L’anthropologue Martine Perrot revient sur les éléments constitutifs de la fête chrétienne devenue rituel familial. Notre Noël «traditionnel» s’est en réalité constitué au fil du dernier siècle, même s’il puise certains de ses composants jusqu’à l’Antiquité.
Sapin + cadeaux + bombance familiale = Noël. C’est l’équation de base, à laquelle on peut ajouter une crèche, de la dinde, des bougies ou un barbu vêtu de rouge. Une sorte de minimum syndical et traditionnel auquel il est difficile de déroger, même si Le Temps vous a présenté toute la semaine des alternatives vegan, amicales ou décroissantes. Mais comment en est-on arrivé là? Si Noël puise certaines de ses racines jusqu’à l’Antiquité, la forme actuelle de la fête et de ses rituels est une invention assez récente. Martyne Perrot, anthropologue et notamment auteure de «Le cadeau de Noël, histoire d’une invention» (Autrement) et «Ethnologie de Noël, une fête paradoxale» (Grasset), revient sur la construction du folklore le plus célébré au monde.
De quand date le Noël que l’on présente aujourd’hui comme une tradition?
Il s’est construit dans la seconde moitié du 19è siècle, ce qui est relativement récent. Il est contemporain de l’émergence d’une bourgeoisie, qui à travers cette célébration, rend hommage à ses propres membres. Cela correspond à l’Angleterre victorienne ou à la France de Louis-Philippe. Noël devient le prétexte à se réunir à la fin de l’année au même titre que la villégiature en été. On renouvelle à cette occasion notre adhésion aux valeurs familiales. Jusque là, Noël était une fête domestique mais pas une grande réunion de famille. On assiste au 19è à un glissement du rituel religieux au rituel familial. Cela ne concerne évidemment que les milieux aisés car cela suppose un certain faste. Pour les autres, il y a toujours eu au cœur de l’hiver un moment festif parce que l’on avait terminé de constituer les réserves de nourriture pour les mois à venir.
Y a-t-il un lien avec les Saturnales, qui célébraient durant l’Antiquité le solstice d’hiver?
Toutes les fêtes chrétiennes découlent de fêtes païennes. Les Saturnales sont marquées par des excès et des inversions de rôles mais elles sont en effet surtout liées à l’hiver. On a fait les réserves alimentaires et on célèbre la fin de la période maigre en faisant bombance. A la campagne, on tue le cochon pour préparer les charcuteries. En France en tous cas, le boudin noir a très longtemps été au menu des repas de Noël. Sur le plan plus symbolique, décembre est nommé le «mois noir» dans certaines régions. C’est une période sombre et inquiétante, où l’on doit lutter contre les revenants – la fête des morts n’est pas loin - et certains personnages du folklore. D’où les illuminations. L’avènement du Christ est présenté comme une lumière également. Tout cela est finalement lié; Noël est d’un syncrétisme incroyable.
Qu’en est-il les cadeaux?
Il y a eu la tradition des étrennes d’abord puis elle s’est minimisée au fur et à mesure que les cadeaux aux enfants prenaient de l’importance. On est alors passé d’un don pour la nouvelle année à un présent pour Noël. En Allemagne, en Alsace ou dans certaines régions de Suisse, c’est à la Saint-Nicolas. En Espagne, plutôt pour l’Epiphanie. Il y a des particularismes locaux mais globalement, les cadeaux se sont généralisés autour de Noël car le père Noël est le meilleur agent commercial qui soit. Lui aussi est un personnage syncrétique, découlant du bonhomme hiver, du Saint-Nicolas ou encore de Santa Claus. Mais ce sont les Etats-Unis qui l’ont véritablement imposé en Europe après guerre.
Les grands magasins ont joué un rôle également dans cette industrie.
A la fin du XIXe siècle en effet, Londres, Paris ou New York ont inventé les grands magasins. Leurs directeurs ont tout de site compris que Noël était une aubaine commerciale. Ils ont dressé des rayons spéciaux et inventé les vitrines de Noël. Le Bon Marché à Paris ou Harrod’s à Londres ont ont créé l’offre et le besoin de cadeaux à ce moment précis de l’année. Assez vite, le Père Noël a fait son entrée dans ces magasins pour écouter les souhaits des enfants. Jusqu’alors, nombre de familles offraient une orange, symbole de lumière et d’opulence. Les années 1950 ensuite, ont amené l’industrialisation du jouet et la plupart des enfants ont commencé à recevoir des jeux. C’est au même moment que les cadeaux entre adultes ont fait leur apparition.
Cela revient-il à façonner une société du don?
