Il ne s’agit pas d’un film, ni d’un quelconque best-seller. C’est en fait un roman tragique dont la trame de fond n’est qu’une réalité terrible et fatidique.
Un véritable drame. Les acteurs ne jouent pas de rôles. Ils sont le rôle et le font en temps réel par leurs personnes, leurs corps et leurs âmes.
La scène est un vaste territoire aux côtes généreuses. Le décor est planté de misère, de résignation et de beaucoup de colère. Les gens qui y sont ne sont que des êtres frêles, à la silhouette bon enfant, au sourire absent et à la gueule de métèque. Pourtant, ils sont bien de chez nous, ils sont notre progéniture, le produit de nos institutions. Le rêve qui nourrit les cavités creuses du dénuement qui les encadre, par les 100 locaux, les aides, l’emploi des jeunes, s’avère insuffisant et peu convaincant pour qu’ils se laissent aller au gré d’un discours ou d’une promesse. Tous les scenarii de la tragédie se trouvent scotchés dans le crâne de ces mômes, encore supposés inconscients mais décidés à braver tous les dangers. Rien n’est arrivé à faire disparaître l’angoisse de leurs tripes, ou freiner l’élan aventuriste et meurtrier de prendre le large.
Ni l’alcool, trop cher, ni le diluant moins enivrant. La notion du prix du baril de pétrole demeure pour ces crânes une variante inconnue. Le jerrican de mazout si. Ils le chérissent comme chérirait une maman son bébé. C’est un élément de vie ou de mort, avec d’autres dans la progression du voyage qu’ils comptent entreprendre au bout de l’autre monde.
Ce monde qui se transmet par un truc parabolique accroché aux fenêtres vous déracine de votre désoeuvrement quotidien, le temps d’un reportage, d’un feuilleton ou d’un journal, pour vous guider vers des rues bien agencées, du travail et de la joie de vivre. A tout ce qu’offre la tentation venue d’ailleurs, de la fenêtre ou du ouïe-dire, viennent s’ajouter encore les dures conditions d’ici, d’aujourd’hui. Ces conditions où le chômage avec le logement et le mariage vont vous permettre de penser à lever les voiles vers un horizon qui vous paraît certain et meilleur.
Là, la tragédie commence par un air de fête. D’une main l’on prend la décision de partir, de l’autre l’on conserve comme dur, le rêve d’y arriver.
Journal de bord:
Un vendredi comme tous les autres: Il fait nuit. Ma montre m’indique sans top qu’il est 21 heures passées. Elle m’a coûtée une petite fortune pour la simple raison qu’elle peut servir aussi, à l’aide d’une aiguille phosphorescente destinée uniquement à m’indiquer le nord, comme guide géographique. Genre de boussole m’avait dit le vendeur. Notre projet, moi et mes amis, c’est de traverser cette mer sans pièces d’identité, ni formalités régulières. Notre compagnie de transport n’est pas agréée. Elle n’est pas reconnue comme telle, car ne disposant pas d’unités suffisantes pour pouvoir en constituer une flotte maritime. L’armateur donc, suite à un contrat de transport d’adhésion et non négociable, passé en bonne et due forme, est seulement chargé de mettre à notre disposition, sans aucune garantie de résultat, ni commandant ou provisions de bord, ni avitaillement, ni compte d’escale; une espèce de navire à même de naviguer contre vents et marées.
Je dois, avant la narration de l’expédition, rappeler les phases préparatoires du voyage. C’était pas chose facile. Il fallait trouver le bon tuyau pour dénicher la bonne adresse. Si les succursales dans ce type de prestations de services n’ont pas pignon sur rue, elles savent, cependant, faire vendre à qui de droit leurs produits exotiques. Comme un menu de vacances. Une fois donc trouvé le bon et utile voyagiste, le contrat est conclu. Il a été scellé, bien entendu, avant la date de départ. Il s’est accompli dans un endroit banal. Dans un café de la ville. C’est une localité littorale, qui en haute saison draine des centaines d’estivants et de touristes nationaux. Les étrangers, on ne les voit pas. On ne les reconnaît même pas. Par contre s’ils ressemblent aux gens que nous montrent les chaînes étrangères, on dirait qu’on les entrecroise souvent, mais toujours escortés et bien gardés. Ils sont en charge, nous dit-on de travailler pour nous, des autoroutes, des stations de dessalement, et d’autres chantiers du genre.
Le représentant de l’agence de voyages à qui nous avions affaire est un citoyen d’un certain âge, très convaincant, serein et sait semer le doute. Il insistait dans ses clauses sur des causes pouvant survenir en dehors de sa volonté, les cas de force majeure, les tempêtes, les cyclones, les tsunamis etc. mais savait aussi argumenter la possibilité, voire la réussite complète de la croisière. C’est à lui que revenait la fixation du jour et l’horaire de la mise en mer. Ceci en fonction de quelques prévisions météorologiques et d’autres indications astrales permettant une navigation sans soucis.
