un certain nombre d'images, de reproduire un modèle en trois dimensions. Il lance avec un chercheur, Jean Pons, une première mission en Afghanistan, sur un site archéologique appelé à disparaître car situé sur une mine de cuivre, et demande à ami photographe, Raphaël Dellaporta, de réaliser des prises de vues aériennes. "Il a donc bricolé un drone. Il ne volait donc pas très bien mais il nous permettait d'avoir des photos aériennes."
2010 : LA RENCONTRE
C'est à cette époque qu'Yves rencontre Philippe Barthelemy. Pilote d'avion et d'hélicoptère, Philippe a dû cesser son activité pour des raisons médicales. "A l'époque, il y a 10 ans, je me suis intéressé aux drones, qui étaient alors une technologie émergente mais déjà appelée à prendre de la place dans les pratiques. Les premiers travaux réalisés avec des drones étaient surtout pour la télévision, le cinéma. C'est donc sur cette voie que j'ai commencé."
En 2010, il aide donc la mission à obtenir un drone qui fonctionne. "Cette première mission a été un beau succès", se souvient Yves. "Nous avons vraiment pu reconstruire de manière très précise, en 3D, les différents sites sur lesquels on est allés." Une mission qui fait naître dans l'esprit d'Yves l'idée de fonder une start-up : il se rend compte que cette technologie répond à beaucoup de problématiques, pas seulement dans le domaine de l'archéologie.
NAISSANCE D'UNE START-UP
Avec Yves, nous nous sommes entendus sur l'idée d'entrer dans un incubateur et de travailler ensemble sur ce projet", explique Philippe. Ils sont alors accueillis par Agoranov, qui leur permet de construire leur projet et de connaître tous les dispositifs qui, en France, permettent d'aider ce type de projet. "Quand on a décidé de monter une entreprise, notre objectif était de trouver le vecteur qui nous permettrait le plus rapidement de mener à bien notre projet. Or, il se trouve qu'on a en France, dans le domaine de l'innovation et des start-up, un climat assez favorable avec beaucoup de soutien, des aides, un écosystème à Paris", explique Yves. "Il y a beaucoup de dispositifs en faveur de l'innovation et ça nous a aidés à démarrer", reconnaît l'architecte.
Les deux associés décident de ne pas se tourner vers l'industrie mais de rester sur le terrain de l'expérimentation. En 2015, ils lèvent ainsi des fonds auprès de Parrot, entreprise française qui innove dans le domaine des drones et qui a une stratégie de croissance externe. Ils négocient que ce fonds ne serve pas seulement au développement commercial de la start-up mais également à réaliser de nouvelles acquisitions de sites archéologiques. "C'est aussi cette levée de fonds qui nous permet aujourd'hui de financer des missions comme celle réalisée en Syrie. Syrian Heritage, un projet entièrement "non profit", mais nous pensons important de le réaliser, et le plus vite possible."
"En France, on se sent soutenu en tant qu'entrepreneur, surtout si on est sur les nouvelles technologies, également parce qu'on a un écosystème scientifique riche avec lequel on a beaucoup collaboré comme l'Inria, l'ENS", précise Yves. "Toutes ces institutions nous ont aidés à être à la pointe des techniques et on espère pouvoir continuer dans cette logique de développement, constant car nous faisons beaucoup de R&D."
Le projet Syrian Heritage
C'est ce projet qui a fait récemment connaître la start-up au grand public, à la suite de la destruction d'une partie du site de Palmyre et de son musée par Daech. Mais l'équipe travaille depuis longtemps en Syrie. Yves, y a ainsi travaillé de 2006 à 2009, avec des scientifiques syriens, et y a gardé des contacts. "En tant que scientifiques, ils se sont sentis assez abandonnés en 2012-2013 par toute une communauté internationale qui avait été très présente et amenait des capitaux pour le patrimoine syrien. Auparavant, énormément d'archéologues et d'architectes venaient en Syrie pour faire des études, et du jour au lendemain : plus rien. Au moment où, en pleine crise, ils avaient vraiment besoin de support pour protéger et documenter le patrimoine. Il nous a semblé évident qu'il fallait les aider."
Temple of Bel
Iconem décide alors de leur proposer un support technologique, de manière entièrement bénévole, en travaillant le soir et le week-end. Ils se heurtent de plus à la difficulté de se rendre sur place, le pays étant sous embargo et ayant rompu ses relations diplomatiques avec la France. Pendant plus d'un an, l'équipe travaille à distance, récupérant les images prises sur place et construisant depuis la France les modèles que les architectes syriens peuvent ensuite utiliser. Les archéologues syriens décident ensuite de les inviter officiellement pour une formation à la photogrammétrie. Yves se rend en Syrie en décembre 2015, pour une première session de formation et pour récolter quelques premières données.
En avril 2016, Yves et Philippe sont une nouvelle fois invités, au moment du départ de Daech de Palmyre. Ils font alors un relevé très précis du site en l'état, pour pouvoir localiser les dégradations, et reviennent en France avec 20 000 images sur le musée et sur le site lui-même. Sur cette base, l'équipe effectue aujourd'hui un travail très rigoureux et très scientifique sur ces données pour pouvoir offrir aux archéologues et aux experts internationaux, notamment de l'Unesco, un fonds documentaire le plus précis possible leur permettant de réfléchir à l'avenir du site, au type de rénovation à adopter. "Sur la base de l'analyse des blocs, il est possible de savoir très précisément d'où provenait un bloc lorsque l'édifice était encore debout, de faire des liens entre les blocs, et donc, si on a assez de blocs, reconstituer le phénomène d'explosion", explique Yves.
LA NUMÉRISATION DU PATRIMOINE : UN ENJEU MONDIAL
Yves Ubelmann et Philippe Barthelemy n'ont de cesse de le rappeler : la numérisation du patrimoine archéologique est un enjeu mondial. "Beaucoup de gouvernements prennent d'ailleurs conscience que c'est un enjeu d'avenir, de valorisation du pays", explique Yves. Iconem travaille ainsi pour le gouvernement afghan, aidé par la Banque mondiale, sur des gros projets de numérisation des sites archéologiques en Afghanistan, mais aussi pour le gouvernement omanais, pour l'Unesco ou encore pour des instituts de recherche dans le domaine de l'archéologie comme le CNRS ou l'ENS.
Mais ces technologies intéressent également de plus en plus le monde de la diffusion et des médias : elles sont tellement précises et photo-réalistes qu'elles peuvent tout à fait être utilisées pour créer des environnements immersifs. "Il y a là un marché qui peut être très intéressant pour nous et qui permet de mettre en valeur tous nos modèles", précise Philippe. Ainsi, Iconem contribue à des projets dans le domaine du cinéma, du jeu vidéo ou encore du documentaire.
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