Conférence donnée aux Glycines le 23 janvier 2014
Par Ismet Touati, Docteur en Histoire, CNRPAH, Alger
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Nous savons que le « coup d’éventail » a été le prétexte invoqué par la France pour rompre avec l’Algérie et préparer l’expédition d’Alger de 1830. Cet incident survient dans le contexte de ce qu’on appelle communément « l’affaire Bacri ».
Il s’agit de la réclamation du montant de grosses fournitures de blé faites par l’Algérie à la France, durant les premières années de la Révolution française. L’exacerbation de cette affaire a mené au fameux « coup d’éventail », donné le 30 avril 1827, par le dey Hussein au consul de France à Alger, Deval ; ceci a eu comme suite le blocus des côtes algériennes par la marine française dès 1827 et le débarquement des troupes expéditionnaires françaises en Algérie, en juin 1830, avec les conséquences que l’on sait. Ces évènements ont marqué l’imaginaire collectif. Il s’agit pour nous de dépasser l’anecdotique et de s’inscrire dans le temps long de l’Histoire de l’Algérie, pour comprendre l’importance du commerce du blé sur l’évolution du pays et donner un meilleur éclairage sur les évènements de 1827.
Notre point de départ va être une critique de l’historiographie française de l’époque coloniale. Les historiens de l’époque coloniale vont brosser un tableau sombre de l’époque ottomane de l’Algérie, pour légitimer leur présence en Algérie. Ils vont répandre un certain nombre d’idées pour le moins erronées, dont l’idée suivante : L’Algérie n’était qu’un repaire de corsaires vivant et s’enrichissant surtout du pillage de l’Europe. Or, si l’activité corsaire algérienne était florissante aux XVIe et XVIIe siècles, elle déclina au XVIIIe siècle.
Décrivons les diverses phases de l’activité corsaire algérienne :
De 1520 à 1580, environ, Alger est complètement alignée sur la politique extérieure du Sultan. La marine algérienne vient en appui de la flotte ottomane basée à Istanbul et s’attaque essentiellement à l’Espagne et à ses alliés dans le cadre d’un conflit de Titans qui opposa l’Empire Ottoman à l’Empire des Habsbourgs d’Espagne. L’activité corsaire algérienne est alors supplétive de la guerre entre l’Empire Ottoman et l’Empire des Habsbourgs. C’est l’époque des Khayr al-Din Barberousse, des Salah Raïs, des Euldj Ali, qui formés à l’école algérienne, en quelque sorte, sont devenus tous trois amiraux de la flotte ottomane, Qapudan pacha, en turc ; c’est-à-dire le 3e personnage de l’Empire après le Sultan et le Grand Vizir. Cela s’explique par le fait que l’Algérie était la province la plus occidentale de l’Empire et donc la plus en prise avec l’impérialisme espagnol en Afrique d’où l’expérience de ses marins. En 1580, l’Empire Ottoman sort épuisé de ce conflit de Titans et la flotte ottomane se retire du bassin occidental.
La province ottomane d’Algérie acquiert dès lors une autonomie de fait et la flotte algérienne développe une activité corsaire systématique qui n’est plus simplement dirigée contre l’Espagne et ses alliés mais contre l’ensemble des puissances européennes. C’est l’apogée de la course algérienne, qui dure de l’année 1580 à l’année 1640, environ. C’est l’époque de l’enrichissement d’Alger qui de gros bourg de 20.000 habitants au début du XVIe siècle devient une ville importante d’environ 80.000 habitants. C’est l’époque de Mourad Raïs qui a donné son nom à un quartier de la ville et de Ali Bitchine, corsaire italien de naissance qui était le véritable maître d’Alger dans les années 1640. Ali Bitchine dont il nous reste une de ses fondations, la mosquée qui se trouve dans la Basse Casbah.
De 1640 à 1695, environ, l’activité corsaire algérienne décline pour une raison assez simple : l’Europe est en mesure de riposter car elle est sortie de ses Guerres de religion qui ont opposé catholiques et protestants et qu’elle est sortie de la Guerre de Trente Ans qui a duré de 1618 à 1648. Cette période de déclin de la course, a notamment été marquée par les bombardements d’Alger par la flotte de Louis XIV dans les années 1682, 1683 et 1688. Le dey Sha’ban qui a régné de 1689 à 1695 comprend alors qu’une époque est révolue, que l’Algérie ne peut pas affronter toutes les puissances européennes ; il consolide donc la paix que le pays a signé avec l’Angleterre en 1682 et avec la France en 1689, autrement dit, avec les deux plus grandes puissances de l’époque.
