Emporté par la pandémie, c’est un de ses plus brillants chercheurs et penseurs que l’Algérie perd, de même qu’un enseignant aimé
et un homme exquis.
Vendredi matin, la nouvelle parvient d’Oran, se répand dans le pays et passe les frontières : Hadj Miliani n’est plus. Travailleur acharné, chercheur passionné, enseignant émérite, intellectuel brillant, modèle d’enthousiasme et de convivialité, le professeur au sourire permanent, de retour d’une conférence à Tlemcen, a été emporté par le maudit virus. Hospitalisé mercredi, il avait encore bon espoir la veille de son décès, parlait au téléphone, tel que nous le relate Leïla Moussedek, universitaire qui a longtemps collaboré avec lui.
Toute perte humaine est déplorable. Mais quelle perte que celle-ci ! J’ai connu cet incroyable personnage, car c’en était un, au début des années 80’ lorsqu’Oran était devenue un pôle culturel majeur du pays.
On ne pouvait qu’être frappé par le condensé d’énergie et de dynamisme qu’il dégageait et ne l’a jamais quitté, y compris dans les pires circonstances, par son esprit aussi, pertinent et piquant, son humour si corrosif et philosophique.
Je découvre qu’il était né le 21 mars 1951 à Oran et, sans être féru d’astrologie, je me dis que l’équinoxe du printemps lui a peut-être donné l’inlassable tonus qui l’animait, entre faim de savoir scientifique et soif d’échanges humains.
A notre première rencontre, il me fit une surprenante demande. Il entamait une recherche sur les jurons, insultes et imprécations dans la société algérienne et collectait des sources à travers toutes les régions. Il me demanda de lui en fournir pour le centre du pays, l’Algérois, le Blidéen, le Titteri et surtout la Kabylie du fait de la langue.
N’étant pas coutumier du genre, je lui ai réuni les quelques expressions que je connaissais et mené une petite enquête auprès de diverses relations pour compléter cet improbable et sordide inventaire. Je me souviens encore – et c’était devenu un sujet de plaisanterie entre nous – du début de la grosse lettre que je lui avais adressée : «J’ai le plaisir de vous adresser en toute impunité la présente lettre d’insultes…». Suivait une série d’horreurs que les Algériens, comme tous les peuples de la Terre, se lancent entre eux dans des moments de colère, d’égarement ou de méchanceté.
Est-ce bien sérieux pour un universitaire de s’intéresser à de telles insanités ? Eh bien oui. A partir de là, Hadj Miliani tira de précieuses informations sur notre peuple dont les particularités formelles, çà et là, ne sont que des versions localisées d’une profonde unité socioculturelle.
Il en tira aussi plusieurs observations sur les mécanismes d’adversité dans notre société, les comportements et attitudes en situations conflictuelles, les ressorts de transgression morale et langagière, etc. C’est bien là toute la démarche qui l’a conduit à s’intéresser aux expressions vivantes, celles de la culture locale, de l’art ou de la littérature.
Cette voie, on en retrouve la trace dans son cursus, essentiellement littéraire, au bac, en licence, en DEA et en magister avant son doctorat en 1997 à l’Université de Paris-13 où sa thèse sur le champ littéraire algérien fut très remarquée.
On la retrouve aussi dans ses expériences sociales, lui qui fut pendant une quinzaine d’années membre d’une troupe de théâtre amateur et animateur de ciné-club, plus tard aussi syndicaliste universitaire, commissaire du festival de raï d’Oran, membre de jurys de cinéma, rédacteur au Théâtre régional d’Oran, chef de département des activités culturelles aux Œuvres universitaires d’Oran…
Une voie donc où savoir et pratique s’interpellaient en permanence sans qu’il n’oublie jamais sa mission principale de transmission, son métier d’enseignant dont des générations d’étudiants ont pu apprécier le dévouement et l’empathie.
Il a enseigné dans un lycée avant de le faire à l’Université d’Oran, mais également à celle de Constantine, ainsi qu’à Paris en tant que professeur associé à l’Institut des langues et civilisations orientales (INALCO) et l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), sans jamais quitter le pays en dépit des nombreuses propositions qu’il avait reçues.
Et, depuis 1999, c’est à l’Université de Mostaganem qu’il tenait sa chaire principale, dans la Faculté des Arts et des Lettres, la première du genre en Algérie, dont il avait contribué discrètement mais efficacement à la naissance et dont il a été un fervent animateur.
Ce sacerdoce d’enseignant, il y tenait particulièrement, pour transmettre mais également pour apprendre lui-même car, disait-il, le contact avec les étudiants lui permettait d’être en contact avec les jeunes générations et de percevoir les nouvelles tendances socioculturelles.
Il a été ainsi, à ma connaissance, le premier à signaler et fouiller les effets de la révolution numérique sur la société algérienne au plan culturel à travers le recul de la lecture (y compris chez les étudiants en Lettres, comme il le démontra dans un sondage publié dans Arts & Lettres !) et le développement de la «culture d’appartement» (parabole, streaming, home-cinéma…).
Entre ses propres ouvrages, ses contributions à des livres collectifs et ses articles dans des revues spécialisées ou la presse, innombrables sont ses publications en Algérie ou à l’étranger, de même que ses communications dans des séminaires et colloques ou ses conférences individuelles, comme la dernière qui, semble-t-il, lui a été fatale.
La liste de ce que nous devons à Hadj Miliani est tout simplement impressionnante et nous ne pouvons que renvoyer lecteurs et lectrices à son blog personnel et aux autres sources d’internet.
