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Les migrations arabes hilâliennes au Maghreb

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  • Les migrations arabes hilâliennes au Maghreb

    [Article]

    À la poussée structurelle des Arabes vers l’O., qui a favorisé les premières conquêtes arabo-musulmanes et permet de comprendre la constitution relativement aisée du premier Empire musulman dans une Méditerranée déprimée démographiquement, il convient d’ajouter des facteurs sociaux et politiques qui ont contribué à la migration de tribus arabes et à leur enracinement au Maghreb au Moyen Âge.

    Au sens strict, les invasions hilâliennes au Maghreb eurent lieu au milieu du 11e siècle avec l’arrivée des Banû Hilâl. Mais avant cette date, des groupes arabes étaient déjà arrivés, envoyés notamment par les califes fatimides du Caire, et à partir de cette date, d’autres arriveront de manière régulière en provenance d’Orient. Ce ne sont plus alors des Arabes appartenant aux Banû Hilâl, mais des Banû Sulaym ... etc. On désignera donc de manière générique comme "hilâliennes" des migrations arabes d’E. en O. qui s’étalent en fait sur plusieurs siècles : de la fin du 10e siècle jusqu’au 13e.

    Les « invasions hilâliennes » et leur impact sur le Maghreb

    Pour Émile-Félix Gautier, auteur en 1927 d’un ouvrage intitulé Les siècles obscurs du Maghreb, le fait majeur de la période comprise entre le 11e et le 15e siècle est la mutation qui transforme les Berbères zénètes en Arabes hilâliens. Cette mutation démographique, socioculturelle et politique aurait constitué un bouleversement majeur. Hady Roger Idris s’inscrit dans cette veine historiographique et, dans son ouvrage La Berbérie orientale sous les Zirides, il présente les nomades arabes comme les fossoyeurs de la civilisation urbaine de l’Ifrîqiya ziride. D’autres historiens, dont un des premiers est Jean Poncet à la fin des années 1960, contestent cette rupture et la chronologie qu’en présentent les « historiens de la catastrophe ». Il considère que c’est bien plutôt la crise du Maghreb qui a permis et facilité les invasions hilâliennes.

    Ce débat historiographique prend place dans un contexte bien particulier dont il est difficile de l’extraire : la période coloniale ou post-coloniale. Entre 1830, début de la conquête de l’Algérie par la France, et 1962, indépendance dans la douleur de l’Algérie, la résistance des Algériens n’a jamais cessé. Pour résumer très schématiquement, l’administration française qui cherchait des relais dans la population algérienne, pensa les trouver d’une part dans les milieux soufis, d’autre part chez les Berbères à qui les « spécialistes » de l’époque attribuaient une origine européenne. Cette supposée communauté biologique de « race » entre les Berbères et les colonisateurs était censée, à une époque où les analyses raciales était courantes, favoriser la proximité politique. En revanche, les Arabes étaient investis d’une charge négative : fanatisme, violence, influence religieuse néfaste. Leur intervention ou leur influence ne pouvait donc provoquer, au Moyen Âge comme aux 19e-20e siècles, qu’une « catastrophe », dont l’ampleur et le caractère destructeur étaient la rétroprojection anachronique d’idéologies contemporaines.

    Les modalités de l’enracinement des tribus orientales

    Ces dernières années, comme le rappellent Philippe Sénac et Patrice Cressier, les historiens sont plus nuancés sur la brutalité de ce vaste mouvement de population arabe. Le phénomène n’est plus perçu dorénavant comme une catastrophe brutale découlant de l’irruption de forces anarchiques dans un espace policé et civilisé, mais comme une évolution progressive des rapports de force au Maghreb, tant avec l’Orient, qu’avec les principautés du N. de la Méditerranée.

    En effet, à partir du 10e siècle, plusieurs événements participent à l’affaiblissement relatif de l’Ifrîqiya au Maghreb : le déplacement vers l’O. des voies sahariennes menant aux mines d’or du « Pays des Noirs » (Bilâd al-Sudân), la montée en puissance des commerçants italiens, et de manière générale des flottes et du pouvoir militaire et commercial des régions septentrionales de la Méditerranée, l’islamisation et l’arabisation croissante du Maghreb Extrême, à quoi s’ajoute le fait que l’Ifrîqiya constitue une cible comme centre polarisé et structuré de pouvoir au Maghreb. Les Fatimides du Caire, qui connaissaient bien les potentialités politiques, économiques et culturelles de l’Ifrîqiya, ne ménagèrent pas leurs efforts pour affaiblir la région en y envoyant régulièrement des troupes et/ou des tribus nomades. L’intégration ifrîqiyenne dans l’Empire arabe permet de comprendre la politique matrimoniale des élites locales qui, dans l’espoir de se concilier les Hilâliens et leurs successeurs, acceptaient de donner leurs filles en mariage aux chefs arabes. Certes dans les structures anthropologiques dominant dans la région, cette stratégie était un signe de faiblesse, les clans dominants conservant traditionnellement leurs femmes et captant celles des clans inférieurs, mais elle permit aussi à la dynastie ziride de se maintenir jusqu’au milieu du 11e siècle et favorisa l’arabisation des populations ifrîqiyennes.