A partir de 1695 et jusqu’à l’année 1725, environ, l’Algérie va traverser une phase de transition qui va se caractériser par une grande instabilité politique (10 deys vont se succéder au pouvoir pendant cette courte période et 6 beys de Constantine se succèdent en l’espace de 6 ans, de l’année 1707 à l’année 1713, dont trois dans la seule année 1710). Cette transition se caractérise aussi par des guerres contre les voisins tunisiens et marocain (1694-1695, 1700-1701 et en 1705). Ces guerres, menées en bonne partie dans une perspective de pillage, furent un expédient du régime pour faire face au déclin de la course.
Après cet expédient sans lendemain et pour faire face à une dangereuse baisse de revenus, va débuter ce que Lemnouar Merouche a très justement nommé Le Siècle du Blé qui va durer de l’année 1725 à l’année 1815, environ. Les revenus tirés des exportations de blé vont permettre de faire face au déclin de la course. Les beys de Constantine et de Mascara, soutenus par le pouvoir central, vont encourager la production de blé pour l’exportation. Nous ne savons pas toujours avec précision quels sont les terroirs qui ont été concernés par ces défrichements. Nous ne pouvons pas de même connaître les quantités produites. Cependant nos sources indiquent que les cultures ont été décuplées dans le beylik de Constantine, par exemple.
Pendant la plus grande partie du XVIIIe siècle, l’activité corsaire est en revanche au plus bas et ne sert pratiquement plus que comme moyen de pression sur les petites puissances européennes pour en obtenir un tribut contre la sécurité des biens et des personnes. Elle ne constitue donc plus une source très importante de revenus et de profits. Ainsi, Alger qui avait signé une paix durable avec la France et l’Angleterre au XVIIe siècle, signe un traité avec les Hollandais dès 1726 et avec les Suédois dès 1728. D’autres traités seront signés au cours des décennies suivantes du Siècle du Blé.
Ce climat de paix relative, car de petits conflits pouvaient toujours surgir en mer et c’était inhérent à la circulation maritime en Méditerranée, ce climat disions-nous a été très propice au développement des exportations algériennes. Aux XVIe et XVIIe siècles, il y a bien eu des campagnes d’exportations de blé algérien, mais le climat d’hostilité qui régnait entre l’Algérie et les puissances européennes de l’époque, la France en particulier, a considérablement entravé le commerce ; la mauvaise administration des compagnies commerciales françaises implantées en Algérie depuis le milieu du XVIe siècle a été une cause importante également.
Car il faut le dire maintenant, et c’est très important pour la suite, au Siècle du Blé, la France, via le port de Marseille, était la principale importatrice de blé algérien et les négociants français implantés en Algérie les principaux intermédiaires du commerce international du blé algérien. Etudier les exportations de blé algérien vers Marseille, c’est donc avoir une idée précise des conséquences du commerce du blé sur l’évolution de l’Algérie. Il y avait alors une espèce d’interdépendance entre l’Algérie et la France. La France était le principal client de l’Algérie, et l’Algérie le principal fournisseur de blé nord africain à la France. Alors que durant les dernières décennies du XVIIe siècle et les premières décennies du XVIIIe siècle, la Tunisie était le principal fournisseur de la France en blé nord africain, l’Algérie se met au premier rang des exportateurs dans les années 1720. Et, en 1741, comme suite à la destruction du comptoir français du Cap Nègre en Tunisie, l’Algérie devient le fournisseur quasi exclusif de la France en blé nord-africain. Des années 1740 aux années 1790, les 9/10e du blé nord africain importé à Marseille proviennent d’Algérie.
A partir des années 1720, avec la politique d’encouragement de la production par les beys de Constantine et de Mascara, l’offre augmente, de même que la demande stimulée par l’essor démographique de l’Europe à cette époque. A cet égard, la France était le pays le plus peuplé d’Europe avec environ 20 millions d’habitants. Cette hausse de la demande tout au long du siècle provoqua une augmentation des prix, très rentable pour le fournisseur.
Ces deux facteurs de l’augmentation de l’offre et de la demande plus un certain nombre d’autres facteurs importants vont faire que les exportations de blé algérien vers Marseille vont atteindre leur apogée dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, au cours du règne du dey le plus fameux qu’ait connu l’Algérie : Muhammad Ibn Uthman (1766-1791), contemporain de deux beys tout aussi fameux, Salah bey (1771-1792) à Constantine et Muhammad el-Kebir (1779-1797) à Mascara.