Le clair de lune, ou la pleine lune serait le temps idéal pour ce genre de loisir. L’éclairage lunaire faciliterait la circulation. Quant au bâtiment, devant nous servir de moyen de transport naval, il était tout aussi simple qu’une petite chaloupe. Une barque aux lamelles de bois trempées, sans accastillage spécial, c’est-à-dire en termes marins l’ensemble de petites pièces que l’on fixe sur une coque (filoirs, chaumard, dame de nage...). S’espaçant à moins d’une dizaine de personnes. Il y avait, en-dessous de ce qui allait nous tenir lieu de bancs, des bacs aptes à loger nos différents bagages et outils de voyage, en plus de bouts de toiles qui garnissaient salement le plancher. L’équipement de sauvetage se résumait, eu égard à l’aisance de la traversée en une ou deux bouées et une corde usée. L’essentiel pour nous était ce moteur, cet engin de qui dépendra le couronnement de notre chevauchée maritime. C’est pour son entretien que l’on a fait prévoir plusieurs quantités de gasoil et quelques lubrifiants. Avec de l’eau, ce carburant bien conditionné encombrait tout l’espace restant.
Dans le contrat, il y était dit que l’armateur a la charge d’assurer une formation adéquate à celui que nous lui désignons pour prendre les leviers de commande de notre heureuse embarcation. En fait, c’était simple comme instrument; une barre en guise de gouvernail que l’on tourne et par laquelle l’on module à volonté la vitesse. Je ne dirais pas grand-chose sur la contrepartie de l’objet du contrat. Le prix. En tous cas, pour moi il formait toutes les sommes accumulées un temps durant, dans la vente à la sauvette, le business de gauche à droite et les quelques modiques billets que me prélevait ma mère sur le revenu dont elle tirait profit à l’occasion des opérations de roulement du couscous lors d’événements festifs ou mortuaires.
Revenons au jour j. En cette soirée de vendredi, fin de week-end pour ceux qui sont au labeur, l’endroit qui ressemble à une plage et qui nous fait guise de port d’embarquement est silencieux et désert. Notre co-contractant nous rassurait quant à toute intrusion ou mauvaise surprise de la part de personnes ou de services indésirables en ce moment précis. Le ressac de la mer se faisait entendre et brouillait cacophoniquement les dernières recommandations à l’adresse de notre commandant-pilote. Installés à bord du canoë ou ce qui lui s’apparentait on commence sans le bruit du moteur, mais à l’aide de planches plates appelées avirons, à frayer un chemin dans l’étendue aquatique sur laquelle maintenant nous baignons. La joie d’avoir fait les premiers pas, sinon les premières brasses envahissait nos cœurs sans qu’une petite crainte d’être pris ou stoppés ne soit à relever sur nos visages superficiellement humectés.
Un véritable drame. Les acteurs ne jouent pas de rôles. Ils sont le rôle et le font en temps réel par leurs personnes, leurs corps et leurs âmes.
La scène est un vaste territoire aux côtes généreuses. Le décor est planté de misère, de résignation et de beaucoup de colère. Les gens qui y sont ne sont que des êtres frêles, à la silhouette bon enfant, au sourire absent et à la gueule de métèque. Pourtant, ils sont bien de chez nous, ils sont notre progéniture, le produit de nos institutions. Le rêve qui nourrit les cavités creuses du dénuement qui les encadre, par les 100 locaux, les aides, l’emploi des jeunes, s’avère insuffisant et peu convaincant pour qu’ils se laissent aller au gré d’un discours ou d’une promesse. Tous les scenarii de la tragédie se trouvent scotchés dans le crâne de ces mômes, encore supposés inconscients mais décidés à braver tous les dangers. Rien n’est arrivé à faire disparaître l’angoisse de leurs tripes, ou freiner l’élan aventuriste et meurtrier de prendre le large.
Ni l’alcool, trop cher, ni le diluant moins enivrant. La notion du prix du baril de pétrole demeure pour ces crânes une variante inconnue. Le jerrican de mazout si. Ils le chérissent comme chérirait une maman son bébé. C’est un élément de vie ou de mort, avec d’autres dans la progression du voyage qu’ils comptent entreprendre au bout de l’autre monde.
Ce monde qui se transmet par un truc parabolique accroché aux fenêtres vous déracine de votre désoeuvrement quotidien, le temps d’un reportage, d’un feuilleton ou d’un journal, pour vous guider vers des rues bien agencées, du travail et de la joie de vivre. A tout ce qu’offre la tentation venue d’ailleurs, de la fenêtre ou du ouïe-dire, viennent s’ajouter encore les dures conditions d’ici, d’aujourd’hui. Ces conditions où le chômage avec le logement et le mariage vont vous permettre de penser à lever les voiles vers un horizon qui vous paraît certain et meilleur.
Là, la tragédie commence par un air de fête. D’une main l’on prend la décision de partir, de l’autre l’on conserve comme dur, le rêve d’y arriver.