.../...
et un homme exquis.
Vendredi matin, la nouvelle parvient d’Oran, se répand dans le pays et passe les frontières : Hadj Miliani n’est plus. Travailleur acharné, chercheur passionné, enseignant émérite, intellectuel brillant, modèle d’enthousiasme et de convivialité, le professeur au sourire permanent, de retour d’une conférence à Tlemcen, a été emporté par le maudit virus. Hospitalisé mercredi, il avait encore bon espoir la veille de son décès, parlait au téléphone, tel que nous le relate Leïla Moussedek, universitaire qui a longtemps collaboré avec lui.
Toute perte humaine est déplorable. Mais quelle perte que celle-ci ! J’ai connu cet incroyable personnage, car c’en était un, au début des années 80’ lorsqu’Oran était devenue un pôle culturel majeur du pays.
On ne pouvait qu’être frappé par le condensé d’énergie et de dynamisme qu’il dégageait et ne l’a jamais quitté, y compris dans les pires circonstances, par son esprit aussi, pertinent et piquant, son humour si corrosif et philosophique.
Je découvre qu’il était né le 21 mars 1951 à Oran et, sans être féru d’astrologie, je me dis que l’équinoxe du printemps lui a peut-être donné l’inlassable tonus qui l’animait, entre faim de savoir scientifique et soif d’échanges humains.
A notre première rencontre, il me fit une surprenante demande. Il entamait une recherche sur les jurons, insultes et imprécations dans la société algérienne et collectait des sources à travers toutes les régions. Il me demanda de lui en fournir pour le centre du pays, l’Algérois, le Blidéen, le Titteri et surtout la Kabylie du fait de la langue.
N’étant pas coutumier du genre, je lui ai réuni les quelques expressions que je connaissais et mené une petite enquête auprès de diverses relations pour compléter cet improbable et sordide inventaire. Je me souviens encore – et c’était devenu un sujet de plaisanterie entre nous – du début de la grosse lettre que je lui avais adressée : «J’ai le plaisir de vous adresser en toute impunité la présente lettre d’insultes…». Suivait une série d’horreurs que les Algériens, comme tous les peuples de la Terre, se lancent entre eux dans des moments de colère, d’égarement ou de méchanceté.
Est-ce bien sérieux pour un universitaire de s’intéresser à de telles insanités ? Eh bien oui. A partir de là, Hadj Miliani tira de précieuses informations sur notre peuple dont les particularités formelles, çà et là, ne sont que des versions localisées d’une profonde unité socioculturelle.
Il en tira aussi plusieurs observations sur les mécanismes d’adversité dans notre société, les comportements et attitudes en situations conflictuelles, les ressorts de transgression morale et langagière, etc. C’est bien là toute la démarche qui l’a conduit à s’intéresser aux expressions vivantes, celles de la culture locale, de l’art ou de la littérature.
Cette voie, on en retrouve la trace dans son cursus, essentiellement littéraire, au bac, en licence, en DEA et en magister avant son doctorat en 1997 à l’Université de Paris-13 où sa thèse sur le champ littéraire algérien fut très remarquée.
On la retrouve aussi dans ses expériences sociales, lui qui fut pendant une quinzaine d’années membre d’une troupe de théâtre amateur et animateur de ciné-club, plus tard aussi syndicaliste universitaire, commissaire du festival de raï d’Oran, membre de jurys de cinéma, rédacteur au Théâtre régional d’Oran, chef de département des activités culturelles aux Œuvres universitaires d’Oran…
Une voie donc où savoir et pratique s’interpellaient en permanence sans qu’il n’oublie jamais sa mission principale de transmission, son métier d’enseignant dont des générations d’étudiants ont pu apprécier le dévouement et l’empathie.
Il a enseigné dans un lycée avant de le faire à l’Université d’Oran, mais également à celle de Constantine, ainsi qu’à Paris en tant que professeur associé à l’Institut des langues et civilisations orientales (INALCO) et l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), sans jamais quitter le pays en dépit des nombreuses propositions qu’il avait reçues.
Et, depuis 1999, c’est à l’Université de Mostaganem qu’il tenait sa chaire principale, dans la Faculté des Arts et des Lettres, la première du genre en Algérie, dont il avait contribué discrètement mais efficacement à la naissance et dont il a été un fervent animateur.
Ce sacerdoce d’enseignant, il y tenait particulièrement, pour transmettre mais également pour apprendre lui-même car, disait-il, le contact avec les étudiants lui permettait d’être en contact avec les jeunes générations et de percevoir les nouvelles tendances socioculturelles.
Il a été ainsi, à ma connaissance, le premier à signaler et fouiller les effets de la révolution numérique sur la société algérienne au plan culturel à travers le recul de la lecture (y compris chez les étudiants en Lettres, comme il le démontra dans un sondage publié dans Arts & Lettres !) et le développement de la «culture d’appartement» (parabole, streaming, home-cinéma…).
Entre ses propres ouvrages, ses contributions à des livres collectifs et ses articles dans des revues spécialisées ou la presse, innombrables sont ses publications en Algérie ou à l’étranger, de même que ses communications dans des séminaires et colloques ou ses conférences individuelles, comme la dernière qui, semble-t-il, lui a été fatale.
La liste de ce que nous devons à Hadj Miliani est tout simplement impressionnante et nous ne pouvons que renvoyer lecteurs et lectrices à son blog personnel et aux autres sources d’internet.
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