Donnons des chiffres : de 1710 à 1830, soit en 120 ans, l’Algérie exporta plus de 2.193.000 charges de blé vers Marseille ; la charge de Marseille faisant 120 kg. Environ 1.434.000 charges, soit 65% du total, ont été exportées entre 1769 et 1795, soit en seulement 27 ans.
Une série de facteurs ont été déterminants dans cet essor :
– L’augmentation de l’offre et de la demande, on l’a dit.
– Le climat de paix relative qui régnait entre l’Algérie et la plupart des pays d’Europe depuis le déclin de la course algérienne.
– Retrait des Anglais de la Méditerranée à l’issue de la Guerre de Sept Ans (1756-1768)
– La guerre russo-turque (1768-1774). En interrompant les arrivées de blé orienta, elle a provoqué une hausse de la demande en blé nord-africain, en fait algérien ;
– La réalisation d’un certain nombre de réformes dans l’administration de la Compagnie commerciale française, la Compagnie Royale d’Afrique, les réformes de 1767 ayant été décisives et ayant permis d’éviter les échecs subis par les compagnies précédentes, etc.
– Des changements significatifs dans les relations entretenues par la Compagnie d’Afrique avec un certain Abd Allah, shaykh de la tribu des Ulad Dhîb, et intermédiaire des Français dans le commerce avec les populations de l’Est algérien. Dettes du shaykh, commission.
Cette période, le dernier tiers du XVIIIe siècle, se caractérise par une très forte stabilité politique, un développement économique qui toucha de larges fractions de la population on peut le dire, mais qui profita surtout à la minorité dirigeante, à des seigneurs féodaux comme le shaykh Abd Allah et aux intermédiaires français de ce commerce international. Parmi ces intermédiaires, les compagnies à monopole détentrices de concessions dans l’Est algérien, dominèrent largement le marché. Ce fut le cas, en particulier, de la Compagnie Royale d’Afrique, active de 1741 à 1793 et dont le succès, inégalé, fut un exemple unique dans l’histoire des compagnies à monopole françaises. Ce succès était basé essentiellement sur la revente en Europe méridionale du blé acheté dans les concessions de l’Est algérien.
Par Ismet Touati, Docteur en Histoire, CNRPAH, Alger
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Nous savons que le « coup d’éventail » a été le prétexte invoqué par la France pour rompre avec l’Algérie et préparer l’expédition d’Alger de 1830. Cet incident survient dans le contexte de ce qu’on appelle communément « l’affaire Bacri ».
Il s’agit de la réclamation du montant de grosses fournitures de blé faites par l’Algérie à la France, durant les premières années de la Révolution française. L’exacerbation de cette affaire a mené au fameux « coup d’éventail », donné le 30 avril 1827, par le dey Hussein au consul de France à Alger, Deval ; ceci a eu comme suite le blocus des côtes algériennes par la marine française dès 1827 et le débarquement des troupes expéditionnaires françaises en Algérie, en juin 1830, avec les conséquences que l’on sait. Ces évènements ont marqué l’imaginaire collectif. Il s’agit pour nous de dépasser l’anecdotique et de s’inscrire dans le temps long de l’Histoire de l’Algérie, pour comprendre l’importance du commerce du blé sur l’évolution du pays et donner un meilleur éclairage sur les évènements de 1827.
Notre point de départ va être une critique de l’historiographie française de l’époque coloniale. Les historiens de l’époque coloniale vont brosser un tableau sombre de l’époque ottomane de l’Algérie, pour légitimer leur présence en Algérie. Ils vont répandre un certain nombre d’idées pour le moins erronées, dont l’idée suivante : L’Algérie n’était qu’un repaire de corsaires vivant et s’enrichissant surtout du pillage de l’Europe. Or, si l’activité corsaire algérienne était florissante aux XVIe et XVIIe siècles, elle déclina au XVIIIe siècle.