    Ainsi, au milieu du 12e siècle, les Arabes Banû Hilâl et Banû Sulaym dominaient à peu près toute l’Ifrîqiya, à l’exception de quelques massifs comme le Djebel Nafûsa (O. de la Libye actuelle) et le Djebel Dammâr (S. de la Tunisie actuelle) où les populations autochtones continuaient à parler le berbère et à professer le kharijisme sans acquitter de droits de protection.

    I. La mise au pas des tribus arabes par les Almohades (milieu 12e siècle)

    Sous le long règne de ‘Abd al-Mu’min (1130-1163), le fondateur de la dynastie Mu’minide, l’empire almohade atteignit son extension maximale au Maghreb et en Ifrîqiya. Très tôt, il se heurta aux tribus arabes d’Ifrîqiya. Conscients du danger, les Arabes s’unirent et lancèrent des appels à l’aide à Tripoli et à Alexandrie pour contenir la poussée almohade. Les tribus ‘Adî, Zughba, Qurrâ, Athbaj et Riyâh s’engagèrent à défendre leur souverain, le hammâdide Yahyâ b. ‘Abd al-‘Azîz (r. 1121-1152). En dépit de cet effort, les troupes arabes furent défaites dans la plaine de Sétif le 28 avril 1153 par les troupes almohades. Le calife ‘Abd al-Mu’min se montra magnanime vis-à-vis des vaincus, il fit libérer les chefs arabes (Difâl b. Maymûn, Habbâs b. al-Rûmiyya, Abû Qitrân ... etc.) et les combla de dons en les intégrant à la hiérarchie politique de l’Empire en expansion.

    Les Arabes au service de l’armée almohade À partir de 1153, les Arabes furent donc présents dans les rangs almohades et leur proportion augmenta progressivement. Lors de la campagne de 1159-1160 visant à l’annexion de l’Ifrîqiya, des contingents arabes, incorporés à l’armée almohade, concoururent au succès de la dynastie berbère. ‘Abd al-Mu’min brisa ainsi, notamment à Kairouan, la suprématie de certaines tribus arabes comme les Riyâh qui y exerçaient leur domination depuis le milieu du 11e siècle. En outre les anciens émirats issus des décombres du royaume ziride, parmi lesquels la principauté arabe de Sousse, se soumirent. De même, dans la campagne de Fahs al-Jallâb en Andalus contre Ibn Mardanîsh en 1165, on trouve un groupe de 4.000 cavaliers arabes au sein d’une armée qui comptait 20.000 soldats . Quelques années plus tard, à la fin de la campagne d’Ifrîqiya, ils étaient 10.000 à côté de 10.000 almohades. Quand, en 1171, Yûsuf Abû Ya‘qûb (1163-1184) fit appel aux cavaliers arabes, il en vint 4.000 d’Ifrîqiya et 1.000 environ de Tlemcen. Le chroniqueur al-Marrâkushî affirme dans le Mu‘jib qu’en 1224, il y avait 5.000 cavaliers Zughba, Riyâh, Husham b. Bakr dans la région de Cordoue.