Noël est une fête de famille et l’idée qui prévaut ce jour-là est de «faire famille», malgré les tensions, les problèmes, les divorces… Pourquoi les gens font-ils tellement d’efforts alors que parallèlement, énormément critiquent une fête imposée et commerciale? Ils s’y plient car ils ont une envie plus ou moins consciente de dire à leurs proches qu’ils ont de l’affection pour eux. Les dons supposent des contre-dons et tout cela affirme des liens. C’est une grammaire inconsciente, une manière de renouveler son adhésion au groupe. Cela tient sans doute d’une envie archaïque de se tenir chaud, au sens propre et figuré, au cœur de l’hiver. Mais par le fait de la globalisation, les mêmes symboles et rituels se retrouvent en Australie, ce qui est tout de même étrange…
L’enfant est au cœur de la fête. Cela correspond-il à l’avènement de l’enfant roi?
Il est au centre à partir du 19è siècle, on le retrouve chez Dickens ou Hugo. Il y a à ce moment-là une prise de conscience de la figure de l’enfant misérable engendré par l’industrialisation sauvage de l’Angleterre ou de la France. Beaucoup vivent alors dans les rues. Tout cela ne fait que croître jusqu’à l’avènement de l’enfant roi et du Père Noël qui est là pour récompenser tous les petits sans conditions.
Et la place du religieux dans tout cela?
La pratique religieuse est en chute libre et l’aspect religieux de Noël a été un peu gommé par la dimension commerciale. L’enfant des familles est devenu le divin enfant et les parents font office de rois mages. Beaucoup de gens cependant, pas forcément croyants, sont lassés de l’absence de signification et du trop plein de cadeaux. Alors ils essaient de redonner du sens. Certains vont à la messe de minuit, mais un peu comme d’autres iraient au théâtre.
Invente-t-on de nouveaux rituels?
Chaque famille invente ses propres rituels mais globalement, le conformisme est énorme, qu’il s’agisse du menu ou des présents. Pour les cadeaux, des parents essaient de minimiser les frais, mais ils se précipitent souvent au tout dernier moment pour compenser et dépensent alors beaucoup! D’autres se limitent à un seul cadeau, procèdent à un tirage au sort…
Comment fête-t-on Noël hors d’Europe?
Pour la plupart des gens, Noël est une fête commerciale et le prétexte à gâter les enfants. A cet égard, il est fêté parfois dans les familles juives ou musulmanes, célébré au Japon, en Chine ou en Inde. Sur Internet, vous trouvez aujourd’hui des images de Père Noël émanant du monde entier! Quant aux chrétiens, ils vont à la messe pour Noël mais tous ne donnent pas la même importance à cette fête. Les orientaux par exemple célèbrent surtout l’Epiphanie, le 6 janvier. Et Pâques reste la fête la plus importante.
Sapin + cadeaux + bombance familiale = Noël. C’est l’équation de base, à laquelle on peut ajouter une crèche, de la dinde, des bougies ou un barbu vêtu de rouge. Une sorte de minimum syndical et traditionnel auquel il est difficile de déroger, même si Le Temps vous a présenté toute la semaine des alternatives vegan, amicales ou décroissantes. Mais comment en est-on arrivé là? Si Noël puise certaines de ses racines jusqu’à l’Antiquité, la forme actuelle de la fête et de ses rituels est une invention assez récente. Martyne Perrot, anthropologue et notamment auteure de «Le cadeau de Noël, histoire d’une invention» (Autrement) et «Ethnologie de Noël, une fête paradoxale» (Grasset), revient sur la construction du folklore le plus célébré au monde.
De quand date le Noël que l’on présente aujourd’hui comme une tradition?
Il s’est construit dans la seconde moitié du 19è siècle, ce qui est relativement récent. Il est contemporain de l’émergence d’une bourgeoisie, qui à travers cette célébration, rend hommage à ses propres membres. Cela correspond à l’Angleterre victorienne ou à la France de Louis-Philippe. Noël devient le prétexte à se réunir à la fin de l’année au même titre que la villégiature en été. On renouvelle à cette occasion notre adhésion aux valeurs familiales. Jusque là, Noël était une fête domestique mais pas une grande réunion de famille. On assiste au 19è à un glissement du rituel religieux au rituel familial. Cela ne concerne évidemment que les milieux aisés car cela suppose un certain faste. Pour les autres, il y a toujours eu au cœur de l’hiver un moment festif parce que l’on avait terminé de constituer les réserves de nourriture pour les mois à venir.
Y a-t-il un lien avec les Saturnales, qui célébraient durant l’Antiquité le solstice d’hiver?
Toutes les fêtes chrétiennes découlent de fêtes païennes. Les Saturnales sont marquées par des excès et des inversions de rôles mais elles sont en effet surtout liées à l’hiver. On a fait les réserves alimentaires et on célèbre la fin de la période maigre en faisant bombance. A la campagne, on tue le cochon pour préparer les charcuteries. En France en tous cas, le boudin noir a très longtemps été au menu des repas de Noël. Sur le plan plus symbolique, décembre est nommé le «mois noir» dans certaines régions. C’est une période sombre et inquiétante, où l’on doit lutter contre les revenants – la fête des morts n’est pas loin - et certains personnages du folklore. D’où les illuminations. L’avènement du Christ est présenté comme une lumière également. Tout cela est finalement lié; Noël est d’un syncrétisme incroyable.