Décrivons les diverses phases de l’activité corsaire algérienne :
De 1520 à 1580, environ, Alger est complètement alignée sur la politique extérieure du Sultan. La marine algérienne vient en appui de la flotte ottomane basée à Istanbul et s’attaque essentiellement à l’Espagne et à ses alliés dans le cadre d’un conflit de Titans qui opposa l’Empire Ottoman à l’Empire des Habsbourgs d’Espagne. L’activité corsaire algérienne est alors supplétive de la guerre entre l’Empire Ottoman et l’Empire des Habsbourgs. C’est l’époque des Khayr al-Din Barberousse, des Salah Raïs, des Euldj Ali, qui formés à l’école algérienne, en quelque sorte, sont devenus tous trois amiraux de la flotte ottomane, Qapudan pacha, en turc ; c’est-à-dire le 3e personnage de l’Empire après le Sultan et le Grand Vizir. Cela s’explique par le fait que l’Algérie était la province la plus occidentale de l’Empire et donc la plus en prise avec l’impérialisme espagnol en Afrique d’où l’expérience de ses marins. En 1580, l’Empire Ottoman sort épuisé de ce conflit de Titans et la flotte ottomane se retire du bassin occidental.
La province ottomane d’Algérie acquiert dès lors une autonomie de fait et la flotte algérienne développe une activité corsaire systématique qui n’est plus simplement dirigée contre l’Espagne et ses alliés mais contre l’ensemble des puissances européennes. C’est l’apogée de la course algérienne, qui dure de l’année 1580 à l’année 1640, environ. C’est l’époque de l’enrichissement d’Alger qui de gros bourg de 20.000 habitants au début du XVIe siècle devient une ville importante d’environ 80.000 habitants. C’est l’époque de Mourad Raïs qui a donné son nom à un quartier de la ville et de Ali Bitchine, corsaire italien de naissance qui était le véritable maître d’Alger dans les années 1640. Ali Bitchine dont il nous reste une de ses fondations, la mosquée qui se trouve dans la Basse Casbah.
De 1640 à 1695, environ, l’activité corsaire algérienne décline pour une raison assez simple : l’Europe est en mesure de riposter car elle est sortie de ses Guerres de religion qui ont opposé catholiques et protestants et qu’elle est sortie de la Guerre de Trente Ans qui a duré de 1618 à 1648. Cette période de déclin de la course, a notamment été marquée par les bombardements d’Alger par la flotte de Louis XIV dans les années 1682, 1683 et 1688. Le dey Sha’ban qui a régné de 1689 à 1695 comprend alors qu’une époque est révolue, que l’Algérie ne peut pas affronter toutes les puissances européennes ; il consolide donc la paix que le pays a signé avec l’Angleterre en 1682 et avec la France en 1689, autrement dit, avec les deux plus grandes puissances de l’époque.
A partir de 1695 et jusqu’à l’année 1725, environ, l’Algérie va traverser une phase de transition qui va se caractériser par une grande instabilité politique (10 deys vont se succéder au pouvoir pendant cette courte période et 6 beys de Constantine se succèdent en l’espace de 6 ans, de l’année 1707 à l’année 1713, dont trois dans la seule année 1710). Cette transition se caractérise aussi par des guerres contre les voisins tunisiens et marocain (1694-1695, 1700-1701 et en 1705). Ces guerres, menées en bonne partie dans une perspective de pillage, furent un expédient du régime pour faire face au déclin de la course.
Après cet expédient sans lendemain et pour faire face à une dangereuse baisse de revenus, va débuter ce que Lemnouar Merouche a très justement nommé Le Siècle du Blé qui va durer de l’année 1725 à l’année 1815, environ. Les revenus tirés des exportations de blé vont permettre de faire face au déclin de la course. Les beys de Constantine et de Mascara, soutenus par le pouvoir central, vont encourager la production de blé pour l’exportation. Nous ne savons pas toujours avec précision quels sont les terroirs qui ont été concernés par ces défrichements. Nous ne pouvons pas de même connaître les quantités produites. Cependant nos sources indiquent que les cultures ont été décuplées dans le beylik de Constantine, par exemple.
Pendant la plus grande partie du XVIIIe siècle, l’activité corsaire est en revanche au plus bas et ne sert pratiquement plus que comme moyen de pression sur les petites puissances européennes pour en obtenir un tribut contre la sécurité des biens et des personnes. Elle ne constitue donc plus une source très importante de revenus et de profits. Ainsi, Alger qui avait signé une paix durable avec la France et l’Angleterre au XVIIe siècle, signe un traité avec les Hollandais dès 1726 et avec les Suédois dès 1728. D’autres traités seront signés au cours des décennies suivantes du Siècle du Blé.