    Le déplacement des tribus arabes, confirmé par les lettres de chancellerie et par les chroniques, prend une valeur différente selon qu’on suit le point de vue des chroniques almohades ou celui des historiens récents. Amîn Tawfîq al-Tîbî montre parfaitement qu’avant l’intervention almohade, les tribus arabes menaient déjà le jihâd contre Pise et Gênes. Elles défendirent, par exemple, Mahdîya lors de l’attaque conjuguée des flottes de Pise et de Gênes en 1087, elles jouèrent un rôle important dans la défaite des Normands au hisn al-Dîmâs (près de Mahdîya) en 1122, ainsi qu’en 1142 lors du siège de Tripoli par les Normands qui auraient probablement occupé la ville si les Arabes hilâliens n’étaient pas intervenus. En 1153, lorsque les Normands occupèrent Mahdîya et la plupart des villes de la côte d’Ifrîqiya, parmi lesquelles Tunis et une ou deux autres villes, le roi Roger II de Sicile rencontra les Arabes qui refusèrent de s’allier à lui contre les Almohades. Selon le chroniqueur oriental Ibn al-Athîr (m. 1233), les Siciliens auraient proposé 5.000 cavaliers aux Arabes en 1153 pour les aider à lutter contre les Almohades de ‘Abd al-Mu’min, mais les Arabes lui auraient répondu qu’il n’avaient besoin de rien d’autre que de l’aide des musulmans.

    L’arabisation du Maghreb Extrême

    Pour la première fois des tribus arabes, comme les Jushâm et les Banû Muhammad, s’implantèrent au Maghreb Extrême sur ordre du calife. La mission qu’elles reçurent des Almohades était claire : les Arabes devaient surveiller les axes principaux du pays, servir de réserves pour les troupes de choc en al-Andalus et, éventuellement, lever l’impôt sur les populations locales. Afin de prévenir toute rébellion, les autorités prirent soin de les installer loin des routes menant au désert de peur qu’ils ne s’y enfuient et ne se révoltent. C’est pour cette raison qu’elles étaient cantonnées essentiellement dans la plaine atlantique du Maghreb Extrême (Habt, Tâmasna) et sur l’axe reliant Fès à Marrakech (Tâdla) où par vagues successives elles furent transférées, parfois de force, entre 1160 et 1200.

    Cette politique d’intégration des tribus arabes dans les structures almohades ne fut pas sans danger. D’ailleurs, certains historiens, dans la lignée des courants historiographiques mentionnés plus haut, n’ont pas de mot assez dur à l’égard des choix politiques de ‘Abd al-Mu’min. Ils considèrent cet épisode comme un tournant important dans la vie de l’Empire almohade : tant Roger Le Tourneau qu’Ambrosio Huici Miranda estime que ‘Abd al-Mu’min « trahit la cause berbère en transigeant avec les Arabes ». Pourtant l’affirmation de Roger Le Tourneau selon laquelle « ainsi ‘Abd al-Mu’min privait le mouvement almohade de son âme et, tout en assurant le pouvoir à ses descendants, il préparait aussi, sans s’en douter leur ruine, car il leur enlevait le soutien de la communauté almohade tout entière pour leur assurer seulement le concours de quelques familles de notables nanties ou à peine ralliées » est très largement anachronique et constitue une explication un peu simpliste de l’effondrement ultérieur de l’Empire.

    En fait, les tribus arabes jouèrent un rôle important dans la réduction de certaines révoltes comme par exemple celle des Ghumâra du Rîf dans les années 1160. D’autres Arabes furent renvoyés au Maghreb Central pour servir de troupes d’appui au gouverneur de Tlemcen. Parfois les Arabes reçurent l’administration du pays, comme Bizerte ou Gabès, où ils étaient en position de force. En tant que membres à part entière de l’armée, les Arabes étaient inscrits sur le registre du bureau chargé des affaires militaires et ils recevaient des soldes régulières et des équipements. Dans le S.-E. d’al-Andalus, ils bénéficièrent de concessions foncières (sihâm), jusqu’à l’effondrement du pouvoir almohade dans les années 1220.

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    Dernière modification par Harrachi78, 01 septembre 2021, 20h51.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

  • #2
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    Fragilité de la frontière orientale de l’Empire almohade : l’arrivée des Ghuzz, alliés des Arabes

