[Article]
À la poussée structurelle des Arabes vers l’O., qui a favorisé les premières conquêtes arabo-musulmanes et permet de comprendre la constitution relativement aisée du premier Empire musulman dans une Méditerranée déprimée démographiquement, il convient d’ajouter des facteurs sociaux et politiques qui ont contribué à la migration de tribus arabes et à leur enracinement au Maghreb au Moyen Âge.
Au sens strict, les invasions hilâliennes au Maghreb eurent lieu au milieu du 11e siècle avec l’arrivée des Banû Hilâl. Mais avant cette date, des groupes arabes étaient déjà arrivés, envoyés notamment par les califes fatimides du Caire, et à partir de cette date, d’autres arriveront de manière régulière en provenance d’Orient. Ce ne sont plus alors des Arabes appartenant aux Banû Hilâl, mais des Banû Sulaym ... etc. On désignera donc de manière générique comme "hilâliennes" des migrations arabes d’E. en O. qui s’étalent en fait sur plusieurs siècles : de la fin du 10e siècle jusqu’au 13e.
Les « invasions hilâliennes » et leur impact sur le Maghreb
Pour Émile-Félix Gautier, auteur en 1927 d’un ouvrage intitulé Les siècles obscurs du Maghreb, le fait majeur de la période comprise entre le 11e et le 15e siècle est la mutation qui transforme les Berbères zénètes en Arabes hilâliens. Cette mutation démographique, socioculturelle et politique aurait constitué un bouleversement majeur. Hady Roger Idris s’inscrit dans cette veine historiographique et, dans son ouvrage La Berbérie orientale sous les Zirides, il présente les nomades arabes comme les fossoyeurs de la civilisation urbaine de l’Ifrîqiya ziride. D’autres historiens, dont un des premiers est Jean Poncet à la fin des années 1960, contestent cette rupture et la chronologie qu’en présentent les « historiens de la catastrophe ». Il considère que c’est bien plutôt la crise du Maghreb qui a permis et facilité les invasions hilâliennes.
Ce débat historiographique prend place dans un contexte bien particulier dont il est difficile de l’extraire : la période coloniale ou post-coloniale. Entre 1830, début de la conquête de l’Algérie par la France, et 1962, indépendance dans la douleur de l’Algérie, la résistance des Algériens n’a jamais cessé. Pour résumer très schématiquement, l’administration française qui cherchait des relais dans la population algérienne, pensa les trouver d’une part dans les milieux soufis, d’autre part chez les Berbères à qui les « spécialistes » de l’époque attribuaient une origine européenne. Cette supposée communauté biologique de « race » entre les Berbères et les colonisateurs était censée, à une époque où les analyses raciales était courantes, favoriser la proximité politique. En revanche, les Arabes étaient investis d’une charge négative : fanatisme, violence, influence religieuse néfaste. Leur intervention ou leur influence ne pouvait donc provoquer, au Moyen Âge comme aux 19e-20e siècles, qu’une « catastrophe », dont l’ampleur et le caractère destructeur étaient la rétroprojection anachronique d’idéologies contemporaines.
Les modalités de l’enracinement des tribus orientales
Ces dernières années, comme le rappellent Philippe Sénac et Patrice Cressier, les historiens sont plus nuancés sur la brutalité de ce vaste mouvement de population arabe. Le phénomène n’est plus perçu dorénavant comme une catastrophe brutale découlant de l’irruption de forces anarchiques dans un espace policé et civilisé, mais comme une évolution progressive des rapports de force au Maghreb, tant avec l’Orient, qu’avec les principautés du N. de la Méditerranée.
