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Yasmina Reza raconte Nicolas Sarkozy

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  • Yasmina Reza raconte Nicolas Sarkozy

    Yasmina Reza raconte Nicolas Sarkozy
    LE MONDE | 23.08.07 | 09h50 • Mis à jour le 23.08.07 | 14h08

    lle dit : "Tout est dans le livre." Elle supplie aussi : "Je vous en prie, écrivez quelque chose qui rende justice à ma discrétion. Qui échappe à l'hystérie." Sa crainte irraisonnée : qu'on puisse prendre son livre pour un "livre politique". A son éditrice, elle a lancé : "Je ne veux pas qu'on me prenne pour Catherine Nay." Elle voudrait, dit-elle, "échapper au sujet" et que Nicolas Sarkozy s'intègre peu à peu dans la galerie de ses personnages tragi-comiques.

    Et pour le reste ? "Vous pouvez vous débrouiller sans moi." Yasmina Reza est sur une île, Pantelleria, au large de la Sicile, comme réfugiée loin de "ce tintamarre hors de proportion" qui précède la sortie de son livre L'Aube le soir ou la nuit (Flammarion), vendredi 24 août. Un regard personnel, oblique, impitoyable et terriblement humain sur Nicolas Sarkozy, dont elle a suivi la campagne de juin 2006 au 6 mai 2007. Miracle : c'est tout lui, et c'est tout elle.C'est au printemps 2006 que germe dans l'esprit de l'écrivain le projet d'écrire sur Nicolas Sarkozy. Au premier rendez-vous, en juin 2006, entre l'artiste et son modèle, le courant passe. Le candidat, au fond, est ravi de cette sollicitude, même s'il se pique aussi d'être un auteur à succès. Flatté qu'elle évoque un "portrait littéraire".
    D'elle, il ne connaît que sa réputation. Elle lui suffit pour accepter sa demande : le suivre au quotidien dans chacun de ses déplacements, à ses côtés, dans les réunions les plus fermées, dans les cénacles où aucun journaliste n'est jamais entré. Le candidat lui dit : "Même si vous me démolissez, vous me grandirez."

    Un conseiller raconte : "Sarkozy ne voulait pas de caméra embarquée qui l'aurait traqué au jour le jour, genre Les Yeux dans les Bleus . Trop stressant, trop d'autosurveillance. Rien à foutre , disait-il lorsqu'on lui proposait ce genre de projet. Mais qu'une intellectuelle s'intéresse à sa campagne, cela lui a plu."

    "ON LUI A APPRIS À COURIR"
    Claude Guéant, aujourd'hui secrétaire général de l'Elysée, euphémise : "Mme Reza a une belle capacité de séduction.Avoir une campagne traitée par une plume de qualité, c'était intéressant." Consentant et fier, le candidat s'est laissé prendre dans l'œil de l'écrivain comme une mouche dans une toile d'araignée. Cécilia Sarkozy, qui, à cette époque, vient de réapparaître aux côtés de son mari, acquiesce.
    Et elle, Yasmina Reza ? Qu'a-t-elle à voir avec ce Sarkozy que seul le mouvement apaise, avec "ces hommes (…) qui vivent dans un monde où les mots ont le poids de l'hélium"? Ses romans sont traduits dans des dizaines de langues, ses pièces sont jouées à New York et à Londres. Art, la plus connue, a tenu l'affiche pendant des années sur les scènes du monde entier. Femme de silences et d'ironie dans un univers de bruits constants, de paroles ininterrompues.
    Reza, l'anti-Sarkozy? Plus compliqué que ça. A Jérôme Garcin, dans Le Nouvel Observateur du 24 août, elle explique : "Ce qu'on appelle un destin politique me fascine depuis des années. Pas la politique en tant que telle, non, le destin politique. Il m'offrait une véritable dramaturgie." Elle ajoute : "J'ai cherché chez lui ce qui faisait écho à mes propres obsessions."

    Ensuite, elle s'est laissé embarquer, s'est coulée dans la caravane. Elle suit, elle court, saute d'un avion à une voiture, d'une voiture à un hélicoptère, d'un hélicoptère à un morne palais des sports dans la périphérie d'une ville qu'elle ne verra pas.
    "On lui a appris à courir", se souvient Pierre Charon, un des conseillers de M.Sarkozy pendant sa campagne. Quand la machine s'emballe, il arrive qu'on oublie de la prévenir : "Pourquoi ne m'avez-vous pas appelée?", se désole-t-elle auprès de Jean-Michel Goudard, autre ancien conseiller du candidat.
    Dans ce groupe de conseillers soudés et qui fonctionne parfois d'un simple regard, on l'a vue prendre peu à peu sa place, se fondre parmi eux, ne cherchant pas à entretenir une distance dont on croit qu'elle garantit l'objectivité. Ce n'est pas son affaire.

    Charon : "Elle a eu l'intelligence de ne pas chercher à profiter de son statut d'auteur à succès. Elle a fait le choix d'être avec la troupe, dans les voitures suiveuses, parfois assise sur nos genoux. Elle est entrée en Sarkozye naturellement." "Elle est devenue un membre à part entière de l'équipe. Elle s'est glissée dans l'aventure", explique Franck Louvrier, conseiller presse à l'Elysée.
    Laurent Solly, le chef de cabinet, la guide dans l'agenda du candidat. Elle choisit les réunions auxquelles elle souhaite assister. "Parfois, raconte Charon, nous avions presque honte de ce à quoi nous la faisions assister. Les réunions de cadres UMP, ça peut être terrible. Mais elle insistait : Si, si, j'ai envie de voir ça."