    Face à l’expansion almohade, dont la puissance commençait à inquiéter les dirigeants de l’Égypte, la réaction est aussi militaire. Saladin, alors maître du Caire, envoie un de ses clients, l’arménien Qarâqush, accompagné d’Ibn-Qarâtikîn, à la tête de troupes turques (ghuzz) destinées à conquérir le Maghreb. Ibn al-Athîr dit que l’invasion du Maghreb commença en 1172. Jean-Michel Mouton montre clairement que Qarâqush n’était pas un brigand comme il est souvent présenté dans les chroniques pro-almohades, mais un gouverneur ayyoubide officiel de la Libye et de l’Ifrîqiya. La conquête avait été planifiée peut-être pour contrer les Almohades, mais aussi pour s’assurer un accès à l’or sub-saharien dont les voies avaient glissé vers l’O. L’invasion de la Cyrénaïque (Libye) eut lieu en 1172. Qarâqush et Ibn-Qarâtikîn firent proclamer le nom de Saladin dans le sermon du vendredi et retournèrent régulièrement en Égypte recruter des troupes. En 1180, Qarâqush passa une alliance avec les Arabes Dabbâb, une branche des Banû Sulaym. En 1181, il s’empara du Jabal Dammar au S. de la Tunisie actuelle et se tourna vers le N. En 1182, il tenta de prendre Gafsa, mais il en fut empêché par le parti pro-almohade de la ville. La même année, il défit les Almohades et captura le grand juge d’Ifrîqiya et le chef du Trésor qu’il échangea contre de fortes rançons, et il obtint des concessions foncières dans le Sûs et à Mahdiyya. Ses succès furent ternis par la révolte de son associé, Ibn-Qarâtikîn, qui le trahit dans leur base du Jabal Nafûsa. Vaincu par Qarâqush, Ibn-Qarâtikîn s’enfuit et, au lieu de repartir en Orient où il aurait été châtié, il passa au service des Almohades. En 1183, Qarâqush s’empara de Tripoli.

    L’alliance des Banû Ghâniya avec les Ghuzz et avec les Arabes

    En 1184, profitant du décès du calife Abû-Ya‘qûb Yûsuf (1163-1184), des éléments almoravides qui s’étaient maintenus aux Baléares débarquèrent au Maghreb et s’emparèrent de Béjaïa. Vite contraints d’abandonner ce port, les Banû Ghâniya, qui, comme Qaraqûsh, reconnaissaient l’autorité du calife abbasside, s’allièrent au lieutenant de Saladin. Ils se retirèrent en direction du Jarîd (S. de la Tunisie actuelle) où ils s’emparèrent des villes de Tozeur, Gafsa et Nefta, en gagnant le soutien des tribus arabes dominant le pays. En 1186, la Tripolitaine et l’Ifrîqiya étaient aux mains de Qaraqûsh et de ses alliés Banû Ghâniya et Banû Sulaym, sauf Tunis et le littoral. Ce n’est que très graduellement que le calife al-Mansûr réussit, en 1187 et 1189, à rétablir la situation sur la côte. Il intervint en personne et chassa les Arabes et les Banû Ghâniya dans le désert à la bataille de Hamma. Alî b. Ghâniya mourut peu après et son frère Yahya prit la relève cependant que Qarâqush entra au service des Almohades de Tunis avant de se retourner contre eux en s’alliant à Yahya.

    Pour régler définitivement la situation, le calife al-Nâṣir (1199-1214) délégua une grande partie de ses pouvoirs à un cheikh almohade Abû-Muhammad ‘Abd al-Wâhid Ibn Abî-Hafs al-Hintâtî qui vainquit les Banû Ghâniyya et leurs alliés arabes et ghuzz en 1207-1208. Pour l’emporter, les Almohades coupèrent la route qui permettait aux nomades arabes de la région de Tébessa de remonter au N. pendant l’été, et ils les contraignirent au combat. Ils surent également utiliser les inimitiés entre tribus arabes en jouant les Banû ‘Awf contre les Dawâwida (branche des Riyâh) ou encore en déplaçant des tribus entières, comme les Banû Mirdâs (branche des Sulaym) qui furent installés dans la plaine de Annaba. Finalement, ce n’est que dans les années 1220 que le gouverneur almohade de Tunis put éradiquer définitivement la menace que les tribus arabes faisaient peser sur la région.

    Les tribus arabes au coeur du jeu politique almohade

    Après la mort du calife almohade al-Mustansir (1214-1224), les tribus arabes déportées au Maghreb Extrême et Central surent profiter du déclin et des guerres intestines almohades pour assujettir et rançonner de nombreuses populations berbères, notamment en les menaçant de brûler leurs récoltes s’ils ne s’acquittaient pas de la taxe de protection (khifâra).