En effet, à partir du 10e siècle, plusieurs événements participent à l’affaiblissement relatif de l’Ifrîqiya au Maghreb : le déplacement vers l’O. des voies sahariennes menant aux mines d’or du « Pays des Noirs » (Bilâd al-Sudân), la montée en puissance des commerçants italiens, et de manière générale des flottes et du pouvoir militaire et commercial des régions septentrionales de la Méditerranée, l’islamisation et l’arabisation croissante du Maghreb Extrême, à quoi s’ajoute le fait que l’Ifrîqiya constitue une cible comme centre polarisé et structuré de pouvoir au Maghreb. Les Fatimides du Caire, qui connaissaient bien les potentialités politiques, économiques et culturelles de l’Ifrîqiya, ne ménagèrent pas leurs efforts pour affaiblir la région en y envoyant régulièrement des troupes et/ou des tribus nomades. L’intégration ifrîqiyenne dans l’Empire arabe permet de comprendre la politique matrimoniale des élites locales qui, dans l’espoir de se concilier les Hilâliens et leurs successeurs, acceptaient de donner leurs filles en mariage aux chefs arabes. Certes dans les structures anthropologiques dominant dans la région, cette stratégie était un signe de faiblesse, les clans dominants conservant traditionnellement leurs femmes et captant celles des clans inférieurs, mais elle permit aussi à la dynastie ziride de se maintenir jusqu’au milieu du 11e siècle et favorisa l’arabisation des populations ifrîqiyennes.
Ainsi, au milieu du 12e siècle, les Arabes Banû Hilâl et Banû Sulaym dominaient à peu près toute l’Ifrîqiya, à l’exception de quelques massifs comme le Djebel Nafûsa (O. de la Libye actuelle) et le Djebel Dammâr (S. de la Tunisie actuelle) où les populations autochtones continuaient à parler le berbère et à professer le kharijisme sans acquitter de droits de protection.
I. La mise au pas des tribus arabes par les Almohades (milieu 12e siècle)
Sous le long règne de ‘Abd al-Mu’min (1130-1163), le fondateur de la dynastie Mu’minide, l’empire almohade atteignit son extension maximale au Maghreb et en Ifrîqiya. Très tôt, il se heurta aux tribus arabes d’Ifrîqiya. Conscients du danger, les Arabes s’unirent et lancèrent des appels à l’aide à Tripoli et à Alexandrie pour contenir la poussée almohade. Les tribus ‘Adî, Zughba, Qurrâ, Athbaj et Riyâh s’engagèrent à défendre leur souverain, le hammâdide Yahyâ b. ‘Abd al-‘Azîz (r. 1121-1152). En dépit de cet effort, les troupes arabes furent défaites dans la plaine de Sétif le 28 avril 1153 par les troupes almohades. Le calife ‘Abd al-Mu’min se montra magnanime vis-à-vis des vaincus, il fit libérer les chefs arabes (Difâl b. Maymûn, Habbâs b. al-Rûmiyya, Abû Qitrân ... etc.) et les combla de dons en les intégrant à la hiérarchie politique de l’Empire en expansion.
Les Arabes au service de l’armée almohade À partir de 1153, les Arabes furent donc présents dans les rangs almohades et leur proportion augmenta progressivement. Lors de la campagne de 1159-1160 visant à l’annexion de l’Ifrîqiya, des contingents arabes, incorporés à l’armée almohade, concoururent au succès de la dynastie berbère. ‘Abd al-Mu’min brisa ainsi, notamment à Kairouan, la suprématie de certaines tribus arabes comme les Riyâh qui y exerçaient leur domination depuis le milieu du 11e siècle. En outre les anciens émirats issus des décombres du royaume ziride, parmi lesquels la principauté arabe de Sousse, se soumirent. De même, dans la campagne de Fahs al-Jallâb en Andalus contre Ibn Mardanîsh en 1165, on trouve un groupe de 4.000 cavaliers arabes au sein d’une armée qui comptait 20.000 soldats . Quelques années plus tard, à la fin de la campagne d’Ifrîqiya, ils étaient 10.000 à côté de 10.000 almohades. Quand, en 1171, Yûsuf Abû Ya‘qûb (1163-1184) fit appel aux cavaliers arabes, il en vint 4.000 d’Ifrîqiya et 1.000 environ de Tlemcen. Le chroniqueur al-Marrâkushî affirme dans le Mu‘jib qu’en 1224, il y avait 5.000 cavaliers Zughba, Riyâh, Husham b. Bakr dans la région de Cordoue.