    SAC À MAIN , LUNETTES, EN ROBE OU EN JUPE
    Sa seule exigence : ne pas apparaître sur les photos de presse en leur compagnie. Pierre Charon ira voir quelques photographes pour les prier de la tenir hors du champ de leurs objectifs.
    Sac à main au creux du coude pour mieux tenir son carnet de notes, lunettes de soleil ou de vue, presque toujours en robe ou en jupe, elle note, le regard appliqué, jusqu'à des propos de table ronde sans intérêt. Elle cherche un mot, une fulgurance ironique.
    De Sarkozy, elle voit tout ou presque. Son enthousiasme comme ses accès de mutisme. Elle a même dansé avec lui, un soir à Montpellier, sur un air d'Enrico Macias. Elle est avec lui lorsqu'il écrit son discours d'investiture avec Henri Guaino. Avec lui lorsqu'il prépare le débat de l'entre-deux-tours face à Ségolène Royal dans un hôtel de Corse en compagnie de députés chargés de tenir le rôle de la candidate socialiste.

    Elle note, inlassable, agacée, séduite ou ahurie de ce qu'elle voit, perçoit. "Avec elle, on a travaillé sans filet, mais nous avons toujours été en confiance", dit aujourd'hui un conseiller de l'Elysée. Dans son livre, Yasmina Reza cite Nicolas Sarkozy : "Il faut la laisser en liberté, sinon tu cours à la catastrophe absolue avec elle. Je le sens comme ça."

  • #2
    Mais cette liberté est parfois surveillée. Avait-elle laissé entendre au Monde qu'une "fin malheureuse" renchérirait la portée littéraire de son livre qu'elle était aussitôt appelée par un conseiller du candidat. Et rappelait l'auteur de l'article pour une ferme mise au point : "Vous comprenez, on a l'impression que je souhaite son échec."

    Avec les journalistes "embedded" qui suivent la campagne de Sarkozy et la découvrent peu à peu dans le sillage du candidat, elle ne cherche pas de complicité immédiate. Elle laisse venir à elle ceux qui veulent lui parler, mais reste à l'écart de leur troupe. Jamais ils ne la verront dans un car ni dans une salle de presse. Ni dans leurs dîners d'après-meetings.

    Eux aussi sont engloutis par son regard ironique et dense. D'un conciliabule entre eux et le candidat dans un couloir d'avion, elle écrit : "Les journalistes, je les aperçois agglutinés, chuchotant dans un tout petit coin de l'appareil, ça me rappelle un groupe loubavitch priant près des toilettes lors d'un retour de New York."

    Elle ne veut pas être prise pour l'un d'eux. Peur qu'on confronte son travail d'écrivain avec le leur, qu'elle tient en général dans une modeste estime ? Mais elle demande à être présentée au journaliste de Libération après un article au vitriol sur un discours de Sarkozy qu'elle avait, elle aussi, trouvé particulièrement nul. Pour s'en moquer à gorge déployée.
    Son travail, elle le dit, n'est pas le nôtre. Un jour, au Creusot (Saône-et-Loire), pendant la visite d'une entreprise aux proportions de cathédrale, elle nous laisse en plan, disant : "Je vais chercher des mots", comme on irait faire ses courses. Ils sont dans son livre : "Presses à ébarber, aléseuses, fraiseuses à portique, banc de tarage".

    Elle parle aussi du "cou dénudé" du candidat "dans son ample manteau". Elle écrit avec ces détails que les journalistes abandonnent au fond de leurs carnets et ne sait que faire des "phrases assassines et drôles dont [ses] cahiers sont remplis et qui se fanent dès la page tournée".

    UNE FIN "EFFILOCHÉE ET BRUTALE"
    Il arrive qu'elle confie une difficulté : "Je ne parviens pas à écrire l'impression produite par les perches des micros qui se meuvent au-dessus de la tête du candidat, et vous?"

    Au soir du 6 mai, malgré sa "vigilante raideur", Yasmina Reza s'abandonne à la mélancolie des adieux. Elle a senti, comme nombre de conseillers qui seront bientôt réprouvés, que cette histoire désormais ne serait plus la leur : "Je l'ai vue les larmes aux yeux sur la place de la Concorde. Elle a fait le dernier plan", raconte encore Pierre Charon.

    Mais au Fouquet's, où Cécilia Sarkozy a dressé la liste des invités, elle trouve portes closes. Elle évoque une fin "effilochée et brutale", une manière de dire qu'elle l'a senti venir, mais qu'elle n'en a pas moins ressenti le choc.
    Dimanche 19 août, l'exemplaire numéro 1 de L'Aube le soir ou la nuit a été porté au président de la République, qui, assure-t-on chez Flammarion, n'a pas cherché à se le procurer avant. Officiellement, il ne l'a pas lu. Interrogé mardi au cours d'un déjeuner avec la presse de province, Nicolas Sarkozy a fait sa réponse habituelle : "Je ne lis jamais les livres qui me sont consacrés." Cette cruauté-là est aussi dans le livre.


    Philippe Ridet

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