    Le saint Ibrâhîm b. ‘Îsâ b. Abî Dâwûd (m. après 1250) face aux tribus arabes (al-Bâdisî) : « Un jour, un groupe d’Arabes, de ceux qui avaient établi leur suprématie dans le pays du Rîf lorsque la puissance des Almohades y avait faibli, vint auprès d’Ibrâhîm b. ‘Îsâ b. Abî Dâwûd. Ils imposaient aux gens un tribut (maghram) déterminé qu’ils percevaient, ils le réclamèrent à la tribu des Banû Wartadâ (Rîf oriental), mais ceux-ci leur opposèrent un refus et se retranchèrent, pour se défendre dans un de leurs villages d’accès difficile, situé dans la région proche du littoral. Les Arabes demandèrent alors à Ibrâhîm b. ‘Îsâ b. Abî Dâwûd de trouver un accord (sulh) entre eux et les Banû Wartâda, en allant les trouver, il s’y refusa, mais ils l’y contraignirent ».
    Les tribus Sufyân et Khult jouèrent un rôle important dans les guerres entre les deux prétendants almohades au trône de Marrakech, al-Rashîd (1232-1242) et Yahyâ b. al-Nâsir al-Mu‘tasim (1227-1236), puis entre les Mérinides et les derniers Almohades. Leurs chefs, notamment les cheikhs Mas‘ûd b. Humaydân et Kânûn b. Jarmûn, occupaient une place éminente à la cour de Marrakech. En effet leur coopération était devenue indispensable pour assurer le succès de toute entreprise visant à réunifier le Maghreb. L’affaiblissement du pouvoir califal et les rivalités entre prétendants permirent à des tribus arabes de s’emparer de régions proches des voies sahariennes : ainsi, à partir des années 1220-1230, les Ma‘qil assirent leur domination sur le Sûs, au détriment des grandes confédérations sanhâja Lamta et Gazûla, et sur les populations des oasis du Dar‘a.

    Acte almohade de nomination d’un cheikh arabe (milieu 13e siècle)

    … Sachez que les Arabes se caractérisent au sein de notre Cause (da‘wa) par l’abondance de faveurs et la profusion de bienfaits qu’ont connues leurs ancêtres. Mais entre tous, on loue vos services et on distingue votre pacte d’alliance (dhimma). En conséquence de quoi, nous vous écrivons pour que vous ayez le même empressement que vos frères arabes à nous fournir des services qui vous vaudront estime et louanges, et que vous vous rangiez à leurs côtés […] en déployant les efforts qui vous assureront la protection et vous procureront une gloire et des honneurs supérieurs à tous ceux que vous avez connus. Vous savez qu’Untel a toujours défendu la Cause éminente, et qu’il y a gagné une estime considérable par sa sincérité et son sérieux. Lorsqu’il est mort, nous avons conservé son poste à son fils. Nous avons honoré celui-ci en le nommant à la tête des Arabes à cause de son père car nous estimions qu’à notre service, il se conduirait comme son père, et que ses projets ne s’écarteraient pas des sentiers méritoires qu’avait suivis celui-ci. Pourtant il n’a pas tardé à renier cette faveur et à attirer sur lui les malheurs par ses mauvaises actions. Nous l’avons destitué et nous avons nommé son oncle Untel à la tête des Arabes, pour gérer leurs affaires et les gouverner le mieux possible. Nous vous informons de cela pour que vous vous empressiez d’agir comme l’ont fait vos frères, et pour que vous vous précipitiez à notre service à bride abattue, avec la certitude que vous connaîtrez à nouveau nos soins et notre générosité et que sera renouvelé avec nous le pacte de dons et de faveurs. Si Dieu Très-Haut le veut…
    … /…
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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    • #3
      II. Les tribus arabes dans les principautés Zianide et Hafside

      Les tribus arabes dans le makhzen zianide

      Dès le début de son règne, Yaghmurâsan (1235-1284) tâcha de contenir l’expansion vers le N. des tribus arabes Ma‘qil alliées aux Mérinides. Pour cela, le sultan fit appel à une autre tribu arabe longtemps fidèle aux Almohades, les Zughba, et, tout particulièrement à la branche des Banû ‘Âmir qui nomadisait auparavant sur les mêmes territoires que les Banû ‘Abd al-Wâd, au S. de Tlemcen. À l’E., les ‘Abdelwâdides confièrent à d’autres Zughba, les Suwayd, le soin de contrôler les tribus zénètes Maghrâwa et Tûjîn, ainsi que la région s’étendant entre Mostaganem et Médéa. À ce titre, les cheikhs des Suwayd et des Banû ‘Âmir occupaient une place importante dans le conseil du souverain, qui n’hésitait pas à leur attribuer des villes en concession, comme al-Bathâ’, voire des régions entières comme le Bas-Chélif. Les Suwayd réussirent ainsi à entamer le vaste domaine jadis dominé par les Tûjîn et tirèrent profit, au 14e siècle, des conflits incessants entre Mérinides et ‘Abdelwâdides, en monnayant toujours plus cher leur soutien.