Qu’en est-il les cadeaux?
Il y a eu la tradition des étrennes d’abord puis elle s’est minimisée au fur et à mesure que les cadeaux aux enfants prenaient de l’importance. On est alors passé d’un don pour la nouvelle année à un présent pour Noël. En Allemagne, en Alsace ou dans certaines régions de Suisse, c’est à la Saint-Nicolas. En Espagne, plutôt pour l’Epiphanie. Il y a des particularismes locaux mais globalement, les cadeaux se sont généralisés autour de Noël car le père Noël est le meilleur agent commercial qui soit. Lui aussi est un personnage syncrétique, découlant du bonhomme hiver, du Saint-Nicolas ou encore de Santa Claus. Mais ce sont les Etats-Unis qui l’ont véritablement imposé en Europe après guerre.
Les grands magasins ont joué un rôle également dans cette industrie.
A la fin du XIXe siècle en effet, Londres, Paris ou New York ont inventé les grands magasins. Leurs directeurs ont tout de site compris que Noël était une aubaine commerciale. Ils ont dressé des rayons spéciaux et inventé les vitrines de Noël. Le Bon Marché à Paris ou Harrod’s à Londres ont ont créé l’offre et le besoin de cadeaux à ce moment précis de l’année. Assez vite, le Père Noël a fait son entrée dans ces magasins pour écouter les souhaits des enfants. Jusqu’alors, nombre de familles offraient une orange, symbole de lumière et d’opulence. Les années 1950 ensuite, ont amené l’industrialisation du jouet et la plupart des enfants ont commencé à recevoir des jeux. C’est au même moment que les cadeaux entre adultes ont fait leur apparition.
Cela revient-il à façonner une société du don?
Noël est une fête de famille et l’idée qui prévaut ce jour-là est de «faire famille», malgré les tensions, les problèmes, les divorces… Pourquoi les gens font-ils tellement d’efforts alors que parallèlement, énormément critiquent une fête imposée et commerciale? Ils s’y plient car ils ont une envie plus ou moins consciente de dire à leurs proches qu’ils ont de l’affection pour eux. Les dons supposent des contre-dons et tout cela affirme des liens. C’est une grammaire inconsciente, une manière de renouveler son adhésion au groupe. Cela tient sans doute d’une envie archaïque de se tenir chaud, au sens propre et figuré, au cœur de l’hiver. Mais par le fait de la globalisation, les mêmes symboles et rituels se retrouvent en Australie, ce qui est tout de même étrange…
L’enfant est au cœur de la fête. Cela correspond-il à l’avènement de l’enfant roi?
Il est au centre à partir du 19è siècle, on le retrouve chez Dickens ou Hugo. Il y a à ce moment-là une prise de conscience de la figure de l’enfant misérable engendré par l’industrialisation sauvage de l’Angleterre ou de la France. Beaucoup vivent alors dans les rues. Tout cela ne fait que croître jusqu’à l’avènement de l’enfant roi et du Père Noël qui est là pour récompenser tous les petits sans conditions.
Et la place du religieux dans tout cela?
La pratique religieuse est en chute libre et l’aspect religieux de Noël a été un peu gommé par la dimension commerciale. L’enfant des familles est devenu le divin enfant et les parents font office de rois mages. Beaucoup de gens cependant, pas forcément croyants, sont lassés de l’absence de signification et du trop plein de cadeaux. Alors ils essaient de redonner du sens. Certains vont à la messe de minuit, mais un peu comme d’autres iraient au théâtre.
Invente-t-on de nouveaux rituels?
Chaque famille invente ses propres rituels mais globalement, le conformisme est énorme, qu’il s’agisse du menu ou des présents. Pour les cadeaux, des parents essaient de minimiser les frais, mais ils se précipitent souvent au tout dernier moment pour compenser et dépensent alors beaucoup! D’autres se limitent à un seul cadeau, procèdent à un tirage au sort…
Comment fête-t-on Noël hors d’Europe?
Pour la plupart des gens, Noël est une fête commerciale et le prétexte à gâter les enfants. A cet égard, il est fêté parfois dans les familles juives ou musulmanes, célébré au Japon, en Chine ou en Inde. Sur Internet, vous trouvez aujourd’hui des images de Père Noël émanant du monde entier! Quant aux chrétiens, ils vont à la messe pour Noël mais tous ne donnent pas la même importance à cette fête. Les orientaux par exemple célèbrent surtout l’Epiphanie, le 6 janvier. Et Pâques reste la fête la plus importante.

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