Ce climat de paix relative, car de petits conflits pouvaient toujours surgir en mer et c’était inhérent à la circulation maritime en Méditerranée, ce climat disions-nous a été très propice au développement des exportations algériennes. Aux XVIe et XVIIe siècles, il y a bien eu des campagnes d’exportations de blé algérien, mais le climat d’hostilité qui régnait entre l’Algérie et les puissances européennes de l’époque, la France en particulier, a considérablement entravé le commerce ; la mauvaise administration des compagnies commerciales françaises implantées en Algérie depuis le milieu du XVIe siècle a été une cause importante également.
Car il faut le dire maintenant, et c’est très important pour la suite, au Siècle du Blé, la France, via le port de Marseille, était la principale importatrice de blé algérien et les négociants français implantés en Algérie les principaux intermédiaires du commerce international du blé algérien. Etudier les exportations de blé algérien vers Marseille, c’est donc avoir une idée précise des conséquences du commerce du blé sur l’évolution de l’Algérie. Il y avait alors une espèce d’interdépendance entre l’Algérie et la France. La France était le principal client de l’Algérie, et l’Algérie le principal fournisseur de blé nord africain à la France. Alors que durant les dernières décennies du XVIIe siècle et les premières décennies du XVIIIe siècle, la Tunisie était le principal fournisseur de la France en blé nord africain, l’Algérie se met au premier rang des exportateurs dans les années 1720. Et, en 1741, comme suite à la destruction du comptoir français du Cap Nègre en Tunisie, l’Algérie devient le fournisseur quasi exclusif de la France en blé nord-africain. Des années 1740 aux années 1790, les 9/10e du blé nord africain importé à Marseille proviennent d’Algérie.
A partir des années 1720, avec la politique d’encouragement de la production par les beys de Constantine et de Mascara, l’offre augmente, de même que la demande stimulée par l’essor démographique de l’Europe à cette époque. A cet égard, la France était le pays le plus peuplé d’Europe avec environ 20 millions d’habitants. Cette hausse de la demande tout au long du siècle provoqua une augmentation des prix, très rentable pour le fournisseur.
Ces deux facteurs de l’augmentation de l’offre et de la demande plus un certain nombre d’autres facteurs importants vont faire que les exportations de blé algérien vers Marseille vont atteindre leur apogée dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, au cours du règne du dey le plus fameux qu’ait connu l’Algérie : Muhammad Ibn Uthman (1766-1791), contemporain de deux beys tout aussi fameux, Salah bey (1771-1792) à Constantine et Muhammad el-Kebir (1779-1797) à Mascara.
Donnons des chiffres : de 1710 à 1830, soit en 120 ans, l’Algérie exporta plus de 2.193.000 charges de blé vers Marseille ; la charge de Marseille faisant 120 kg. Environ 1.434.000 charges, soit 65% du total, ont été exportées entre 1769 et 1795, soit en seulement 27 ans.
Une série de facteurs ont été déterminants dans cet essor :
– L’augmentation de l’offre et de la demande, on l’a dit.
– Le climat de paix relative qui régnait entre l’Algérie et la plupart des pays d’Europe depuis le déclin de la course algérienne.
– Retrait des Anglais de la Méditerranée à l’issue de la Guerre de Sept Ans (1756-1768)
– La guerre russo-turque (1768-1774). En interrompant les arrivées de blé orienta, elle a provoqué une hausse de la demande en blé nord-africain, en fait algérien ;
– La réalisation d’un certain nombre de réformes dans l’administration de la Compagnie commerciale française, la Compagnie Royale d’Afrique, les réformes de 1767 ayant été décisives et ayant permis d’éviter les échecs subis par les compagnies précédentes, etc.
– Des changements significatifs dans les relations entretenues par la Compagnie d’Afrique avec un certain Abd Allah, shaykh de la tribu des Ulad Dhîb, et intermédiaire des Français dans le commerce avec les populations de l’Est algérien. Dettes du shaykh, commission.
Cette période, le dernier tiers du XVIIIe siècle, se caractérise par une très forte stabilité politique, un développement économique qui toucha de larges fractions de la population on peut le dire, mais qui profita surtout à la minorité dirigeante, à des seigneurs féodaux comme le shaykh Abd Allah et aux intermédiaires français de ce commerce international. Parmi ces intermédiaires, les compagnies à monopole détentrices de concessions dans l’Est algérien, dominèrent largement le marché. Ce fut le cas, en particulier, de la Compagnie Royale d’Afrique, active de 1741 à 1793 et dont le succès, inégalé, fut un exemple unique dans l’histoire des compagnies à monopole françaises. Ce succès était basé essentiellement sur la revente en Europe méridionale du blé acheté dans les concessions de l’Est algérien.
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