      L’alliance des grandes confédérations arabes décidait bien souvent du sort des armes. À plusieurs reprises, entre 1297 et 1337 face aux Mérinides et dans les années 1424 et 1462 face aux Hafsides, leur défection entraîna l’invasion de l’Etat de Tlemcen. Parfois le pouvoir des cheikhs arabes fut si grand qu’ils purent désigner le souverain. En 1358, alors que Tlemcen était occupée par les Mérinides, c’est l’émir des Dawâwida, Sawla b. Ya‘qûb qui, en mauvais terme avec eux, décida d’aller chercher le prince zianide Abû-Hammû, réfugié à la cour hafside de Tunis pour l’installer sur le trône de ses ancêtres. L’entreprise fut couronnée de succès, et pour les remercier, Abû-Hammû II (1359-1389) donna aux Arabes qui l’avaient soutenu (Banû ‘Âmir, Dyalâm et ‘Attâf) de nombreuses terres en concession. À la fin, les souverains ‘abdelwâdides contrôlaient les villes et laissaient les tribus arabes régner sur les hauts-plateaux et sur le littoral. Seul le massif de l’Ouarsenis (Wansharîs) échappait aux Arabes, et les Zénètes qui y vivaient ne payaient aucun droit de protection.

      Les Arabes et les Hafsides

      Les Hafsides qui s’inscrivent dans la continuité des Almohades s’appuyèrent sur les grandes confédérations arabes. Dès les origines de la dynastie, les Arabes constituaient à côté des éléments masmûda et andalous une part essentielle de l’armée hafside. Pour mieux s’assurer de leur fidélité, à partir de 1284, les souverains accordèrent à leurs cheikhs des concessions territoriales. Le fondateur de la dynastie Abû-Zakariyâ (1228-1249) installa les Sulaym, notamment la fraction des Ku‘ûb, dans la province de Kairouan pour contrebalancer l’influence des Dawâwida, anciens soutiens des Banû Ghâniya dans ces régions, et il refoula ceux-ci à l’E. vers le Zâb et vers la région de Constantine. De même, une fraction des Athbaj reçut des terres dans la partie orientale des Aurès contre les Riyâh. Afin d’aiguiser les rivalités tribales, le premier émir hafside n’hésita pas à inviter les Arabes de la Tripolitaine à venir estiver dans la région de Kairouan.

      Saints et jurisconsultes face à la domination des tribus arabes

      En temps de crise, les Arabes s’émancipaient et devenaient autonomes. Face à l’incapacité du pouvoir central à assurer durablement la sécurité ou à revenir sur les concessions accordées, les jurisconsultes se faisaient alors l’écho du peuple en condamnant les nomades, qualifiés de prédateurs et d’oppresseurs, pour les rapines et les exactions qu’ils commettaient contre les villageois. La plupart des jurisconsultes (fuqahâ’) considérait d’ailleurs qu’il était illicite d’acheter des biens aux nomades, en raison de leur origine douteuse. D’autres, tel Ibn ‘Arafa, prônaient même le jihâd pour se débarrasser d’eux. Dans cette littérature juridique, la vie de bédouin était synonyme de débauche, incompatible avec les canons islamiques. C’est pourquoi, avant le 15e siècle, on trouve peu de saints d’origine arabe. Pour obtenir justice des tribus arabes, la population s’adressait à des santons locaux.

      L’influence d’un santon berbère sur les populations arabes au début du 14e siècle (al-Tijânî) :
      ​​​​​​
      « On voit non loin de Zarîq [près de Gabès] quelques dattiers auprès d’une source d’eau douce et d’une zâwiya occupée par un Berbère de la tribu ‘Awjasî, appelé Sallâm, et plus connu sous le nom d’Abû-Gharâra. Cet ascète était parvenu grâce à des tours de prestidigitation à exercer une grande influence sur l’esprit des Arabes de la localité, et aucun d’eux n’osait s’opposer à lui. Son influence s’étendait jusqu’à la tribu Dabbâb, dont il retirait de très grands profits. Si l’un d’eux tentait de se soustraire à son autorité, il le menaçait aussitôt en l’effrayant par l’annonce de terribles calamités, et la crainte finissait toujours par s’emparer de l’incrédule, le forçant à l’obéissance. Voici ce que me racontait à ce sujet le cheikh Abû Jabara ‘Abd al-Salâm b. Mûsâ : “Les Mhâmid (tribu arabe), ayant un jour attaqué une caravane, s’emparèrent d’un grand nombre de bêtes de somme qui en faisaient partie ; les gens de la caravane, recoururent à l’intervention d’Abû-Gharâra pour récupérer leurs biens ; celui-ci me fit appeler et me demanda de l’accompagner chez les Mhâmid, où nous nous rendîmes, nous ne tardâmes pas à recevoir de leurs mains tout ce dont ils s’étaient emparés” ».
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      Dernière modification par Harrachi78, 01 septembre 2021, 20h11.
      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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      • #4
        … /…