Journal de bord:
Un vendredi comme tous les autres: Il fait nuit. Ma montre m’indique sans top qu’il est 21 heures passées. Elle m’a coûtée une petite fortune pour la simple raison qu’elle peut servir aussi, à l’aide d’une aiguille phosphorescente destinée uniquement à m’indiquer le nord, comme guide géographique. Genre de boussole m’avait dit le vendeur. Notre projet, moi et mes amis, c’est de traverser cette mer sans pièces d’identité, ni formalités régulières. Notre compagnie de transport n’est pas agréée. Elle n’est pas reconnue comme telle, car ne disposant pas d’unités suffisantes pour pouvoir en constituer une flotte maritime. L’armateur donc, suite à un contrat de transport d’adhésion et non négociable, passé en bonne et due forme, est seulement chargé de mettre à notre disposition, sans aucune garantie de résultat, ni commandant ou provisions de bord, ni avitaillement, ni compte d’escale; une espèce de navire à même de naviguer contre vents et marées.
Je dois, avant la narration de l’expédition, rappeler les phases préparatoires du voyage. C’était pas chose facile. Il fallait trouver le bon tuyau pour dénicher la bonne adresse. Si les succursales dans ce type de prestations de services n’ont pas pignon sur rue, elles savent, cependant, faire vendre à qui de droit leurs produits exotiques. Comme un menu de vacances. Une fois donc trouvé le bon et utile voyagiste, le contrat est conclu. Il a été scellé, bien entendu, avant la date de départ. Il s’est accompli dans un endroit banal. Dans un café de la ville. C’est une localité littorale, qui en haute saison draine des centaines d’estivants et de touristes nationaux. Les étrangers, on ne les voit pas. On ne les reconnaît même pas. Par contre s’ils ressemblent aux gens que nous montrent les chaînes étrangères, on dirait qu’on les entrecroise souvent, mais toujours escortés et bien gardés. Ils sont en charge, nous dit-on de travailler pour nous, des autoroutes, des stations de dessalement, et d’autres chantiers du genre.
Le représentant de l’agence de voyages à qui nous avions affaire est un citoyen d’un certain âge, très convaincant, serein et sait semer le doute. Il insistait dans ses clauses sur des causes pouvant survenir en dehors de sa volonté, les cas de force majeure, les tempêtes, les cyclones, les tsunamis etc. mais savait aussi argumenter la possibilité, voire la réussite complète de la croisière. C’est à lui que revenait la fixation du jour et l’horaire de la mise en mer. Ceci en fonction de quelques prévisions météorologiques et d’autres indications astrales permettant une navigation sans soucis.
Le clair de lune, ou la pleine lune serait le temps idéal pour ce genre de loisir. L’éclairage lunaire faciliterait la circulation. Quant au bâtiment, devant nous servir de moyen de transport naval, il était tout aussi simple qu’une petite chaloupe. Une barque aux lamelles de bois trempées, sans accastillage spécial, c’est-à-dire en termes marins l’ensemble de petites pièces que l’on fixe sur une coque (filoirs, chaumard, dame de nage...). S’espaçant à moins d’une dizaine de personnes. Il y avait, en-dessous de ce qui allait nous tenir lieu de bancs, des bacs aptes à loger nos différents bagages et outils de voyage, en plus de bouts de toiles qui garnissaient salement le plancher. L’équipement de sauvetage se résumait, eu égard à l’aisance de la traversée en une ou deux bouées et une corde usée. L’essentiel pour nous était ce moteur, cet engin de qui dépendra le couronnement de notre chevauchée maritime. C’est pour son entretien que l’on a fait prévoir plusieurs quantités de gasoil et quelques lubrifiants. Avec de l’eau, ce carburant bien conditionné encombrait tout l’espace restant.
Dans le contrat, il y était dit que l’armateur a la charge d’assurer une formation adéquate à celui que nous lui désignons pour prendre les leviers de commande de notre heureuse embarcation. En fait, c’était simple comme instrument; une barre en guise de gouvernail que l’on tourne et par laquelle l’on module à volonté la vitesse. Je ne dirais pas grand-chose sur la contrepartie de l’objet du contrat. Le prix. En tous cas, pour moi il formait toutes les sommes accumulées un temps durant, dans la vente à la sauvette, le business de gauche à droite et les quelques modiques billets que me prélevait ma mère sur le revenu dont elle tirait profit à l’occasion des opérations de roulement du couscous lors d’événements festifs ou mortuaires.
Revenons au jour j. En cette soirée de vendredi, fin de week-end pour ceux qui sont au labeur, l’endroit qui ressemble à une plage et qui nous fait guise de port d’embarquement est silencieux et désert. Notre co-contractant nous rassurait quant à toute intrusion ou mauvaise surprise de la part de personnes ou de services indésirables en ce moment précis. Le ressac de la mer se faisait entendre et brouillait cacophoniquement les dernières recommandations à l’adresse de notre commandant-pilote. Installés à bord du canoë ou ce qui lui s’apparentait on commence sans le bruit du moteur, mais à l’aide de planches plates appelées avirons, à frayer un chemin dans l’étendue aquatique sur laquelle maintenant nous baignons. La joie d’avoir fait les premiers pas, sinon les premières brasses envahissait nos cœurs sans qu’une petite crainte d’être pris ou stoppés ne soit à relever sur nos visages superficiellement humectés.

Commentaire