Le déplacement des tribus arabes, confirmé par les lettres de chancellerie et par les chroniques, prend une valeur différente selon qu’on suit le point de vue des chroniques almohades ou celui des historiens récents. Amîn Tawfîq al-Tîbî montre parfaitement qu’avant l’intervention almohade, les tribus arabes menaient déjà le jihâd contre Pise et Gênes. Elles défendirent, par exemple, Mahdîya lors de l’attaque conjuguée des flottes de Pise et de Gênes en 1087, elles jouèrent un rôle important dans la défaite des Normands au hisn al-Dîmâs (près de Mahdîya) en 1122, ainsi qu’en 1142 lors du siège de Tripoli par les Normands qui auraient probablement occupé la ville si les Arabes hilâliens n’étaient pas intervenus. En 1153, lorsque les Normands occupèrent Mahdîya et la plupart des villes de la côte d’Ifrîqiya, parmi lesquelles Tunis et une ou deux autres villes, le roi Roger II de Sicile rencontra les Arabes qui refusèrent de s’allier à lui contre les Almohades. Selon le chroniqueur oriental Ibn al-Athîr (m. 1233), les Siciliens auraient proposé 5.000 cavaliers aux Arabes en 1153 pour les aider à lutter contre les Almohades de ‘Abd al-Mu’min, mais les Arabes lui auraient répondu qu’il n’avaient besoin de rien d’autre que de l’aide des musulmans.
L’arabisation du Maghreb Extrême
Pour la première fois des tribus arabes, comme les Jushâm et les Banû Muhammad, s’implantèrent au Maghreb Extrême sur ordre du calife. La mission qu’elles reçurent des Almohades était claire : les Arabes devaient surveiller les axes principaux du pays, servir de réserves pour les troupes de choc en al-Andalus et, éventuellement, lever l’impôt sur les populations locales. Afin de prévenir toute rébellion, les autorités prirent soin de les installer loin des routes menant au désert de peur qu’ils ne s’y enfuient et ne se révoltent. C’est pour cette raison qu’elles étaient cantonnées essentiellement dans la plaine atlantique du Maghreb Extrême (Habt, Tâmasna) et sur l’axe reliant Fès à Marrakech (Tâdla) où par vagues successives elles furent transférées, parfois de force, entre 1160 et 1200.
Cette politique d’intégration des tribus arabes dans les structures almohades ne fut pas sans danger. D’ailleurs, certains historiens, dans la lignée des courants historiographiques mentionnés plus haut, n’ont pas de mot assez dur à l’égard des choix politiques de ‘Abd al-Mu’min. Ils considèrent cet épisode comme un tournant important dans la vie de l’Empire almohade : tant Roger Le Tourneau qu’Ambrosio Huici Miranda estime que ‘Abd al-Mu’min « trahit la cause berbère en transigeant avec les Arabes ». Pourtant l’affirmation de Roger Le Tourneau selon laquelle « ainsi ‘Abd al-Mu’min privait le mouvement almohade de son âme et, tout en assurant le pouvoir à ses descendants, il préparait aussi, sans s’en douter leur ruine, car il leur enlevait le soutien de la communauté almohade tout entière pour leur assurer seulement le concours de quelques familles de notables nanties ou à peine ralliées » est très largement anachronique et constitue une explication un peu simpliste de l’effondrement ultérieur de l’Empire.
En fait, les tribus arabes jouèrent un rôle important dans la réduction de certaines révoltes comme par exemple celle des Ghumâra du Rîf dans les années 1160. D’autres Arabes furent renvoyés au Maghreb Central pour servir de troupes d’appui au gouverneur de Tlemcen. Parfois les Arabes reçurent l’administration du pays, comme Bizerte ou Gabès, où ils étaient en position de force. En tant que membres à part entière de l’armée, les Arabes étaient inscrits sur le registre du bureau chargé des affaires militaires et ils recevaient des soldes régulières et des équipements. Dans le S.-E. d’al-Andalus, ils bénéficièrent de concessions foncières (sihâm), jusqu’à l’effondrement du pouvoir almohade dans les années 1220.