        Conclusion :

        Du 12e au 16e siècle, les dynasties berbères successives cherchèrent toutes à utiliser la force démographique et militaire des tribus arabes Banû Hilâl et Banû Sulaym, même si cela n’était pas sans risque pour leur pouvoirs.

        Dès le milieu du 12e siècle, les Almohades innovèrent en déplaçant et déportant des tribus arabes entières au Maghreb Extrême et Central et en al-Andalus, où elles n’étaient jamais parvenues jusque-là. Jusqu’aux années 1210, les Almohades parvinrent à cantonner les Arabes dans des régions qu’ils contrôlaient, régions éloignées du désert où elles servaient de réserves pour l’armée. Mais profitant de l’affaiblissement de l’État central, ces tribus arabes traversèrent les défilés de l’Atlas, gagnèrent les territoires steppiques pré-sahariens et s’emparèrent de régions entières (Dar‘a, Sûs, vallée du Chélif, plateau du Sersou ... etc.).

        Les tribus Arabes mirent ensuite à profit les rivalités entre les trois principautés issues des décombres de l’Empire almohade -- Mérinide, Abdelwâdide et Hafside -- pour obtenir la concession de territoires immenses sur la population desquels ils prélevaient un lourd tribut.

        Ainsi, au 14e siècle, dans l’ensemble du Maghreb, la majorité des Berbères des plaines et des Hauts-Plateaux étaient sous domination arabe.
        Dernière modification par Harrachi78, 01 septembre 2021, 20h17.
        "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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        • #5
          J'aurais bien aimé consulter ce texte intéressant en arabe, parceque j'ai toujours une arrière pensée, insensée tout de même,de mettre derrière le narrateur français des buts malsains, étant donné sa période d'obscures desseins relative à la prospection pour les interventions coloniales.
          Considérant donc insensée mon impression,je dois avouer que les faits historiques relatés sont véritables pour une écrasante proportion et même la mise en exergue de '' l'antagonisme ethnique'' est aussi vrai.

          pour le Maroc,les banou hilal ,d'après mes modestes observations, sont bien établis dans les plaines et terres agricoles entre Marrakech et el jadida,des tribus se sont détachés d'eux avec d'autres noms,mais ce qui est sur c'est l'origine arabe ou arabisante avec des termes bien classique quoique déformés dans la pratique.

          ​​​​
          Dernière modification par Anzoul, 02 septembre 2021, 17h57.

          Commentaire


          • #6
            ... et même la mise en exergue de '' l'antagonisme ethnique'' est aussi vrai.
            C'est quelle partie du texte ça ?
            "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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            • #7
              pratiquement,le texte en est imprégné,a des degrés différents on décèle son intensité,j'ai pu relever ces passages et ils ne sont les seuls,





              les historiens sont plus nuancés sur la brutalité de ce vaste mouvement de population arabe.


              Sous le long règne de ‘Abd al-Mu’min (1130-1163), le fondateur de la dynastie Mu’minide, l’empire almohade atteignit son extension maximale au Maghreb et en Ifrîqiya. Très tôt, il se heurta aux tribus arabes d’Ifrîqiya.
              En fait, les tribus arabes jouèrent un rôle important dans la réduction de certaines révoltes comme par exemple celle des Ghumâra du Rîf dans les années 1160. D’autres Arabes furent renvoyés au Maghreb Central pour servir de troupes d’appui au gouverneur de Tlemcen. Parfois les Arabes reçurent l’administration du pays, comme Bizerte ou Gabès, où ils étaient en position de force. En tant que membres à part entière de l’armée, les Arabes étaient inscrits sur le registre du bureau chargé des affaires militaires et ils recevaient des soldes régulières et des équipements. Dans le S.-E. d’al-Andalus, ils bénéficièrent de concessions foncières (sihâm), jusqu’à l’effondrement du pouvoir almohade dans les années 1220.
              la question de l'origine de l'appel a la migration hillalienne est certainement pour contrebalancer la présence autochtone,un contre poids militaire constitué par la constitution d'un réservoir de troupe a la disposition des responsables de la dite initiative de migrations de tribus des banou hilal,et biensur de ceux qui les ont remplacé.