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À la poussée structurelle des Arabes vers l’O., qui a favorisé les premières conquêtes arabo-musulmanes et permet de comprendre la constitution relativement aisée du premier Empire musulman dans une Méditerranée déprimée démographiquement, il convient d’ajouter des facteurs sociaux et politiques qui ont contribué à la migration de tribus arabes et à leur enracinement au Maghreb au Moyen Âge.
Au sens strict, les invasions hilâliennes au Maghreb eurent lieu au milieu du 11e siècle avec l’arrivée des Banû Hilâl. Mais avant cette date, des groupes arabes étaient déjà arrivés, envoyés notamment par les califes fatimides du Caire, et à partir de cette date, d’autres arriveront de manière régulière en provenance d’Orient. Ce ne sont plus alors des Arabes appartenant aux Banû Hilâl, mais des Banû Sulaym ... etc. On désignera donc de manière générique comme "hilâliennes" des migrations arabes d’E. en O. qui s’étalent en fait sur plusieurs siècles : de la fin du 10e siècle jusqu’au 13e.
Les « invasions hilâliennes » et leur impact sur le Maghreb
Pour Émile-Félix Gautier, auteur en 1927 d’un ouvrage intitulé Les siècles obscurs du Maghreb, le fait majeur de la période comprise entre le 11e et le 15e siècle est la mutation qui transforme les Berbères zénètes en Arabes hilâliens. Cette mutation démographique, socioculturelle et politique aurait constitué un bouleversement majeur. Hady Roger Idris s’inscrit dans cette veine historiographique et, dans son ouvrage La Berbérie orientale sous les Zirides, il présente les nomades arabes comme les fossoyeurs de la civilisation urbaine de l’Ifrîqiya ziride. D’autres historiens, dont un des premiers est Jean Poncet à la fin des années 1960, contestent cette rupture et la chronologie qu’en présentent les « historiens de la catastrophe ». Il considère que c’est bien plutôt la crise du Maghreb qui a permis et facilité les invasions hilâliennes.
Ce débat historiographique prend place dans un contexte bien particulier dont il est difficile de l’extraire : la période coloniale ou post-coloniale. Entre 1830, début de la conquête de l’Algérie par la France, et 1962, indépendance dans la douleur de l’Algérie, la résistance des Algériens n’a jamais cessé. Pour résumer très schématiquement, l’administration française qui cherchait des relais dans la population algérienne, pensa les trouver d’une part dans les milieux soufis, d’autre part chez les Berbères à qui les « spécialistes » de l’époque attribuaient une origine européenne. Cette supposée communauté biologique de « race » entre les Berbères et les colonisateurs était censée, à une époque où les analyses raciales était courantes, favoriser la proximité politique. En revanche, les Arabes étaient investis d’une charge négative : fanatisme, violence, influence religieuse néfaste. Leur intervention ou leur influence ne pouvait donc provoquer, au Moyen Âge comme aux 19e-20e siècles, qu’une « catastrophe », dont l’ampleur et le caractère destructeur étaient la rétroprojection anachronique d’idéologies contemporaines.
Les modalités de l’enracinement des tribus orientales
Ces dernières années, comme le rappellent Philippe Sénac et Patrice Cressier, les historiens sont plus nuancés sur la brutalité de ce vaste mouvement de population arabe. Le phénomène n’est plus perçu dorénavant comme une catastrophe brutale découlant de l’irruption de forces anarchiques dans un espace policé et civilisé, mais comme une évolution progressive des rapports de force au Maghreb, tant avec l’Orient, qu’avec les principautés du N. de la Méditerranée.
En effet, à partir du 10e siècle, plusieurs événements participent à l’affaiblissement relatif de l’Ifrîqiya au Maghreb : le déplacement vers l’O. des voies sahariennes menant aux mines d’or du « Pays des Noirs » (Bilâd al-Sudân), la montée en puissance des commerçants italiens, et de manière générale des flottes et du pouvoir militaire et commercial des régions septentrionales de la Méditerranée, l’islamisation et l’arabisation croissante du Maghreb Extrême, à quoi s’ajoute le fait que l’Ifrîqiya constitue une cible comme centre polarisé et structuré de pouvoir au Maghreb. Les Fatimides du Caire, qui connaissaient bien les potentialités politiques, économiques et culturelles de l’Ifrîqiya, ne ménagèrent pas leurs efforts pour affaiblir la région en y envoyant régulièrement des troupes et/ou des tribus nomades. L’intégration ifrîqiyenne dans l’Empire arabe permet de comprendre la politique matrimoniale des élites locales qui, dans l’espoir de se concilier les Hilâliens et leurs successeurs, acceptaient de donner leurs filles en mariage aux chefs arabes. Certes dans les structures anthropologiques dominant dans la région, cette stratégie était un signe de faiblesse, les clans dominants conservant traditionnellement leurs femmes et captant celles des clans inférieurs, mais elle permit aussi à la dynastie ziride de se maintenir jusqu’au milieu du 11e siècle et favorisa l’arabisation des populations ifrîqiyennes.
Ainsi, au milieu du 12e siècle, les Arabes Banû Hilâl et Banû Sulaym dominaient à peu près toute l’Ifrîqiya, à l’exception de quelques massifs comme le Djebel Nafûsa (O. de la Libye actuelle) et le Djebel Dammâr (S. de la Tunisie actuelle) où les populations autochtones continuaient à parler le berbère et à professer le kharijisme sans acquitter de droits de protection.
I. La mise au pas des tribus arabes par les Almohades (milieu 12e siècle)
Sous le long règne de ‘Abd al-Mu’min (1130-1163), le fondateur de la dynastie Mu’minide, l’empire almohade atteignit son extension maximale au Maghreb et en Ifrîqiya. Très tôt, il se heurta aux tribus arabes d’Ifrîqiya. Conscients du danger, les Arabes s’unirent et lancèrent des appels à l’aide à Tripoli et à Alexandrie pour contenir la poussée almohade. Les tribus ‘Adî, Zughba, Qurrâ, Athbaj et Riyâh s’engagèrent à défendre leur souverain, le hammâdide Yahyâ b. ‘Abd al-‘Azîz (r. 1121-1152). En dépit de cet effort, les troupes arabes furent défaites dans la plaine de Sétif le 28 avril 1153 par les troupes almohades. Le calife ‘Abd al-Mu’min se montra magnanime vis-à-vis des vaincus, il fit libérer les chefs arabes (Difâl b. Maymûn, Habbâs b. al-Rûmiyya, Abû Qitrân ... etc.) et les combla de dons en les intégrant à la hiérarchie politique de l’Empire en expansion.
Les Arabes au service de l’armée almohade À partir de 1153, les Arabes furent donc présents dans les rangs almohades et leur proportion augmenta progressivement. Lors de la campagne de 1159-1160 visant à l’annexion de l’Ifrîqiya, des contingents arabes, incorporés à l’armée almohade, concoururent au succès de la dynastie berbère. ‘Abd al-Mu’min brisa ainsi, notamment à Kairouan, la suprématie de certaines tribus arabes comme les Riyâh qui y exerçaient leur domination depuis le milieu du 11e siècle. En outre les anciens émirats issus des décombres du royaume ziride, parmi lesquels la principauté arabe de Sousse, se soumirent. De même, dans la campagne de Fahs al-Jallâb en Andalus contre Ibn Mardanîsh en 1165, on trouve un groupe de 4.000 cavaliers arabes au sein d’une armée qui comptait 20.000 soldats . Quelques années plus tard, à la fin de la campagne d’Ifrîqiya, ils étaient 10.000 à côté de 10.000 almohades. Quand, en 1171, Yûsuf Abû Ya‘qûb (1163-1184) fit appel aux cavaliers arabes, il en vint 4.000 d’Ifrîqiya et 1.000 environ de Tlemcen. Le chroniqueur al-Marrâkushî affirme dans le Mu‘jib qu’en 1224, il y avait 5.000 cavaliers Zughba, Riyâh, Husham b. Bakr dans la région de Cordoue.