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              • #8

                ... j'ai pu relever ces passages et ils ne sont les seuls ...

                Les passages que tu cites ne renvoient pas vers un clivage ethnique. Les groupes tribaux en question y sont nommés "arabes" parcequ'ils sont identifiés comme tels, mais les interactions qui sont décrites ne dessinent pas l'action d'une entité politique "arabe" contre une autre qui serait "berbère". Bien au contraire, dès le début de l'affaire les dynamiques sont "inter-ethniques" : tel groupe de tribus arabes (Athbadj, Zughba, Riyāh ...etc.) dévelopoe des intérêts propres avec tel groupe berbère et s'implique au fil du temps avec lui contre d'autres groupes, tant arabes que berbères. Le facteur ethnique était identitaire certes, mais il n'a pas joué le rôle d'une unité de type "national" pour les uns ou pour les autres parcequ'il n'existait tout simplement pas en ces temps, les uns comme les autres ayant la tribu et le clan pour premier et dernier référent en matière d'allégeance politique, alors que les seuls référents supratribaux sont de nature religieuse ou idéologiques.

                ... l'appel a la migration hillalienne est certainement pour contrebalancer la présence autochtone,un contre poids militaire constitué par la constitution d'un ...

                Oui et non. A l'origine, l'envoi des tribus hilâliennes d'Egypte par le calife Fatimide (un arabe par définition) avait pour objectif de réduire à l'obéissance les Zirides Sanhādja qui étaient ses grands alliés au Maghreb avant de renier ce lien, alors que la déportation de tribus hilâliennes au Maghreb-Extrême par le calife Almohade (un berbère clair et net) s'inscrivait dans une politique générale d'installation de contingents alliés qui soient étrangers au pays dans chaque région de l'Empire (andalousiens et chrétiens hispaniques au Maghreb-Extrême, arabes zughbiens au Maghreb-Central, berbères masmūda en Ifrīqiyya) afin qu'ils tiennent en respect les groupes locaux, qu'ils soient berbères ou pas. L'idée était donc bien de contrebalancer la force de tel groupe par tel autre dans tel coin, mais le critère pour cela n'était pas proprement "ethnique" à la base, mais essentiellement politico-tribal.

                En mot, Abdelmūmin n'en avait rien à cirer que les Ghomāra ou les Lamtūna soient berbères ou non, mais juste le fait qu'ils soient hostiles au pouvoir Almohad qu'incarnait ses groupes à lui (Masmōda, Kūmiyya ... etc.), et il en allait de même pour les groupes arabes en jeu puisque certains (les clans Zughba surtout) seront toujours de fidèles soutiens pour le régime almohade, alors que d'autres groupes (tout aussi arabes) se rangeront corps et âme dans le camps des ennemis du régime comme ce fut le cas avec les Banī Ghāniyya qui étaient des berbères Lamtūna et qui voulaient restaurer le pouvoir Almoravide que les Almohades avaient abattus.
                Dernière modification par Harrachi78, 03 septembre 2021, 18h17.
                "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                • #9
                  globalement ,pour notre région depuis la Libye ,les migrations des tribus arabes n'avait qu'un seul but créer un genre d’équilibre ethnique,les "détails" (néamoins importants) historiques d'une telle influence culturelle ou cultuelle ou d'une compagne militaire visant a soumettre les autochtones ou même des tribus arabes déjà établies mais réticentes a obéir a un certain seigneur local sont ,a mon avis,négligeables .
                  le fin mot de l'histoire de la migration hilalienne est de chercher soumettre les autochtones par la force du nombre et des armes ,ça a été réalisé avec succès dans bien d'endroits du Maghreb et a eu pour résultats des provinces ou "l'ordre" régnait et d'autres non ,ainsi que l’octroi les terres(plaines fertiles) de ces provinces aux nouveaux arrivés et a leurs descendants.

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                  • #10
                    ... globalement ,pour notre région depuis la Libye ,les migrations des tribus arabes n'avait qu'un seul but créer un genre d’équilibre ethnique ...
                    Non. Le but de la migration était à caractère exclusivement politique à la base, comme cela est indiqué par ceux-là même qui l'avaient initiée.

                    Pour le reste du poste, je n'ai pas pu saisir un sens clair du props et je ne saurais donc fournir de commentaire utile en l'état.
                    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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