Le déplacement des tribus arabes, confirmé par les lettres de chancellerie et par les chroniques, prend une valeur différente selon qu’on suit le point de vue des chroniques almohades ou celui des historiens récents. Amîn Tawfîq al-Tîbî montre parfaitement qu’avant l’intervention almohade, les tribus arabes menaient déjà le jihâd contre Pise et Gênes. Elles défendirent, par exemple, Mahdîya lors de l’attaque conjuguée des flottes de Pise et de Gênes en 1087, elles jouèrent un rôle important dans la défaite des Normands au hisn al-Dîmâs (près de Mahdîya) en 1122, ainsi qu’en 1142 lors du siège de Tripoli par les Normands qui auraient probablement occupé la ville si les Arabes hilâliens n’étaient pas intervenus. En 1153, lorsque les Normands occupèrent Mahdîya et la plupart des villes de la côte d’Ifrîqiya, parmi lesquelles Tunis et une ou deux autres villes, le roi Roger II de Sicile rencontra les Arabes qui refusèrent de s’allier à lui contre les Almohades. Selon le chroniqueur oriental Ibn al-Athîr (m. 1233), les Siciliens auraient proposé 5.000 cavaliers aux Arabes en 1153 pour les aider à lutter contre les Almohades de ‘Abd al-Mu’min, mais les Arabes lui auraient répondu qu’il n’avaient besoin de rien d’autre que de l’aide des musulmans.
L’arabisation du Maghreb Extrême
Pour la première fois des tribus arabes, comme les Jushâm et les Banû Muhammad, s’implantèrent au Maghreb Extrême sur ordre du calife. La mission qu’elles reçurent des Almohades était claire : les Arabes devaient surveiller les axes principaux du pays, servir de réserves pour les troupes de choc en al-Andalus et, éventuellement, lever l’impôt sur les populations locales. Afin de prévenir toute rébellion, les autorités prirent soin de les installer loin des routes menant au désert de peur qu’ils ne s’y enfuient et ne se révoltent. C’est pour cette raison qu’elles étaient cantonnées essentiellement dans la plaine atlantique du Maghreb Extrême (Habt, Tâmasna) et sur l’axe reliant Fès à Marrakech (Tâdla) où par vagues successives elles furent transférées, parfois de force, entre 1160 et 1200.
Cette politique d’intégration des tribus arabes dans les structures almohades ne fut pas sans danger. D’ailleurs, certains historiens, dans la lignée des courants historiographiques mentionnés plus haut, n’ont pas de mot assez dur à l’égard des choix politiques de ‘Abd al-Mu’min. Ils considèrent cet épisode comme un tournant important dans la vie de l’Empire almohade : tant Roger Le Tourneau qu’Ambrosio Huici Miranda estime que ‘Abd al-Mu’min « trahit la cause berbère en transigeant avec les Arabes ». Pourtant l’affirmation de Roger Le Tourneau selon laquelle « ainsi ‘Abd al-Mu’min privait le mouvement almohade de son âme et, tout en assurant le pouvoir à ses descendants, il préparait aussi, sans s’en douter leur ruine, car il leur enlevait le soutien de la communauté almohade tout entière pour leur assurer seulement le concours de quelques familles de notables nanties ou à peine ralliées » est très largement anachronique et constitue une explication un peu simpliste de l’effondrement ultérieur de l’Empire.
En fait, les tribus arabes jouèrent un rôle important dans la réduction de certaines révoltes comme par exemple celle des Ghumâra du Rîf dans les années 1160. D’autres Arabes furent renvoyés au Maghreb Central pour servir de troupes d’appui au gouverneur de Tlemcen. Parfois les Arabes reçurent l’administration du pays, comme Bizerte ou Gabès, où ils étaient en position de force. En tant que membres à part entière de l’armée, les Arabes étaient inscrits sur le registre du bureau chargé des affaires militaires et ils recevaient des soldes régulières et des équipements. Dans le S.-E. d’al-Andalus, ils bénéficièrent de concessions foncières (sihâm), jusqu’à l’effondrement du pouvoir almohade dans les années 1220.
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